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LE GLOBE
(JOURNAL GÉOGRAPHIQUE \
( ORGANE
DE LA
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE GENÈVE
POUR SES
'^MOIRES ET BULLETIN
-^ -) — . '7
GENÈVE
SOCIÉTÉ DE OÉOGRAPHIE, ATHÉNÉK
1877
62^1907
Genève. — Imprimerie Ramboz et ScnrciiARt>T.
MÉMOIRES
DE LA
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
DE GENÈVE
TOME SEIZIEME
/ SECONDE SÉRIE. — TOME III
GENÈVE
SOCIÉTÉ DE GÉOQRAPHIE, ATHÉNÉK
1877
Tous droits réservés.
LOCÉAN ATLANTIQUE
CHAPITRE XXI
(Suite.)
Une autre conséquence de riiypothèse que nous
traitons est, qu'avec les années, la mer des Sargasses
deviendrait un * foj'er d'infection. » En effet, ces
lierbes arrachées aux côtes arriveraient à la mer de
Varech déjà à moitié décomposées, et de leur accumu-
lation résulteraient une fermentation intense et des
exhalaisons putrides ; les voyageurs, au contraire,
n'ont jamais rien ressenti de semblable.
Passons à la deuxième hypothèse, qui nous occu-
pera moins. On a prétendu que les Sargasses crois-
sent sur de nombreux récifs à fleur d'eau, reste d'un
grand continent disparu, dont elles sont arrachées
par les vagues de tempête.
En effet, disent les partisans de cette opinion, les
premiers navigateurs qui reconnurent la mer des Sar-
gasses, croyaient toujours avoir devant eux un archi-
pel, une île. un écueil ou un fond vaseux; ne connaît-
on pas, du reste, toutes les discussions qu'a soulevées
la fameuse Atlantide de Platon ? Le débat n'est pas
terminé, et dernièrement encore, le journal VExplo-
6 l'océan atlantique.
rateur a. -publié sur ce sujet un très-long article. N'est-
il donc pas naturel de supposer que les Sargasses
naissent sur ce vaste continent englouti?
Pour résoudre cette question, il faut consulter les
chiffres de sondages faits dans la merde Varech. Or.
le lieutenant John Evan en 1810, les capitaines Lee.
Leps et Nares ont, dans ces parages, jeté le plomb
sondeur, de sorte que, de nos jours, on sait que la
partie orientale de la mer herbeuse a des profondeurs
de 6999 mètres au maximum, et de 267 mètres au mi-
nimum, tandis que dans la région occidentale ces pro-
fondeurs varient entre 4000 et 6000 mètres.
Puisque le fond de la mer se trouve eu général à
une telle distance de la surface, les écueils, les îlots
ne doivent pas être nombreux, car toute arête qui
émerge au-dessus des flots doit s'appuyer sur un pla-
teau peu profond. En outre, à de telles profondeurs,
les vagues les plus hautes ont depuis longtemps
perdu toute leur puissance', et les courants sont très-
faibles; ni les vagues, ni les courants n'ont assez de
force pour arracher en si grande masse les varechs
de la mer de Sargasso. Du reste, M. Leps a constaté
que ces algues ont tous les caractères des plantes que
les flots ont ballottées longtemps, tandis qu'aucune
d'elles ne présente jamais rien qui puisse faire sup-
poser qu'elles ont été arrachées à la terre.
Nous arrivons enfin à la troisième hypothèse, sans
contredit la plus répandue : les sargasses sont des
plantes marines qui naissent, croissent et meurent à
la surface des eaux. Elles vivent, on retirant de Tenu
' On a calcule' que l'action d'une vague do dix mètres est encore
sensible à cent mètres de fond, mais qu'elle décroît rapidement nvcc
la profondeur.
I/OCÉAN ATLANTIQUE. 7
de mer les matières organiques dissoutes, tandis
qu'une grande quantité de leurs larges feuilles, placées
verticalement, absorbent l'air qui leur est nécessaire.
Une mer tranquille, soumise à des vents réguliers,
une ceinture mouvante qui les empêche de se répan-
dre au loin, favorisent leur existence. Elles ne sor-
tent donc pas de T harmonie de la nature. M. Leps a
constaté, sur la même plante, des parties flétries,
noircies, presque décomposées, plus haut, des feuil-
les plus fraîches, une tige plus vivace, enfin à l'extré-
mité, des branches en pleine croissance; quelquefois
même il a trouvé des feuilles dont la partie terminale
cassée avait parfaitement repoussé. Colomb avait déjà
remarqué sur une même algue des portions fraîches et
d'autres vieilles. Les Anglais en parlent aussi {Fresh
iveed and weed much decayed, herbe fraîche et herbe
flétrie, disent-ils).
Ce n'est pas chose facile que de déterminer l'éten-
due de la mer de Sargasso, car les voyageurs et les
savants se contredisent singulièrement lorsqu'ils abor-
dent ce sujet ' . Arago lui donne une surface égale à
celle de la France ; de Humboldt soutient qu'elle est
* Les limites en latitude de la mer des Sargasses sont d'après De-
lile, le 20° et le 29° latitude Nord, d'après Vitré de Saint-Mâlo. le
21° et le 31° latitude Nord, d'après Olivier du Nord le 27° et le 32°
latitude Nord, d'après le père Canton le 24° et le 36° latitude
Nord, d'après Hinschot le 20° et le 34°, d'après sir John Furdy le
20° et le 30° latitude Nord. Quant aux longitudes, la même incer-
titude règne aussi. M. A. Focillou prétend que la mer herbeuse
est comprise entre le 38° et le 44° longitude Ouest de Paris, Froget
qu'elle s'étend entre les Antilles et les Açores. Jean de Léry la
place beaucoup à l'Ouest de ces dernières îles. Une carte publiée
chez Covens et Mortier, à Amsterdam, la signale à partir du 30°
longitude Ouest. Maury appelle mer de Varech l'espace triangu-
laire compris entre les Açores, les Canaries et les îles du Cap vert.
8 l'océan ATLAiNTIQUE.
6 à 7 fois plus étendue; le capitaine Leps et Elisée
Reclus lui assignent une superficie plus considérable
encore ' . En prenant la moyenne des nombreux chif-
fres indiqués comme limites par les marins du XVIII'"'
siècle, M. Leps a trouvé que la mer herbeuse devrait
s'étendre entre le 20** et le 36° latitude Nord et le
30° et le 50° longitude Ouest de Paris; mais il pense
que ces limites sont beaucoup trop resserrées et que
véritablement la mer de Varech recouvre l'espace
compris entre le 16° et le 38" latitude Nord et le 18"
et le 50'^ longitude Ouest de Paris. On croit du reste,
que ces amas d'herbages forment deux masses distinc-
tes, l'une à l'Ouest, l'autre à l'Est, réunies par un
espace où l'on rencontre moins de varechs que par-
tout ailleurs. La partie orientale est plus encombrée
d'algues que la partie occidentale.
Il ressort clairement des nombreuses divergences
signalées plus haut, que les confins de la mer que
nous étudions se déplacent. Et pourquoi en serait-il
autrement? Les algues marines sont mobiles; elles
sont soumises à l'action des courants, des vents, des
ouragans. Le navire qui repasserait demain dans un
lieu où il en a trouvé beaucoup aujourd'hui, n'en ren-
contrerait peut-être pas. Les courants varient avec
les saisons, tantôt ils resserrent davantage la mer,
tantôt ils la laissent s'étendre sur un plus large es-
pace. Les vents changent aussi et, avec l'époque de
l'année, ils amoncellent les herbes marines en tel ou
tel point de l'océan. Rien, enfin, n'est plus inconstant
que les ouragans, les tornades, qui, en se déchaînant
' Plus (le 4,000,000 do kil. carrés.
(Iloclus. — Les Mers et les Météores.
I/OCKAN ATLANTIULE. î»
sur telle partie de la mer, entraînent les varechs à
(le grandes distances, et les ramènent plus tard à leur
lieu primitif,
A côté de ces considérations géographiques, une
question importante se présente. Quel est le parti que
Ion pourrait tirer de la mer des Sargasses au point
de vue industriel?
Tout le monde connaît la grande industrie provo-
quée ])ar la récolte des varechs ou goémons sur les
côtes de Bretagne et de Normandie, et de la barille
sur les plages espagnoles. On sait aussi que. sur les
côtes françaises, cette pêche n'est pas exempte de
dangers. Les travailleurs sont souvent surpris par la
marée, la tempête, ou tombent du haut des falaises.
Pourquoi recherche-t-on ces algues, en apparence si
peu importantes ? A cause des coii3S contenus dans
leurs cendres. Brûlées, elles fournissent du carbonate
de chaux, du phosphate de chaux, de la silice, du
charbon, substances qui constituent les meilleurs en-
grais connus, du sulfate de potasse qui sert à fabri-
quer l'alun et le salpêtre, du chlorure de potassium,
employé journellement, du chlorure de sodium, notre
sel de cuisine, de l'iode, -d'un grand secours en phar-
macie, du brome, si connu pour les services qu'il
rend à la photographie. Au moment de la récolte des
varechs, toutes les populations accourent sur la plage
et se livrent à ce dangereux métier. Le nombre des
ouvriers est immense et la quantité des produits fa-
briqués considérable. Ne serait-ce donc pas pour le
commerce une excellente aubaine que d'aller recueil-
lir les algues de la mer des Sargasses ' , de les brûler
* L'entreprise dont nous parlons a été proposée par M. Leps.
10 l'océan ATLANTIOUK.
sur le navire même, et d'apporter au continent des
substances si nécessaires à son industrie? Les navires
pourraient embarquer une grande quantité de cen-
dres qui se débiteraient facilement.
Un autre genre de produit pourrait être retiré de
la mer herbeuse. Tous les voyageurs qui l'ont traver-
sée s'accordent à dire que les poissons et en particu-
lier les thons y sont en abondance ; et ne pourrait-
on pas utiliser cette richesse maintenant que les
pêcheries tendent à s'épuiser ? Des bateaux viviers,
semblables à ceux confectionnés en Amérique, appor-
teraient dans les ports du poisson Irais qui rencontre-
rait nombre d'acheteurs ' .
Telles sont les deux industries qui trouveraient de
l'extension dans la connaissance plus approfondie de
la mer de Yarech. Peut-être, dans la suite, décou-
vrira-t-on qu'elle renferme d'autres objets de com-
merce. Mais pour cela il faut que les savants étudient
cette branche de la science, il faut surtout que les
amirautés des diverses puissances maritimes équipent
des navires exclusivement chargés de l'exploration de
cette sombre et vague région.
CHAPITRE XXII.
Polypiers. Iles d'origine volcanique. Vigies.
Si les végétaux recouvrent d'immenses étendues
océaniques et peuvent être une source abondante de
richesses, les petits animaux nuirins accomplissent
' Cette idt'-e a été émiso i)ar M. Gafl'arel.
l/OCÉAN ATLANTIOLK. Il
une œuvre plus importante en s'acharnant à con-
struire au sein des flots des îles et des continents
nouveaux. Rien n'est plus intéressant, en effet, que
le travail auquel se livrent sans relâche les milliards
et les milliards de polypes des mers tropicale^. Ils
aiment, on le sait, des eaux chaudes, limpides et sa-
lées, et des parages battus par les vagues. Absor-
bant le carbonate de chaux que contient l'eau de mer,
ils s'en servent pour agrandir sans cesse leurs nom-
breuses colonies.
Dans rOcéan atlantique, les polypiers se rencon-
trent seulement aux abords du Nouveau Monde, car
les côtes africaines sont baignées par des courants
venus des pôles. Dans le golfe de (ruinée se trouve le
tiux antarctique ; près des côtes du Maroc, le courant
froid du pôle nord. ^lais, baignées par un courant
chaud, les côtes brésiliennes du cap St-Roque aux
lies Abrolhos sont bordées de récifs de polypiers. Ce-
pendant, c'est dans la mer des Antilles, le golfe du
Mexique et à l'ouest du détroit de la Floride et du
canal de Bahama que les constructions coralligènes
sont particulièrement nombreuses. Dans la mer des
Antilles, les polypes construisent des îles et des récifs
arrondis analogues à ceux que l'on rencontre dans le
Pacifique. Entre Cuba, la Jamaïque, le Honduras et
la Mosquitie, la mer en recèle un grand nombre,
mais on n'en trouve aucun dans les parages des Iles
sous le vent.
Les coraux ont produit dans le golfe du Mexique des
îlots et des hauts-fonds nombreux. Ainsi les îles ïor-
tugas, Bermeja et l'île de Sable, les bancs Alacranes,
Triangles, las Arcas en sont complètement formés.
Le canal du Yucatan, de même, renferme un grand
li l'ockaiN atlantique.
nombre de récifs coralligènes. Du reste, Agassiz a
trouvé que la Floride est principalement composée
de bancs de polypiers. Ils forment autour de cette
péninsule des îlots sans nombre qui, à marée basse,
sont parfois unis entre eux et avec le continent. Ces
îles, dont les principales sont celles de Pinos, portent
le nom de Kcys (clefs). S'élevant de 6 à 12 pieds au-
dessus du niveau de la mer et rapprochées de la côte
en général, elles sont elles-mêmes bordées à la dis-
tance de 2000 à GOOO mètres par un récif que con-
struisent actuellement les polypes. Le chenal qui sé-
pai'e les keys du récif a 6 à 7 brasses de profondeur.
Rarement cette barrière s'élève au-dessus de la mer:
elle est du reste fréquemment interrompue par de pe-
tits canaux qui établissent une communication entre
les keys et l'océan.
On ne rencontre pas de récifs coralligènes près de
l'embouchure duMississipi. La cause de ce fait serait
que les eaux de ce fleuve, limoneuses et fi'oides en hi-
ver, dessalent la mer à une assez grande distance.
L'archipel des Bahama est entièrement formé de
polypiers qui se rencontrent aussi en grand nombre
aux débouquements de St-Domingue. D'immenses
bancs sous-marins sont presque à fleur d"eau et le
gi-and banc de Bahama n'a que quelques mètres de
profondeur. Au sein du (liilt-Stream on rencontre
encore des coraux attirés par des eaux d'une tempé-
rature égale et douce, et l'on en trouve môme au
liernmdes, qui sont à une latitude élevée, mais que le
Courant du (îolfe enveloppe de toutes parts.
M. Baymond Thomassy ' croit que l'on a donné
aux polypiers une trop grande importance dans lu
' /liilktin (le la Sociité de Géographie de Paris. Novcmliro 18t>4.
l'ockan atlantmjuk. l;>
fonuatioii des keys de la Floride et des îles ?>aliama.
Tout en admettant que les caractères d'une formation
coralligène se rencontrent à Key-West, et que la
plage des îles Baliama est encombrée de débris de
madrépores, il pense plutôt que les eaux du Gult-
Stream déviées vers le Nord-Est par le cap Canave-
ral, à l'ouest de la Floride, vont déposer, à l'entrée de
l'océan, les matières dont elles se sont chargées en
sapant les caps et les îlots, le long des côtes qu'elles
ont déjcà parcourues, et <iue cette accumulation de
débris sans cesse croissante a formé les îles Bahama.
Les keys, les îlots qui bordent la côte de la Floride,
ont été exposés au contraire, à l'action destructive
des vagues qui, pendant les tempêtes, enlèvent peu à
peu à la presqu'île une foule de matériaux que le
Gulf-Stream reprend et qu'il dépose près des Lucayes.
Quoique l'Atlantique ne soit pas, comme le Grand
Océan, entouré d'une ceinture de volcans éteints ou
en activité, il n'en est pas moins parsemé d'îles vol-
caniques. L'Islande, les Açores, les Canaries, par
exemple, sont encore soumises à des phénomènes
volcaniques quelquefois très-puissants.
Ces phénomènes, quand ils se produisent au fond
de la mer, concourent à la formation d'îles nouvelles.
Mais ces corps insulaires sont loin d'avoir une stabi-
lité aussi grande que les formations madréporiques,
car il n'est pas rare de les voir disparaître de la sur-
face du globe. Une éruption sous-marine, une secousse
du sol les met au jour, une autre éruption, une autre
secousse les replonge au fond des abîmes. Du reste,
l'action des vagues qui en sapent sans cesse le pié-
destal entre pour une grande part dans la destruction
de ces îles éphémères. Remarquons encore qu'elles se
14 l'océan atlantique.
forment en général dans le voisinage des terres et non
en plein océan, où les volcans sous-marins ne peuvent
déployer une puissance assez grande pour que les
matières qu'ils jettent atteignent la surface des eaux.
Les Açores se trouvent au-dessus d'un foyer tou-
jours en activité. Le 11 juin 1638, d'après Sonrel ',
une île de 10 kilomètres de longueur et de 120 mè-
tres de hauteur apparut près de St-Micliel ; mais elle
fut de courte durée.
En 1719, un autre îlot de lave surgit tout à coup
des eaux, entre Terceira et St-Micliel, pendant une
terrible éruption ; très-haute dès les premiers jours
de sa formation, elle s'abaissa peu à peu, et disparut
en 1723 laissant une profondeur de 133 mètres. En
1811, dans les mêmes parages, la mer se mit à bouil-
lonner, des jets de vapeur s'élancèrent dans les airs;
au bout de huit jours, un haut-fond s'était tout à fait
formé.
Le 15 juin de la môme année, une éruption volca-
nique mit au jour un nouvel îlot de 1 à 2 kilomètres
de tour et dont les falaises escarpées s'élevaient jus-
qu'à 200 mètres au-dessus du niveau de la mer. Il
fut appelé Sahrina, du nom d'un bâtiment anglais qui
passait près de là et qui en prit possession. Mais il
subit le sort de ses devanciers et bientôt il disparut
complètement.
Les Açores ne sont pas les seules contrées fécondes
en phénomènes volcaniques. On en a aussi observé
près de l'Islande. En 1783, l'île de Nyœ apparut tout
à coup sous la forme d'un rocher de basalte du sein
duquel jaillissaient une foule de matières volcaniques.
' Le fond de la Mer, par L. Sourd. — Libr. Hachette et C*.
I/OCÉAN ATLAMlnL't:. 15
Cet îlot s'eugloutit dans les flots au bout de quelques
mois.
Nous pouvons enfin signaler, au sujet des volcans
sous-marins, un mémoire de M. Daussy ' établissant
que r Atlantique-sud recèle une région volcanique fort
curieuse: vers le 2P 12' long, ouest et le 0" 50' lat.
sud, c'est-à-dire à mi-chemin entre les îles St-Paulet
St-Mattliieu, un grand nombre de navires, tels que le
Prince en 1747, la Silhouette en 1754, le Godavcri/
en 1856 ont ressenti des secousses violentes; en 1806.
M. de Krusenstern, commandant de la Nadéjda, na-
vire russe, distingua dans ces parages une colonne de
fumée qui sortait du sein des eaux; en 1761 l'équi-
page du Vaillant aperçut même un banc de sable, et
en 1816, le Triton, reconnut un écueil de plusieurs
milles de superficie.
On appelle Vigies, dans le langage des marins, des
hauts-fonds, des récifs rencontrés en pleine mer ou
dans le voisinage des terres. Les hydrographes s'en
sont beaucoup occupés, soit pour en prouver l'exis-
tence, soit pour en déterminer la position. Le nombre
de ces vigies est-il aussi considérable que les rapports
des différents capitaines veulent bien l'établir? Cette
question soulevée depuis longtemps a été étudiée,
quant à l'Atlantique-nord, d'une manière approfondie
par une commission prise dans le sein de la Société
de géographie de Paris, et le rapport de M. Tamiral
vicomte de Langle " ainsi que les tableaux et les cartes
dont il l'a accompagné concluent à la négative. S'ap-
puyant sur des autorités éminemment compétentes,
telles que Maury, le capitaine Leps. Despecher, Lee,
^ Comptes Rendus de V Académie des Sciences. 1838, tome 6.
- Bulletin delà Société de Géographie de Paris. Juillet et aoiit IBGû-
IG l'océan atlantioue.
Berrymaii, Daymaii, cet ofticier aftirme que le iioiii-
bre des vigies dont l'existence est certaine, se trouve
être fort restreint.
En effet pour qu'un écueil, un récif puisse exister,
il faut qu'il s'appuie sur un plateau étendu, plateau
que la sonde doit signaler longtemps à Tavance. Il en
résulte que, si les sondages effectués aux abords de
recueil cherché accusent des profondeurs de 3000.
4000 et 5000 mètres, on peut affirmer qu'il est ima-
ginaire. C'est ce qui s'est présenté pour la plupart des
vigies. Il est facile, du reste, de comprendre comment
on a pu en exagérer ainsi le nombre. A certaines heu-
res de la journée, les diverses teintes que prend la
mer font croire à la présence de bancs à tieur d'eau,
et si le vaisseau rencontre alors des débris flottants,
des coques de bâtiments perdus, des glaces, des amas
de varechs, tout confirme dans sa croyance le navi-
gateur alarmé, qui s'empresse d'indiquer sur la carte
la place du nouveau récif contre lequel il a cru se
lieurter. De cette manière, les vigies se multiplient à
un tel point que si Ton était dans le vrai , la naviga-
tion au long cours serait extrêmement dangereuse,
tandis que les marins ne la craignent aucunement.
D'ailleurs, comme le dit fort bien M. de Langle, il est
possible et même raisonnable d'attribuer la formation
d'un grand nombre de récifs à l'éruption de volcans
sous-marins. Ces écueils ne seraient donc pas de lon-
gue durée, car la moindre secousse du sol, le travail
incessant des vagues, entraîneraient leur dislocation,
et le marin qui viendrait plus tard en vérifler la posi-
tion, n'en retrouverait aucun vestige.
Les lignes qui représentent les ondulations du fond
de la mer n'accusent pas en général de brusques res-
l'océan VTI.AMTIQIK. 17
sauts, (les montagnes abruptes, des vallées encaissées,
mais plutôt des plateaux à pente douce et régulière ;
le nombre des vigies ne peut donc être que peu con-
sidérable.
Il est cependant quelques bancs dont on ne peut
contester l'existence et dont on explique même la for-
mation. Ainsi le banc de Terre-Neuve, au Sud-Est de
l'île de ce nom, est dû à la rencontre en ce lieu des
deux courants principaux de notre globe, du courant
polaire et du Gulf-Stream. Leur choc détermine la
chute des matières qu'ils charrient, de sorte qu'avec
les années un banc considérable a pu se former.
« Les barres qui obstruent, et bouchent quelque-
fois l'entrée des rivières, n'ont pas toutes la même ori-
gine et varient de nature. Les barres de rochers sont
aussi anciennes que les fleuves mêmes. Lorsque ceux-
ci charrient, mêlée avec leurs eaux, une grande
quantité de limon, de sable et de gravier, ces ma-
tières se précipitent dès l'instant que la résistance de
la mer paralyse l'impulsion du fleuve qui les tenait
en suspension, et elles forment des barres qui seront
d'autant plus avancées dans la mer, et par conséquent
d'autant moins nuisibles, que le fleuve aura plus de
rapidité. On rencontre cependant des barres de sable
à l'embouchure de fleuves dont les eaux sont limpides.
Elles sont dues alors à la fréquence des vents, et aux
lames de fond, qui accumulent les sables de la mer à
leur entrée. Les rivières s'extravasent alors et for-
ment le long des côtes des marais pestilentiels ' . »
Aux abords de notre continent nous rencontrons
aussi plusieurs récifs connus et redoutés des marins.
^ M. Chaix, Notes inédites.
MÊMOIKES. T. XVI, 1877. 2
18 l'océan atlantique.
Ce sont le Rockall et le banc du Lion à l'ouest de
l'Ecosse, la Grande Sole au large des îles. Scilly ou
Sorlingues, le banc de la Chapelle et les Roches Bon-
nes dans le golfe de Gascogne, enfin la vigie du cap
St- Vincent. Quant aux autres écueils, ils n'existent
qu'en pensée ; ainsi le capitaine Vidal a prouvé que
la roche Aitkins^ placée au nord-ouest de l'Irlande
par les capitaines Aitkins, Croing, Cork, est complè-
tement imaginaire. Il en est de même de la vigie du
cap Finistère et de la Roche du Diable. Il ne faut aussi
admettre qu'avec beaucoup de réserve les bancs que
les cartes signalent au sein de l'Atlantique, car leur
position est vague et les explorations modernes n'ont
pu les retrouver. Ainsi près de Tîle Jaquet,que Legros,
Querval et Job plaçaient vers le 46" de longitude et
le 41"'® parallèle, Berryman et Dayman ont trouvé
3000 à 4000 mètres. Le même fait s'est présenté pour
les bancs du Druid, du Beaufort, de Mayda, des Cinq
Grosses Têtes, et pour une foule d'autres dont le cata-
logue serait trop long. Il n'en est pas de même cepen-
dent du Bonnet Flamand et de quelques récifs situés
près du banc de Terre-Neuve. Leur position est déter-
minée. Mais les roches qui ont été vues au nord de
Madère et les vigies que Purdy place près des Iles du
Cap-Vert n'existent qu'en imagination, tandis que les
côtes de la Guyane et celles du Brésil sont bordées
d'écueils réels que les navigateurs connaissent parfai-
tement.
En résumé, nous pouvons dire que les seules vigies
véritables sont en général situées près des terres.
Elles peuvent être alors le prolongement de ces ter-
res, le lieu de rencontre de deux courants opposés,
l'océan ATLANTlgUE. lU
roiivrage des polypes, ou enfin le résultat de phéno-
mènes volcaniques.
CHAPITRE XXIIl.
Rivages de l'Atlantique. — Considérations
générales.
Limité au nord par le cercle polaire, au sud par
les terres antarctiques, à Test et à l'ouest par les ri-
vages continentaux, l'Atlantique offre l'aspect d'une
vallée dont la longueur est le double de la largeur et
qui subit un étranglement entre le cap St-Roque et le
cap des Palmes.
La similitude que présentent ses rivages est remar-
(juable. En effet, la convexité orientale de l'Amérique
du Sud, dont le point le plus avancé est le cap St-
Pioque, correspond à l'enfoncement du Golfe de Gui-
née, tandis que la mer des Antilles se trouve en face
de la courbe que décrivent les côtes africaines, du cap
des Palmes au détroit de Gibraltar. A partir d'une
ligne tirée de la presqu'île de la Floride à ce détroit ,
les côtes américaines, et plus haut, celles du Groen-
land, ont une direction parallèle aux rivages de l'Eu-
rope continentale.
Remarquons aussi que les côtes de l'Amérique du
Sud et celles de l'Afrique différent essentiellement de
celles de l'Europe et de l'Amérique du Nord. Tandis
que celles-ci sont fécondes en presqu'îles, découpées
en golfes profonds, celles-là, au contraire, sont pres-
que reclilignes et ne présentent pas ces grandes et
120 I/OCKAN ATLANTIQUK.
riches îles bordées de baies où le navire peut aborder
avec confiance. Non; seuls, de loin en loin, sont se-
més quelques caps avancés, jalons qui ont joué un si
urand rôle dans la reconnaissance de ces côtes.
Un rivage brûlant et souvent malsain, des barres
qui en rendent l'accès difficile, des montagnes formant
de longues chaînes côtières qui semblent défendi^e
l'intérieur du pays contre l'approche des étrangers,
voilà ce que rencontre le voyageur. Aussi n'est-on
pas surpris de voir l'hémisphère Nord être le siège
du commerce et de l'industrie, d'y rencontrer les mar-
chés nombreux vers lesquels convergent les produits
du monde entier, d'y trouver enfin les races poUcées
et savantes.
Si nous examinons en détail les rivages des mers,
nous nous apercevons qu'ils tendent sans cesse à chan-
ger de forme, à modifier leurs sinuosités. Depuis le
faible courant causé par la brise légère jusqu'au puis-
sant fleuve marin qu'aident encore la tempête et la ma-
rée, tous les mouvements de la mer remplissent une
double fonction. D'un côté les vagues sapent, désa-
grègent, détruisent les caps, les promontoires, les
falaises, tandis que d'un autre côté, se chargeant de
ces débris et du sable qu'apportent les fleuves à la mer,
elles transportent tous ces matériaux en d'autres
points du littoral, et particulièrement devant les baies
dont l'eau tranquille se dresse comme une muraille
devant la vague limoneuse. Ainsi les golfes se con-
vertissent en lagunes côtières qui, elles-mêmes, se
transforment en terre ferme, lorsque les plantes habi-
tuelles des marais s'y sont fixées, et que les légers
cours d'eau qui roulent dans les sables leur ont ap-
porté leur continuent de matéi'iaux.
l/OGÉAN ATLi#lïI(jUE. 21
Par suite de ce comblement des golfes et de cette
destruction des promontoires, la côte tend à prendre
une forme rectiligne ou plutôt légèrement concave
entre deux rochers contre lesquels se brisent les flots.
Cette œuvre est lente sans doute, mais elle est in-
contestable. Cependant, remarquons que dans cer-
tains cas un phénomène inverse peut avoir lieu ;
la vague peut creuser le rivage surtout si la roche
dont il est formé est friable, et parfois aussi les ma-
tières dont se chargent les flots viennent se. déposer
en bancs côtiers qui, en s'élevant sans cesse, forment
avec le temps de nouveaux promontoires.
Le sable que transportent les rivières peut aussi
concourir à la formation d'un delta à leur embouchure,
surtout lorsque la côte n'est pas sujette à de hautes
marées ; car le flux se charge de tous les débris ap-
portés par les fleuves, les transporte jusqu'au sommet
de sa course et les entraîne à sa suite vers d'autres
lieux. Par suite de l'apport continuel de matières par
les fleuves, les deltas, en s'agrandissant toujours, peu-
vent modifier les sinuosités des côtes.
Une cause qui intervient encore dans la transfor-
mation graduelle des rives de la mer, c'est Tafl'aisse-
ment ou le soulèvement de la côte ; car on a observé,
sur un grand nombre de rivages, des oscillations sen-
sibles. Tantôt l'on retrouve au fond des eaux d'an-
ciennes forêts, des ruines de bourgades, ce qui donne
à conclure que la rive s'est affaissée ; tantôt au con-
traire, on rencontre à une assez grande distance de
la mer, des sables, des galets, indices certains d'un
séjour prolongé des eaux. — A quoi attribuer ces
phénomènes ?
2^ l'océan atlantique.
Les uns y voient une action volcanique, les autres
un retrait ou un envahissement de la mer\
M. Delesse^ croit qu'ils sont dus à une autre cause.
Il pense que l'accumulation des sédiments apportés par
les courants et les rivières occasionne un tassement
des couches terrestres, une dépression du sol, tandis
que l'eau de la mer traversant les roches et les cou-
ches qui forment le sol sous-marin, augmente leur
volume et produit une élévation. S'il y avait, dit-il,
une action volcanique dans ces oscillations, elles de-
vraient être générales, saccadées, accidentelles,
tandis qu'elles sont souvent locales, lentes et conti-
nues.
Les plages sablonneuses, exposées au vent de
l'Océan et à de violentes marées, sont bordées de du-
nes, collines de sable mouvantes qui s'y forment sans
cesse. Elie de Beaumont, Brémontier, Elisée Reclus,
Delesse, se sont tour à tour occupés de cet important
sujet ^
Lorsque la mer est basse et qu'elle a laissé sur la
plage les matières apportées par le flux^ la chaleur
solaire dessèche bientôt ces débris, le vent du large
s'en empare et les transporte jusqu'à ce qu'il ait à
gravir une pente trop rapide ou qu'il rencontre un
obstacle quelconque, pierres, bois mort, arbrisseau.
Alors il les laisse tomber sur la pente ou en avant de
l'obstacle. Le sable déposé devient obstacle lui-même,
et si le vent souffle pendant longtemps dans la même
direction, il se forme bientôt une véritable collini'.
^ Cette dernière opinion commence à ôtre abandonnée.
- Lithologie dn fond des mers. (Paris. — K. Lacroix).
•' Elio de lieanmont, Leçom de géologie pratique. — Brémontici-.
Mémnifes sur les dunes. — K. Reclus, Les mers et les météores.
l/()CKA.\ ATLANTIULK. 23
dont la pente située en face de la mer est toujours
moins forte que celle qui regarde les terres. Ce n'est
pas tout : cette dune n'est pas fixe ; le vent qui vient
de la mer transporte sur la face postérieure de l'ob-
stacle, le sable de la face antérieure, qui diminue sans
cesse tandis que l'autre s'accroît, de sorte que, par
suite de ce transport continuel, la dune tout entière
change de place et s'avance dans les terres.
Dans leur course que rien n'arrête, ces monticules
de sable repoussent vers l'intérieur les marais, et
transforment en étangs, en lagunes, les baies fermées
par des presqu'îles où ils ont pu se former. Ils ense-
velissent les maisons, les bourgades, les villages sous
leur épais manteau, ou les menacent d'une ruine im-
minente.
Que faut-il faire pour conjurer ce danger? Trans-
former ces collines arides en forêts et en prairies ; il
faut les couvrir d'une végétation dont les racines
fixent la dune au sol et retiennent l'humidité de l'air.
Les dunes, sans doute, oft'rent un rempart contre les
vagues de la mer, et il est mainte contrée qui serait
submergée sans la barrière de sable qui borde ses ri-
vages ; mais elles ne peuvent braver les assauts trop
puissants de l'Océan. Souvent celui-ci se fraye un pas-
sage au milieu d'elles, pénétrant à l'intérieur d'un
pays qu'on ne croyait pas exposé à une invasion si
désastreuse.
24 l/OGIÎAN ATLANTlQUt;.
CHAPITRE XXIV.
Rivages d'Europe. - Côtes Scandinaves.
Dans cett*^ revue sommaire des rivages de l'Océan
Atlantique, ms décrirons en premier lieu les côtes
de la ScaiTj \ i,vie.
jpi »
Celui „« , ette un regard sur la carte de la Nor-
wéf/e s'aperçoit immédiatement de deux caractères qui
distinguent ce pays. D'une part, les côtes occidentales
sont découpées en un nombre considérable de golfes
ramifiés, appelés fjords dans le langage du pays,
d'autre part, des îles et des îlots sont parsemés avec
une véritable profusion sur toute l'étendue des côtes.
Nous examinerons ces deux points.
« Le fjord, dit M. Enault, est Un i)aysage mari-
time d'une douceur exquise. La côte s'écliancre en
baies profondes, toutes semées d'îles. A chaque in-
stant le bateau les effleure. Ces îles sont petites; tan-
tôt elles s'isolent sur les flots lointains, et tantôt se
rai)proclient en groupes serrés, oflrant à l'œil une
variété presque infinie de rochers et de villas, de
cottages et de moissons, de bouquets d'arbres et de
prairies. Après cinq ou six heures de bordées, cou-
rant d'une lie à l'autre au milieu d'un horizon à sou-
hait, dont le bateau, centre mouvant, déplace à
chaque instant la circonférence, on arrive au fond du
golfe où la ville est assise, la tête dans les forêts et
les pieds dans la mer ' . >^
Cette description poétique donne au tjord un carac-
' La Norwcge, par M. Louis Enault. — Libr. Hachette et C'.
l'océan atlantiqlk. ^-Î
tère de douceur et de sauvage giaiuleur inexprima-
bles, que les récits de M. Jules Girard' ne font que
confirmer. « Les fjords, dit ce dernier, expriment
tout à la fois un golfe, un port ou un lac marin. Tan-
tôt le fjord est formé par une série d'îles, protectrices
des hautes vagues du large^ tantôt c'est une gorge
profonde qui fait pénétrer la mer jusqu' u milieu du
massif des montagnes, tantôt c'est une .i>; je qui forme
une molle et profonde écliancrure drés:!es terres.
Les tjords sont caractéristiques de la k .'ége ; ils
font sa richesse et son attrait. »
Le parti qu'on peut tirer des fjords est facile à
comprendre. Ils forment des ports excellents où le
navire peut aborder avec confiance, certain qu'il trou-
vera toujours, même près du rivage, au pied des ro-
chers, une profondeur suffisante. Pendant l'été, des
steamers parcourent régulièrement le littoral, desser-
vant tous les ports, jusqu'aux plus cliétives bourgades.
Ils circulent au milieu de ce dédale d'îles, de golfes,
de baies avec une parfaite sûreté, réglant leur route
sur les hidications fidèles des cartes nautiques : et
r hiver, si le service est discontinué, ce n'est pas que
la glace ait envahi les fjords, car l'eau de ces golfes
ne gèle jamais, mais c'est bien plutôt parce que les
longues ténèbres qui régnent alors rendent difficile et
même périlleuse la marche du navire au milieu des
archipels ; c'est aussi parce que, la pêche finie, il n'eu
transporte plus les produits. Mais ces circonstances
n'arrêtent pas les embarcations plus légères, et c'est
un ravissant spectacle que de voir, le dimanche, une
^ Les fjords et le soleil de minuit. Exploration. 1877, livraison 3,
4, 5. — Les Jjords dt Norwége. Bulletin de la Société de Géogra-
phie de Paris. Septembre 1876.
26 l/OCÉAN ATLANTIQUE.
foule de petites barques, luttant avec succès contre
la vague et le vent contraire, se rendre à l'église de
la paroisse, distante quelquefois de six lieues.
Le fjord est, en hiver, le théâtre d'une pèche ac-
tive, tandis que l'été les bateaux pêcheurs s'en vont
surtout dans la haute mer.
Le plus long et peut-être le plus beau des fjords
de Norwége) est le Sognefjord, au nord de Bergen,
auquel M. Henrik Millier' assigne une longueur de
140 kilomètres. Large de 5 '/a kilomètres à l'entrée,
de 4 kilomètres dans l'intérieur, ce golfe profond dé-
tache de nombreux bras parmi lesquels le Lystertjord
est d'un aspect ravissant. Le Sogneljord présente des
profondeurs variant entre 900 et 1200 mètres. Un
étroit rivage sépare la mer de hautes montagnes^ de
cascades, de précipices qui donnent au golfe un air
fantastique et sauvage, que la plume de M. Enault a
si bien dépeint\
Quel est le phénomène géologique ([ui a présidé à
' Les cotes de la Norwége^ par M. Henrik ÎNIûUer; traduit par
]\I. Taul Vœlkel. — Bulletin de la Société de Géographie de Paris.
Décembre 1871.
- « Ce fjord de Sôgne est un golfe immense qui s'enfonce dans
les terres, pareil à un large fleuve qui, pour rives, aurait des mon-
tagnes. Le fjord projette ses longs bras dans toutes les directions,
comme pour aller chercher au loin le tribut des rivières et des
fleuves, qu'il emporte à la vaste mer. Ici, vous pouvez vous contîer
à l'intelligence do vos matelots, ou même abandonner votre barque
au hasard ; elle abordera toujours à merveille. Tantôt le fjord se
resserre ; il bondit sur un lit de cailloux, et sa tunique verte se
frange, vers les bords, d'une écume d'argent; tantôt [il s'élargit
comme un lac, et les immenses rochers qui le surplombent épan-
chent sur lui leur ombre épaisse ; et tandis qu'au milieu la lumière
du ciel tombe et tremble dans la glauque transparence dos eaux
profondes, si vous approchez des rives, vous croyez glisser sur les
Hots noirs du Cocyte. »
l/oCliAN AILAMUJUK. 27
ia formation de ces golfes étranges? L'observation
va nous répondre. En premier lieu, nous reconnais-
sons qu'ils ne peuvent être dus à Férosion des flots de
la mer dont l'action ne s'étend pas si loin: et du reste,
les fjords sont quelquefois parallèles à l'Océan, et non
sur le prolongement de la vague marine. Ils ne peu-
vent être non plus l'ouvrage des torrents, car les
montagnes Scandinaves sont trop rapprochées de la
côte pour qu'il puisse s'en échapper des cours d'eau
impétueux et dévastateurs. La véritable cause des
fjords est celle que nous donne M. Elisée Reclus '.
Les côtes bordées par des fjords ou des golfes ana-
logues se rencontrent exclusivement dans les contrées
boréales, et principalement sur leurs côtes occiden-
tales. Les firtlis d'Ecosse, les golfes découpés du
Groenland, du Spitzberg, de l'Islande, de l'Irlande,
delà Patagonie nous en offrent des exemples frappants,
On peut admettre que les côtes primitives des conti-
nents étaient plus découpées que les rivages actuels,
dont les baies ont été comblées et les promontoires
renversés. Or, l'examen géologique des terres prouve
que pendant un certain laps de temps le globe a été
couveit de glaces ; c'était la période glaciaire, pen-
dant laquelle les découpures des côtes conservèrent
leur forme primitive. Cette période dut finir plus tôt
pour l'équateur que pour les contrées polaires.
Lorsque les glaces des pa3S tropicaux et, plus tard,
celles des pays tempérés, fondirent et s'écoulèrent en
fleuves, celles des régions boréales ne changèrent pas
d'état, de sorte que le travail de la mer et des fleuves
tendant à remplir les golfes, à détruire les presqu'iles,
s'effectua alors dans les zones chaudes, et non dans
^ Les mers et les météores.
28 l/OGliAN ATl.ANTIQUi:.
les zones froides, où l'on peut dire qu'il ne s'accomplit
qu'à notre époque. Les fjords nous montrent donc ce
qu'était la côte primitive, parce que leur comblement
n'a pas encore été opéré par les eaux marines et flu-
viales. II est facile du reste de reconnaître que cette
œuvre se fait de nos jours; les fjords, les firths dimi-
nuent et nous laissent aujourd'hui, en quelques pa-
rages, des côtes aussi droites qu'elles étaient dente-
lées auparavant.
Mais oii ce travail devra-t-il être le plus puis-
sant? Selon nous, sur les rivages qui présentent
le plus d'embouchures de longs fleuves, car ce sont
ces dei"uiers qui apporteront le plus de limon à la
mer. Eh bien ! chose curieuse, les rivages occiden-
taux des pays que nous avons cités sont bordés de
très-près par des montagnes hautes et escarpées, qui,
tout en arrêtant les nuages, ne permettent pas aux
cours d'eau qui s'en échappent de prendre un déve-
loppement assez grand pour qu'ils puissent agir d'une
manière efficace sur les golfes dans lesquels ils se
jettent. De sorte que les rives orientales où l'on ren-
contre de grands fleuves auront déjà subi depuis
longtemps l'action géologique de ceux-ci, alors que
les côtes occidentales seront encore dans leur état
primitif. Si la montagne s'éloigne de la côte ou
s'abaisse, aussitôt l'équilibre se rétablit et le comble-
ment des golfes, sur les deux côtes, se fait simulta-
nément. On peut croire aussi que la ditt'éronce entre
les rivages d'un même pays provient de ce que les
pluies, plus fréquentes sur le versant occidental, ont
empêché les glaces qui le recouvraient de disparaître
à la même époque que celles du versant oriental.
JjC second ijhénomène qui caractérise les côtes de
l/dCKAN .Vri.ANTEuLi:. ^9
la Xorwége, c'est le nombre incalculable criles et
(Fîlots dont elles sont bordées. Jamais les passagers
d'un navire ne i)erdent la terre de vue un instant ;
aux îlots en succèdent d'autres, et le vaisseau se voit
quelquefois entouré d'une forêt de terres entre les-
«luelles il ne semble glisser qu'avec peine. Du reste,
ces corps insulaires si nombreux ne sembleraient être
(luini corollaire des fjords, car ils les accompagnent
dans la Xorwége, l'Ecosse, le Groenland, la Pata-
gonie. L'archipel norwégien le plus remarquable est
celui des Lofot ou Lofoden. Là des myriades d'îles
parsèment la surface de la mer. Tantôt ce sont des
raers, c'est-à-dire des terres basses et sablonneuses,
refuges assurés des habitants de l'air, tantôt elles se
présentent sous l'aspect de rochers feldspatliiques
escarpés, où les pêcheurs, nombreux dans ces parages,
vont chercher un abri contre les tempêtes. On les
appelle alors des holms.
C'est dans les détroits qui séparent les îles entre
elles que le choc des marées cause ces courants irré-
sistibles si redoutés des marins. Le plus célèbre et le
plus puissant est le Malstrom, qu'on observe entre
Lefotodden (cap de Lefot) et Mosken. Les naviga-
teurs du moyen âge en donnaient des peintures terri-
bles et les romanciers se sont plu à le décrire dans
leurs œuvres à sensation. Sans doute, il est loin d'avoir
l'importance qu'on lui a attribuée, mais il n'en est
pas moins d'une puissance étonnante ; car ce tourbillon,
par de fortes tempêtes, peut mai'cher avec une vitesse
de 11 kilomètres à l'heure. Cependant, quand la mer
est calme, les marins ne craignent pas d'y jeter leurs
filets, et l'on raconte qu'ils y font parfois des pêches
abondantes.
;}() l.'oCliAN ATLA.NTIQUli.
La côte (le Norwége est en général escarpée, bor-
dée de falaises abruptes ou de hautes montagnes, mais
elle est munie de bons ports, et les bancs de sable y
sont en petit nombre. Il 3^ a cependant des exceptions.
Si l'on en croit M. Henrik Millier, depuis Christiania
nu cap Lindesnaes, le rivage est plutôt uni etidat. A
partir de ce cap, la côte devient élevée, et les monta-
gnes qui s'avancent dans la mer ou la bordent à peu
de distance présentent tantôt des sommets en dos
d'âne, tantôt des crêtes escarpées et hardies qui sem-
blent sortir du sein des eaux. Le rivage ne s'abaisse
que dans quelques contrées, telles que le Lysterland
etl'Iaederen; mais lorsqu'on s'approche de ïrondlijem
le pa3^sage côtier change peu à peu. Aux Alpes Scan-
dinaves, droites et déchiquetées, aux falaises, succè-
dent des montagnes moins hautes, moins abruptes et
plus éloignées des rivages, des vallées charmantes,
une côte basse et fertile, presque toujours bordée
d'une foule d'écueils dangereux pour tout autre que le
Xorwégien, dont la mer est la patrie.
Au nord de Trondhjem, la côte reste plate et uni-
forme jusqu'à Bodœ, où les montagnes se rapprochent
de la mer, ce qui rend le rivage escarpé. Mais il
baisse de nouveau près du Fjord Occidental (West-
fjord). Entin, au nord-ouest de la Norwége, la mer
est bordée de falaises et de rochers, tandis que, dans
le Fhnnark oriental, la rive devient plate, monotone,
triste et complètement stérile.
La marée se fait sentir le long de la côte on aug-
mentant de hauteur avec la latitude. D'après M. Hen-
rik Millier, l'amplitude, de 0"',31 à Naîssel, devient
()"',94 à Stavanger, r",25àJîergen, 2'", 5 à Trondhjem,
2'", 8 à Hammerfest et Wadsœ. Cependant les nom-
l'océan ATLANTKJUE. :{ I
breuses îles arrêtent le développement du Hux et,
dans les fjords, la marée n'est souvent pas sensible.
Le courant côtier se dirige en général du sud au nord
le long de la côte occidentale, et du sud-ouest au nord-
est sur la côte septentrionale. Comme il n'est autre
chose qu'un dérivé du Gulf-Stream, il est chaud, dé-
barrasse la côte de glaces, et apporte, des Antilles, des
bois et d'autres débris que les habitants utilisent.
(A suivre.) AV. Kosiek. prof.
MEMOIRES
MEMOIRES, T. XVI, 1877.
L'EXPLORATION ET LA CIVILISATION
DE
L'AFRIQUE CE:srTR^LE
(Mémoire lu à la première réunion du Comité suisse de l'Association
Internationale, le 23 avril 1S77.)
Messieurs et honorés collègues,
Commençons par reconnaître ce que nous devons à
la haute initiative de laquelle procède l'entreprise
qui nous réunit ici. Par l'influence presque illimitée
attachée à leur rang élevé, les rois et les princes
peuvent beaucoup pour le bien de l'humanité. Mais il
est rare qu'ils comprennent toute l'étendue de leurs
avantages, et dans les mains du plus grand nombre
cet enviable privilège reste sinon stérile, du moins
bien peu productif. Honneur donc à Sa Majesté le roi
des Belges, qui, sachant s'animer de l'esprit de l'âge
où nous vivons, a discerné dans ce vaste champ de
l'Afrique centrale une œuvre à accomplir, digne d'un
philanthrope et d'un roi.
Science, commerce, civilisation! Tels sont les trois
mots magiques dont le son, après avoir ému la ma-
gnanime ambition de notre royal Président, a trouvé
en vous un écho qui se propagera encore à mesure
que cette grande cause sera mieux connue. C'est à
;]() l'exploration et la civilisation
vous, qui avez été jaloux de vous placer au premier
rang de cette armée de piomiiers, qu'il appartiendra
de recruter de nouveaux amis à une si belle cause.
Cela sera d'autant plus aisé, que chacun de nous
possédera mieux l'ensemble des questions qui se po-
sent maintenant et des conditions impliquées dans la
solution de ces problèmes. Daignez donc m'honorer
de quelques instants d'attention, pendant que je tâ-
cherai d'en mettre le résumé sous vos yeux.
C'est un fait propre à nous surprendre que l'Afri-
que, région de l'ancien monde à notre portée immé-
diate, reliée à l'Europe bien plus qu'elle n'en est
séparée par cette mer Méditerranée que nos marines
de commerce et de guerre ont sillonnée dans tous les
siècles et dans tous les sens, reste jusqu'à ce jour
l'une des portions de notre globe dont la connaissance
est la plus incomplète.
Ce n'est point la distance qui nous en ferme l'accès.
Ce n'est pas non plus l'insignifiance commerciale,
car elle abonde en produits précieux, et il en est
qu'elle seule peut fournir aux nations civilisées ; et
cependant, à l'exception de ses côtes, bien connues et
fréquentées sur une multitude de points, pour l'homme
de science comme pour l'homme d'affaires, elle est
encore un mystère et une énigme.
Il y a sans doute trois causes spéciales de cette
ignorance où nous sommes, et que nous sentons plus
péniblement à proportion que le reste du monde ré-
vèle ses secrets aux hardis eiïorts de nos explora-
teurs.
Une première cause, c'est la rareté comparative
des grands fleuves navigables, qui sont les artères
naturelles du commerce. Pendant que l'Europe en
DK i/afrique crntrale. 37
possède au moins vingt, de dimensions considérables,
l'Afrique, plus de quatre fois aussi vaste, en compte
à peine la moitié de ce nombre, et leurs embouchures
sont séparées par des centaines, par des milliers de
lieues; de plus, par suite de la conformation générale
du continent africain, ces fleuves sont sujets à être
coupés de cataractes qui créent de grands obstacles à
la navigation entre les côtes et l'intérieur.
Une seconde cause doit être signalée dans l'exis-
tence soit de vastes déserts privés d'eau, soit d'im-
menses marécages qu'on pourrait définir des déserts
privés de terre ferme, qui rendent les voyages extrê-
mement laborieux, périlleux même, une fois qu'on a
pénétré au cœur du continent.
Enfin, la nature du climat, qui est à la fois brûlant
et humide, souvent mortel à l'Européen, et la condi-
tion sociale des indigènes, en général à moitié sauva-
ges, et néanmoins jaloux de toute influence éti'an-
gère, constituent une troisième cause en mettant !e
comble à ces difficultés.
Il est hors de doute que les anciens ont connu
l'Afrique du nord mieux que nous. Je ne parle pas
des folles courses d'un Cambyse, venant du fond de
l'Orient, ou d'un Alexandre, venant de Macédoine
pour conquérir des régions où il n'y avait probable-
ment rien à posséder. Ce ne furent que des éclairs,
qui laissèrent moins de traces dans la science que
dans l'histoire. — Mais avec les Romains, peuple
plus sérieux que les Grecs, nous obtenons des notions
plus précises. Partout où les Romains portaient leurs
armes, leur civilisation pénétrait avec elles; or le
puissant mécanisme qui caractérisait leur domination
avait pour base nécessaire une connaissance exacte
38 l'exploration et la civilisation
des pays qu'elle devait régir. Les ruines de leurs mo-
numents partout semés témoignent de son étendue.
Mais n'exagérons rien. Arrivés à la limite du dé-
sert, auquel ils ne demandaient guère que les bêtes
qui paraissaient dans les spectacles du cirque, aucun
intérêt ne les poussait plus loin. L'Afrique centrale
leur était probablement aussi peu connue qu'aux mo-
dernes, si ce n'est peut-être la région orientale des
hippopotames et des éléphants ; car on sait que les
Romains étaient grands consommateurs d'ivoire. Au
midi de l'Egypte, ils connaissaient quelque chose de
l'Abyssinie et du Soudan, d'où ils tiraient leurs es-
claves noirs. Mais leurs relations étaient gouvernées
par leur intérêt, beaucoup moins commercial que po-
litique. Les maîtres du inonde trouvaient commode
de recueillir là où ils n'avaient point semé ; leur com-
merce consistait à s'asservir les nations et à s'enri-
chir du fruit de leur travail. Le doux Virgile lui-
même paie son tribut à cette despotique fureur quand
il s'écrie :
« Tu regere impcrio populos, Romaue, mémento !
« Hœ tibi erunt artes. »
[Enéide, VI, 851-2.)
L'introduction de l'islamisme en Afrique vient, du
YIP"" au VIII™*" siècle, faire une fâcheuse diversion.
Dès lors, aux obstacles provenant de la nature des
pays à reconnaître s'ajoutent les obstacles artiticiels
résultant des antagonismes de religion, greffés sur
ceux de race et de couleur. Souvent insurmontables,
ces haines, contre lesquelles ont échoué bien des ten-
tatives de découvertes, subsistent jusqu'à nos jours.
(Je n'est pas tout; deux autres causes, plus géné-
rales, entravent les progrès de la géographie. —
DE l'afriquk centrale. 39
D'abord, l'esprit un peu sceptique, nécessaire, il faut
l'avouer, à une méthode scientifique rigoureuse, nous
a incontestablement privés de certaines données,
vraies en elles-mêmes, mais que, dépourvue des
moyens de contrôle, la science a cru devoir écarter.
C'est ainsi que la position des sources du Nil, au midi
de l'équateur^ était connue des anciens, bien que,
vers le commencement de ce siècle, on se crût plus
près de la vérité en effaçant hardiment 1 5 degrés de
latitude de ce long parcours. Il a bien fallu ,y revenir;
et encore aujourd'hui nous ne sommes pas certains de
savoir sur ce point tout ce qu'on en savait du temps
même du géographe Ptolémée. — En seconde ligne
vient le préjugé jaloux qui a souvent porté les peu-
ples à dissimuler leurs découvertes^ à les tenir se-
crètes, à enfouir leurs cartes et autres documents
dans les plus profondes oubliettes de leurs adminis-
trations ou de leurs bibliothèques fermées. Ignorant
les principes de l'économie politique, ne connaissant
de richesses que la possession de Vor, ces peuples
croyaient perdre tout ce qu'une nation rivale aurait
pu gagner. De là une foule de fâcheuses conséquences.
Au lieu d'ouvrir les régions nouvellement parcou-
rues au souffie d'une bienfaisante civilisation qui eût
centuplé la richesse universelle, on les réduisait en
réserves du monopole, cette sangsue qui pompe jus-
qu'à l'inanition la vie des peuples qu'elle dévore, sans
réussir à s'engraisser elle-même. — On peut donc
penser que l'Europe possède actuellement bon nom-
bre de documents scientifiques, enfouis dans des ar-
chives plus ou moins inabordables à l'étude, et qui
seraient d'une grande valeur en vue de futurs tra-
vaux. Il est permis d'espérer aussi que, sous l'impul-
40 l'exploration et la CrVILISATIOiX
sioii donnée par S. M. le roi des Belges, quelques-
unes de ces sources s'ouvriront, et que l'influence de
la royauté produira des résultats encore hors de la
portée de simples individus ou de sociétés savantes.
Ainsi, quant au projet qui nous réunit, on sait que le
Portugal a, plus qu'aucune autre nation européenne,
exercé son influence sur les régions de l'Afrique au
midi de l'équateur, dont il a depuis longtemps em-
brassé les vastes espaces par l'extension de ses éta-
blissements sur les côtes orientale et occidentale.
Aussi est-ce vers nos collègues de la Société portu-
gaise, récemment fondée à Lisbonne, que nous tour-
nons aujourd'hui nos regards, dans l'espoir que leur
concours, qui ne peut manquer d'être aussi fructueux
pour tous qu'il sera intelligent de leur part, aidera
les expéditions futures en leur communiquant la con-
naissance d'un grand nombre de faits déjà conquis
par les explorateurs portugais des siècles passés.
En attendant, et dans la mesure que nous permet
la circonstance qui nous rassemble, nous voudrions
vous présenter, fort en abrégé, le tableau de ce qui
s'est accompli jusqu'ici sur le continent africain en
fait de découvertes géographiques.
Nos connaissances sur le terrain de l'Afrique sont
il peu près toutes modernes. Les meilleures cartes de
la fin du XV!""^ siècle, celles d'Ortelius et de Merca-
tor, sont construites de telle sorte que M. Vivien de
Saint-Martin (dans son Histoire de la géographie,
p. 606) a pu les caractériser en disant : « Remettons
<' chaque chose à sa place; resserrons, élaguons, ef-
« façons surtout. Que reste-t-il ? Il reste un pourtour
« couvert de noms fournis par les documents nauti-
•' ques ; puis sur cet immense littoral, (piatre ou
DE l'aFRIijLE CENTRALE. M
« cinq contrées où Fou peut placer un certain nombre
« de détails, la vallée du Nil. l'Abyssinie, la Barba-
« rie, la région du Zaïre, celle du Zambézi. Tout le
« reste, c'est-à-dire la presque totalité du continent,
« est ou devrait être en blanc. » — Voilà le point de
départ; c'est assez dire que fmd reste à faire.
Mais quelque élémentaire qu'elle lut, la connais-
sance de cette ligne des côtes a servi de base solide
aux recherches de nos jours, qui, commençant vers la
fin du siècle dernier, se sont développées, avec des
temps d'arrêt et des reprises, n'ont jamais été en-
tièrement abandonnées, sont devenues plus actives
surtout durant ces derniers vingt ou vingt-cinq ans, et
semblent nous promettre aujourd'hui une activité bien
plus grande encore, avec des résultats proportionnés.
Si ces recherches ont manqué de la direction d'en-
semble et de l'appui que notre Association prend
pour tâche de leur donner à l'avenir, elles n'en ont
pas moins rendu d'admirables services. La somme
de travaux, de dévouement, de persévérance, d'iié-
roïsme qu'elles représentent est vraiment incalcu-
lable, et si le prix payé par l'humanité et par la
science a été grand, les progrès accomplis sont bien
réels ; il suffit pour s'en convaincre de comparer une
bonne carte d'aujourd'hui avec les meilleures d'il y a
cinquante ou soixante ans '.
On peut dire que le siège scientifique de l'Afrique
a commencé sérieusement en 1769, par les explora-
tions de James Bruce en Abyssinie et à la recherche
^ La Société de géographie avait exposé diverses cartes d'Afri-
que tirées de sa précieuse collection, parmi lesquelles une belle
carte française de 1712 justifiait parfaitement l'assertion du pro-
fesseur.
42 l'exploration et la civilisation
des sources du Nil. En 1788, la formation àeVAfri-
can Association de Londres imprima aux opérations
une marche plus énergique. Dès l'origine, des hommes
dévoués hasardèrent leur vie au service de la science,
et plus d'un la donna en effet. Mais Mungo Park,
Hornemann,Burkhardt, G. Browne, récompensèrent
par d'importantes découvertes l'aide qu'ils reçurent.
C'est surtout à dater de leurs voyages que les rap-
ports cessent d'être de simples récits d'incidents de
route ou de vagues rumeurs^ pour revêtir un carac-
tère réellement scientifique. L'Afrique est de plus en
plus attaquée de toutes parts. Même les guerres de la
France, à d'autres égards si défavorables aux arts de
la paix, avaient eu pour l'étude de l'Afrique un avan-
tage exceptionnel, en produisant les belles recher-
ches sur les antiquités égyptiennes (1798-1801) qui
ont servi de point de départ à de si magnifiques
études. Mais le temps des expéditions individuelles ne
recommença qu'avec la paix, après 1815. Dès lors le
courant se dirige de nouveau vers l'intérieur du pays
inconnu, et les voyages se succèdent rapidement.
A cette époque, on connaissait jusqu'à un certain
point l'Egypte, FAbyssinie et la Nubie, la colonie
française du Sénégal et la colonie, alors nouvellement
anglaise, du Cap. Tout le reste était si imparfaite-
ment connu que ce n'est pas la peine d'en parler. Les
Etats barbaresques du littoral sud de la Méditer-
ranée se livraient à la piraterie, véritables tléaux
pour leurs voisins d'Europe et barrière à peu près
infranchissable nous interdisant l'accès du Sahara et
des immenses et populeuses régions qui y confinent.
On connaissait les embouchures des grands fleuves ;
mais ni le cours ni lorigine d'un seul d'entre eux
DK l'afriquk centrale. 43
n'avaient été rigoureusement déterminés. — On ne
savait pas, pour la plus grande partie du continent,
si c'était un pays de plaine ou de montagnes, fertile
ou aride, habité ou désert. On n'avait pas abordé un
seul des grands lacs intérieurs, dont on connaissait
tout au plus vaguement l'existence. Une multitude de
noms de lieux et de tribus, aujourd'hui connus de
tout le monde, n'avaient encore jamais été prononcés
par des lèvres civilisées. Les meilleures cartes étaient
les plus vides; car au moins contenaient-elles moins
de fausses indications. Elles se distinguaient par
d'immenses espaces blancs ; c'est qu'on avait heureu-
sement franchi la période fabuleuse où les cartogra-
phes croyaient enrichir leurs œuvres en faisant men-
tion des monstres que rencontrait Othello dans ses
étonnantes pérégrinations :
< It was my liint to speak...
< of the Cannibals, that each other eat,
■< The Anthropophagi, and men wliose heads
« Do grow beneath their slioulders. >
(Shakspeare, Othello, acte I.)
Ou a bien retrouvé, il est vrai, les cannibales; ou
a même retrouvé les pygmées (les Akkas) ; mais on
n'a pas retrouvé ces gens dont la tête jouit d'une po-
sition si exceptionnelle, pas plus qu'on ne retrouve
les Gydopes^ les Skiopodes, et tant d'autres imagina-
tions de même calibre.
Les voyageurs qui se sont élancés à la conquête de
l'Afrique forment une noble phalange. De tous les
points de l'horizon ils ont convergé vers le centre, et
plusieurs fois ils se sont rencontrés. Quelques-uns
sont revenus pour jouir de leur gloire ; mais nombreux
sont ceux dont la vie s'est silencieusement exhalée
44 i.'kxploration et la civilisation
dans la solitude ; plus d'un a disparu sans laisser de
traces certaines; d'autres, comme Yogel, Alexiiie
Tinné ou Dournaux-Duperré, sont tombés sous les
coups des assassins; d'autres encore, comme Li-
vingstone et vingt de ses prédécesseurs, sous ceux du
climat.
Je n'ai pas la prétention d'analyser, dans cette ra-
pide esquisse, les travaux qui ont illustré de si nom-
breux voyageurs. Quarante noms s'offrent à la plume
pour les explorations de l'Afrique du Nord seulement ,
et là n'est pas, en ce moment, le principal objet de
notre attention. Je m'en tiendrai donc à un simple
coup d'œil sur les faits acquis.
Les sources du Nil, ce problème de tant de siè-
cles, ont été étudiées par Burton, par Speke, par
Grant, par S. Baker, et en dernier lieu par Stanley,
de façon sinon à résoudre chaque point de la ques-
tion, du moins à la circonscrire dans des limites d'où
elle ne sortira plus. Son bassin ayant été déterminé,
tout se réduit désormais à fixer lequel, entre plu-
sieurs cours d'eau, venant du plus loin, doit être ac-
clamé comme sa source primitive.
Des lacs, trois au moins, dont le principal est
rUkéréwé (Victoria Nyanza)^ relevé par Stanley,
font partie de ce système. Ils s'étendent dans l'hé-
misphère austral, d'où proviennent leurs aftiuents.
— Plus au sud, d'autres lacs, Tangnnyika, Bang-
wéolo, Moéro, Makolondo(?), puisNgami, Nyassa et
Chirwa, et encore d'autres plus petits, forment, au
moyen de nombi'eux canaux (qui les mettent en com-
munication constante ou temporaire, par groupes,
dans la saison des pluies), un immense réseau d'arro-
sement.
DE l'aFRIOUE CENTRALE. 45
Le cours du Zambèze, avec sa magnifique cata-
racte de Mosiwatunja, a été entièrement relevé par
Livingstone, qui le premier pressentit là une voie à
ouvrir à la civilisati(;n. Livingstone avait parcouru
l'Afrique de l'est à l'ouest et de l'ouest à l'est. Der-
nièrement le commandant Cameron l'a traversée du
N.-E. au S.-O., partant d'Ujiji et venant aboutira
Benguéla. Il a constaté que les eaux du Tanganyika,
au lieu d'être tributaires du Nil, comme Livingstone
avait pu le supposer naguère, se déversent par le
Lualaba et par les lacs vers l'ouest, et vont proba-
blement (il n'a pu le descendre comme il en avait le
dessein) alimenter le Zaïre, ou Congo.
De leur côté, des voyageurs infatigables, Rohlfs,
Xaclitigal, Schweinfurth, exploraient en venant du
nord et étudiaient les contrées qui s'étendent à l'ouest
du Darfour et du Kordofan dans la direction du lac
Tchad (découvert en 1823 par Clapperton). — Là,
le Bornou, le Baghirmi, le Kanem, le AVadaï, le
Monbuttu, le pays des Niam-Niam, sont aujourd'hui
bien connus. N'oublions pas les voyages de H. Du-
veyrier et de notre collègue Y. Largeau dans le
Sahara-Nord, non plus que les explorations de M. le
marquis de Compiègne et Marche, qui, partis du
Gabon, ont visité le cours jusqu'ici inconnu de lOga-
waï. Si nous rapprochons de ces travaux ceux opérés
dans toutes les directions par Du Chaillu, Barth,
Petherick, Vogel, Beurmann et toute une légion
d'hommes au grand cœur, nous arrivons à la conclu-
sion satisfaisante que les limites dans lesquelles ils
ont resserré le domaine de l'inconnu doivent donner
un puissant encouragement à nos efforts futurs.
Il reste néanmoins beaucoup à faire. Les bonnes
46 l'exploration et la civilisation
cartes nous présentent encore de larges espaces com-
plètement vierges de toute indication! La portion
australe de l'Afrique, assignée en premier lieu aux
travaux de notre Association, s'ofiFre à nous comme
un espace à explorer, d'environ 15 degrés de longi-
tude sur 25 degrés de latitude, où tout, à peu près,
est encore à découvrir. Voilà certes un champ d'étu-
des propre à exciter notre ambition !
Le territoire que nous désignerons à l'avenir sous
le nom à' Afrique centrale est exactement défini, les
Actes de la Conférence de Bruxelles « limitant la ré-
« gion à explorer, à l'orient et à l'occident, par les
« deux mers, au midi par le bassin du Zambèze, au
« nord par les frontières du nouveau territoire égvp-
« tien et le Soudan indépendant. » — Cette région
peut contenir j approximativement, un quart de la
superficie du continent africain, et peut-être (mais
c'est encore un point incertain) un tiers de la popu-
lation africaine, dont le total est assez vaguement
évalué à deux cents millions. — La configuration de
ce territoire est assez simple; car on peut dire d'une
manière générale que l'Afrique, par contraste avec
l'Europe, qui offre sur une petite échelle la constitu-
tion des grands pays, l'Afrique, dis-je, représente,
par la simplicité de ses traits généraux, un petit pays
développé sur une échelle immense. Les côtes n'ont
que des sinuosités insignifiantes ; les systèmes de
montagnes sont peu nombreux, tout à fait élémen-
taires; ils s'étendent le plus souvent en longues lignes
droites, parallèles, et ne paraissent pas en général se
rencontre? inème dans les cas où leurs directions pro-
longées arrivent à intersection.
Cet espace, ainsi limité, paraît contenir trois
DE l'afriqle centrale. 47
cliaînes de montagnes. A Torient, une plaine basse,
plus ou moins étroite, s'étend sur la côte de Mozam-
bique, de Zanzibar à Quilimané. Puis vient la pre-
mière ligne de montagnes, prenant naissance vers
7° de latitude sud, et se portant vers le nord ; c'est la
chaîne des monts Kilimandjaro (6116 m.) et Kénia
(6095 m.). Cette chaîne sert de contre-fort à un pla-
teau élevé, ondulé, qui s'étend de là vers l'ouest. Une
seconde chaîne s'élèverait sur ce plateau, se dirigeant
comme l'autre du sud au nord, laissant, dit-on, le
Tauganyika à l'est. Cette chaîne, d'après M. Bau-
ning (V Afrique, page 41), doit « passer entre les lacs
Victoria et Albert. » Mais ce point demande à être
élucidé; cela ne paraît pas s'accorder aisément avec
le tracé des rivières que nous donnent les cartes ré-
centes. Car le Nil-Somerset passe de l'un dans l'au-
tre ; il est vrai que les cataractes dont il abonde indi-
quent un terrain très-accidenté : il pourrait traverser
ces montagnes comme notre Rhône traverse la chaîne
du Jura. Mais, considérant que les dernières nou-
velles de Stanley (publiées dans le Daili/ Telegrapli
du 29 mars 1877) nous annoncent un autre système
de courants d'eau coupant cette même chaîne en sens
inverse, — c'est-à-dire sortant du lac AJcanyani.
lui-même alimenté par une rivière supérieure, et
coulant de l'ouest à l'est pour se jeter dans le lac
Victoria, — on se sent contraint de poser là un point
d'interrogation.
« La troisième chaîne de montagnes de l'Afrique
^' centrale est celle qui forme le bord occidental du
- plateau : elle s'étend, sous les dénominations suc-
« cessives de Sierra do Cristal, Sierra Cumplida,
« Sierra Fria, etc., à travers les provinces de
48 l'exploration et la civilisation
« Loango, d'Angola et deBenguéla, où elle se soude
« au massif des monts Mossamba. La distance de la
« côte est de 220 à 330 kilomètres » {Banning,
page 42). — Elle joue donc sur l'Atlantique à peu
près le même rôle que la première sur l'océan Indien.
De cette configuration générale, que nous devons
provisoirement tenir pour correcte jusqu'à ce que
des études encore à faire nous aient plus complète-
ment éclairés, il résulte que le pays se décompose
très-simplement en un petit nombre de bassins hy-
drographiques d'une grande étendue, d'où provien-
nent ces fleuves rares et puissants, ordinairement
sujets à de fortes crues périodiques, que nous avons
déjà signalés.
Ce pays donne donc lieu, au point de vue de la
géographie physique, à plusieurs questions intéres-
santes. D'abord, il faudra vérifier, analyser et pré-
ciser la structure de sa charpente orographique. —
Ce Kilimandjaro, qui aurait 1306 mètres d'altitude
de plus que le Mont-Blanc, les a-t-il réellement ? —
A cette élévation y a-t-il des neiges perpétuelles, et
l'Afrique a-t-elle des glaciers? — Et puis, est-ce le
Bot des montagnes africaines, ou bien en existe-t-il
de plus hautes encore? — Puis, question curieuse,
finira-t-on par trouver une loi générale des pentes
continentales, produisant un rapport constant entre
l'étendue des continents et l'altitude de leurs princi-
paux sommets? — Ordinairement, ces hautes monta-
gnes sont des nœuds de croisement de chaînes pro-
duites par des systèmes successifs de soulèvement.
En serait-il ainsi dans ce cas, et y aurait-il de plus
nombreux croisements qu'on ne suppose? En d'au-
tres termes, la charpente osseuse du continent afri-
DE l'afrique centrale. 49
cain serait-elle d'une construction moins simple que
nous ne le pensons? Autre point à vérifier.
Troisième question : Quel est le régime des eaux ?
— Il se pourrait que des surprises scientifiques nous
fussent réservées. Nous croyons nous souvenir d'a-
voir rencontré dans les anciens voyages de Living-
stone la mention d'une rivière changeant de cours,
comme par une marée annuelle, et coulant alternati-
vement en sens inverse. — Cela est surprenant, mais
n'est peut-être pas impossible. Si Vaxe des pluies se
transportait, par suite de la marche des saisons, al-
ternativement au nord et au sud de l'équateur, ne
pourrait-il se produire un tel efifet, sous l'influence de
vents également périodiques et réguliers, agissant
sur une plahie inondée et de niveau, avec une per-
sistance suffisante pour chasser les eaux de surface
tantôt dans un sens et tantôt dans l'autre ?
D'après les dernières nouvelles reçues de Stanley,
un grand lac, VAkamjaric, un peu au nord du Kivou,
petit lac déjà connu, se trouverait exactement sur
l'arête de partage, entre l'Ukéréwé et le Tanganyika.
Par un de ses canaux de décharge, le Ruvuvu, il cou-
lerait par le Kitangulé dans l'Ukéréwé (Victoria), —
et par un autre, le Rusizi, à travers le Kivou il re-
joindrait l'émissaire du Tanganyika. Ainsi il alimen-
terait simultanément (ou tour à tour?) le Nil, pour
tomber dans la Méditerranée, et le Zaïre, pour se
jeter dans l'xltlantique. — Question : Le fait est-il
réellement ainsi ? — Et à supposer qu'il le soit, cela
a-t-illieu d'une façon continue, ou bien doit-on tenir
compte du passage d'une saison à l'autre ?
Il y aura peut-être ici une question de niveaux à
élucider : Le niveau du Tanganyika étant à 826 mè-
' MÉMOIRES, T. XVI, 1877. 4
50 l'exploration et la civilisation
très et celui de l'Ukéréwé à 1148, il est clair que le
premier ne peut se déverser dans le Nii-Blanc au tra-
vers du second. Mais le Mwutan (Albert) correspond
au niveau de 670 mètres. Par conséquent les niveaux
permettraient (hydrostatiquement) aux eaux du Tan-
ganyika de se mêler à celles du Nil en coulant direc-
tement dans l'Albert, s'il existait une communication.
Toutefois il n'y a pas probabilité, la question impli-
quant d'autres niveaux que ceux des eaux. Le mont
Mfumbiro, entre le Victoria et l'Albert, portant son
sommet vers 4000 mètres, il est plutôt probable que
ses racines forment une arête de partage fort élevée.
Mais je dois m'arrêter ici, car d'autres sujets ré-
clament notre attention.
Entre les recherches savantes et les travaux du
commerce et de la civilisation, comme élément de
prospérité future, vient se placer la recherche des
routes à créer. Jusqu'ici nos voyageurs ont été gou-
vernés un peu par leurs théories ou leurs désirs,
beaucoup parles circonstances. Quand ils ont trouvé
obstacle d'un côté, ils se sont tournés d'un autre.
Maintenant il s'agira d'autre chose. Il faudra, tout
en tenant compte de la possibilité prochaine d'établir
les communications, en déterminer les lignes princi-
pales en vue d'un autre état de choses, de manière à
ouvrir, un jour, le plus avantageusement et le plus
largement possible les espaces encore inacessibles de
l'intérieur. On sait quel est l'effet des routes de com-
merce sur le développement des lieux qu'elles parcou-
rent, et dans lesquels elles versent une nouvelle
vie. Mais la profondeur, si je puis ainsi dire, de cet
effet, dépend d'une heureuse détermination initiale.
Les grands colonisateurs ont en cela un coup d'œil,
DK L'AFRIyUE CENTRALE. 5!
un tiair, une intuition pour pressentir les conve-
nances de l'avenir. C'est comme une vision qui s'élève
dans leurs esprits, par laquelle ils contemplent les
multitudes se pressant avec leur commerce là où le
moment présent n'aperçoit que le désert. Telle fut
l'anticipation de sir Stamford Raftles quand il fondait
le marché de Singapore, où afflue le commerce de
deux océans ; tels sont les hommes dont l'Afrique a
besoin, et dont le génie, heureux autant que hardi,
peut, par des combinaisons appropriées aux ressources
des diverses contrées, leur faire franchir en quelques
années un siècle dans la voie du progrès.
Nous ne parlerons pas encore de fonder des villes,
bien que. si notre entreprise réussit, il doive s'en
fonder plus tard, et sans doute en grand nombre.
3Iais pour se développer et prospérer, il faut que les
villes soient placées dans certaines conditions essen-
tielles qu'on peut définir en général : convenances de
localité relativement au mouvement commercial, au
transport et au transit des marchandises, salubrité
de l'air et des eaux, facilité d'alimentation et de
combustible, emplacement favorable à l'expansion.
Plus tard il sera temps de s'occuper des détails ; mais
il sera nécessaire que les voyageurs, dès l'abord, les
prévoyent en gros et dans l'ensemble quand ils s'oc-
cuperont de dresser des tracés de routes, surtout
par rapport aux points d'embranchement et de croi-
sement qui en sont les nœuds, et qui, naturellement,
doivent attirer les populations à mesure qu'elles de-
viendront sédentaires par le développement des arts.
Pour le présent, le principal objet de notre Asso-
ciation internationale sera l'organisation de ses sta-
tions hospitalières. Je dis organisation plutôt que
32 l'exploration et la civilisation
fondation, parce qu'on a sagement pensé que pour
assurer le succès, il convient départir de ce qui existe
en le prenant pour base et appui de ce qui doit sur-
gir plus tard. Donc, les stations seront de deux sor-
tes.
D'abord les stations d'alimentation, ou bases d'opé-
rations, situées sur les côtes, accessibles directement
par mer pour nott^e navigation, et placées de manière
à servir de camps de réserve à l'exploration. Ces sta-
tions n'ont pas besoin d'être nombreuses; il suffit
qu'elles soient judicieusement choisies, et surtout qu'el-
les présentent des facilités suffisantes pour les trans-
ports à l'intérieur, soit par eau sur les fleuves, soit
par des voies de terre praticables aux caravanes et à
d'autres moyens de transport, qui, selon les régions,
pourraient être des bœufs, des chevaux, des cha-
meaux ou des éléphants. On a donc jeté les yeux, en
premier lieu, sur Loanda, côte occidentale, et sur
Bagamoyo (vis-à-vis Zanzibar) , côte orientale. Une
prompte expérience montrera si l'on peut faire mieux
en se tournant ailleurs. Naturellement, ces centres
de rayonnement seraient les premiers à éprouver l'in-
Huence bienfaisante du mouvement commercial, dès
qu'il commencerait à se développer. Ensuite, on
pourra en choisir un ou deux autres, soit vers le Ga-
bon, soit du côté de Quilimané (ou quelque localité
moins insalubre), près des bouches du Zambèze, qui
semblerait bien adapté, surtout depuis la fondation
de la station de Livingstonia sur le Nyassa, pour
agir sur la région sud de notre champ.
Ensuite on s'occupera des stations hospitalières
proprement dites, qui doivent être plantées à l'inté-
rieur, et autant que possible poussées en avant au
DE l'afriqub centrale. 53
plus près de la limite de lïnconnu, avançant à me-
sure que celle-ci reculera. Nyangwé,sur le Lualaba,
formerait tête de ligne dans le nord, étant relié à Ba-
gamoyo par le chaînon intermédiaire d'Ujiji. — Dans
la partie méridionale du champ d'exploration, la sta-
tion de missions et de commerce, Livingstonia, nou-
vellement fondée par les Écossais sur le lac Nyassa^
au cap MacClear, entretenant ses relations avec l'ex-
térieur par le Shiré, commandant par son bateau à
vapeur toutes les côtes du lac qu'il dessert, et possé-
dant déjà une station annexe vers le milieu de la côte
occidentale, est probablement ce qu'il y a de mieux,
et ne laisse que peu à désirer de ce côté-là.
Ces stations hospitalières sont destinées à servir
de ressource, de points de repère aux voyageurs éga-
rés dans la solitude, contrariés dans leur marche ou
atteints dans leur santé^ et obligés de battre en re-
traite. Ce sont donc de vrais refuges. Mais de plus,
elles doivent posséder des magasins, bien pourvus
de tous les objets indispensables aux explorateurs,
afin que ceux-ci puissent venir s'y approvisionner, et
en tirer leurs mo^'ens d'action, au lieu de se voir ré-
duits, comme l'a été plus d'une fois Livingstone, à
attendre pendant des mois et des années ses appro-
visionnements, qu'il devait tirer d'Europe. Un fonds
bien préparé d'étoffes, d'armes et de munitions né-
cessaires pour la chasse, de vivres conservés, de
chaussures européennes, de médicaments appropriés,
peut non-seulement épargner bien du temps et hâter
le succès des entreprises, mais encore et surtout con-
server plus d'une vie précieuse, plus d'un ouvrier
dont l'expérience est d'une immense valeur.
Une fois que les explorateurs, appuyés d'un se-
54 l'exploration et la civilisation
cours qui leur a invariablement manqué jusqu'à notre
temps, auront pu, grâces à vous et à votre Associa-
tion^ attaquer leurs travaux avec une nouvelle éner-
gie, ils auront soin de marquer chaque pas accompli
par la découverte, comme les squatters du Far-tuest,
en fondant des stations plus avancées, qui, tout en
consolidant les résultats acquis, permettront de pas-
ser à d'autres entreprises, aujourd'hui inabordables
ou d'un succès trop douteux.
Quand les lignes transversales (est et ouest) qui au-
ront l'avantage de s'alimenter par les deux extrémi-
tés, seront suffisamment établies, elles deviendront,
à leur tour, des bases pour les lignes longitudinales,
qu'on devra pousser au nord et au sud, jusqu'à ce que
la contrée entière ait été parcourue et fouillée dans
tous les sens, et qu'elle ne nous dérobe plus un seul
secret de quelque importance.
Voilà quel est, en somme, le projet concernant les
stations. Ces idées paraissent bien conçues ; ce sys-
tème est doué d'une souplesse qui doit lui permettre
de s'adapter aux circonstances; il est susceptible
d'une extension dont la mesure ne serait que celle de
la réussite même ; il est calculé de manière à profiter
de toutes les dispositions favorables qu'il trouverait
chez les indigènes, dont les chefs devraient bientôt
comprendre, on peut du moins l'espérer, que tout cet
effort aurait pour effet, comme dans notre intention
il a pour but, leur intérêt et leur bien.
Je n'ai pas à m'arrêter ici sur les tâches qui vien-
dront d'elles-mêmes et en temps convenable s'impo-
ser à nos explorateurs scientifiques. Chacun de mes
auditeurs peut s'en rendre compte aussi bien que
moi. Outre les systèmes de montagnes en général, il
DE L'AFRIQUE «CENTRALE. 5o
s'agira de déterminer exactement les bassins primai-
res et secondaires du relief continental, ce qui en-
traîne la solution de toutes les incertitudes quant au
partage des eaux. — Du même coup le cours des fleu-
ves et rivières se trouvera fixé, puisque chacun ne
peut drainer que la superficie de son propre bassin.
— Quant aux questions spéciales, à présent que le
cours du Nil est connu, la grande question est celle
de l'écoulement du Tanganyika, qui en est aujour-
d'hui, probablement, au point où la question du Nil
est restée pendant quelques années : entre le cours
inférieur et le cours supérieur également vérifiés, il
y avait un chaînon intermédiaire, hypothétique, mais
résistant aux elïorts de la recherche. (3n en peut dire
autant du Lualaba. Seulement, là les obstacles étaient
plutôt matériels; ici ils sont plutôt moraux, résultant
de la résistance que les indigènes ont opposée, au
delà de Nyangwé, au passage de Oameron. — Li-
vingstone avait déjà été arrêté au même point, ce qui
fait pressentir une difficulté assez sérieuse. Mais on
triomphe de tout ; le chef qui s'oppose à ce qu'on des-
cende le fleuve à travers son domaine peut n'avoir
aucun pouvoir d'arrêter ceux qui, prenant le pro-
blème dans l'autre sens, remonteront le fleuve au
lieu d'en suivre le courant. Dans tous les cas, le point
peut être résolu à satisfaction malgré Sa Majesté
noire.
L'ethnographie, l'anthropologie, l'étude des races,
des migrations, des mœurs et coutumes, des langa-
ges, des religions ou superstitions, de l'organisation
civile et politique de ces difî'érents peuples, peuvent
toutes gagner quelque chose à nos travaux. Nous ne
recueillerons pas partout des éléments pour ajouter
56 l'exploration et la civilisation
à l'histoire du monde des chapitres nouveaux ; mais
nous pourrons néanmoins rencontrer des éclaircisse-
ments sur différents points obscurs, des renseigne-
ments, des explications, dont le moindre aura pour-
tant quelque valeur au point de vue de la science.
L'archéologie elle-même ne sera sans doute pas sans
recueillir quelque fruit d'une plus exacte connaissance
de ces peuples, dont l'existence semble se résumer
dans un perpétuel aujourd'hui; car on sait qu'il existe
des ruines sur plus d'un point de ce vaste continent,
et des ruines dont la rareté même ne fait qu'accroître
l'intérêt et le prix.
Je ne mentionne que pour mémoire la géologie, la
minéralogie, la botanique, la zoologie^, la météoro-
logie enfin; toutes ces sciences doivent faire un pas,
la dernière peut-être un pas important, à proportion
que l'Afrique équatoriale nous sera plus exactement
connue. Mais ce sont là des Arts de la paix^ et j'ai
une question préalable à toucher, celle qui concerne
l'établissement de la paix elle-même.
En effet, vous l'avez compris, la première condition
d'un développement régulier de l'Afrique centrale,
c'est la fin des guerres qui la désolent; guerres qui ont
toutes une même cause et un même but, l'esclavage !
Il serait aussi rationnel de vouloir faire prospérer
l'élève des moutons dans un parc où les loups auraient
leurs entrées libres et régulières, que de parler de
civilisation là où se promènent périodiquement le sa-
bre et le mousquet du voleur d'hommes. A côté de ce
commerce maudit, iniquité source de tant de crimes
et de 'tant de misères, tout commerce légitime et
honnête devient impossible et s'éteint. L'indigène se
livre volontiers à l'agriculture, et son pays est riche
DE l'afriôue centrale. 57
en ressources. Il pourrait produire à peu près sans li-
mites, le sucre, le coton, le riz, le maïs, la banane,
le tabac, la cire, le chanvre; — le café, de première
qualité, l'indigo, l'huile de palme, le sorgho, le sé-
same, trouveraient de vastes espaces de terres favo-
rables ; — plusieurs sortes d'épices, le caoutchouc, le
copal, le ricin s'y produisent naturellement; — les
cornes d'antilopes de bien des espèces, les peaux de di-
verses bétes, Tivoire, les dents d'hippopotame y abon-
dent, de même que l'ébène et d'autres bois recher-
chés dans les arts de la civilisation ; — on y trouve
les métaux précieux, l'argent et l'or, puis le cuivre,
le mercure (cinabre) et le fer, d'un grain excellent.
L'indigène, qui montre peu d'esprit d'invention, mais
qui est plein d'aptitude pour le travail manuel, sait
fondre ce dernier métal, et en tire parti avec une ha-
bileté très-remarquable vu le caractère défectueux et
primitif de son outillage. Il pourrait donc facilement
devenir producteur pour l'exportation. — Mais com-
ment se livrer à aucun de ces travaux avec suite ou
avec fruit, quand la mort, ou un esclavage plus af-
freux que la mort, sont à chaque instant suspendus
sur sa tête? — Aussi, tout se réduit, au fond, à une
seule question : Comment supprimer l'esclavage ?
Beaucoup de gens croient simplement, parce que
l'abolition de l'esclavage a eu lieu dans le plus grand
nombre des pays oîi il était pratiqué, et parce que la
traite des esclaves est devenue impossible sur les eaux
de l'Océan entre l'Afrique et l'Amérique, que l'escla-
vage et la traite n'existent plus ! — C'est une erreur,
on ne doit pas se lasser de le répéter, aussi funeste
que profonde. Cette erreur s'oppose à tout effort pour
combattre le mal, et le mal s'aggrave. La traite se
58 i/exploration et la civilisation
fait dans des proportions effrayantes. — Au lieu de
se faire à l'occident, elle se fait à l'orient. Au lieu de
se faire par mer, elle se fait par terre; elle n'en est
pas plus inique, mais elle en devient encore plus
cruelle. Au transport par navires et au danger acci-
dentel de suffocation ou d'épidémie, on a substitué
des marches interminables, mortelles sous un soleil
de feu, une nécessité de hâte à laquelle on sacrifie
par le meurtre ou l'abandon tout ce qui ne peut pas
suivre ce courant d'êtres humains, liés ensemble par
des chaînes, des carcans ou de lourdes fourches de
bois. C'est la certitude d'un supplice de plusieurs se-
maines, auquel n'échappent qu'un quart, une moitié
tout au plus de ceux qui partent, ceux-là seuls qui
sont assez robustes pour souffrir jusqu'au bout sans
succomber. Il en coûte chaque année à l'Afrique cen-
trale un million de vies humaines. Le meurtre est en-
core,— si l'on ose employer cette expression en trai-
tant d'un sujet où Livingstone déclare que l'exagéra-
tion est impossible, — le simple meurtre est presque
le côté lumineux de cet atroce tableau. La perfidie,
la surprise, la trahison, l'incendie, le pillage, le mas-
sacre de tout ce qui tente de résister ou même d'é-
chapper, l'excitation de toutes les passions les plus
haineuses et les plus brutales, la cruauté à tous les
degrés de raffinement, voilà les moyens employés par
ces trafiquants arabes, et les fruits de leur monstrueux
commerce.
L^esclavage existe à ce jour, prospère, luxuriant,
se déployant largement dans les harems et dans tout
le service qui s'y rattache, depuis le Maroc jusqu'en
Perse, partout où se professe la religion de Maho-
met. — Là encore, comme sur tant d'autres champs
DE L'AFRIQUE'*^ENrUALE. 59
de relèvement et de philanthropie, c'est le christia-
nisme qui doit être la liberté !
N'oublions pas qu'à mesure que s'étendent les limi-
tes de la solitude que crée partout cette chasse à
Vhomme, la souffrance des malheureux captifs aug-
mente avec la distance des centres d'exploitation; le
besoin de secours devient donc chaque jour plus pres-
sant. Mais n'oublions pas non plus que, heureusement
pour la cause que nous avons embrassée, ces guer-
riers^ vainqueurs d'enfants et de femmes, ces chas-
seurs d'esclaves ne sont pas des héros. Hardis et ar-
dents, en vertu de leurs armes à feu, contre de pau-
vres sauvages sans défense, ces pourvoyeurs de ha-
rems, ces Judas qui ne demandent qu'à vendre leur
semblable pour trente pièces d'argent, ont un cœur
à la hauteur de leur métier. Ils ne mettent pas volon-
tiers leur vie au jeu. Invincibles là où ils sont seuls,
ils deviennent, comme il est juste, craintifs devant un
adversaire. L'expérience de Livingstone l'a prouvé :
l'opposition, la présence, l'ombre, le nom seul d'un
Européen qu'ils savent décidé à réprouver et à con-
trarier leurs entreprises, suffit pour mettre en dé-
route cet ignoble troupeau de commerçants en chair
humaine.
Ayons donc bon courage! Montrons-nous, et nous
triompherons à notre tour. Que l'Afrique apprenne
que cette misère inénarrable dans laquelle le Maho-
métan la retient et la plonge toujours plus profondé-
ment, c'est le Chrétien qui l'en délivrera. Que l'Afri-
que orientale connaisse à son tour les bienfaits que la
précédente génération, celle des Wilberforce et des
Buxton a déjà conquis pour l'Afrique occidentale.
Que l'Europe fasse entendre sa grande voix : que les
60 l'exploration de l'afrique centrale.
nations s'accordent pour la porter jusque dans les so-
litudes de l'Afrique, et l'esclavage aura vécu; et de
proche en proche, un septième de la race humaine
sera délivré de l'ignominie du fouet et de l'oppres-
sion tyrannique du vice. Levons-nous! Allons cher-
cher notre sœur que nous avons laissée en arrière.
Qu'elle vienne, reconnaissante, s'asseoir à ce banquet
de la civilisation oii jusqu'à ce jour sa place est res-
tée vide. Alors votre Association internationale, qui
aura réalisé cette grande chose, aura bien mérité du
genre humain et des siècles à venir.
L.-H. de Lahaepe,
Vice-président de la Société de Géographie de Genève.
LE PAYS D'UZ
ET
LE COUVENT DE JOB
(Notes rédigées d'après un travail de M. J.-G. AVetzstein,
publié dans le Conimentaire de Delitzsch.)
I
Traditions hauraniennes relatives au séjour
de Job dans le pays d'Uz.
Dans l'un des mémoires publiés par le Glohe, nous
nous sommes hasardé, — r à l'occasion des traditions
qui font des contrées hauraniennes la patrie du pro-
phète Job (Nabi Ayoub), — à exposer quelques-
uns des motifs qui semblent de nature à donner une
grande vraisemblance à ces traditions ' . Nous avions
tenté de démontrer qu'il fallait chercher la terre de
Uz ou de Hutz, patrie du patriarche, non dans l'an-
cien pays d'Edom, comme beaucoup d'auteurs y
ont été conduits par une interprétation erronée d'un
P. S. apocr\T3he des LXX, sur lequel nous revien-
drons plus loin: non, comme certains interprètes
l'affirmaient, au sud-est de la Palestine et dans les
environs du désert de Tekoa, ou selon d'autres dans
une Idumée occidentale qui comprenait le territoire
^ Voir le Glohe, année 1S70, Mémoire sur la Terre de Basçan
(vol. IX, p. 32), note C.
(52 LE PAYS d'uZ
d'Hébron; moins encore dans l'Arabie heureuse ou
en Perse ; — mais dans les contrées hauraniennes et
la Batanée, près de la Trachonitide, de Kénath et
d'Astaroth-Carnaïm.
Nous ne rappellerons pas ici tous les arguments
avancés par nous, et nous nous bornerons à dire qu'ils
étaient tirés, entre autres, de la configuration des lieux
comprenant à la fois des déserts, de vastes pâturages,
des vignobles et des jardins; du voisinage de monta-
gnes neigeuses ' ; de la proximité des tribus pillardes
du désert ; du fait qu'il ne fallait pas confondre,
comme on l'a fait trop souvent, le roi Jobab, chef
iduméen, avec Job ; de diverses données tirées de Jé-
rôme et d'Eusèbe qui placent le séjour de Job dans la
Batanée ; surtout enfin de l'assertion de Josèphe qui
indique le fils aîné d'Aram, Uz, comme fondateur de
Damas et comme ayant eu pour domicile la Trachoni-
tide '^ (Ledjah).
Une telle h3'pothèse, bien qu'ayant pour elle le té-
moignage de rOnomasticon et celui de Jérôme, pou-
vait paraître présomptueuse et superficielle, en pré-
sence de tant d'opinions différentes émises par de sa-
vants critiques. Mais, dès lors, de nouvelles preuves
sont venues à l'appui de notre thèse. Elles nous sont
fournies par un érudit distingué, M. le docteur
Wetzstein, Israélite de naissance, ci-devant consul de
Prusse à Damas, et dont l'opinion fait autorité dans
ces matières.
Cet auteur, bien connu par ses explorations de la
terre de Basçan, a fait une étude approfondie du su-
' Le Djebel Ilaiiran a 2000 m.; le mont Ilor en Idumée ou a seu-
lement 1338, d'après M. Lartet.
^ Anliq. Liv. 1, ch. G.
ET LE COUVENT DE JOB. 63
V
jet et il en a donné le résumé dans un appendice du
commentaire de Delitzsch sur le livre de Job.
Comme l'intérêt de cette question géographique ne
saurait être méconnu, nous croyons bien faire de don-
ner quelques extraits de l'écrit en question, mais en
renvoyant la portion scientifique à une seconde partie.
Commençons par signaler une erreur dans laquelle
nous pensons être tombé en suivant les indications de
plusieurs voyageurs (Robinson, Smith et Porter), par
lesquelles il faudrait chercher la partie centrale de la
Batanée sur le revers oriental du Djebel Hauran, le
mont Alsadamus des anciens.
Déjà dans un précédent écrit, M. Wetzstein a con-
tredit M. Porter à ce sujet. Quelques ruines portant
le nom de Buteina ou Betenije se trouvent, il est
vrai, au nord-est du Djebel Hauran, mais les voya-
geurs postérieurs ont reconnu qu'il ne s'agissait que
d'un petit village dont les ruines sont sans importance.
M. Waddingtou, qui a visité cette localité, dit que
« les ruines de Buteina se composent d'une vingtaine
de maisons et de deux grandes tours. C'était, très-
probablement, une métairie ; les quelques habitations
un peu spacieuses formaient sans doute la demeure
du propriétaire et servaient de magasins pour les
provisions; les autres étaient destinées aux ouvriers. *
On n'est donc nullement en droit, ajoute M. Wetzs-
tein, de baptiser toute une province du nom d'une pe-
tite ville qui n'a jamais été mentionnée dans la Bible.
En outre, comme le fait ressortir le même auteur,
le tétrarque de Batanée ne pouvait dominer que sur
une province de l'ancien empire romain. Or, cette
province ne doit pas se chercher au delà des limites
64 LE PAYS d'UZ
de cet empire dont Salcha était le poste le plus
avancé, ce qui exclut nécessairement le revers orien-
tal du Hauran.
En conséquence, d'après M. Wetzstein, la Bata-
née serait limitée à l'est par le plateau du Ledjah et
le massif du Djebel Hauran, à l'ouest par les collines
boisées du Golan, et au sud-ouest par le ravin du Ma-
kram (probablement celui qui reçoit les divers cours
d'eau au sud du Ledjah) et la colline de Zumla
(Zoumlé).
Depuis la conquête de la Syrie par les Osmanlis,
le centre de cette contrée a reçu des nomades le nom
de Nukra ou Nukra sja-iaque. La grande route de
Damas, suivie par les pèlerins de la Mecque, la tra-
verse du nord au sud. Sur son parcours est situé
Nawa, la ville principale de la Nukra. Suivant une
tradition locale, cette ville aurait été le lieu du domi-
cile de Job. Dans un premier travail, M. Wetzstein a
émis l'idée que le nom de Nawa pourrait bien être
une abréviation de « demeure de Job » en hébreu
neveli Job.
La tradition conservée en Syrie et en Palestine,
qui fait de cette contrée la patrie de Job, est extrê-
mement répandue dans le Hauran. Aussi, quand le
voyageur admire la fertilité du pays, il reçoit comme
réponse toute naturelle : « N'est-ce pas ici la patrie
de Job? » Dans cloaque localité, on retrouve des tra-
ces de cette croyance. Mentionnons entre autres les
suivantes : Bosra fut indiquée à Seetzen comme une
ville de Job ; — i|n vaste bâtiment datant des Byzan-
tins ou des Romains, situé dans la partie supérieure
de Kanawat, et où nous avons signalé * une petite cha-
^ Globe, vol. XIII. La Terre de Basçan, ch. XI.
ET LE COUVENT DE JOB. 65
pelle où Druses et Chrétiens déposent des ex-voto et
font brûler des lampes en l'honneur du saint homme
Job, fut désigné à M. Wetzstein connue « le palais
d'été de Job ; » — les pâturages des environs du Wadi
el Lebwa sont nommés par les bergers les pâturages
de Job ; — quand le voyageur anglais Buckingham
traversa la Nukra, on lui montra un endroit appelé
Gherbi, considéré aussi comme la ville natale de Job ;
— enfin au temps d'Origène, on faisait remonter,
mais probablement à tort, l'origine du nomdeBostra,
la Bosra actuelle, à la mère de Job, Bosora.
Toutes ces traditions, l'auteur les analyse de très-
près et ne les accepte qu'avec beaucoup de réserve,
et toujours, comme on va en juger, en les rappro-
chant des données scientifiques que nous résumerons
plus loin.
Une autre légende, accréditée dans le pays, se
rapporte à un séjour de Job en Egypte. Après la
mort de son père, Job serait parti pour les bords du
Nil, afin de délivrer Rahma, la fille d'Ephraïm, qui
avait hérité de son grand-père Joseph une grande
beauté, et qui était retenue contre son gré. Cette ex-
pédition accomplie. Job fut envoyé par Dieu, en qua-
lité de prophète, auprès de ses concitoyens les habi-
tants du Hauran et de la Batanée.
Ce récit, quelque improbable qu'il soit, ne manque
pas d'intérêt, en ce sens, qu'il tendrait à expliquer la
connaissance personnelle de l'Egypte, qui se re-
marque dans le livre de Job ' .
Avant d'exposer les raisons scientifiques qui con-
firment M. Wetzstein dans la pensée que la Batanée
est le pays d'Uz, visitons avec lui le couvent bâti non
* Voir, en particulier, MM. Renan et Godet.
MÉMOIRES, T. XVI, 1877. 5
66 LE PAYS d'UZ
loin de Nawa, à une très-faible distance de l'emplace-
ment qui passe dans le pays pour avoir été le lieu de
la sépulture du prophète et qui en porte le nom.
Parti de Golan avec un compagnon de voyage,
M. Wetzstein arriva à Tesil le soir du 8 mai. De là,
il put apercevoir le couvent tout illuminé des rayons
du soleil couchant. C'était une ruine imposante, éloi-
gnée d'une forte lieue à l'est. Le lendemain les deux
voyageurs quittèrent Tesil, mais avant de se diriger
vers le couvent de Job (MaJcam Mjiih) , ils gravirent
une colline volcanique, le Tell el (lumu, du haut de
laquelle ils purent contempler le panorama environ-
nant. Le pays était riche, d'une végétation luxu-
riante, d'une admirable fertilité. La plaine, écrit-il,
s'abaisse insensiblement du côté de Bendek, et les
eaux abondantes du Naher el Oweirid semblent se dé-
rouler comme un brillant fil d'argent. Il ajoute «que si
cette contrée avait comme autrefois de riches ombra-
ges, ce serait un vrai paradis terrestre. Même dans
les jours les plus chauds, la brise lointaine de la mer,
fraîche et humide, passe sur la plaine et la vivifie;
aussi le poète hauranien ne chante-t-il jamais sa pa-
trie sans la nommer la saine Nukra. »
Après une longue halte sur le Tell el Gumu, M.
Wetzstein et son compagnon se dirigèrent vers le
couvent, bâti à peu de distance sur la pente d'une col-
line et qui porte le nom de Makam. C'est un bâti-
ment à un étage surmonté de deux coupoles, et d'une
circonférence médiocre. Les six curateurs du cou-
vent ou, comme les Arabes les nomment, les « servi-
teurs de notre seigneur Job, » reçurent les étrangers.
Le directeur se montra fort complaisant. Les gens
du couvent étaient tous noirs et célibataires, mais
ET LE COUVENT DE JOB. 67
leur célibat n'était dû qu'à la difficulté de trouver
des femmes dans l'endroit et au manque de place.
Le Makam, et un bassin long de 50 pas qui l'avoi-
sine, sont entourés par un mur. Ce bassin est rem-
pli d'une eau froide, au cours rapide, provenant de
la source de Job éloignée de 400 pas. D'après la lé-
gende, cette source jaillit quand, suivant l'ordre de
Dieu, Job frappa la terre de son pied à la fin de
son épreuve. On couvre l'eau dans son cours jusqu'au
bassin, afin de la conserver fraîche et de la préserver
de toute souillure. Quelques acacias et un grenadier
séparent le bassin du bâtiment.
La première chose qu'on montra aux voyageurs fut
l'auge de pierre dans laquelle Job se baigna après
son épreuve. La petite localité où se voit cette reli-
que se nomme « le lavoir de notre seigneur Job. »
Quant au tombeau, il est adossé contre l'auge; on l'a
recouvert d'un vieux drap vert, mais il n'offre rien
de remarquable.
On conduisit ensuite les étrangers au sommet de la
colline sur laquelle se trouve la pierre dite de Job.
C'est sur elle, — dit encore la légende, — que le
prophète avait coutume de s'asseoir quand Dieu ve-
nait le visiter. Elle est au centre d'une petite mos-
quée, construite sans doute avec les matériaux d'une
chapelle chrétienne bâtie sur cet emplacement avant
l'époque musulmane. C'est une construction sans
art, de style hauranien, avec six ou sept arches
et une coupole de moyenne grandeur, s'élevant au-
dessus de la pierre de Job. Pendant que quelques
musulmans, qui visitaient le Makam en même temps
que M. Wetzstein, récitaient leurs prières à cette
place sacrée, le directeur apporta au voyageur une
68 LE PAYS d'UZ
poignée de petites pierres et de sable, en lui disant :
« Cette poussière a été formée par les vers pétrifiés
tombés des ulcères de Job. Prends-la en souvenir de
ce lieu, elle t'enseignera à ne point oublier Dieu dans
la prospérité, à ne point te révolter contre lui dans
l'adversité. »
Malgré le caractère bizarre et enfantin de la lé-
gende, l'offrande et le conseil qui l'accompagnait ne
furent point dédaignés par le voyageur. Il remarque
que dans un tel lieu l'avertissement adressé à tous
les visiteurs ne saurait manquer son effet, et ce fut
sous cette impression sérieuse qu'il quitta le couvent.
Ajoutons ce renseignement caractéristique em-
prunté également à M. Wetzstein, c'est que le Ma-
kam n'a aucun impôt à payer au gouvernement et
aucun tribut aux Arabes. Il est à croire que s'il sub-
siste encore à l'heure qu'il est, il le doit en grande
partie à la croyance superstitieuse des Bédouins qui
assurent que leurs chevaux mourraient immédiate-
ment s'ils venaient à s'abreuver de l'eau du bassin de
Job. Par cette même raison les Arabes ne réclament
jamais l'hospitalité du couvent, charge qui entraîne-
rait sans retard la ruine de l'hospice.
II
Exposé critique, de la valeur des traditions
relatives à Job.
Les pages précédentes ont fait connaître ce qu'est
actuellement, d'après M. Wetzstein, la tradition rela-
tive au séjour de Job dans le Hauran. Le même au-
ET LE COUVANT DE JOB. 69
teur a recherché jusqu'à quelle époque on peut, avec
quelque certitude, faire remonter cette tradition.
Voici, en termes aussi succincts que possible (et, nous
aimons à l'espérer, sans dénaturer la pensée du sa-
vant auteur), les résultats auxquels il est parvenu.
En remontant des témoignages les plus récents aux
plus anciens, on rencontre d'abord des passages
d'Eugésippe et de Sanuto (XI"?* siècle) qui semble-
raient devoir transporter les faits concernant le pa-
triarche aux environs de THermon, sur les bords du
petit lac Phiala, mais qui expliqués par un passage
de Guillaume de Tyr, nous indiquent plutôt le voisi-
nage d'un autre petit lac, peu éloigné d'un château
appelé Muzérib et du cloître de Job, comme la patrie
du prophète et celle de son ami Bildad le Subite ' .
Ce triple témoignage nous montre que la tradition
qui nous occupe était généralement répandue dans ces
^ Passage d'Eugésippe : -< Une partie du pays est le pays de Hus,
d'où était Job ; il s'appelle aussi Stœta, nom d'après lequel Bildad
a été nommé le Subite. »
Passage de Samtto : « Sueta est la patrie de Bildad le Suite. Au-
dessous de cette ville, les Sarrasins d'Aram, de la Mésopotamie,
d'AmmoU; de Moab et de tout TOrient, se rassemblent autour de
la source FiaJe pour dresser leurs tentes de couleur et tenir le
marcbé pendant tout Tété, à cause du cbarme de la contrée. »
Passage de (hiillaume de Tyr : « Cet endroit (la cavea Boob),
place fortifiée dans la Xukra, se trouve dans la province Suite, et
ce Baldad, ami de Job, qui est à cause de cela nommé le Suite, doit
en avoir été originaire. »
La province Suite ou Suita dont parle Guillaume de Tyr, expli-
que Wetzstein, est le pays de Suwêt dans la partie nord-ouest du-
quel se trouve le ravin du Wâdi Bahûb ; et la Cavea Eoob s'ap-
pelle actuellement Magaret Bahûb (c'est-à-dire la caverne de Ra-
hûb), ou plus habituellement mu' aUaJcat Bahûb (caverne suspendue
de Eahùb).
Quant au Fiale de Sanuto, ce n'est pas le lac Phiala, mais le
lac Begga du Hauran, la source du Muzérib.
HÊMOIEES, T. XVI, 1877. 5*
70 LE PAYS d'UZ
temps-là, qu'elle était venue à la connaissance des
étrangers en séjour dans le pays, et qu'elle était fa-
milière aux chrétiens aussi bien qu'aux musulmans. Il
est fort peu probable, en effet, que les trois écrivains
l'eussent rapportée sur la simple foi des disciples de
l'Islam.
^ L'article Kapyaéi^ de l'Onomasticon, nous fait re-
monter de plusieurs siècles en arrière ; il s'exprime
ainsi : « Dans Carnaïm Astaroth, très-grand village
au delà du Jourdain dans l'Arabie qu'on appelle aussi
Batanée, se trouve une maison que la tradition dit
être celle de Job. » Or, dans le voisinage du Makam
se trouve un Tell portant le nom d'Astara on Asli-
taré, dont nous avons eu l'occasion d'entretenir
les lecteurs du Globe *. Il est très -probablement
l'Astaroth de l'article indiqué, et ne doit pas être
confondu avec l'Astaroth, capitale du royaume de
Basçan, dont il est parlé dans TOnomasticon à l'article
Aarajowô, et qui est situé à quelques kilomètres plus au
sud.
Pour Jérôme comme pour Eusèbe, la Batanée est
le pays d'Uz ^ Cette idée est encore celle d'Éphrem
le Syrien, écrivain chrétien du quatrième siècle (Pro-
leg. au Commentaire sur Job) et de Chrysostome. Le
premier explique que la Batanée était la patrie de
Job, et Chrysostome raconte que beaucoup de pèle-
rins accourent des extrémités de la terre en Arabie
pour voir, — faut-il le dire ? — le fumier sur lequel
Job était assis, et baiser le sol sur lequel il avait souf-
' Année 1872, vol. XI, p. 60.
^ Quaest. Hehr. in Genesin, C. 10, 23: Us, Traclionitidis et Da-
masci conditor, inter Palaestinam et Cœlen Syriani teniiit principa-
tum, unde fuit Job.
ET LE COUVENT DE JOB. 71
fert ' . Cette Arabie est évidemment celle qu'Eusèbe
explique par ny.xi By.r ocjxtx. et ce fumier, puisque nous
devons y insister, ne doit pas être cherché ailleurs
qu'au Makam Eijub.
Remontant maintenant au temps de Titus, consta-
tons que Josèphe ne mentionne pas Job lui-même ;
mais dans les premières pages de ses Antiq. I. 6', se
trouve un passage digne de remarque, auquel il a été
fait allusion plus haut :
« Aram, dit-il. de qui descendent les Araméens,
que les grecs nomment Syriens, avait quatre fils dont
le premier s'appelait Ovcro; et dont la postérité (la
tribu de Us), peupla la Trachonitide et fonda Damas. *
Il n'est pas sans importance de voir la tradition
juive et chrétienne remonter ainsi jusqu'à Josèphe.
Or le témoignage de ce dernier, garant des plus au-
torisés, plonge ses racines, dit M. Wetzstein, dans
un temps où Ton pouvait avoir encore la conscience
historique des demeures des fils de Uz. Si Ton ajoute
que cette tradition concorde très-clairement avec les
différents passages bibliques, Genèse, X, 23 : La-
ment. IV, 21 ; Jérémie, XXV, 20; et qu'elle désigne
comme séjour de Job un pays dont les caractères s'ac-
cordent fort bien avec ceux que le livre attribué au
prophète nous fait connaître, il faut convenir, dit
notre auteur, qu'il y a là des raisons assez fortes pour
nous pousser à l'accepter.
A ces raisons il ajoute les suivantes : Quelques-uns
ont soutenu qu'il fallait chercher l'Ausitis (pays d'Uz)
dans le voisinage d'Edom. Voici, en abrégé, quelle
^ Hom. V. de Stud. § 1, t. II, p. 59 : i-'^ -i-^x-oy> -r.; ^;r.; k;
TT,v 'Asa(î'.7.v Toîy/j'izi:, lu. rr.'i x-c—piîr.v l'î'wj'., /,7.l Ocy.iiy.Evs'. /.j.TXO'.ÀTiiiojïi
TT.v -••»;v.
72 LE PAYS D'UZ
est dans cette question l'argumentation de M. Wetz-
stein. Elle nous justifiera d'avoir dans notre travail
antérieur énoncé plusieurs des mêmes objections.
Premier argument. Il est incontestable que l'en-
semble des passages de l'Onomasticon établit que
pour Eusèbe, TAusitis est bien l'Arabie seulement,
pays synonyme pour Eusèbe de la Batanée. On en
peut dire autant de Jérôme, témoin le passage cité
plus haut dans lequel il dit que Uz, fondateur de Da-
mas, régnait entre la Palestine et la Cœlésyrie —
passage, pour le dire en passant, qui se rapporte à la
province de ce nom à partir de Dioclétien, non à la
Cœlésyrie de Ptolémée.
Second argument. L'idée que l'Ausitis se trouve en
Edom se base principalement sur le P. S. des LXX
au livre de Job, P. S. considéré comme inauthenti-
que, postérieur à l'écrit lui-même, et dont la valeur,
en tout cas, ne doit pas être surfaite. Ce P. S. iden-
tifie Job avec le roi édomite Jobab, et cette identifi-
cation seule expliquerait déjà le fait qu'Édom ait été
indiqué comme le pays du domicile de Job.
Il est toutefois bizarre de rencontrei- une donnée
en contradiction avec toute la tradition juive. L'ex-
plication du fait se trouve dans le sens attaché par
l'auteur du passage au mot Idumée.
Or, l'auteur du P. S., probablement un juif ale-
xandrin, n'a pas voulu mentionner l'Édom biblique.
En effet, pour être compris de ses contemporains, il
aurait dû l'expliquer par le mot Gebalène (r; vjy r£,Sa-
)>/7v>î xaXou|u.év>5) , nom employé alors pour désigner le
pays d'Édom, et qu'il conserve partiellement encore
sous la forme de Gebal ; il n'a pas vouki davantage
parler de l'Idumée postérieure occidentale (Ilébron),
ET LE COUVENT DE JOB. 73
dont les Juifs de la Dispersion ne pouvaient pas savoir
grand chose. 11 s'agit donc évidemment ici de la troi-
sième Iduraée, VIdumœa in partihm Aramrronon,
ou VIdumœa orientalis d'Eusèbe. Or, comme le fait
remarquer M. Wetzstein, le vrai nom de cette Idu-
mée n'est pas Édom (C''"'^) , mais Arom (dI"'??) ,
deux mots hébreux qui se confondent facilement, c'est
à-dire Aram de Damas. La souche n'en est pas Esaii
père des Edomites, mais Isa père des Araméens, en
d'autres termes Us, père d'Aram (des Araméens). La
capitale n'en était pas la Botsra du pays de Séhir,
mais Bosra ou Bostra, capitale du Hauran '. L'Au-
* L'idée d'un pays et d'un peuple d'Arôm, observe M. "Wetz-
stein que nous citons ici textuellement, doit son existence au pas-
sage 2 Rois 16,6, où il est dit que Retsin, roi d'Aram, recouvra
Elath et expulsa les Juifs, et que les Arômim (faute pour Edômim)
rentrèrent à Elath et s'y établirent. A la vérité, le Keri corrige
Arômim par Edômim, et le P. S. nomme aussi leur pays 'I^o'ju.ata,
mais ce n'est là qu'une 'Asojaaîa déguisée ; car on ne considérait
pas le Chetib de l'Écriture comme une simple faute de copie. Il
semble que cet Édom mystique ait pris naissance au moment où les
Hérodes iduméens régnaient en Palestine comme vassaux et alliés
des Romains, et où l'ennemi héréditaire de Damas avait été assez
oublié depuis longtemps pour que les Arômim pussent être hardi-
ment transformés en Rômim (Romains). Ce fait qui serait de nos
jours fort propre à embrouiller, puisque les Araméens, les Romains
et même les Arméniens sont tour à tour ici confondus les uns avec
les autres, l'était beaucoup moins pour des gens qui ne connais-
saient pas l'histoire, qui n'avaient point d'échelle pour mesurer les
distances de temps et d'espace, parce que la chronologie et la géo-
graphie leur étaient étrangères, et pour qui il ne s'agissait que de
simples noms, qui se laissaient facilement ramener sous une dénomi-
nation générale. — Is abû Biim était le nom du père commun de
tous les ennemis d'Israël. Et si Job a été rattaché à cet ennemi,
cela vient de ce qu'il appartenait au peuple araméen de Us. Dans
l'histoire de Jérusalem de Mugir ed-din on lit : « Job appartenait
au peuple des Romains, car il descendoit d'Is et la province da-
mascène de la Batanée était sa possession. »
74 LE PAYS D'UZ
sitis sur laquelle il régnait ne se trouve pas en
Édom, mais c'est la Batanée. Et quand le P. S.
place l'Ausitis dans les frontières de VIdumée et de
l'Arabie ' , il veut dire qu'elle se trouve aux frontières
ou à l'intérieur des frontières de l'Aramée et de la
Provincia Arahiœ, c'est-à-dire en Batanée. Il faut
donc y transporter Jobab et toute sa parenté.
Origène l'entendait bien ainsi lorsqu'il disait dans
ses Homélies sur Job : Le livre du MenJteureux Job^
écrit d'' abord en syriaque^ dans V Arabie où il habi-
tait ', passage où il a en vue ces mots du P, S. : Ce
livre est traduit du livre si/riaque ' .
L'Arabie où il place Job est la même qu'Eusèbe
nomme rj xSu Baravacloc. Cette manière de comprendre
le P. S. doit avoir été générale alors, puisqu'on don-
nait comme origine du nom de Bostra, la métropole
du Hauran, le nom de la mère de Job, Bosora (du
P. S.)*.
C'est ainsi que, grâce à la tradition juive antérieure
au christianisme qui voit dans les Araméens de Da-
mas le peuple de Uz, nous avons, dit M. Wetzsteiu,
un fil conducteur qui nous permet de nous retrouver
à travers tous ces contre-sens.
Dans les relations des pèlerins occidentaux et au
temps des croisades, on voit, par suite d'une fausse
interprétation de la tradition de l'Église orientale,
* Beati Job scriptura primum quidem in Arabia syriacc scripta,
uhi et habitabat.
3 OÛTo; ipu-eveûerat ïx, t'^; îuptay.'À; pî^Xcu.
* BoGTîa ÈTTtôv'ju-ûî ouira Bijiropa; Tri; aTiTpb; tcj ÔEij-saîo'j hôfi (Syiiode
(le Bostra, troisième siècle).
KT LK COUVRNT DR JOB. /O
ridumée biblique elle-même confondue avec le pays
de Damas *.
Récemment encore, dit notre auteur en terminant,
un homme des plus compétents en archéologie bibli-
que a soutenu que le pays d'Us était vraisemblable-
ment situé au sud-est de la Palestine, et que la pré-
tention défaire du Hauran la patrie de Job, malgré
sa haute antiquité, paraissait n'avoir que peu de
poids ; que, même si le cloître de Job remontait aux
premiers siècles après Jésus- Christ, on savait com-
bien peu il allait faire de fond sur les traditions de
moines; qu v.'i ne pouvait douter qu'alors le nom d'Uz
n'eût disparu depuis longtemps. — A ces assertions
M. Wetzstein répond en reprenant ses précédentes
affirmations, savoir, que cette prétention et l'érection
du cloître se basent sur une tradition qui remonte à
un temps antérieur au christianisme, oii le nom de
Us n'avait peut-être pas encore complètement dis-
paru, et il met en demeure ceux qui tiennent pour
vraisemblable la position de l'Ausitis au sud-est de
la Palestine, d'en fournir au moins une raison plau-
sible.
Alex. Lombard.
* Ainsi Job. Wirzburgonsis dit : — « Arabia jungitur Idinncrain
finihis Bostron. Idumœa est terra Damasci. Idumœam et Phœniciam
dividit Lihanus. Damascinn hahitavit Esati, qui et Seir et Edom. Est
aiitem j)a?'s ilUus ttrne Us, ex qua heatiis Job; in qita et Tliema, me-
tropolis in Idumcca. Ex Tliema, EJiphns Tliemanites. In Idwmea
mons Seir, sub quo Damascus. »
MEMOIRES
MÉMOIRES, T. XVI, 187 7.
L'OCÉAN ATLANTIQUE
CHAPITRE XXIY
(Suite)
Côtes Scandinaves.
La Suhle est loin d'avoir un littoral aussi profon-
dément découpé que la Norwége. La côte présente des
sinuosités sans nombre, de petits golfes, des baies;
mais on n'y trouve plus ces longs bras de mer qui font
un port d'une ville intérieure. Les estuaires des fleu-
ves creusent le rivage et sont parsemés de ports nom-
breux dont la plupart, surtout au Nord, ne sont que
des bourgades de pêcheurs. — Les chaînons des Al-
pes Scandinaves ne venant jamais errer jusqu'à la
côte, les falaises norwégiennes ne se retrouvent pas
ici. Les cultures, les champs, les landes sablonneuses
bordent la mer de pentes douces, car les lieux situés
à plus de 40 kilomètres du bord ne sont pas à 100
mètres au-dessus de l'océan. Les lagunes côtières,
formées par les fleuves et s'allongeant dans leur di-
rection, communiquent avec la mer par des détroits
navigables. Mais ce qui rend souvent la navigation
périlleuse sur ces côtes, ce sont les innombrables
écueils dont elles sont bordées, écueils signalés ce-
pendant avec exactitude sur les cartes nautiques.
80 . l'océan atlantique.
Un fait qui a beaucoup préoccupé les savants, c'est
le mouvement d'oscillation auquel sont soumises les
côtes Scandinaves. Sir Roderick Murcliison, le pro-
fesseur Keilhau de Christiania, MM. Bravais, de
Bucli, Lyell, Desor, Martins, et d'autres savants de
premier ordre, ont contribué à élucider cette ques-
tion si controversée.
M. Bravais, qui étudia particulièrement l'Altenf-
jord, à l'extrémité nord de la presqu'île, reconnut,
au moyen de recherches à la fois minutieuses et ingé-
nieuses, les anciennes lignes de niveau de la mer, et
constata qu'elles se trouvaient à une hauteur notable
au-dessus du niveau actuel.
A Tromsoë, à Trondhjem, les mêmes faits se pré-
sentent.
A Christiania, des espèces d'animaux qu'on re-
trouve encore vivantes dans les eaux, se montrent
fossiles à 50 mètres au-dessus de la mer. M. Keilhau
croit que la Norwége a subi un mouvement d'émer-
gence avant l'époque historique, et que ce mouvement
n'est que de 3 mètres depuis cette époque.
La côte orientale de la Suède se soulève aussi, mais
d'une manière lente, progressive, et surtout depuis
l'époque historique. C'est à Gèfle, au nord d'Upsal,
que l'émersion est la plus rapide; elle est de 60 à 90
centimètres par siècle. A Calmar, le pied du château,
qu'on avait fondé sous l'eau il y a quatre siècles, est
actuellement à 1 mètre au-dessus de la mer. A Stock-
holm, à Gèfle, on retrouve très-éloignés de la rive
d'anciens cordons littoraux formés de sables, d'ar-
gile, de blocs erratiques^ de coquilles, appelés oesars.
Ils recèlent quelquefois des débris d'ouvrages de la
main des hommes. En outre, les lignes de niveau que
l'océan ATLANTIQUE. 81
r Académie des sciences de Stockholm avait fait gra-
ver eu 1820, se trouvent actuellement ù 1 décimètre
au-dessus de l'eau.
A OregTund, à Loefgrundet, à Abo, on retrouve
encore les traces d'un soulèvement du sol.
Tous ces faits ont permis à ^I. Desor d'établir une
loi concernant le soulèvement de la Scandinavie. Xous
l'extrayons d'un mémoire publié par M. Jules Marcou
dans la Bibliothèque universeUc du 15 juin 1847.
Cette notice est le résumé d'une leçon de ]M. Charles
Martins sur les anciennes lignes de niveau de la mer.
« La Scandinavie a été soumise à trois mouvements
principaux , qui correspondent aux principales phases
de la période diluvienne :
V Un premier soulèvement, pendant lequel le sol
était plus exondé que maintenant, — c'est l'époque
que MM. Agassiz et de Charpentier ont appelée épo-
que glaciaire ;
2" Un affaissement général qui a amené la mer
jusqu'au pied des hautes montagnes qui se trouvent
tout à fait dans l'intérieur de cette presqu'île ;
3" Enfin, le soulèvement de ces parties immergées,
soulèvement qui se poursuit encore actuellement sous
nos yeux, et qui a produit la formation des oesars. »
Contrairement à ce qui se passe au nord et au cen-
tre de la grande presqu'île, la Scanie, au sud, de Go-
thembourg à Calmar, présente des signes manifestes
d'un affaissement. Ainsi, à IMalmo la marée envahit
de plus en plus les rues et les places de la ville.
On pense donc aujourd'hui que la Scandinavie su-
bit un mouvement d'oscillation autour d'une ligne ti-
rée de Calmar à Gothembourg comme axe. Le Xord
s'élève et le Sud s'abaisse.
82 l'océan atlantique.
CHAPITRE XXV
Côtes de la Russie, de l'Allemagne,
du Danemark, des Pays-Bas et de la Belgique.
La Russie possède, sur la Baltique, des rivages
tristes et bas, qui ne présentent que quelques points
pittoresques. Les côtes des îles d'Abo et d'Aland
dans le golfe de Bothnie, ont la même apparence.
Les myriades de petites îles, de rochers, d'écueils,
de bas-fonds qui bordent ce golfe, ainsi que les gla-
ces dont il est obstrué pendant une grande partie de
l'année, y rendent la navigation difficile et l'établis-
sement de ports presque impossible.
Le golfe de Finlande^ de 570 kilomètres de lon-
gueur, présente un plus grand nombre de ports con-
sidérables; sa côte septentrionale est très-découpée
en baies, et bordée d'une infinité d'îlots et d'écueils,
tandis que la côte méridionale a des baies plus pro-
fondes et moins de récifs. Le fond du golfe présente
la baie de Kronstadt, oi^i se trouve l'embouchure de
la Neva. Là^ s'est formée, par une profondeur qui
ne dépasse pas 3 mètres d'eau, une barre due à la
fréquence des vents et aux lames de fond qui accu-
mulent les sables.
Enfin, plus au sud, le golfe de Livonie est très-
fréquenté, parce que sa navigation est sûre malgré
les bancs de sable (pii en obstruent l'entrée, et qu'il
ne gèle que rarement.
\i' Allemagne ne semble pas destinée à un grand
mouvement maritime; du moins les rivages qu'elle
l'océan atl/ntique. 83
possède sur la Baltique le font présumer. — Qu'on se
ligure une plaine immense et marécageuse, oîi le cours
lent et tortueux des fleuves se termine par un delta,
un nombre restreint de ports dans la rade desquels
les navires pénètrent à grand'peine par les étroits
chenaux qui sillonnent les bancs de sable dont la côte
est bordée, et l'on se fera une idée du littoral de la
Basse- Allemagne.
Si l'on ajoute à cela une mer peu profonde, sujette
à des coups de vents, et gelée pendant une partie de
l'année, on pourra prédire que les ports tant militai-
taires que commerciaux, ne s'y établiront que diffici-
lement.
Le vent du Nord-Est, qui souffle d'une manière
presque continue, atteint quelquefois une puissance
telle, qu'il pourrait causer des inondations dangereu-
ses, sans les dunes et les digues qu'on trouve particu-
lièrement dans le Slesvig-Holstein. Malgré cela, de
1044 à 1309, les côtes de la Poméranie subirent
d'affreuses irruptions de la mer. Il en fut de même
souvent.
Les baies les plus curieuses sont celles du Fri-
sches-Haff et du Kurisches-Haff, séparées de la haute
mer par d'étroites presqu'îles sablonneuses qui lais-
sent entre elles et le continent un passage souvent
dangereux.
Le Frisches-Haff, de 80 kilomètres de longueur
sur 8 à 16 de largeur, communique avec la Balti-
que par un canal appelé Gatt qui n'a que 4 mètres
de fond. La flèche sablonneuse qui le borne au nord
s'appelle Frische-Nehrung.
Le Kurisches-Haff, dune égale longueur mais d'une
largeur double, a la même profondeur. La Kurische-
84 l'océan atlantique.
Nehrimgle sépare de la haute mer. Des coups de vent
terribles assaillent les bateaux qui seuls osent s'y ha-
sarder.
Le Pommersches-Haff ou Stettiner-Haff a une su-
perficie égale à la moitié de celle du Frisches-Haff et
la même apparence.
L'île allemande de Kugen présente un littoral sem-
blable à celui du continent. Le^ eaux font des inva-
sions terribles lorsque les tempêtes du nord se déchaî-
nent dans ces parages, et l'on raconte qu'en 1309
elles séparèrent de Rugen la petite île de Ruden qui
en faisait partie, et qui en est actuellement distante
de plus de six kilomètres.
Les côtes allemandes de la mer du Nord ont un as-
pect analogue aux rivages baltiques. Encore et tou-
jours des îlots, des bancs de sables longeant la rive,
un territoire bas et sablonneux, une mer souvent ora-
geuse, à peine retenue par les nombreuses digues que
l'homme a pris soin de construire dans les endroits
les plus menacés. Les digues et les dunes ne l'ont pas
empêchée de s'étendre au loin dans les terres, et c'est
un triste spectacle que de voir, lors de fortes marées,
l'océan transformer en lagunes, en lacs, des territoi-
res entiers. Il fait alors des conquêtes terribles, qui
coûtent aux hommes leurs champs, leurs trésors, et
ce n'est qu'après des efforts inouïs qu'ils peuvent re-
prendre un lopin de terre sur leur ennemi dévorant
et toujours actif. Que de luttes, que d'angoisses, que
de misères la mer ne cause-t-elle pas ? Quelle doit
être l'inquiétude du pêcheur lorsque le bruit sourd des
flots, déferlant sur la plage, devient de plus en plus
menaçant? Emporteront-ils ou respecteront-ils sa ca-
bane, sa seule richesse? Telle est la question poi-
l'océan ATLANTIQUt:. 85
guante qui se présente à sou esprit. Et pourtant il
Taime. cette mer terrible; il l'aime, cette plage inon-
dée ; lïnsulaire chérit son île lors même qu'il la sent
minée par les flots jusque dans ses fondements. Il y
reste, il l'habite encore, jusqu'au moment de la terri-
ble catastrophe, alors qu'en un jour, en une heure
même, l'îlot disparaît devant la vague envahissante
qui ne respecte rien. Cest ainsi que beaucoup de pe-
tites îles disparaissent de nos cartes, c'est ainsi
que d'autres plus grandes s'amoindrissent, sans cesse
rongées par l'indomptable agent destructeur.
En l'an 800, la mer emporta une grande partie de
l'île anglaise d'Helgoland. En 1300, 1500, 1649, de
violents orages enlevèrent encore des portions de
cette île, que les flots sapent journellement.
En 1240, la côte occidentale du Sleswig fut modi-
fiée par l'eôet d'une eôroyable tempête, et le détroit
qui la séparait de l'île de Nordstrand s'élargit consi-
dérablement. En 1634, la mer transforma cette île
fertile et prospère en trois petit îlots nommés Pel-
worm, Xordstrand et Liitje-Moor. L'on raconte même
qu'elle détruisit plus de 1300 maisons et églises, et
fit périr 6408 personnes et 50,000 têtes de bétail.
De 1277 à 1287, le territoire de Reiderlandes fut
envahi par la mer qui détruisit la ville de Torum, 50
villages et couvents, et forma le golfe actuel du Dol-
lart.
La côte occidentale du Jutland est très-basse et
sujette aux invasions de la mer. Des digues et des
dunes la bordent. iVutrefois ces remparts étaient peu
solides et les inondations très-fréquentes, mais on a
fortifié les digues et ensemencé les dunes ; cependant
actuellement, les navires qui essuyent les terribles
8!) l'océan atlantique.
tempêtes de la mer du Nord ne trouvent aucun abri
dans les ports ensablés qu'on rencontre de loin en loin.
Au Nord de la presqu'île on reconnaît les empiéte-
ments de l'océan. Des maisons englouties, des arbres
submergés, des marais salés qui bordent la rive sem-
blent démontrer qu'elle s'affaisse. Mais M. Jules Car-
ret, dans son ouvrage sur le Déplacement polaire^ sou-
tient que ces preuves sont réfutables; et, dit-il, au
contraire, les amas de débris de repas d'hommes vi-
vant avant l'âge du bronze sont encore à plusieurs
pieds au-dessus de la mer.
La partie septentrionale du Jutland fut plusieurs
fois séparée du continent, mais après quelque temps
la mer délaissait sa conquête. Cependant, en 1825,
un nouvel envahissement eut lieu, et depuis ce mo-
ment le Lymfjord communique définitivement avec la
mer du Nord. L'isthme devint un détroit.
La côte orientale est meilleure que la côte occi-
dentale, quoiqu'elle soit de même basse et sablon-
neuse.
Les îles de la Baltique qui appartiennent au Dane-
mark présentent le même aspect, sauf celle de Born-
holm, qui est assez escarpée.
Les Farôer et l'Islande sont bordées de falaises
très-hautes. Leur côte est découpée en golfes pro-
fonds.
Les Pays-Bas appartiennent autant à la mer qu'à
la terre. C'est un pays de transition qui était couvert
dans l'antiquité de forêts épaisses, de lagunes, de
marais fangeux, dont jamais la voix du pêcheur ne
troublait la solitude. Tout était silence et mort. Peu
à peu le pays se peupla, se défriclia. Pour se défen-
dre contre les assauts delà mer, on fit d'abord des di-
l'océan atlantique. 87
gues en terre. ^lais ces constructions légères ne suf-
fisant pas, on dut aller chercher au loin le roc qui
manquait aux Pays-Bas; on fit des écluses qui s'ou-
vrent à la basse mer pour laisser couler les fleuves, et
se ferment à la haute mer; on mit à profit, par des
plantations de bruyères, de joncs, de roseaux, la
cliaîne de dunes qui borde l'océan de l'embouchure
de la Meuse au Helder. Mais que de fois les espé-
rances furent déçues, que de fois la mer envahit des
territoires qu'on s'était plu à regarder comme inatta-
quables !
Les années 1287 et 1421 furent particulièrement
néfastes, car c'est alors que se forma le Zuider-Zée.
Jadis on remarquait, à la place du golfe actuel, un
lac d'où s'échappait une rivière aux méandres nom-
breux. Le lac et le fleuve portaient le nom de Flevo.
Mais à la suite de terribles irruptions de la mer,
lorsque celle-ci eut emporté les digues et réuni le lac
au domaine de l'océan, il se forma un golfe vaseux
de 100 kilomètres de longueur sur 40 de largeur.
L'ancienne limite de l'océan peut être facilement re-
connue dans la chaîne des petites îles basses qui joi-
gnent le Helder à l'embouchure du Weser.
On formerait un long catalogue des inondations
qu'ont éprouvées les Pays-Bas dans le cours des siè-
cles. Qu'il suffise de donner quelques dates :
En 1337, la mer détruit quatorze villages dans
l'île de Kadzand, dans la Zeelande. Cette même île
vit souvent ses digues emportées, et particulièrement
entre 1703 et 1746.
En 1421, une inondation cause la ruine de vingt-
deux villages dans le Bergseweldt et forme le Bies-
bosch.
88 l'océan atlantique.
Del530àl532,la ville de Kortgene, dans l'île
de Nord-Beveland, dans la Zeelande, est renversée
par la mer, et l'île de Sud-Beveland voit sa partie
orientale emportée avec plusieurs villages.
En 1570, une tempête détruit la moitié du village
de Sclieveningen, au nord-ouest de La Haye.
Mais ces ravages terribles, dira-t-on, doivent être
de jour en jour moins considérables par suite de la
puissance et du génie toujours croissants de l'homme.
Il n'en est pas ainsi cependant. — En 1876, on a vu
la mer menacer la ville d'Amsterdam, et ravager toute
la plaine qui se trouve au sud du Zuider-Zée. Aussi
doit-on comprendre les soins continuels donnés à l'en-
tretien des digues et des écluses. Qu'on nous per-
mette à ce sujet de citer les lignes suivantes, tirées
d'un ouvrage sur la Hollande de M. E. de Amicis,
écrivain italien * .
« La Hollande est une forteresse, et le peuple hol-
landais y demeure comme dans un fort, toujours sur
le pied de guerre avec son ennemi, la mer. Une ar-
mée d'ingénieurs, sous les ordres du ministre de l'in-
térieur, est éparpillée sur la contrée et commandée
miHtairement pour surveiller l'ennemi, veiller sur le
régime des eaux intérieures, prévenir la rupture des
digues, ordonner et diriger les travaux de défense.
Les frais de cette guerre sont partagés : une partie
regarde l'Etat, une autre partie les provinces ; tout
propriétaire paie, outre l'impôt général, un impôt spé-
cial pour les digues en proportion de retendue de sa
propriété et de son voisinage de Feau. Un accident,
une rupture imprévue, une imprudence, peuvent oc-
^ Traduction inédite de M. F. de Morsier.
l'océan ATI-ANTIQUE. 89
casionner un déluge ; le danger est continuel, les sen-
tinelles sont à leur poste sur le rempart ; à la pre-
mière menace de la mer ils poussent le cri de guerre,
et la Hollande envoie bras, matériaux et argent, et
même quand il n'y a pas de grandes batailles livrées
règne un état de guerre sourde et lente. D'innombra-
bles moulins, même sur les lacs desséchés, continuent
à travailler sans trêve pour épuiser et verser dans les
canaux l'eau de pluie et celle qui sourd du sol. Cha-
que jour les écluses des golfes et des fleuves ferment
leurs portes gigantesques à la haute marée qui essaie
de lancer ses flots au cœur du pays. On travaille con-
tinuellement à renforcer les digues précaires, à for-
tifier les dunes avec des plantations, à fonder et à
élever, là où les dunes sont basses, de nouvelles di-
gues dirigées en droite ligne contre le sein de la mer
pour en rompre les premiers assauts ; et la mer frappe
éternellement aux portes des fleuves, murmure par-
tout des menaces, soulève ses flots curieux comme
pour regarder la terre qu'on lui dispute, amoncelle
des bancs de sable devant les ports pour tuer le com-
merce de la cité invisible, ronge^ lime ses côtes, et
ne pouvant renverser les boulevards contre lesquels
elle épuise ses efforts inutiles en lames d'écume fu-
rieuses, elle jette à leur pied des bâtiments pleins de
cadavres, pour qu'ils annoncent aux côtes rebelles
son courroux et son pouvoir. *
En présence d'un tel danger, on peut se figurer les
sommes énormes dépensées pour l'entretien des tra-
vaux de défense, ainsi que les dimensions de ces tra-
vaux.— M. de Amicis cite par exemple la Zeelande,
où les digues présentent une longueur de 400 kilomè-
tres; Tîle de AValchereu, qui possède sur la côte oc-
90 l'océan ATLAiNTIQUE.
cideiitale une digue dont les frais de construction, en
y ajoutant les frais d'entretien, ont été estimés à une
somme égale à la valeur qu'aurait la digue elle-même
en supposant qu'elle fût d'argent massif; le Helder,
ceint d'une digue de 10 kilomètres de longueur, qui
s'enfonce de plus de 60 mètres sous la mer.
Les nombreuses îles situées à l'embouchure du
Pthin, de la Meuse et de l'Escaut, sont particulière-
ment menacées, car la mer y cause sans cesse des
inondations. Aussi pense-t-on que ces îles sont soumi-
ses à une lente dépression.
La Hollande ne se contente pas de lutter avec la
mer; elle lui ravit des territoires, elle dessèche, elle
épuise des lacs, des golfes, rend cultivables d'ancien-
nes lagunes, et ce ne sont pas les terres les moins ri-
ches, ces polders que la patience et le génie de
l'homme ont conquis sur l'océan. On dessèclie le Bies-
bosch, et depuis longtemps la mer de Haarlem ne li-
gure plus sur nos cartes.
Dernièrement encore, on a soumis aux Chambres
hollandaises le projet de rendre au continent la plus
grande partie du Zuider-Zee. Les études sont déjà
commencées, et Ton peut espérer que la constance
des Hollandais saura mener à bien cette œuvre gigan-
tesque.
Moins menacés que les côtes de la Hollande, les
rivages belges nécessitent néanmoins une surveillance
continuelle. La longue ligne de dunes qui les borde
n'est pas une barrière assez puissante pour contenir
l'océan. Du reste, ces côtes presque rectilignes, de
70 kilomètres de longueur, ne sont pas pourvues de
bons mouillages. Les ports de commerce importants
sont plutôt situés dans l'intérieur, sur les rives des
l'océan atlantique. 91
neuves navigables, dont la Hollande et la Belgique
sont abondamment favorisées.
CHAPITRE XXYI.
Côtes des Iles-Britanniques, de la France, de
l'Espagne et du Portugal.
« Les côtes 0^ Angleterre ' présentent à la mer un
front inégal : tantôt elles se creusent en baies profon-
des, tantôt elles s'étendent en vastes promontoires.
Ici, le flot vient mourir sur le sable fin d'une grève
sans écueils ; plus loin des bancs de craie s'élèvent à
pic du sein des flots, ou des roches noires et informes
dressent leurs têtes couronnées d'algues vertes. En
quelques endroits la rive dessine sur les ondes sa si-
lhouette capricieuse, déchiquetée en petites anses et
en pointes bizarres, comme les dents d'une scie ébré-
chée. »
Les rives de l'Angleterre appellent, pour ainsi
dire, les vaisseaux. Nulle part le monde ne présente
une terre plus propice à la navigation. Là sont réunis
tous les avantages que la nature peut offrir à l'homme.
Point de delta dont les bas-fonds arrêtent la marche
du navigateur, mais des estuaires nombreux et lar-
ges au moyen desquels les navires peuvent venir dé-
poser leur cargaison au sein même d'une ville manu-
facturière; pas de côtes droites sans baies, sans abris
et par conséquent sans ports, mais partout des fîrths,
des lochs, c'est-à-dire des golfes ramifiés sur les riva-
^ Univers pittoresque. Angleterre, par Gallibert et Pelle.
92 l'océan atlantique.
ges desquels le commerce s'établit ; partout une mer
profonde, peu d'écueils. Voilà ce qui distingue l'An-
gleterre entre toutes les régions maritimes.
C'est la côte orientale qui présente le moins d'avan-
tages aux marins. La mer du Nord, souvent mau-
vaise, déferle avec force contre les dunes et les pla-
ges basses. Large de sept kilomètres à Sheerness,
l'estuaire de la Tamise , quoique encombré de bancs
de sable, a une navigation sûre parce que les nom-
breux phares indiquent aux navigateurs les bas-fonds
à redouter et les passes qu'il faut suivre. Au Sud se
trouvent les bancs de sable de Goodwin, si redoutés
des matelots ; au Nord, les côtes assez élevées sont bor-
dées de dunes, mais la faible profondeur du golfe du
Wash et les marécages empêchent les ports de s'éta-
blir.
Ces marécages se rencontrent encore plus au Nord
et les travaux d'endiguement sont nécessaires ; mais
après l'estuaire de l'Humber les rivages vaseux font
place aux collines, aux montagnes, et la mer y devient
profonde, de sorte qu'à partir de l'embouchure de la
Tweed la côte (ï Ecosse perd le caractère rectiligne
et se creuse en découpures profondes. Les golfes du
Forth, du Tay, de Murray, de Dornoch sont les prin-
cipaux. Au Nord, du cap Duncansby au cap Wrath,
le paysage côtier devient hérissé de pointes graniti-
ques, et ce caractère s'accentue encore davantage
sur la côte occidentale, qui rappelle la Norwége par
ses golfes, ses falaises et ses myriades de petites îles.
Les côtes anglaises de l'Ouest présentent le même
aspect mais à un moindre degré; bordées par les
monts du Cumberland et plus au Sud par les monta-
gnes du Pays de Galles, elles sont de même mon-
l'océan atlantique. 93
tueuses, abruptes et découpées. Le spacieux canal
de Bristol est bordé, au Sud. de plages basses, et au
Nord, de rivages élevés.
Sur la côte méridionale, presque toujours haute et
escarpée, la mer, sillonnée par des courants d'Ouest,
est mauvaise, quoique sans écueils.
Cependant devant Plymouth, le célèbre phare
d'Eddystone deux fois détruit, révèle au marin un ro-
cher dangereux. Ce qui distingue particulièrement
cette côte, ce sont les falaises blanchâtres que l'on
aperçoit dans la brume lorsqu'on a quitté les côtes
françaises, falaises dont l'aspect a valu à l'Angleterre
l'ancien nom d'Albion par lequel les poètes la dési-
gnent encore.
C'est jouir d'un spectacle à la fois majestueux et
terrible, que devoir, lors d'une tempête, les vagues
écumeuses chargées de débris venir sans cesse assail-
lir la base de la falaisse. Elles arrivent et leur masse
immense vous effraye, vous glace de terreur, quel-
quefois le vertige s'empare de votre être, vous quittez
la terre et vous croyez entendre, au-dessus du fracas
des vents déchaînés, la voix du génie des mers com-
mandant aux légions blanchissantes.
Lorsque la base de la falaise a été minée, que les
roches qui la composaient ont été délayées et empor-
tées par la mer, un bruit terrible semblable au ton-
nerre lointain, annonce que la partie supérieure s'est
affaissée dans l'Océan.
Cette destruction des falaises est très-rapide, car
on a calculé que, dans la portion orientale de la Plan-
che, la mer en enlève plus de deux mètres par année.
Les côtes occidentales de Y Irlande présentent le
même aspect que les rivages correspondants de la
MÉMOIRES, T. XVI, 1877. 7
94 l'océan atlantique.
Grande-Bretagne; les baies deBantry, de Dingle, le
vaste estuaire du Shannon, le golfe de Galwaj^, et
d'autres, s'avancent parallèlement dans les terres ;
les côtes sont aussi, en maints endroits, bordées de fa-
laises, et M. E. Reclus cite celles de Ballybunion, au
Sud de l'embouchure du Shannon, comme ayant été
détruites par la combustion. En effet la mer ayant
mis à découvert les pyrites de fer et les strates bitu-
mineuses que contenait la falaise, celles-ci s'allu-
mèrent lorsque les pyrites exposées à l'air furent sou-
mises à une trop grande oxydation.
Les côtes méridionales et orientales sont moins dé-
coupées que les rivages occidentaux.
Les deux baies de Carlingford et de Strangford ne
communiquent avec la mer que par des chenaux très-
étroits; enfin, au Nord de l'Irlande, les voyageurs
vont visiter et admirer la célèbre Chaussée des
Géants dont les innombrables colonnes basaltiques
étonnent l'imagination.
Les îles qui environnent la Grande-Bretagne et
l'Irlande sont remarquables, soit à cause de leurs
avantages commerciaux, soit par leur tournure capri-
cieuse et pittoresque. Les îles Shetland, les Orkney
et les Hébrides occidentales se dressent au sein d'une
mer tourmentée. Le Minsh et tous les détroits qui
séparent ces îles présentent une navigation difticile,
surtout lors des terribles courants de syzygies. Les
îles de Man et d'Anglesey, dans la mer d'Irlande,
ainsi que celle de Wiglit, dans la Manche, offrent
d'excellents ports.
Les côtes de la France sont diverses. Ici favora-
bles à la navigation, là se refusant à l'établissement
des ports, elles n'ont pas sur l'Atlantique de carac-
l'océan atlantique 95
tère dominant. On remarquera toutefois que les du-
nes et les rivages bas se trouvent particulièrement
au Sud, tandis que les falaises, les rochers granitiques,
et en général les côtes élevées bordent la lîretagne
et le Nord.
La France * ne possède sur la mer du Nord qu'une
étendue de côtes de 80 kilomètres ; marécageuses et
noyées vers la Belgique, elles deviennent plus élevées
sur les bords du Pas-de-Calais.
Les courants côtiers, le peu de profondeur de la
mer, les bancs que le Ilot accumule, tout y rend la
navigation difticile ; les ports se comblent lentement,
et les gros navires ne peuvent plus y entrer que pen-
dant quelques heures de haute mer.
Sur toutes les rives françaises de la Manche on a
pu constater une dépression lente mais continue du
sol, dépression qui se poursuit au Nord jusqu'aux
embouchures du lîhin, delà Meuse et de TEscaut.
Il est vrai que plusieurs points, comme Testuaire
de la Somme. Boulogne, Gra vélines, Dunkerque, su-
bissent une lente émersion ; mais la dépression a été
constatée en de plus nombreux endroits. Déjà pen-
dant le neuvième siècle, la mer avait englouti plu-
sieurs vallées et quelques villages de la Bretagne.
Aujourd'hui, d'après M. Delesse, des forêts sous-
marines se rencontrent à Nessau sur le Pas-de-Ca-
lais, sur la côte occidentale du Cotentin, près de
Cherbourg, sur plusieurs points du littoral normand,
à St.-Malo, à Dol,àPlouescat et sur d'autres rivages.
Ce n'est pas tout : l'on a trouvé beaucoup de tourbiè-
res sous-marines, des restes de constructions recou-
^ Pour cette description des côtes françaises, nous avons particu-
lièrement consulté la Géographie générale de Louis Grégoire.
9o l'océan atlantique.
vertes par les eaux ; enfin le Mont St. -Michel, com-
plètement entouré par le flot à marée hante, était, au
huitième siècle, si l'on en croit les cartes et les docu-
ments recueillis, à 10 lieues de l'Océan et en pleine
foi-êt.
En suivant les rivages français de la Manche^ nous
remarquons au Nord un littoral rectiligne, bas et sa-
blonneux, bordé de bancs de sable, où seul le port de
Boulogne a quelque importance.
Bientôt aux plages basses succèdent les dunes et
surtout les falaises, qui dans le pays de Caux, s'élè-
vent quelquefois à 100 mètres de hauteur. Elles sont
soumises du reste, comme celles d'Angleterre, à une
active érosion. L'estuaire de la Seine, encombré
de bancs de sable, a été amélioré; mais la barre
d'eau Y atteint une force inouïe lors des marées de
syzygies.
Entre l'embouchure de la Seine et la presqu'île du
Cotentin, les rochers et les falaises alternent avec les
plages basses. La presqu'île du Cotentin est partout
bordée de sables, sauf aux extrémités Nord-Est et
Nord-Ouest, entre lesquelles se trouve l'excellente
rade de Cherbourg, position stratégique d'un immense
avantage. Les parcs d'huîtres tant artificiels que na-
turels se rencontrent particulièrement sur la côte
occidentale de la péninsule et dans la baie du Mont
St. -Michel, oii Cancale a acquis à cet égard une juste
renommée.
La baie de Saint-Brieuc, les départements des Cô-
tes du Nord et du Finistère, ont des rivages connus
par leur caractère âpre et sauvage. Partout des
écueils que les nombreux phares signalent aux navi-
res, partout des rochers de granit, des falaises sur
l'océan atlantique. 97
le sommet desquelles le pilleur d'épaves, si triste-
ment célèbre, faisait jadis promener, par les nuits de
tempête, la lumière que les vaisseaux en détresse
prenaient pour le fanal d'un navire, et dont ils n'ap-
prochaient que pour se briser sur les rochers.
Les mêmes caractères se retrouvent sur les côtes
occidentales et méridionales de la Bretagne. C'est là
que se trouvent la rade de Brest, qui offre un refuge
certain, et la baie de Douarnenez, large et profonde,
dans laquelle on a découvert les vestiges d'anciennes
constructions.
La rade de Brest a un grand nombre d'huîtrières.
L'embouchure de la Loire, quoique large et bien
ouverte, est de plus en plus envahie par les sables.
C'est pourquoi Saint-Xazaire, de fondation récente,
tend à l'avir à Nantes son importance commerciale.
Après l'embouchure de la Loire, bordée de dunes,
les côtes des départements de la Loire-Inférieure, de
la Vendée et de la Charente-Inférieure différent to-
talement des précédentes. C'est ici particulièrement
que l'on peut observer le comblement des golfes et la
destruction des promontoires. Aussi la côte devient-
elle rectiligne, de découpée qu'elle était auparavant.
Ce n'est pas tout; cette portion des rives de la France
semble être soumise à une lente émergence, car File
de Noirmoutiers est de plus en plus reliée au conti-
nent, et l'ancienne île de Bouin, dans la baie de
Bourgneuf, fait maintenant partie de la terre ferme.
Les plages sont sablonneuses, bordées de marais sa-
lants très-productifs et, en quelques lieux, de dunes;
mais les ports s'ensablent et le commerce va en décli-
nant sur la côte, tandis que les estuaires de la Ciia-
98 l'océan atlantique.
rente et de la Gironde sont de plus en plus fréquen-
tés par les vaisseaux.
Delà pointe de Grave, sur l'estuaire delà Gironde,
à l'Adour, la côte française a un aspect uniforme.
L'esprit s'étonne en contemplant ces rivages : pas de
golfes aux contours capricieux, pas de ports, pas
même de villages, mais des dunes enchevêtrées et des
forêts de pins qui gémissent tristement lorsque le
vent de l'Océan fait plier leurs longs branchages. Le
voyageur s'inquiète, il cherche au loin sur la mer,
mais son œil ne contemple que l'Océan désert, car le
vaisseau marchand s'éloigne de ces plages inhospita-
lières sur lesquelles les flots sombres ne cessent de
déferler avec violence.
Poussés vers les côtes françaises par le courant de
Rennell et les courants côtiers, les sables que la mer
enlève sans cesse aux rivages de l'Espagne s'accumu-
lent sur le littoral des Landes et de la Gironde; le
vent en confectionne des dunes qui repoussent vers
l'intérieur l'eau pluviale et forment des marais
côtiers qui, ne pouvant s'écouler vers la mer, de-
viennent malsains. Tels sont les étangs de Carcans,
de Cazau, de Sanguinet, du Porge, de Saint-Julien,
de Léon. Les habitants cependant cherchent par tous
les moyens possibles à défricher ces espaces incultes.
Déjà sur le conseil de Brémontier, ils ont arrêté les
dunes au moyen de semis de pins maritimes ; mais il
se passera encore de longues années avant que le pays
soit couvert d'une végétation utile.
Le seul port de toute la côte est La Teste deBuch,
située sur le bassin d'Arcachon^, vaste golfe qui se
trouve à mi-chemin entre la Gironde et l'Adour. Ce
petit port et l'établissement voisin des bains d'Arca-
l'ockan atlantique. 99
clion ont assurément une grande importance, si l'on
considère que ce sont les uniques débouchés de toutes
les Landes. Aussi l'amélioration de leurs conditions
commerciales a-t-elle beaucoup préoccupé les autori-
tés; à plusieurs reprises, le gouvernement a ordonné
des études concernant surtout la sécurité de la passe
qui donne entrée dans le golfe. Ces enquêtes ont con-
staté qu'elle s'ensable rapidement, et qu'en outre, elle
se déplace vers le Sud, car le cap Ferret, qui la do-
mine au Xord, s'allonge sans cesse. A ce sujet M. de
Beaumont ' fait remarquer que ce déplacement et cet
ensablement ne proviennent pas des ap])orts de la mer,
mais plutôt des sables charriés par le courant qui va
du golfe à l'Océan. Les eaux de la Leyre, dit-il, le
seul affluent du bassin d'Arcachon, donnent au reflux
une force plus grande que celle du flux; par suite un
courant limoneux assez fort s'établit par intervalles,
surtout lors des fortes marées. Aussi a-t-on décidé
qu'il est nécessaire de fixer la côte sud du passage,
afin de donner au reflux une direction normale de telle
sorte qu'il se creuse lui-même un lit profond où la na-
vigation pourra s'aventurer sans crainte.
D'autre part, il est hors de doute que l'érosion et
l'aftaissement unissant leur action, les eaux de la mer
s'avancent au sein des pays qui entourent le bassin.
D'après M. Girard*, le fort Cortin est actuellement
sous les eaux, et la forêt de Moulleau, autrefois éloi-
gnée du rivage, en est aujourd'hui très-rapprochée.
Ces phénomènes s'observent aussi à l'erabouchui'e de
la Gironde où, en 90 ans, la pointe de Grave a dis-
paru sur une longueur de 1200 mètres.
* Le Glohe, 1869, livraisons 1 à 4; 1S72, livraisons 1 et 2.
* Bulletin de la Société de géographie de Paris, septembre 1375.
100 l'ockan atlantique.
Au sud de l'Adour, la côte française change d'as-
pect. Bordée de falaises et de bancs de rochers, la
mer y cause souvent des naufrages, et les sables ob-
struent l'embouchure de l'Adour qui, en 1500, a dû
abandonner son lit pour se creuser une nouvelle issue.
Des travaux l'ont ramené à son cours primitif.
A l'embouchure de la Bidassoa commence la côte
espagnole, d'abord rectiligne jusqu'au cap Ortégal '.
Quoique les montagnes des Asturies s'avancent près
de la rive, la mer vieut mourir sur une plage sablon-
neuse et agréable, que fréquentent, surtout à l'Est,
les V03^ageurs attirés par les sites charmants et les
villes gracieuses qui embellissent le fond du golfe de
Biscaye, Malheureusement le sable et les débris
qu'apporte le courant d'Ouest tendent à combler les
baies et les ports, et à construire des flèches sablon-
neuses en avant des détroits par lesquels les golfes
communiquent avec la haute mer. C'est ainsi que la
baie de Pasages, malgré sa position magnifique, n'est
plus fréquentée par les vaisseaux; que Fontarabie et
St. -Sébastien, qui pourraient, grâce au voisinage de
la France, faire un grand commerce, sont peu impor-
tants à cause de leur défaut de sûreté.
A cause de son climat, de ses montagnes, de ses
fleuves et de sa côte rocheuse, la région océanique de
l'Espagne du Nord est comparée avec raison par M.
Reclus à la Bretagne française ; cependant la côte oc-
cidentale de la Galice, par ses longs golfes ramifiés,
nommés rias en espagnol, rappelle la Norwége. Ces
rias ont-ils la même origine que les fjords norwé-
* Dans la description des côtes espagnole et portugaise, nous
avons particulièrement pris pour guide la Géographie universelle de
M. Reclus.
I,'()CÉA.\ ATLANTIQUE. 101
gieiis? Il est permis de le supposer. La configuration
de la contrée, le climat et même la présence, dans ces
golfes, d'espèces septentrionales d'animaux, le prou-
vent suffisamment. Ici, comme dans le Nord, leur uti-
lité est grande, car leur position à l'angle nord-ouest
de la péninsule en fait des points de relâche d'autant
plus importants que par leur grande profondeur et
leurs découpures, ils forment des ports excellents.
Les autres rivages espagnols baignés par l'Atlanti-
cpie ne ressemblent guère aux côtes dont nous venons
de parler. Le long de la courbe gracieuse que décrit
la rive, du Guadiana au détroit de Gibraltar, s'éten-
dent des territoires bas et sablonneux, bordés en
quelques lieux de dunes, et découpés de loin en loin
par les estuaires du Rio Tinto, du Guadalquivir, par
la rade de Cadix et le cap Trafalgar. Les alluvions
des rivières emplissent les bras xle mer, et forment
des bancs dangereux qui entravent la navigation.
C'est ainsi que Palos a vu son port se combler peu à
peu, et que rembouchure du Guadalquivir, bordée de
maremmes malsaines, n'est plus accessible qu'aux ca-
boteurs. Aussi, le commerce de cette partie de la
côte, loin de s'arrêter à la ville de San Lucar de Bar-
rameda, à l'embouchure du Guadalquivir, a-t-il choisi
pour centre l'excellente rade de Cadix, sûr refuge
des navires.
A l'exception du promontoire de Sagres, de l'es-
tuaire du Tage et de celui du Rio Sado^ les plages
■portugaises s'allongent partout en longues lignes sa-
blonneuses. C'est particulièrement dans le Nord, lors-
qu'il a quitté les montagnes de la Galice et les rias,
que l'aspect de ces rivages bas et sans découpures
frappe l'imagination du voyageur. Du pont du navire
102 I/OCÉAN ATLANTIOUE.
qui longe la rive, il distingue la ligne de dunes cou-
verte de forêts de sapins, les étangs côtiers où vien-
nent se jeter les rivières, les estuaires du Minho et
du Douro, dont les passes sont de faible profondeur.
Plus au Sud il voit les dunes d'Aveiro^ et il apprend
que ce petit port pourrait avoir une plus grande im-
portance sans le banc de sable mobile qui obstrue
Tenibouchure du Rio Vouga. Le même fait se présente
pour Figueira da Foz sur le Mondego.
De ce fleuve au cap Carboeiro, le navire côtoie une
côte basse, rectiligne, et franchit bientôt, en doublant
ce cap, le banc de sable qui le joint aux îles Berlin-
gas. Alors le paysage change. Seul au milieu des plai-
nes de sable, un petit chaînon de la Sierra d'Estrella
vient errer jusqu'à la côte en longeant le Tage. Trou-
vant son point culminant dans le promontoire qui se
termine par le cap Saint-Roque, cette partie de la
côte devient plus élevée ; et la profondeur de la passe
qui donne entrée dans l'estuaire atteint partout plus
de 30 mètres. Ce grand avantage de l'embouchure du
Tage sur celles du Douro et du Minho a fait de Lis-
bonne le principal port du Portugal. Plus au Sud, le
passager du navire double le cap Elspichel aux riva-
ges escarpés, et pénètre dans l'estuaire du Rio Sado,
position magnifique, à l'abri des coups de vent. Ce
golfe est bordé au Nord par un abrupt chaînon et au
Sud par une plage basse et des dunes. C'est la plus
importante des rares découpures qu'on rencontre jus-
qu'au promontoire rocheux de Sagres, à partir duquel
la côte portugaise, basse quoique longée par des mon-
tagnes, décrit une courbe gracieuse jusqu'au cap
Ste-Marie, puis se relève vers le Nord jusqu'au Gua-
diana, limite du Portugal avec l'Espagne à l'Est.
l/OCÉAN ATVANTIQUE. 103
On remarque principalement sur ce rivage les flè-
ches sablonneuses qui s'étendent à peu de distance,
particulièrement près de Tavira, où elles laissent
entre elles et la terre ferme des canaux sillonnés par
les barques qui y bravent le vent du large, ainsi que
la houle, dont ces bancs amortissent les premiers as-
sauts.
CHAPITRE XXVII
Côtes d'Afrique.
Le détroit de Gibraltar, point de réunion de deux
mers, n'a probablement pas toujours séparé l'Europe
de l'Afrique, car il y avait au contraire en cet endroit
un isthme rocheux, lorsque la Méditerranée com-
muniquait soit avec l'Océan indien par Suez, soit avec
rOcéan glacial au moyen de la dépression qui s'étend
de la mer Noire à la mer Caspienne et qui se con-
tinue le long de l'Obi.
Dépassant cette large porte marine, plutôt pro-
duite par l'érosion que par un mouvement volcanique
du sol, nous apercevons les plages africaines^ dont
nous commencerons la description succincte par quel-
ques mots sur la côte du Maroc.
Longue de 850 kilomètres sur l'Atlantique et pré-
sentant de nombreuses sinuosités, elle se trouverait
dans des conditions économiques beaucoup plus avan-
tageuses, si l'administration de la contrée était placée
dans des mains plus libérales, et si des travaux intel-
ligents étaient entrepris pour arrêter l'ensablement
104 l'océan atlantique.
de ses ports et des estuaires de ses fleuves. Cette der-
nière condition n'aurait pas seulement pour consé-
quence le développement du négoce : elle empêcherait
l'inondation de tous les rivages pendant la saison des
pluies; car l'énorme volume d'eau qu'amènent alors
les toiTents de l'Atlas, ne pouvant s'écouler dans l'O-
céan, se répand sur les rivages bas et sablonneux
qu'il transforme en marais insalubres*. Du reste le
Maroc ne possède pas de bons mouillages; le seul
port de Mazagan pourrait, au moyen de quelques tra-
vaux indispensables, devenir une place maritime im-
portante et très-sûre, tandis que Mogador, Saffi, La-
raclie, Rabat sont trop exposés aux tempêtes, aux cou-
rants et à l'envahissement des sables. Tanger lui-
même ne doit son existence qu'à la place forte de
Gibraltar qu'elle approvisionne.
Les rivages sahariens sont plus déserts encore que
les plages marocaines. Là, le voyageur ne rencontre
aucun port, si ce n'est le comptoir français de Porten-
dik, d'une importance minime; mais il aperçoit plutôt
des écueils en grand nombre, des bancs terribles, tels
que celui d'Arguin, au sud du cap Blanc, contre le-
quel sont venus s'échouer tant de navires, et des du-
nes longues et tristes, qui s'élèvent à 180 mètres près
du cap Bojador. Ces dunes se continuent dans la Sé-
négamhie, dont la plage basse est souvent inondée.
St. -Louis lui-même, débouché de tout le haut pays,
est un port sans importance, car les navires, ne pou-
vant pai'venir à l'îlot de sable sur lequel la ville est
bâtie, s'arrêtent à Guet N'Dar, après avoir franchi
des brisants redoutables, et ce sont des canonnières
' Le Maroc, par Barhié du lîocage. — Bulletin de la Société de
géorirophic de Paris, mai et juin 18G1.
L'oCKAN ATLAMIOL'E. 105
qui, à travers la barre souvent dangereuse du Séné-
gal, transportent hommes et marchandises dans la ca-
pitale de la colonie ' .
De la Sénégambie au cap Lopez s'étend la côte de
Guinée septentrionale, qui se divise suivant le genre
de commerce qui s'y pratiquait, en côte des Gi'aines
ou du Poivre, d'Ivoire ou des Dents, côte d'Or, des
Esclaves, et qui comprend en outre les établissements
anglais de Sierra Leone, le royaume de Bénin, la
côte de Calabar, et entin le Gabon, possession fran-
çaise. Qu'on jette les regards sur une carte nautique
détaillée de ces parages, et l'on s'apercevra que tou-
tes ces plages rectilignes, basses et couvertes de ma-
récages, sont bordées de bancs redoutables formés
par l'accumulation des sables qu'apporte le courant
côtier. Aussi l'établissement de ports sûrs est-il diffi-
cile; et même, la chose serait-elle possible, que ces
ports seraient inhabitables par suite de l'insalubrité
de la contrée. La côte d'Or seule fait exception : elle
est rocheuse et saine.
Au sud du cap Lopez commence la Guinée méri-
dionale ou Congo, oiî les Portugais possèdent des éta-
blissements que l'abolition de l'esclavage a presque
ruinés, mais qui, au moyen d'un commerce licite, ver-
ront s'agrandir leur importance. La région littorale,
basse et souvent marécageuse, présente en beaucoup
de points, comme dans la Guinée septentrionale, une
exubérante végétation. Malheureusement ces lieux
fertiles sont précisément les plus malsains, tandis que
les rivages déserts sont relativement salubres et ha-
bitables.
' La Sénégambie française, par Dournaux-Diipéré. — Bulletin
de la Société de géographie de Paris, juillet 1871.
106 l'océan atlantique.
Brûlantes et malsaines, les îles du golfe de Guinée
nous arrêteront peu, quoique leur position excellente
puisse en faire de grands centres de commerce. Fer-
nando-Po, possession espagnole, a de bons mouilla-
ges^ mais Corisco et Annobon, qui appartiennent aussi
à l'Espagne, sont délaissées parles navires, de même
que les colonies portugaises de Prince et de Saint-
Thomé.
Après le cap Négro, la côte, à laquelle on donne
souvent le nom à'Amhébasie, devient déserte et
aride. Elle possède quelques bons mouillages, mais
le commerce ne peut se développer dans ces parages
dénués de toute végétation. L'embouchure du fleuve
Orange est obstruée par des sables au sein desquels
l'eau se perd en été.
Le pays du Cap a un littoral découpé et des baies
d'une navigation sûre; la principale est la baie de la
Table, sur laquelle se trouve la ville du Cap, point de
relâche des navires qui vont aux Indes. Cette baie
est soumise pendant trois mois à un terrible vent du
Sud-Est, que Le Vaillant s'est plu à décrire dans le
récit de ses voyages.
Quittant les rivages continentaux, le vaisseau qui
nous a portés le long des côtes orientales de l'Atlan-
tique, va, dans une rapide excursion, nous faire visi-
ter le littoral américain ; mais avant d'entreprendre
ce voyage, qu'il nous soit permis de relâcher dans les
rares îles qu'il rencontrera sur sa route, du cap de
Bonne-Espérance au (Troënland. FA d'abord, faisant
un détour que les voyageurs autorisent, il nous laisse
jeter un coup d'œil aux îles de Trisian d'Acimha,
points de ravitaillement d'une grande importance pour
les navires qui vont en Australie ; ce qui explique le
l'océan atunïIijue. 107
nom d'ish'S of Befreshment (îles de relâche) que leur
out donné les Anglais. Montagneuses, ces îles ont de
bous ports.
Le cap au nord, notre navire nous conduit à lîie
Sainte-Hélène dont nous apercevons de loin les fa-
laises hautes de 300 à 400 mètres ; murailles d'une
illustre prison, elles se dressent sur tout le périmètre
de l'île de telle manière que celle-ci n'est abordable
qu'au nord-ouest, où se trouve la baie de Jamestown.
Portés vers le nord-ouest par le courant équatorial
qui se fait déjà sentir, nous abordons bientôt à l'île
montagneuse de V Ascension dont le bon mouillage
nous abrite contre les tornades, puis, malgré les ou-
ragans et les calmes de la région équatoriale, nous
franchissons l'espace qui sépare cette île de Tarchipel
du Ca2) Vert, aux côtes stériles et malsaines et nous
jetons l'ancre aux Canaries, îles chaudes mais salu-
bres. Les unes, celles du nord, ne sont que des rocs nus ;
les autres, quoique montueuses et ceintes, tantôt de
rochers inaccessibles, comme dans la Grande-Cauarie,
tantôt de côtes basses et stériles, sont, en quelques
lieux, fertiles et pourvues de bons ports. Plus au nord,
le climat délicieux de Madère nous attire, mais sa ca-
pitale, Funchal, a un port détestable.
Les dernières îles qui nous arrêtent encore avant
de passer de Tancien au nouveau continent, sont les
Açores dont les abords dangereux effraient les na-
vires. Les bons ports y manquent, et cependant cet
archipel est un des rares points de relâche des vais-
seaux qui fout la traversée d'Europe en Amérique.
108 l'océan atlantique.
CHAPITRE XXVIII.
Côtes d'Amérique.
k
Le Groenland ou Terre Verte ne mérite certaine-
ment plus cette appellation gracieuse que lui avaient
donnée ses découvreurs. L'intérieur est inconnu ; quant
aux côtes, on ne pourrait guère s'imaginer un pays
plus froid, plus stérile, plus désolé. L'hiver, elles
sont couvertes d'une épaisse couche de glaces qui,
sans disparaître complètement l'été, laissent apercevoir
alors les découpures du littoral qu'elles encombrent
de leurs cathédrales transparentes aux formes. bi-
zarres, de leurs tours élevées, de leurs aiguilles élan-
cées, de leurs montagnes dont la masse étonne l'ima-
gination. Ces découpures, plus fréquentes et plus
profondes sur la côte occidentale que sur le rivage
oriental, sont souvent bordées de montagnes abruptes
et élevées sur lesquelles se forment des glaciers d'une
étendue et d'une épaisseur considérables, dont les
énormes blocs qui descendent peu à peu dans les
fjords, sont bientôt portés en pleine mer. La partie
méridionale du Groenland, moins froide, moins dé-
serte, est terminée par le cap P'arewell (cap d'adieu)
nom que lui ont donné les marins anglais, à la pensée
qu'après l'avoir doublé ils laissaient loin d'eux leur
patrie, et entraient dans une contrée morne et désolée
qu'ils ne connaissaient point.
La baie ou mer d'Hudson, d'une étendue assez
considérable, est bordée, soit par de hautes falaises,
soit par des rivages sinueux et dépourvus de végéta-
l'océan ATI.A.N(iuLK. 109
tion. Les côtes du Lahrador, du Nouveau-Bruns-
iridi et de la Xouveïïe- Ecosse sont sablonneuses et dé-
coupées ainsi que celles des îles voisines. La naviga-
tion y est difficile à cause des brouillards qui les re-
couvrent souvent et des ouragans équatoriaux dont
les dernières rafales viennent y expirer. La baie de
Fundy, dans le Xou veau-Bruns wick, est si favorable à
l'extension de la marée que, lors des syzygies, la mer
y monte de plus de 20 mètres.
L'île de Terre-Neuve ^ exempte de brouillards, est
particulièrement fréquentée par les navires lors de la
pêche de la morue, époque à laquelle ses baies abri-
tent plus de 3000 bâtiments. La pêche se fait sur le
banc de Terre-Neuve, « plateau sous-marin, au sud-
est de l'île, long de 900 kilomètres, large de 300 à
400, sur lequel il n'y a que 40 à 80 mètres d'eau,
tandis que tout alentour la sonde trouve difficilement
le fond. Il est couvert de brumes épaisses, causées
par la rencontre du Gulf-Stream avec le courant du
nord qui charrie les glaçons; la température, plus
douce que celle des mers voisines, attire les morues,
à l'époque où elles doivent déposer leurs œufs ; la
pèche qui se fait en avril, mai et juin, occupe un
grand nombre de navires français, anglais, améri-
cains *. »
La côte des Etats- Unis, baignée par l'Océan Atlan-
tique est, dans sa partie septentrionale, importante
au point de vue commercial. Découpée en baies pro-
fondes et fermées dont les mille petites sinuosités
peuvent toutes être utilisées, bordée d"îles qui bri-
sent le premier choc de la lame de tempête, dépour-
^ L. Grégoire, Géographie générale.
MÉMOIRES, T. XVI, 1877. 8
110 l'océan atlantique.
vue de lagunes côtières, de bancs dangereux, elle est
favorable à l'établissement de ports tant militaires
que commerciaux. La baie deDelaware et plus encore
celle de Chesapeake sont d'une importance incontes-
table. On ne peut malheureusement faire la môme
description du littoral qui s'étend du cap Lookout à
la presqu'île de la Floride; là. basse et marécageuse,
la côte devient de plus en plus rectiligne, et cette
tendance s'accentue encore dans la Floride, sur la
côte occidentale, bordée de lagunes malsaines qui
communiquent avec l'Océan par des canaux imprati-
cables. Du reste, le sable, le gravier, les débris qu'}-
dépose sans cesse le Gulf-Stream forment des flèches
côtières dangereuses.
Mais si ces côtes sont mauvaises, que dira-t-on du
littoral du golfe du Mexique? Il rappelle les côtes de
Guinée par son insalubrité, la fièvre qui y règne, les
étangs immenses, les plages basses, noyées et brû-
lantes. Ajoutons à cela le delta marécageux du Mis-
sissipi, des vents d'une grande violence et la concor-
dance sera complète.
Cet immense pays de transition entre la terre et
l'Océan, ce delta du Mississipi qui, depuis la Fourche
des passes jusqu'à la mer, mesure plus de 100 kilo-
mètres de longueur, a souvent été et demeure encore
l'objet d'études importantes. Il s'agirait d'abord de
rendre cultivables les marais fangeux qui bordent le
fleuve à une grande distance, ou au moins de préve-
nir les inondations terribles qui ont lieu lors de la
crue, de janvier à mai; inondations qui transforment
une grande partie du delta et des terres habitées en-
vironnantes en un bras de l'Océan. Des ingénieurs
d'un grand talent ont plusieurs fois proposé des plans
l'océan atlantique. 1 1 1
qui devaient améliorer les conditions économiques de
la contrée, car il est hors de doute que les digues
qu'on a construites n'opposent souvent qu'une faible
barrière à la violence des débordements du fleuve ;
mais malgré leur état précaire, on les préfère à des
travaux gigantesques dont la réussite serait douteuse.
Aussi, en 1861, MM. Humphrej-s et Abott, dans
leurs enquêtes, ont-ils particulièrement appuyé l'idée
de construire de nouvelles levées ou d'agrandir et
d'entretenir celles qui existent actuellement. Ils pen-
sent qu'avec 90 millions de francs, ou pourrait rendre
à la culture 400,000 hectares de terre fertile. M.
Tliomassy, en 1860, prétendait qu'il fallait établir
deux écluses aux bayous de Plaquemine et de la
Fourche, et que l'aménagement de vastes salines au-
rait pour effet d'assainir sensiblement le pays.
Les nombreuses études faites sur le delta duMissis-
sipi ont aussi pour but de tracer un plan d'améliora-
tion de la passe sud-ouest qui donne entrée dans le
lit du fleuve, et qui, tout en étant la plus importante,
n'en est pas moins obstruée par un banc de sable mo-
bile que recouvrent seulement, en temps ordinaire,
4 à 6 mètres d'eau- On comprend, en effet, que le
limon du Mississipi, qui allonge chaque année son
delta de plus d'un kilomètre, puisse foimer à son em-
bouchure un banc puissant dont la présence enlève
au passage toute sécurité. Un des moyens qui peuvent
être employés pour ouvrir la passe aux gros navires
consiste à entretenir, par le dragage constant du fond,
l'eau dans un état permanent d'agitation, ce qui em-
pêche la formation des dépôts. On a proposé aussi de
diminuer la largeur du fleuve, et par ce fait, d'accroître
sa puissance de telle sorte qu'il emporte lui-même le
112 l'océan atlantique.
limon en pleine mer. Ceijendant on objecte à cette
mesure qu'elle occasionnerait des dépenses considé-
rables, qu'il faudrait renouveler chaque année, puisque
l'embouchure s'avance continuellement dans la mer et
que les jetées devraient, par suite, être sans cesse
prolongées.
Les lagunes étendues et très-peu profondes qui
empêchent, avec les bancs de sable situés en avant
des détroits, l'approche des côtes par les gros navi-
res, bordent encore une grande partie du golfe du
Mexique ; ailleurs les rivages sont bas et sablonneux ;
ils sont malsains partout. Aussi, par suite du manque
de bons ports, le commerce du Ilexique, qui pourrait
prendre un développement considérable, ne s'accroit-
il que lentement. Tampico et Vera-Cruz ne sont que
des foyers de lièvre où, selon les époques, les voya-
geurs n'osent pas même s'arrêter un jour. La pres-
qu'île du Yucatau, terminée au Nord par le cap Ca-
toche, sépare le golfe du Mexique de la mer des An-
tilles. Le détroit de Yucatan entre le cap Catoche et
l'île de Cuba réunit ces deux mers.
La côte qui borde, à l'Ouest, la mer des Antilles,
est, en tous points, semblable aux rivages du golfe du
Mexique. Chaque baie est fermée aux navires par une
flèche sablonneuse ou par un banc de sable mobile ;
chaque fleuve aboutit à une lagune dans laquelle les
vaisseaux ne peuvent pénétrer ; ce n'est pas tout. Tin-
salubrité^ conséquence naturelle d'un tel état de cho-
ses, et les ouragans terribles placent les républiques
du Honduras, de Nicaragua et de Costa-Iiica, dans
des conditions économiques désavantageuses qui re-
tardent l'épanouissement du commerce.
Les seuls ports importants se trouvent sur le golfe
l'océan ATLA.MIQUE. Ho
de Honduras. C'est là que les Anglais possèdent le
bon mouillage de Balize, FEtat de Guatemala celui
de St-Tliomas, le Honduras Truxillo. L'embouchure
du San- Juan est dangereuse pour les navires.
On appelle Indes occidentales, les îles qui séparent
la mer des Antilles de l'Océan Atlantique et du golfe
du Mexique.
Elles se divisent en trois groupes :
• 1° Les Li(C(u/es, possessions anglaises, qui se com-
posent de 650 îles parsemées sur le Petit et sur le
Grand Banc de Bahama que sépare le canal de la
Providence. De formation coralligène ces îles sont
stériles et peu importantes. Les abords sont rendus
difficiles par des écueils nombreux.
2^* Les Grandes-Antilles, qui comprennent :
Ouha, aux rivages bas, sablonneux et bordés de ré-
cifs de polypiers.
Haïti, dont les baies nombreuses forment des ports
excellents .
Podo-Bico et la Jamcuque, où les navires en grand
nombre mouillent dans des rades sûres.
S'' Les Petites- Antilles, dont les unes exposées aux
vents alizés sont appelées pour cette raison : Iles du
vent, et les autres, protégées contre ces courants ré-
guliers, sont nommées : Iles sous le vent.
Parmi les Iles du vent on remarque :
La Guadeloupe, qui se compose de la Grande-Terre,
basse et formée de madrépores et de la Guadeloupe
proprement dite plus montueuse. Ces deux îles ont
quelques bons ports.
La ^laiiinique, dont la côte occidentale a de bons
mouillages, tandis que la côte orientale est mauvaise
et bordée d'écueils.
114 l'océan atlantique.
Les Iles sous le vent sont peu importantes.
On donne actuellement le nom à^Mats- Unis de Co-
lombie, à la république appelée auparavant Nouvelle-
Grenade. Ce pays a un littoral découpé, mais malsain
sur plusieurs points, en particulier à Porto-Bello,
nommé, à cause de son insalubrité, le tombeau des
Espagnols ; aussi ce port n'a-t-il aucune importance.
Le centre du commerce se trouve à Aspinwall, point
de départ du chemin de fer qui traverse l'isthme de
Panama. La république de Venezuela a des rivages
féconds en golfes dont le principal est celui de Vene-
zuela. Il reçoit les eaux du lac de Maracaïbo aux ri-
ves marécageuses, au moyen d'un canal étroit par
lequel la marée pénètre dans le lac. A l'Est de la Ré-
publique se trouve le delta de l'Orénoque de 200 kilo-
mètres de longueur sur 300 de largeur.
Le fleuve a une telle puissance qu'il cause un cou-
rant qu'on ressent encore à plus de 200 kilomètres
en mer.
Au Sud du delta de l'Orénoque commencent les
Giiyanes, aux rivages bas, marécageux et malsains.
Des bancs de sable en rendent l'approche dangereuse,
et d'ailleurs, la rive est tellement plate, que certaines
parties appartiennent, tantôt au continent, tantôt à
l'Océan.
Le courant équatorial,uni à l'énorme volume d'eau
qui s'échappe des bouches de l'Amazone, se fait forte-
ment sentir au large de ces côtes. Les bons ports
manquent. Cayenne a une rade assez bonne mais ina-
bordable pour les gros vaisseaux, et la fièvre jaune y
cause tant de victimes, que la colonie est loin d'être
florissante.
Cependant la région littorale est d'une exubérante
l'océan ATLANTKjUE. H'i
fertilité ; on y trouve en particulier des mangliers qui
se plaisent dans les endroits marécageux. Leurs for-
tes racines plongent sous l'eau et gagnent sans cesse
sur l'Océan ; une grande portion de la mer a été de
cette manière transformée en terre ferme.
Le Brésil contient au Nord rembouchure de l'Ama-
zone, le plus formidable fleuve du monde. Elle mesure
plus de 250 kilomètres de largeur, du cap Magoari, à
l'Est de l'île Marajo, au cap Raso au Nord, et se trouve
partagée par les îles ]\Iexiana et Caviana en trois
branches dont les plus importantes sont celle du Nord
et celle du Sud. Du reste, à partir de la réunion du
Xingu et de l'Amazone, le cours de ce fleuve est obs-
trué d'îles et d'îlots sans nombre, qui ont été, non pas
formés par lui, mais au contraire séparés du continent
par la violence du courant.
L'érosion produite par le fleuve n'est pas la seule
à redouter; r(3céan lui-même ravine, détruit sans
cesse les terres contre lesquelles ses flots déferlent ;
ainsi l'île de Caviana a déjà été séparée en deux par-
ties par la mer. Elle est vouée à une destruction cer-
taine.
La plus importante de toutes les îles qui parsèment
rembouchure de l'Amazone, est celle de Marajo, sépa-
rant le Maranion du Para, nom que prend le rio des
Tocantins dans sa partie inférieure. Elle a 240 kilo-
mètres de largeur sur 270 de longueur, mais ces di-
mensions tendent sans cesse à diminuer, car elle est
soumise à l'action érosive du fleuve et des marées.
L'île, en beaucoup d'endroits, est basse et maréca-
geuse ; les lieux élevés sont couverts de forêts consi-
dérables.
L'Amazone débite 69400 mètres cubes d"eau par
1 16 l'océan atla.ntioue.
seconde, énorme volume qui dessale l'Océan sur un
immense espace et cause un courant très-puissant.
Mais la force de ce courant n'est rien auprès de
la violence des ras de marée qui bouleversent les
rives du grand fleuve. Les indigènes ont donné à ces
terribles phénomènes le nom de Prororoca, nom plein
de justesse qui imite bien le grondement sourd des
flots.
Laissons à M.Durand le soin de décrire cet émou-
vant spectacle ' :
« La Prororoca n'a lieu que pendant les trois jours
qui précèdent la nouvelle et la pleine lune. Alors la
mer, brisant la digue que lui opposent les eaux du
fleuve, se dresse subitement, les repousse vers leur
source ; elle envahit en cinq minutes toute l'embou-
chure au lieu de monter en six heures.
« Une crête d'écume apparaît au loin par le travers
du Cap Nord. Elle s'avance avec la rapidité d'une
trombe et grandit^ en se déployant, jusque sur les ri-
vages de Marajo. Un bruit sourd semble sortir du
fond de l'Océan ; on dirait le roulement lointain du
tonnerre mêlé aux grondements saccadés d'un oura-
gan. La Prororoca arrive, et cette lame immense, de
6 mètres de hauteur^ tombe, se brise sur la Ponta
Grossa, bondit dans la plaine et rejaillit dans les airs
en mille gerbes d'écume. L'Araguari se gonfle et dé-
borde. Elle continue sa course efl'rénée entre les îles :
resserrée, comprimée par leurs détroits, elle semble
redoubler de violence ; elle saute sur les hauts fonds,
secoue sa longue et blanche crinière que la brise em-
porte comme un nuage de neige, s'abat et se relève
' Bulletin de la Société de Géographie de Paris, novembre 1871.
l'océan ATI-ANTKjUK. 117
avec plus de fureur sur les rochers qu'elle semble
pulvériser, sur les îles qu'elle recouvre. Rien ne lui
résiste; les arbres séculaires sont coupés, tordus et
roulés dans les Hots au milieu des rochers, avec des
lambeaux de terre arrachés aux flancs des îles et
recouverts de végétation. Trois lames ou plutôt trois
digues gigantesques d'eau se succèdent ainsi en l'es-
pace d'un quart d'heure. Elles sont moins fortes l'une
que l'autre, et vont se perdre ainsi derrière les îles
au delà de la ville de Macapa. »
Au Sud-Est de l'embouchure du Para, le littoral
n'est qu'un delta immense qui se continue jusqu'à San
Luiz de Maranho.
Dans cette vaste région, où croissent des mangliers
et d'autres arbres énormes dont on n'apei'coit souvent
que le sommet, viennent se décharger une quantité
de rivières aux embouchures parsemées d'îles qui for-
ment des canaux sans nombre, au sein desquels la
barque la plus téméraire n'oserait s'aventurer. A
cette contrée étrange succède une côte rocheuse qui
s'étend jusqu'au cap St-Iioque, à partir duquel le ri-
vage devient sablonneux et plat, tandis que parallèle-
ment s'étendent dans l'intérieur de longues chaînes
de montagnes et en mer des bancs de polypiers. Mais
au Sud du cap Frio la côte est bordée de hautes mu-
railles de rochers qui laissent seulement quelques
échancrures oii les ports se sont établis. Un climat
tempéré rend cette côte délicieuse. Ce caractère ne
s'étend pas jusqu'à l'estuaire du Rio de la Plata. Au
Nord-Est de ce fleuve se trouvent la lagune immense
de los Patos et d'autres plus petites sur les bords
desquelles aucun port ne se rencontre.
L'embouchure du Rio de la Plata est obstruée par
118 l'océan ATLANTIQUE.
des bancs de sable; aussi les navires, au lieu de s'ar-
rêter à Buenos-Ayres , capitale de la RépuhUqiœ
Argentine, abordent-ils à trois lieues au-dessous delà
ville, à Barragon.
Plates, sablonneuses et peu connues à cause du
peu de ressources que présente un pays de plaines,
de savanes, souvent froid dans le Sud, les côtes de la
République Argentine et de la Patagonie bordent une
mer dangereuse lorsque souffle le pampero.
Les ports manquent, et le navire qui a quitté Bue-
nos-Ayres va, sans relâche, doubler le cap Horn aux
rivages élevés de 600 mètres, ou traverser le détroit
de Magellan, dont les baies nombreuses et fermées
l'abritent pendant les jours de tempêtes.
Les îles Falkland, nombreuses et froides, sont fré-
quentées par les matelots qui viennent y faire des
pêches abondantes de plioques et de baleines.
l/OCÉAN A ILA.NTIOLE. 1 11>
TROISIEME PARTIE
MARINE, LIGNES TÉLÉGRAPHIQUES SOUS-MARINES, TUNNEL
DE LA MANCHE ET ISTHME DE PANAMA
CHAPITRE XXIX
Marine militaire des pays riverains
de l'Atlantique.
Si les gouveniemeiits tendent par tous les moyens
possibles à améliorer la situation des armées de terre_^
si les engins destructifs employés sont devenus plus
terribles encore, la marine militaire a aussi reçu dans
l'époque actuelle des perfectionnements considéra-
bles. Le temps n'est plus, où Ton se battait sur mer
avec de petits croiseurs, doués d'une faible vitesse et
armés de quelques canons peu dangereux, où la vic-
toire appartenait au plus grand nombre, où la moin-
dre tempête dispersait les flottes ennemies.
Aujourd'hui la petitesse des navires a fait place
aux dimensions colossales, le nombre à la qualité^
la voile à la vapeur. La vitesse qu'on réclame d'eux
est grande, les canons qui surmontent leurs tourelles
ont une force irrésistible, et l'éperon d'acier dont ils
sont armés cause aux navires ennemis un mal pres-
que irréparable.
Comme les anciens croiseurs étaient facilement en-
dommagés par un boulet de faible poids^ on a recou-
vert les na\-ires d'une armure d'acier dont l'épaisseur.
120 l'océa.\ atlantique.
d'abord minime, est allée sans cesse en augmentant ;
c'est alors qu'a commencé la fameuse lutte entre la
cuirasse et le canon, lutte qui n'est pas encore termi-
née. On a d'abord construit des cuirasses de moins
de 200 millimètres d'épaisseur; mais les canons sortis
des usines de M. Kru])p et de Sir William Armstrong
et C°, ont promptement eu raison de ces faibles rem-
parts.
Les ingénieurs de marine augmentèrent l'épaisseur
de la cuirasse, et l'on lit la Dévastation, navire an-
glais dont l'armure de fer est épaisse de 305 millimè-
tres ; mais Sir William Armstrong ne se tint pas pour
battu ; il fondit des canons* qui trouèrent de part en
part les parois du vaisseau. L'amirauté anglaise lit
alors construire V Inflexible, le plus formidable bâti-
ment qui soit sorti de ses chantiers et dont le réduit *
est revêtu de plaques d'acier de 610 millim. d'épais-
seur, et le gouvernement italien ordonna la création
du Dandolo et du IJuïlio qui portent des armures de
560 millimètres. Ces cuirasses sortent des ateliers de
MM. Cammell et C° de Sheffield qui se sont même
engagés à fournir des plaques de 760 millimètres à
1 mètre d'épaisseur, dès que des canons assez puis-
sants pour percer une armure de 560 millimètres au-
ront été construits. En réponse à cette promesse,
M. Krupp, au moyen d'un canon sortant de son usine,
a traversé une cible en fer de 60 centimètres. Cepen-
dant, comme des canons de cette force n'ont pas en-
core été installés à bord des navires, la victoire est
restée à la cuirasse , mais il faut s'attendre à de
nouveaux essais, à de nouvelles luttes à ce sujet.
' On appelle réduit la partie du bâtiment qui contient les chau-
dières, les machines, les magasins do munitions, etc.
l'océan a «.antique. 1'2I
Pour résister à de pareils bâtiments do guerre, les
navires sont donc obligés de posséder des canons
d'une force extrême. C'est ainsi que V Inflexible a des
pièces de 100 tonnes, de même que le Dandolo et le
Biiilio. Leur longueur est de 9 mètres, leur calibre de
48 centimètres. La charge de poudre qu'elles néces-
sitent pèse 136 kilogrammes, et elles lancent des pro-
jectiles du poids de 905 kilogrammes.
Ces canons formidables, au nombre de quatre, sont
portés par deux tours fortement blindées situées à
l'intérieur du parapet qui surmonte le pont du navire.
Ces tours sont d'un poids énorme ; ainsi, celles de
VlnflexiUe pèsent chacune 762 tonneaux, et comme
il faut pouvoir les tourner dans tous les sens, on fait
usage d'un appareil hydraulique inventé par Sir Wil-
liam Armstrong. Les tourelles, sont établies dans le
plan diamétral pour la Dévastation et le Thunderer,
mais on a moditié cette disposition pour V Inflexible.
Ses tours sont disposées de chaque côté du navire,
de sorte que les canons dont elles sont armées peu-
vent tirer ensemble sur tous les points de l'horizon.
Mais uue protection suffisante des parties vulnéra-
bles d'un navire au moyen des armures, une artille-
rie puissante, un champ de tir étendu ne sont pas les
seules conditions réclamées d'un bon cuirassé. Il faut
en outre une grande vitesse. Cette question a été vi-
vement controversée. M. Brasey ', membre du Par-
lement anglais, se basant sur le fait que les meilleurs
croiseurs d'Europe pourraient difficilement acquérir
uue vitesse de plus de 12 nœuds à l'heure, et que l'ac-
croissement de la rapidité dans la marche du navire
^ Revue maritime et coloniale, février 1S76.
122 l'océan atlantique.
a pour conséquence une forte augmentation de prix,
prétendait que la plus grande vitesse désirable devait
être 13 nœuds à l'heure, et non 17, comme le récla-
ment les ingénieurs anglais. Par ce fait on diminue-
rait le prix de chaque bâtiment et l'on pourrait aug-
menter le nombre des navires. Le nombre, disait-il,
est préférable à la qualité.
Sir Spencer Robinson, ancien contrôleur général
de l'amirauté, soutient au contraire qu'il vaut mieux
créer un puissant cuirassé que plusieurs mauvais na-
vires. « Dans les actions combinées, ajoute-t-il, la
supériorité de vitesse est un peu moins importante,
mais dans un duel entre deux bâtiments, ou lorsqu'il
s'agit de la protection du commerce, la supériorité
de vitesse est une condition essentielle. » Sir Robin-
son fut appuyé par M. Reed, et plus tard, dans une
nouvelle lettre au Times, M. Brasey convint que la
vitesse de 1 7 nœuds pouvait être exigée d'un navire
de guerre, mais qu'il fallait examiner si l'on ne pour-
rait pas concilier cette vitesse avec une réduction no-
table dans le prix des bâtiments.
La vitesse des cuirassés de construction récente ne
s'obtient qu'au moyen de la vapeur. Ils ne portent en
général que des bas-mâts comme mâts de signaux ;
cependant V Inflexible est maté et voilé en temps de
paix, afin de faire la plus grande économie possible
dans la consommation du charbon. En temps de
guerre, Y Intlexihle mOiidiQ au moyen de deux hélices
indépendantes conduites chacune par une machine
distincte. La force des deux machines réunies est de
1000 chevaux. Douze chaudières fournissent la va-
peur nécessaire.
Pour leur faire supporter le poids énorme de la
l'océan atlantique. 1^'{
cuirasse, du parapet, des tours, des canons, on a
donné aux monitors actuels de prodigieuses dimen-
sions. Leur poids est immense et dans quelques-uns
on n'a augmenté la coque que pour obtenir le dépla-
cement indispensable. On peut même dire qu'on a
presque atteint la limite de poids possible et que tout
accroissement dans la grosseur des canons ou dans
l'épaisseur de la cuirasse aurait inévitablement des
conséquences malheureuses qui enlèveraient aux bâti-
ments toute sécurité ' .
On doit comprendre que la construction de ces co-
losses marins doit coûter au trésor des sommes énor-
mes*. Aussi l'Amirauté anglaise a-t-elle été souvent
blâmée à cause des immenses capitaux qu'elle consa-
cre à la construction et à l'entretien de la flotte.
Comme chaque année le budget de la marine anglaise
est plus élevé, quelques économistes se sont préoccu-
pés de diminuer ces dépenses excessives, par des
soins plus vigilants, une économie mieux entendue, et,
en ce qui concerne la construction des cuirassés, on
^ L'Aijanwmnon mesure 79'" de long, sur 20'" de larg.
La Dévastation mes. 90'" de long, sur 20 de larg. et déplace 9,050 tou.
Le Diiilio » 103'"
3
> 19
10,600
L'Inflexible » 96'"
]
» 22
11,407
- L\ichilîes coûte
11,755,750 fr.
Le Nortlmmberland
»
12,267,025 »
L' Hercules
»
9,425,175 »
Le SuUan
»
9,369,425 »
U Andacious
£
6,407,375 »
Le Vnngnard
»
6,802,500 »
Le Bellcroplion
»
9,103,175 »
Le Monarcli
»
9,285,375 »
li' Inflexible
-
13,043,750 »
Le Dreadnowiht
»
12,709,875 »
Le Téméraire
»
9,350,000 »
Le Thundercr
>
8,350,000 .
124 J^'OCÉAN ATLANTIQUli.
est parvenu à faire autant avec moins de frais ; mais
d'autres sont allés plus loin : ils ont attaqué le fonde-
ment de la marine, les monitors pour lesquels on sa-
crifie tant d'argent ; ils ont blâmé sévèrement la créa-
tion de nouveaux cuirassés ;, s'appuyant sur des faits
incontestables dont nous allons encore parler avant
de passer à l'examen rapide des flottes de guerre des
divers pays.
Leur raisonnement est basé sur trois points prin-
cipaux: 1" Le rôle que doit jouer aujourd'hui le na-
vire d'escadre; 2° son prix; 3" sa destruction au
moyen du canon et de la torpille.
P Le rôle réservé au navire de guerre actuel n'est
plus le même que par le passé. Autrefois il pouvait
tenir un port en blocus, donner la chasse aux croi-
seurs et arrêter une flotte ennemie. Ce dernier avan-
tage seul lui est réservé de nos jours. Les gardes-
côtes modernes, d'une puissance incontestable et
qu'on tend toujours à augmenter^ empêchent le cui-
rassé de bloquer un port par leurs attaques soudai-
nes, multipliées et par leur connaissance exacte des
lieux. Les batteries de terre leur aident du reste
puissamment. Le monitor ne pourra pas davantage
poursuivre des croiseurs, des corvettes rapides, non
pas que sa vitesse soit inférieure à celle de ces bâti-
ments, mais parce qu'il est forcé d'interrompre sou-
vent sa croisière pout renouveler sa provision de
houille. En effet, comme il n'a pas de voilure, sa mar-
che ne dépend que des machines, et l'on comprend
que pour faire mouvoir des navires d'un si grand
poids, les machines font une telle dépense de charbon
que les soutes ne peuvent en emmagasiner que pour
un temps restreint.
l'océan atlantique. 12o
2* Nous avons vu que le prix des monitors est
énorme et qu'on se demande sïl ne serait pas préfé-
rable d'avoir une flotte composée de navires plus fai-
bles sans doute, mais beaucoup plus nombreux. En
outre, il faut aussi prendre en considération que la
perte d'un monitor est énorme, tandis que celle
d'un croiseur est relativement minime. On répond
qu un cuirassé tel que Vlnflexihle peut tenir tête à
toute une flotte. Ce fait est invraisemblable. Si plu-
sieurs vaisseaux, munis d'une forte artillerie, entou-
rent le monitor, le poursuivent, l'accablent, il sera
vaincu.
3** Le troisième argument est le plus puissant.
Nous avons déjà parlé de la lutte entre le canon et la
cuirasse et nous avons dit que l'avantage est actuel-
lement du côté de la cuirasse. Nul doute, cependant,
que dans un temps peut-être rapproché la victoire ne
reste au canon. Les expériences qui ont été faites
récemment dans les usines prouvent qu'on peut, en
augmentant faiblement les dimensions et le poids de
la pièce, accroître notablement sa puissance; et ces
progrès continuant et s'accentuant de jour en jour, on
arrivera à créer un canon capable de percer les cui-
rasses les plus épaisses.
Cette recherche, pourtant si importante, préoccupe
beaucoup moins les esprits depuis qu'on a découvert,
dans la torpille, un canon sous-marin et invisible, qui
éclate sous la carène même du navire et qui, par sa
force irrésistible, brise comme du verre l'armure la
plus formidable. Cet engin si simple et si puissant
est appelé à produire une révolution dans la marine
actuelle. Rien ne résiste h sa violence. Le cuirassé,
comme le simple navire de commerce, saute cà son
MÉMOIKES, T. XXJ, 1877. 9
126 l'océan ATLAiNTIQUE.
contact. Les expériences les plus convaincantes l'ont
démontré. Ainsi, la torpille Harvey a été essayée à
Spithead, sous la direction du commandant Harvey
lui-même. « Le Gamel ', qui n'est qu'un remorqueur
ordinaire du port de Portsmoutli, mais qui a été
construit à Jarrow pour montrer ce que doit être un
remorqueur, reçut une torpille Harvey avec ses ac-
cessoires, et partit pour Spithead avec ordre d'atta-
quer le Eoyal Sovereign dont les instructions étaient
d'éviter le Camel. Sur douze tentatives, le remor-
queur réussit dix fois à mettre sa torpille en contact
avec le fond du Royal Sovereign, la torpille, bien en-
tendu, n'étant pas chargée. On peut juger de l'impor-
tance de ce résultat, puisqu'une seule explosion de la
torpille, si elle eût été chargée, aurait pu couler le
Moycd Sovereign. »
De même à Portsmouth, on remit à flot un vieux
vapeur à roues, VOhéron, et on le soumit à l'action
d'une torpille munie d'une charge de 226 kilogr. de
coton poudre. Le résultat fut instantané ; la navire fut
partagé en deux parties.
De ces faits et d'autres plus incontestables encore,
on a conclu que le cuirassé, même à double armure,
est mis hors de combat par l'explosion d'une torpille.
Les torpilles peuvent être utilisées de deux ma-
nières. Elles servent d'abord à la défense ; alors elles
sont fixées solidement au fond des passes qui donnent
entrée dans les ports. On les enflamme en général au
moyen de l'électricité, mode qui présente plusieurs
avantages, entre autres celui d'être sans danger pour
les navires amis, si l'on a eul) précaution de rompre
^ Bévue marilime et coloniale, septembre 1871.
l'océan atlantique. 127
le courant de la pile ; cependant ces torpilles coûtent
fort cher, et il faut en avoir un grand soin, car, lors
de la guerre des États-Unis, le Xeiv-Ironsides, qui
bombardait le fort Sumter à Charlestown, resta une
heure au-dessus d'une torpille électrique qu'on ne put
faire éclater par suite d'une avarie dans les fils. On
place les torpilles à 9 mètres les unes des autres,
mais, malgré cette faible distance, elles ne consti-
tuent pas un moyen de défense suffisant lorsque la
passe est large. En effet, si plusieurs navires veulent
forcer le canal, ils se rangent en ligne de file ; les
premiers sauteront peut-être, mais les autres pour-
ront passer.
Le lieutenant de la Chauvinière résume ainsi les
avantages et les inconvénients des torpilles comme
moyen de défense^ : « Elles peuvent être placées
dans toute espèce de chenal ou d'entrée de port avec
facilité et promptitude, au premier moment du dan-
ger et avant que Ion ait eu le temps de construire
toute autre défense. Les torpilles coûtent moins cher,
sont plus facilement transportables, à terre ou dans
des chaloupes, et produisent sur les navires un effet
destructif bien supérieur à celui de la plus puissante
pièce d'artillerie en usage.
Employées conjointement avec d'autres barrages,
les torpilles rendent impossible le forcement d'une
passe sous le feu de batteries judicieusement placées
à terre; elles forcent l'ennemi à s'avancer avec pré-
caution, lui faisant perdre un temps précieux.
Cependant, en regard de tous ces avantages, elles
gênent parfois les mouvements des navires amis ; de
^ Eevue maritime et coloniale, décembre 1868.
128 l'océan atlantique.
plus, on ne peut jamais être certain qu'elles s'enflam-
meront juste au moment voulu. »
Le second but que peut remplir une torpille, c'est
comme arme offensive. On emploie alors quelquefois
des torpilles flottantes que les courants, les vents
conduisent vers la flotte ennemie. Elles sont d'une
faible utilité, parce que, sur un grand nombre de
torpilles, quelques-unes d'entre elles seulement at-
teignent le navire ennemi ; souvent même le résultat
est nul.
Mais les bateaux-torpilles présentent beaucoup plus
d'avantages. Ils portent, fixée à un espar en bois,
une torpille qui s'enflamme par le contact. L'espar
n'a pas besoin d'être très-long, car à la suite d'expé-
riences qui se sont faites à Portsmouth, on a reconnu
qu'un vapeur porte-torpille n'a rien à craindre de l'ex-
plosion lorsqu'il en est éloigné de 6'", 70.
Le bateau-torpille Witeliead peut parcourir un cer-
tain espace sous l'eau avant d'attaquer la carène du
navire, de manière à n'être pas aperçu. Le bateau-
torpille doit être doué d'une grande vitesse, sa ma-
chine marcher sans bruit et sans fumée.
Qu'on l'emploie comme arme offensive ou défen-
sive, la torpille produira une révolution dans la
marine militaire, car elle ne tend à rien moins qu'à
la supprimer tout à fait. Aussi comprend-on que les
marins cherchent assidûment à trouver un remède
efficace à ses effets ; mais tous les procédés qu'on a
proposés jusqu'ici pour rendre les torpilles inoff'ensi-
ves sont restés insuffisants.
Le lieutenant Charles Lindsay a construit, par
exemple, des filets dont on entoure le navire en dan-
ger d'être surpris ; ces filets se continuent sous l'eau
l'océan atlantique. 129
à une assez grande profondeur pour empêcher le ba-
teau-torpille Witeliead de frapper la carène du navire.
M. Wild a employé un jet puissant de lumière
électrique, afin de découvrir, à la distance d'un mille,
la présence des chaloupes torpilles.
Lors de la guerre d'Amérique, l'amiral Dahlgreen
faisait draguer le fond et ramassait dans le filet les
torpilles placées par l'ennemi.
Enfin des plongeurs les pèchent au péril de leur vie.
Faisons maintenant une revue rapide des marines
militaires des diverses nations qui bordent l'Atlantique.
L'Angleterre est sans contredit la plus forte puis-
sance navale du monde; ses flottes nombreuses, ses
marins d'élite, la possession de tous les passages im-
portants, une sage direction, concourent à placer
cette contrée à la tète de toutes les autres nations
maritimes. Du reste les sommes que les Chambres
britanniques votent pour la marine sont vraiment
énormes, et il n'est pas de pays au monde qui lui ac-
corde de pareils capitaux. Cependant des voix autori-
sées se sont souvent élevées dans le Parlement anglais
pour combattre l'opinion exagérée du public au sujet
de la marine anglaise. M. Reed, en particulier, dans
la séance du 13 mars 1876 de la Chambre des com-
munes, a soutenu que l'Angleterre avait une marine
assez faible et qu'elle serait battue dans le cas où la
Russie et la France, par exemple, s'allieraient. Il est
vrai que M. Hunt a répondu que les chiffres cités par
M. Reed étaient trop faibles en ce qui concerne l'An-
gleterre et trop élevés pour les autres puissances,
mais il ne ressort pas moins du débat que l'importance
qu"on donne à la marine anglaise est trop grande. Un
certain nombre des navires qu'on vante tant sont en
loO l'océan atlantique.
réparation sur les chantiers et incapables de tenir la
mer, d'autres sont très-éloignés, enfin il en est qui,
excellents dans la Méditerranée ou dans la Manche,
seraient sans grande utilité en plein Atlantique. On
n'ignore pas, du reste, que lors de la visite du Shah
de Perse, beaucoup de vaisseaux dont on voulait faire
parade ont été réparés en grande hâte, et que la plu-
part d'entre eux n'auraient pas pu partir pour une
campagne navale même très-courte. Aussi la Naval
and miUtary Gazette poussait-elle un cri de détresse,
et proclamait-elle que la marine anglaise est dans un
état de faiblesse déplorable, qui a surtout pour cause
une économie mal entendue.
Cependant, en dépit de toutes ces plaintes, M.
Shaw Lefebvre a publié récemment sur l'état de la
marine anglaise ' un travail dans lequel il démontre
que, en représentant la force de cette marine par
1112, celle de l'Europe vaudrait 2011, proportion qui
est la même qu'en 1793.
Il y a actuellement en Angleterre 20 navires pos-
sédant une cuirasse épaisse de plus de 205 millimè-
tres, limite au-dessous de laquelle l'armure n'est que
d'une moins grande utilité. \J Inflexible tient le pre-
mier rang, puis viennent le Breadnought ^ la Dévasta-
tion^ le Tlmnderer, le Monarch, le Warrior, tous
d'une puissance formidable.
V Inflexible surtout n'a pas son égal dans le monde,
car si le chiffre 100 représente sa force, le Ditilio
(navire italien) sera figuré par 92, le Foudroijant
(français) par 72, le Pic rre-le- Grand (russe) par 71,
le 7Wyd/<o//' (autrichien) par (31, le 7vrt/se>' (allemand)
par 48.
* Revue maritime et coloniale, avril 1877.
l'océan atlantique. 131
Outre ces 20 navires de première classe et G navires
semblables qui sont en construction, l'Angleterre pos--
sède encore beaucoup de cuirassés de seconde classe,
plus faibles, mais qui ont aussi leur valeur, beaucoup
de croiseurs très-rapides, de corvettes, de sloops,
de canonnières, de gardes-côtes redoutables, dont la
réunion forme une marine colossale.
M . Shaw-Lefebvre soutient les quatre points sui-
vants : « 1" que l'Angleterre serait en état de faire
aujourd'hui ce qu'elle a fait en 1793 ; 2'' qu'une coa-
lition comme celle de 1796 est actuellement en de-
hors de toute prévision raisonnable; 3'^ que des coa-
litions hors de l'Europe ne sont nullement à redouter;
4*^ enfin, que la situation spéciale de la Grande-Bre-
tagne lui permettrait de diviser toute coalition et de
couper en deux les flottes, de façon à les battre en
détail. Ainsi, par exemple, une escadre anglaise sta-
tionnée à Gibraltar suffirait pour empêcher la jonc-
tion des forces navales françaises de la Méditerranée
et de l'Océan. Il en serait de même des forces navales
espagnoles de Cadix et de Carthagène, de celles de
la Russie, venant de la Baltique et de la mer Noire,
en supposant que ces dernières aient pu franchir les
Dardanelles ; les flottes allemandes elles-mêmes se-
raient aisément tenues séparées par une escadre an-
glaise croisant dans le Sund. »
Quant à la marine française, M. Paget, dans son
travail sur les Puissances navales et leur politique ',
soutient qu'elle est actuellement dans un état d'aff"ai-
blissement complet. « Le fait d'un grand nombre de
navires construits sur le même type, dit-il, donne à la
^ Analysé de l'anglais dans la Bévue maritime et coloniale par
M. A. Pic-Paris, juillet 1876.
132 l'océan atla.xtique.
liste de la flotte française une apparence de symétrie,
d'unité qui manque aux autres marines. Mais cela ne
doit pas nous aveugler sur sa réelle faiblesse, et la
France, jusqu'au moment où les puissants navires
qu'elle a sur les chantiers seront à flot, ne possédera
pas une marine à la hauteur de la situation et du rang
qu'elle doit tenir parmi les puissances maritimes de
l'Europe. » M. Paget sait bien qu'il y a en France
plus de 60 cuirassés, mais il sait aussi que le plus
grand nombre de ces navires ne sont que d'une mé-
diocre utilité ; du reste il constate avec peine cette
faiblesse de la flotte française, car il croit qu'elle aura
pour conséquence de placer l'Allemagne immédiate-
ment après l'Angleterre comme puissance maritime.
M. Shaw-Lefebvre ne croit pas à cet amoindrisse-
ment de la puissance maritime de la France, car il
prétend au contraire qu'elle possède 12 cuirassés
dont l'armure a plus de 205 millimètres d'épaisseur,
et qu'en outre il y en a actuellement en construction
10 qui seront de cette catégorie. Du reste, depuis
1872, la marine française a fait de grands progrès.
Profitant des expériences faites en Angleterre, les
constructeurs français ont créé des bâtiments du type
de la Dévastation, tels que la Dévastation, le Fou-
droyant, le Duperré. En 1873 on avait déjà construit
le BedoutaUc , cuirassé de première classe. Aussi, en
voyant tous les eftbrts que fait le ministère de la
marine, envoyant les chantiers occupés, couverts de
bâtiments en construction, les découvertes étrangères
imitées dans ce qu'elles ont d'utile, peut-on mettre en
doute les assertions de M. Paget et affirmer que la
France est la seconde puissance maritime.
D'ailleurs l'Allemagne n'a que 5 cuirassés de pre-
l'océan atlantique. 133
niière classe, et encore n'ont-ils pas été construits sur
le modèle des nouveaux cuirassés anglais. Le princi-
pal, le Kaiser, est de force médiocre. C'est pour-
quoi le gouvernement a mis en chantier plusieurs na-
vires de guerre. En 187G il y avait en construction
2 frégates cuirassées, 5 canonnières cuii-assées, 4 cor-
vettes à hélice, 3 avisos et 3 bateaux-torpilles. On
pense qu'après l'achèvement de ces bâtiments et de
ceux qu'on se propose encore de construire, c'est-à-
dire en 1882, l'Allemagne occupera le troisième rang
comme puissance navale.
La Russie possède un grand nombre de navires de
guerre, mais il n'y en a que 3 qui aient un cuirasse-
ment plus fort que 205 millimètres. L'un d'entre eux
est le Plerre-le-Grami, construit sur le modèle des
cuirassés anglais; les deux autres sont des navires
circulaires im popoffJcas , appelés ainsi parce gue c'est
l'amiral Popoff qui, le premier, a fait consti-uire des
navires de ce genre. Ces bâtiments sont formidables
et jouissent de l'avantage de n'exiger qu'un faible ti-
rant d'eau; cependant on leur reproche leur peu de
vitesse. En effet, par suite de leur forme circulaire,
ils n'avancent qu'avec une rapidité deux fois plus fai-
ble que celle des cuirassés anglais, lors même que les
machines sont de la môme force. La Russie, ne pré-
tendant pas faire des conquêtes maritimes, et son but
étant au contraire de défendre efticacement ses côtes,
les popoffkas lui sont précieuses à cause de leur faible
déplacement, tandis que la lenteur relative de leur
marche n'est pas un inconvénient, parce que leur rôle
de gardes-côtes les empêche de lutter de vitesse avec
les croiseurs.
A ces navires on peut joindre d'autres cuirassés.
134 l'océan atlantique.
tels que le Général- Neivski et le Grand- Amiral, dont
l'armure n'a que 152 millimètres d'épaisseur, quel-
ques vaisseaux à tourelles, comme VAmiral-Lasaref,
enfin 7 frégates, dont 4 ont une cuirasse de 115 mil-
limètres, et les trois autres en ont une de 152 à 178
millimètres.
La flotte suédoise, en 1876, se composait de 4 mo-
nitors, dont trois, le John Ericsson, le Thordôn et le
Torfing, ont une cuirasse de 223 millimètres, et l'au-
tre, le Loke, une cuirasse de 150 millimètres. Il y
avait en outre 10 canonnières cuirassées, 2 frégates
et 11 canonnières non cuirassées.
La Norvvége a une dizaine de navires à tourelles
de seconde classe.
Le Danemark possède 6 navires cuirassés. Le Pe-
derskram a une force de 600 chevaux, le Donnehrog
de 400. h'Odin a une cuirasse de 203 millimètres et
une vitesse de 13 nœuds. Les autres cuirassés sont
plus faibles. Il y a en outre 25 navires sans armure.
La Hollande ayant beaucoup de colonies, doit
avoir une marine capable de les garder. Ainsi, elle
possède 2 navires cuirassés à tourelles, 12 monitors
et 2 canonnières cuirassées. Elle a en outre une flot-
tille nommée : la marine du gouvernement des Indes,
qui se compose d'un assez grand nombre de navires
(plus de 80) non cuirassés.
Comme puissance navale, le Portugal est bien dé-
chu. On ne reconnaît plus dans ce royaume l'ancienne
nation dont les flottes couvraient les mers, dont les
colonies étaient nombreuses et prospères et qui, mal-
gré l'exiguïté de son territoire, exerçait presque
l'hégémonie en Europe. Cependant, après de longues
époques d'inertie, il semble que l'ancien génie mari-
I/OCÉAN ATLANTIQUK. 135
time se réveille dans le pays dont les marins ont dé-
couvert la route des Indes ; le ministre actuel de la
marine a commencé la réorganisation de la flotte, en
commandant en Angleterre 1 cuirassé, 2 corvettes, 3
canonnières et 1 transport. Actuellement le Portugal
possède 1 corvette cuirassée, le Vasco da Gama, 6
corvettes à vapeur en bon état et 10 canonnières.
Les Etats-Unis n'ont pas une flotte aussi forte que
celle des puissances navales de l'Europe. Ainsi,
VArmi/ and Navij Journal de New- York constate que
cet Etat a actuellement 23 navires cuirassés, dont
21 monitors et 2 navires porte-torpilles en fer. Ce-
pendant il ne faut pas croire que la puissance de la
flotte soit en raison du nombre de ses navires, car les
navires américains n'ont pas une cuirasse bien
épaisse, et d'ailleurs, elle se compose de plaques de
métal laminées ensemble, système aujourd'hui aban-
donné comme très-défectueux. Les pièces d'artillerie
sont aussi inférieures à celles que possèdent actuelle-
ment les puissances européennes. Ce sont des canons
lisses de gros calibre, dont la force est relativement
faible. Il y a en outre plus de 40 croiseurs en bon
état, parmi lesquels on remarque le WamjKinoag, qui
a une grande vitesse.
Quoi qu'il en soit, la situation de la flotte améri-
caine est loin d'être satisfaisante, et c'est pour l'amé-
liorer que le comité naval vient de proposer au Con-
grès un bill par lequel la question de la réorganisa-
tion de la flotte serait soumise à une commission qui
rapporterait en particulier sur les trois points sui-
vants ' : « P les grands navires de combat, leur nom-
^ Bévue maritime et coloniale, mars 1877.
136 l'océan atlantique.
bre, leur mode de construction, leur armement et
leur matériel ; 2° les croiseurs : il est indispensable
que la flotte américaine compte un certain nombre de
navires de cette catégorie, capables de détruire le
commerce ennemi et de tenter les entreprises que
leur permettrait leur grande marche à la vapeur ;
3° la défense des ports et les torpilles. »
Le Brésil a des forces navales assez considérables.
Il possède en effet 16 navires cuirassés, 4 navires de
ce genre en construction et 70 croiseurs sans cui-
rasse. Cependant cette flotte a les mêmes défectuosi-
tés que celle des Etats-Unis. L'armure de ses moni-
tors est assez faible, et sur les 268 canons qui les ar-
ment, 55 seulement sont rayés.
CHAPITRE XXX.
Lignes télégraphiques sous-marines. Isthme
de Panama. Tunnel de la Manche.
Malgré le désir que doivent éprouver mes lecteuî's
de voir se clore promptement une notice déjà trop
longue, je ne puis, en terminant, passer sous silence
les progrès qu'a réalisés récemment la science, en vue
d'accroître encore la rapidité des communications en-
tre les hommes.
L'heureuse immersion des câbles télégraphiques
sous-marins est pour nous le fait scientiflque le plus
important qui se soit accompli dans les temps moder-
nes, et nous n'en voulons pour preuve que l'enthou-
siasme avec lequel les populations des deux rives de
l'Atlantique ont salué la nouvelle de la libre commu-
l'océan atlantique. 137
nication entre l'FAirope et l'Amérique. Mais cette
glorieuse entreprise ne fut pas d'abord couronnée de
succès, et sans en faire ici Ihistorique complet, nous
voulons mentionner les principales époques qui font
date à ce sujet '.
C'est en 1850 que commencèrent les expériences
relatives à la pose d'un câble télégraphique à travers
un large espace d'eau. M. Brett relia Douvres et Ca-
lais. A partir de cette époque, les tentatives ne ces-
sèrent plus. Déjà en 1854, les mers d'Europe étaient
traversées par douze lignes sous-marines, et l'écho
de ces entreprises arrivant en Amérique, les Yankees
s'enflammèrent d'ardeur pour un projet si bien fait
pour captiver leur esprit.
En 1857, le vaisseau anglais V Agamemnon et le
Niagara, navire américain, tentent de jeter un câble
dans les profondeurs de l'Océan; mais le câble se
rompt et on l'abandonne.
En 1858, on renouvelle les essais. La première
fois, une tempête entrave la manœuvre ; la seconde
fois, on réussit à immerger le câble, et, le 14 août
1858, la première dépêche lancée à travers l'Atlanti-
que est ainsi conçue : Gloire à Dieu au plus haut des
deux. paix sur la terre, bienveillance entre les hommes.
Mais une nouvelle déception était réservée aux infa-
tigables pionniers de la science. Après 400 dépêches
qui avaient passé sans encombre, le lil se tut ; il s'é-
tait rompu dans les profondeurs.
Ce ne fut qu'en 1865 qu'on entreprit de nouveau
^ Nous avons particulièrement consulté là-dessus la notice de
M. le colonel suisse "SVilliam Huber sur le Réseau télégraphique du
Globe, insérée dans le Bulletin de la Société de Géographie de
Paris, mai 1373.
138 l'océan atlantique.
la pose d'un câble. L'immense Great-Eastern fut
chargé de cette œuvre ; le câble se rompit de nou-
veau.
En 1866, le Great-Eastern fit une nouvelle tenta-
tive qui, cette fois, fut couronnée de succès, et les
communications furent définitivement établies entre
les deux continents.
Actuellement quatre câbles relient l'Angleterre et
Terre-Neuve. Une ligne sous-marine française relie
Brest et St-Pierre; enfin le Portugal et le Brésil sont
unis par un fil qui passe par Madère et les îles du
Cap Vert.
D'autres lignes télégraphiques plus nombreuses
parcourent la Manche, la mer du Nord, la Baltique,
le golfe du Mexique et la mer des Antilles.
Si la pose des câbles télégraphiques sous-marins
est l'un des événements les plus importants accomplis
dans ce siècle, le percement de l'Amérique centrale
par un canal, et le tunnel de la Manche, qui s'accom-
pliront dans un avenir rapproché, marqueront d'un
sceau inefïaçable deux dates historiques dont l'impor-
tance grandira encore en raison des bienfaits qu'ap-
porteront ces travaux.
Le percement de Fisthmc de Panama est loin de
s'accomplir dans les mêmes conditions que Topératiou
semblable exécutée à l'isthme de Suez. Ici, on n'avait
qu'à retrouver les traces de l'ancien canal par lequel
la Méditerranée et la mer Rouge avaient comnuniiqué
dans les temps pré-historiques, tandis que, dans l'A-
mérique centrale, on a des obstacles à surmonter :
rendre navigable le cours d'un fleuve, percer une
montagne, canaliser un lac, difficultés d'autant plus
grandes que la condition primordiale du canal est
l'océan atlantique. 139
d'être saus écluses, sinon, les vaisseaux de gros ton-
nage préféreront la route du cap Horn; enfin les dé-
penses occasionnées seront énormes. Parmi les tracés
proposés actuellement, il y en a peu qui remplissent
cette condition, et chacun d'eux demande en revanche
l'accomplissement de travaux si grands et si coûteux
qu'il faut y renoncer. Il s'est formé dernièrement à
Paris un comité international dont le but est de tra-
vailler au percement du canal, et qui a choisi, pour
champ des explorations qu'il patronne, l'isthme peu
connu du Darien, où l'on espère trouver des condi-
tions plus avantageuses. L'œuvre de ce comité est
excellente, seulement il ne faut pas oublier que l'ini-
tiative doit venir des États-Unis, qui sont plus di-
rectement intéressés que l'Europe à la construction
du passage.
Xon-seulement le prix de ce travail sera plus élevé
que celui accompli à Suez , parce que les difficultés à
vaincre sont plus grandes, mais on doit aussi envisa-
ger que les avantages qui en résulteront seront bien
moindres ; car le chemin de fer qui, dans les Etats-
Unis, relie l'Atlantique au Pacifique, absorbe une
grande partie du commerce venant du Xord, et l'on
peut constater que le chemin de fer construit à Pa-
nama n'a qu'une importance minime. Les navires,
surtout ceux qui vont sur la côte occidentale de l'x^-
mérique du Sud, préféreront la paisible route mari-
time du cap Horn au passage de la mer des Antilles,
souvent bouleversée par des ouragans, d'autant plus
que le prix du passage au canal sera extraordinaire-
ment élevé.
L'utilité actuelle du canal est donc loin d'être com-
plètement démontrée. Espérons que de nouvelles étu-
140 l'océan atlantique.
des feront découvrir un tracé plus facile, et que les
ressources inépuisables que l'Amérique renferme
augmenteront les échanges dans une proportion sen-
sible ; c'est alors seulement que la nécessité d'un ca-
nal se fera plus fermement sentir.
Le tunnel de la Manche est dans de tout autres
conditions. Son utilité n'a pas besoin d'être démon-
trée; aussi se préoccupe-t-on beaucoup de sa con-
struction. Déjà les sondages ont été exécutés et voici
les conclusions d'une conférence que M. Lavallay, di-
recteur des travaux de la section française, a faite à
la Société des ingénieurs civils : « Les bancs inférieurs
de la craie se continuent sans interruption d'une côte
à l'autre; ces bancs sont imperméables, et leur allure
est dès à présent connue avec assez de précision pour
que le tracé du tunnel puisse être déterminé de façon
à satisfaire aux conditions d'économie dans la con-
struction, de facilité de raccordements avec les che-
mins existant dans l'un et l'autre pays, et enfin, de
rapidité et de commodité dans l'exploitation'. »
Grâce aux progrès des sciences, l'on peut donc es-
pérer que, dans un avenir prochain, le continent eu-
ropéen sera relié avec l'Angleterre par une ligne
non interrompue de chemins de fer, et que l'isthme de
Panama ne sera pas ta toujours un obstacle aux com-
munications directes et rapides entre l'Atlantique et
le Pacifique. L'homme aura ainsi reculé les bornes de
son empire sur le globe, comme il a triomphé de l'es-
pace par l'établissement de la ligne télégrapliique qui
permet à sa pensée de courir en un instant de l'ex-
trême orient à l'extrême occident.
' L'Exploration pai- M. Ch. Ilorz, l" juillet 1S77.
MÉMOIRES
MÉMOIRES, T. XVI, 1877. 10
PLAINES ET DÉSERTS
DES
DEUX COlSrTINEjSrTS
PREMIERE PARTIE
OÈSERT DE SAHARA.— ARABIE. —MÉSOPOTAMIE.
TARTARIE. — MONGOLIE.
« Laissez aux autres l'érudition profonde et
minutieuse, ne soyez qu'interprète intelligent,
simple et naïf, agréable s'il est possible. Tâchez
de vous faire lire et comprendre par tout le
monde; les grands succès appartiennent moins
aux savants qu'aux vulgarisateurs. »
(A. FiRMix-DiDOT, Journal de Genève du
30 décembre 1876.)
INTRODUCTION.
Les espaces étendus, les horizons vastes et décou-
verts ne sont pas sans influence sur l'esprit des hom-
mes, et ont presque toujours exercé sur ceux qui sont
en rapport avec eux un charme particulier. Notre
imagination excitée par des analogies réelles se plaît
à les peupler de troupeaux et de pasteurs qui nous
ramènent par la pensée au temps des patriarches et
des origines de l'humanité. C'est ce qui rend leur
étude intéressante, c'est ce qui nous pousse à nous
en occuper.
Les habitants des régions de montagnes, comme
144 PLAINES F.T DÉSERTS
aussi les marins parcourant le vaste Océan, justifie-
raient notre assertion, et les descriptions de ces deux
extrêmes dans la configuration du globe quant à leur
distance du centre de la terre, nous les font abon-
damment connaître. Mais pour être complet, il nous
resterait à parler des océans de sables et des vastes
plaines inhabitées que présentent dans leur intérieur
nos principaux continents.
« Dans toutes les zones, dit Humboldt, la nature
offre de ces plaines, de ces étendues illimitées et soli-
taires dont la physionomie et le caractère varient en
particulier pour chacune d'elles selon la hauteur de
ces plaines au-dessus du niveau de la mer, en raison
aussi de leur latitude plus ou moins élevée, en raison
enfin des particularités de leur sol et de leur climat. »
Ces traits particuliers qui en différencient la physio-
nomie leur ont valu des noms distincts.
C'est ainsi qu'en Europe (France), on a donné à
quelques-unes le nom de landes. Ailleurs, ces plaines
recouvertes d'une seule espèce de plantes, la bruyère
(Escault, Jutland), peuvent être considérées comme
des steppes, nom, dit Humboldt, qu'on donne souvent
et surtout aussi aux plaines de la Haute- Asie. L'Afri-
que rappelle l'idée de déserts de sable, l'Amérique
celle de savanes, c'est-à-dire de pâturages abondants
en graminées. Mais par ces distinctions, on établit
des contrastes qui ne sont pas toujours justifiés, ni
parfaitement fondés dans la nature.
Cependant, tandis qu'en thèse générale, le nom de
steppe rappelle l'idée de troupeaux et d'herbages, et
présente à notre imagination les incidents et toutes
les péripéties variées de la vie pastorale, telles que
nous les offrent en Asie les plaines de l'Arabie, de la
DES DEUX CONTINF.NTS. 14S
Mésopotamie, de la Tartarie et de la Mongolie, nous
connaissons en Afrique de semblables espaces éten-
dus sous le nom de déserts ; à ce nom s'associent tou-
jours l'idée de sables et de dépôts salins, comme le
désert au nord de Tombuctou par exemple, puis l'i-
dée de simoum ou veut du désert, l'idée enfin de hor-
des pillardes qui les affrontent et les traversent.
Les vastes plaines, rivières et forêts de l'Améri-
que, soit entre les bassins du Colorado et du Mis-
souri, soit entre ceux de l'Orénoque et de l'Amazone,
comme^ plus au midi^ celles qui traversent le conti-
nent sud-américain d'un océan à l'autre, nous seront
encore longtemps connues sous les noms divers de
jyrairies, savanes, llanos ti pampas, suivant les carac-
tères qu'elles présentent et les phénomènes qui s'y
produisent, parce qu'en général les espaces déserts
couverts de graviers et dépouillés de végétaux qui
caractérisent le Sahara leur manquent presque entiè-
rement.
Si sous le nom de Sahara on peut concevoir des dé-
serts de sables et de sel sans eaux courantes, et qui
furent peut-être autrefois recouverts par la mer, où,
entons cas, les lits de fleuves antérieurs n'existent
plus qu"à l'état fossile et desséché qu'on désigne au
Sahara sous le nom de fleuves mo7is, d'autre part on
sera frappé^ quand nous les étudierons, devoir qu'en
général les grandes étendues désertes couvertes d'her-
bages et désignées sous le nom de steppes occupent des
plateaux élevés au-dessus de la mer et bornés par de
grands fleuves qui les saignent, qui, destinés quelque-
fois à disparaître plus bas sous les sables, y conser-
vent, aussi longtemps qu'ils limitent la steppe, un
cours puissant et régulier, au point d'y avoir de temps
146 PLAINES ET DÉSERTS
immémorial sur l'Euphrate des bateaux de poste (Job).
Par exemple, le Nil au désert Nubien, l'Euphrate au
désert de Syrie et de Mésopotamie, l'Oxus supérieur
(Amu-Daria) au désert de Kliiva ; peut-être aussi
le Missouri et ses affluents au Kansas, l'Orénoque et
ses affluents aux llanos, l'Uruguay, le Parana et leurs
affluents aux pampas, etc.
Mais quelles que soient ces diversités de noms et
de caractères dans chaque région, presque toujours
on devra comprendre sous ces dénominations variées
lande, désert, steppe, prairie, savane, llanos, pam-
pas, etc., des espaces étendus et homogènes pour cha-
cun d'eux, où les habitants sont rares, où les phéno-
mènes climatériques se produisent avec une énergie
particulière, où la culture permanente est plus ou
moins nulle, et où, par conséquent, la vie de l'homme
est exposée à des luttes et souvent à de vrais dan-
gers. Ces dangers, pour être différents, ne le cèdent
ni à ceux provenant des précipices, avalanches et ef-
fondrements des glaciers alpestres et polaires, ni à
ceux non plus des tempêtes de l'Océan.
C'est à passer rapidement en revue ces différentes
étendues désertes et planes que nous consacrerons cet
essai.
Nous commencerons par le Sahara d'Afrique, et
nous y rattacherons par analogie, dans un premier li-
vre ou chapitre, les déserts et stejDpes asiatiques de
l'Arabie, de la Mésopotamie, de la Tartarie et de la
Mongolie. Puis, dans un second livre, nous étudie-
rons en Amérique^ sous les noms de prairies, savanes,
llanos et pampas, des espaces étendus et homogènes,
ayant par rapport à ceux des autres continents des
analogies, mais aussi des diflérences caractéristiques.
DES DEUX Ca^TINENTS. 147
I. — LE SAHARA
Berbères. Maures. Touaregs, etc. Le Sahara
ou pays de la Soif.
Dessinées à gTaiids traits, ses limites sont compri-
ses entre le Nil et l'Océan d'une part, entre l'Afrique
centrale et l'Afrique septentrionale baignée par la
Méditerranée de l'autre.
M. D'Escayrac (Désert et Soudan, p. 3 et suiv.)
donne au Sahara 1600 milles géographiques de lon-
gueur de l'Est à l'Ouest et 800 milles de largeur du
Sud au Nord. Plus basses en général que le niveau de
la Méditerranée, les plaines du Sahara sont séparées
de ses côtes par une ligue montagneuse qui s'étend du
Maroc à l'Egypte ; elle atteint sur l'Atlas sa plus
grande élévation et sa plus grande largeur. Au nord
de cette chaîne s'étend le Riff, qui en Algérie prend
le nom de Tell ou TeuU, offrant les mêmes caractères
et le même climat que l'Andalousie, la Sicile et la Pa-
lestine. Ses produits et ses cultures naturelles sont le
blé, l'orge, l'olivier, le mûrier, la vigne, l'oranger, le
figuier, le liège et le cactus (ce dernier récemment
importé d'Amérique). Le dattier, dont nous parle-
rons bientôt, n'y est qu'une exception et y est en gé-
néral improductif.
On peut diviser l'Afrique septentrionale en quatre
zones : 1° Zone des pluies hivernales^ de la côte de la
Méditerranée au 37Mat. nord; 2" Zone sans pluie y
Sahara proprement dit, du 37'^ au 17°; 3° Zone des
pluies estivales, du 17" au 10°; 4\Z(9;2e des pluies per-
manentes, du 10° à l'équateur.
148 PLAINES ET DÉSERTS
Revenons au Sahara. Voici comment M. Largeau
(p. 13) nous introduit dans ce domaine :
« Au Sahara, dit-il, l'œil étonné embrasse une
plaine immense qui se déroule vers le Sud jusqu'au
lointain horizon; cette plaine est l'image fidèle de
l'Océan ; il serait difficile de dire exactement quelles
sont ses limites.
* Comme l'Océan^ certaines parties de cette plaine
sont parsemées d'îles arrosées et fertiles, lesquelles
sont les points de relâche des caravanes qui la tra-
versent, et ces îles sont tantôt isolées, tantôt grou-
pées en archipels. Comme l'Océan, cette plaine a
aussi ses calmes énervants, ses tempêtes horribles
pendant lesquelles ses flots de sable s'élèvent jusqu'aux
nues; elle a aussi ses parties mj^stérieuses, qui sont
encore inexplorées. Comme pour l'Océan enfin, ce
qui, pris en général, y porte le caractère de plaine,
présente toutefois ici et là et sur de grands espaces
des ondulations de sable qui rappellent les vagues,
bien entendu que ces vagues séparées par des vallées
profondes peuvent aller de dix mètres jusqu'à mille
mètres de hauteur.
« Cette plaine c'est le Sahara, dont le nom signifie
désert fauve et nu\ et les îles dont elle est parsemée
s'appellent oasîs (en arabe : el ouahhat). Famé est
bien le mot propre, si la comparaison du Sahara avec
une peau de panthère, comparaison qu'on trouve chez
les Romains (Duveyrier, p. 88), est juste. Sa vaste
étendue avec ses ondulations et ses plaines, avec ses
oasis foncées, parsemées sur son sol sablonneux de cou-
leur ardente, doit bien figurer la robe bigarrée de la
bête fauve. Le peintre Fromentin, de son côté, s'ex-
prime ainsi : « La plaine autour d'El Agouat n'est
DES DEUX CONTINENTS. 149
d'un bout à l'autre, aussi loin que la vue peut s'éten-
dre, ni rouge, ni jaune, ni bistré, mais exactement
fauve, c'est-à-dire couleur ([q peau de Mon. »
On appelle aussi le Sahara pai/s de la soif, de même
que les plaines de la Mongolie se nomment pays des
herbes ou la terre des herbes. Il n'est donc pas éton-
nant que, dans ses conditions actuelles, le Sahara
présente l'image d'une profonde solitude. M. Largeau
y a souvent voyagé dix jours de suite sans y rencon-
trer un homme, une tente ou des chameaux.
M. le capitaine de Bonnemain dit ( Voyage à Gha-
damès, 1856): La plupart des caravanes ont l'habi-
tude de déposer entre El-Ouad et Ghadamès^, à ciel
ouvert, une partie des provisions du voyage pour les
reprendre au retour; il n'y a pas à craindre que d'au-
tres voyageurs s'en emparent. Sur d'autres lignes, j'ai
trouvé (18G0) des marchandises ainsi coutiées à la
garde de Dieu. De même sur la route de Moursouk à
Rhat; faute de bêtes de rechange, quand lim des cha-
meaux d'une caravane vient à périr en route, on laisse
sa charge sur la route pour la reprendre au retour;
on est sûr de l'y retrouver intacte, attendit-on une
année (Duveyrier, Exploration du Sahara, p. 259).
Cependant, hatons-nous de le dire avec Humboklt.
depuis qu'on a mieux appris à connaître les déserts de
l'intérieur de l'Afrique si longtemps et si vaguement
réunis sous la dénomination de désert du Sahara, on
a observé que, dans l'Est de ce continent, il y a.
comme aussi en Arabie, de véritables savanes propres
à la demeure des hommes, c'est-à-dire des pâturages
enclavés au milieu de terrains nus et arides.
Le caractère dominant du désert, c'est, dit Ch. Di-
dier, son uniformité ajoutée à son immensité; mais ne
130 PLAINES KT DÉSERTS
croyons pas que le désert soit monotone, au contraire:
tous ceux qui y ont séjourné ou seulement voj^agé, sa-
vent quelle variété infinie présente cette apparente
uniformité et avec quelle rapidité les heures s'y en-
fuient. Et quel silence! comparé au bruit des villes!
En mettant le pied dans le désert, on éprouve un sai-
sissement involontaire, une mélancolie grave et aus-
tère inséparable des grandes solitudes ; mais on s'ac-
climate vite dans ce redoutable empire des sables, on
s'y sent roi de l'espace, on y respire avec délices cet
air libre, on s'y sent vivre d'une vie nouvelle ; elle a
tant de charmes qu'on ne s'en arrache qu'à grand'peine
une fois qu'on l'a connue, et qu'on la regrette toujours »
(Ch. Didier, Cinquante jours au désert, p. 305-308).
Après le poète Didier, écoutons le peintre Fromen-
tin : « Cependant, dit-il, si la nature du désert, ici
très-simple et très-beau, est peu faite pour charmer,
il est capable d'émouvoir fortement, autant que n'im-
porte quelle contrée du monde ; c'est une terre sans
grâce, sans douceur, sévère, dont le premier effet est
de rendre sérieux, eftet et influence qu'il ne faut pas
confondre avec l'ennui. Déjà on y pressent les dunes,
pays de collines expirant dans un pays plus grand en-
core, plat, baigné d'une éternelle lumière, assez vide,
assez désolé pour donner l'idée de ce phénomène in-
connu, mystérieux, appelé le désert, où le ciel est tou-
jours à peu près semblable, avec du silence et de
tous côtés des horizons tranquilles; placez au centre
une sorte de ville perdue, El Agouat, par exemple,
environnée de solitude, puis un peu de verdure alter-
nant avec des îlots sablonneux, entin quelques récifs
de calcaire blanchâtre ou de schistes noirs, au bord
d'une étendue (]ui ressemble à la mer, pour tout épi-
UKS DEUX CONTINENTS. lol
sode, ou bien un soleil qui se lève sur le désert et va
se coucher derrière les collines, toujours calme, dé-
vorant, sans rayons, ou bien des bancs de sable qui
ont changé de place et de forme aux derniers vents
venus du Sud. De courtes aurores, des midis plus
longs et plus pesants qu'ailleurs, presque pas de cré-
puscule, puis un retour des vents brûlants qui domient
momentanément au paysage une physionomie mena-
çante et qui peuvent produire alors des sensations
accablantes, mais plus ordinairement une immobilité
radieuse et une sorte d'impassibilité qui. du ciel, sem-
ble être descendue dans les choses, et des choses dans
les hommes et dans leurs sentiments. La première
impression qui résulte de ce tableau ardent et ina-
nimé, composé de soleil, d'étendue et de solitude, est
poignante et ne peut être comparée à aucune autre ; à
l'heure de midi, le désert se transforme en une plaine
obscure ; le soleil, à son centre, l'inscrit dans un cercle
de lumière, dont les rayons égaux le frappent en plein^
dans tous les sens et partout à la fois. Ce n'est plus
ni de la clarté ni de l'ombre, la perspective cesse à
peu près de mesurer les distances; ce sont 15 ou 20
lieues de pays uniforme et plat comme un plancher ;
il semble que le plus petit objet saillant y devrait ap-
paraître, pourtant on n"y découvre rien ; on ne saurait
même dire ce qui est sable, terre ou rocher_, et l'im-
mobilité de cette mer solide devient alors encore plus
frappante. On se demande, en la voyant commencera
ses pieds, puis s'étendre, s'enfoncer vers le Sud, vers
l'Est, vers l'Ouest, sans chemin tracé, sans courbe ni
intlexion, que peut être ce pays silencieux-, revêtu de
la couleur du vide, d'où personne ne vient, oîi per-
sonne ne s'en va, et qui se termine par une raie droite
In2 PLAINES ET DÉSERTS
et nette sur le ciel! On sent qu'il ne finit j)as là, et
que ce n'est, pour ainsi dire, que l'entrée de la haute
mer. »
Et quelles nuits admirables ! calmes, chaudes,
ardemment étoilées , comme une nuit de canicule.
C'est, depuis l'horizon jusqu'au zénith, le même scin-
tillement partout et comme une sorte de phosphores-
cence confuse, au milieu de laquelle étincellent les
grands astres blancs et courent d'innombrables mé-
téores ; « quelques-uns avaient tant d'éclat, dit Fro-
mentin, que mon cheval secouait la tête, inquiété par
ces traînées de feu. Il n'y avait dans l'air immobile
ni mouvement, ni bruit, mais Je ne sais quel mur-
mure indéfinissable qui venait du ciel, et qu'on eût
dit produit par la palpitation des étoiles. »
L'aspect du désert, l'immensité de ses horizons,
son uniformité, son silence impressionnent vivement
celui qui le contemple pour la première fois; l'Océan,
les glaces du pôle, les Alpes supérieures produisent
seuls sur notre âme une impression semblable; le sen-
timent de la solitude dans laquelle nous nous trou-
vons, la conscience de notre faiblesse, l'admiration
que nous inspire une scène aussi grandiose, tout agit
sur nous et donne à notre esprit et à nos pensées une
plus grande concentration ; l'homme religieux le de-
vient davantage, l'imagination du poète s'exalte, etc.
(D'Escayrac, Désert et Soudan).
Le peintre Fromentin nous initie ainsi au désert
du Sahara : « Ce désert, dit-il, prélude au Nord par
des étendues vagues, oîi poussent au hasard quelques
maigres herbages sur un sol que la charrue n'a point
remué; ce sont, déjà au delà de Blida, des champs
d'oignons sauvages mêlés à des palmiers nains, d'ar-
DES DEUX CONTINENTS. 153
tichauts sauvages aussi, qui étalent à la vue leur tige
incolore et leur fruit barbelé ; ce sont encore des ro-
marins, des lavandes, des genêts à la fleur jaune, en-
fin des broussailles épineuses a3^ant la couleur de la
poussière qui les recouvre et maigre pâture pour les
ciiameaux épuisés. Telle est cette zone, avant-garde
du désert, où l'été ne laisse pas une herbe vivace,
tantôt battue par les grandes pluies, écrasée par le
poids des eaux, tantôt durcie, gercée, brûlée par cinq
mois de sécheresse et de soleil à peu près continus.
Ces grands espaces vides sont d'un parcours aussi
doux au pas des chevaux qu'un pré fauché ou que les
chaumes d'un champ coupés très-courts. On en voit
sortir de grands chardons à haute tige tous couronnés,
comme la hampe des drapeaux arabes, d'une boule
blanche composée d'un duvet soyeux. Le vent d'été
passe sans y occasionner le plus petit murmure ; il en
disperse les soies brillantes et projette leur graine
inutile sur des lieues de pays abandonné. Puis vien-
nent des terrains plus maigres où la marne est encore
plus nue; puis de loin en loin des enfoncements, des
dépressions où se produit et verdoie la triste et silen-
cieuse végétation des marais. L'insignifiance du dé-
tail disparaît dans cet ensemble vaste et baigné de lu-
mière et d'air, et les accidents s'évanouissent dans ce
grand vide. Quand, par hasard, un arbre apparaît
sur cet horizon plat où la vue se fatigue à vouloir pé-
nétrer l'azur, où le vent manque, où l'ombre est nulle,
c'est tantôt un vieil olivier oublié, protégé par les
superstitions locales, où les femmes voisines vont sus-
pendre en ex voto des lambeaux de guenilles, tantôt
un groupe inattendu de dattiers poussant sur la même
souche comme pour se protéger Tun l'autre, et mar-
lo4 PLAINES ET DÉSERTS
tyrisés par les intempéries d'un climat qui n'est pas
encore le leur. »
En effet, nous ne sommes ici qu'aux abords et non
au sein du désert même. Cependant s'évanouissent
bientôt dans les brumes du Nord, les dernières habi-
tations où quelques restes de civilisation rappellent
au voyageur l'Europe qu'il a quittée. Au loin, dans
cette direction, interrompant à de longs intervalles
une ligne buissonneuse, un point blanc, de forme in-
décise, indique encore la ferme isolée d'un colon ;
plus rarement une série de taches agglomérées dans
un certain ordre et légèrement arrondies comme des
tas d'herbes consumées trahissent un douar.
Le Sahara peut se diviser : V en Fiafl, c'est-à-
dire plaine habitée, oasis entourant les sources et les
puits ombragés de palmiers et autres arbres frui-
tiers, abritant du soleil et du simoum; 2^ en Kifar,
c'est la plaine sablonneuse et vide, mais qui, fécon-
dée momentanément par les pluies de l'hiver, se cou-
vre au printemps d'herbes où paissent alors les trou-
peaux nomades ; 3'^ en Falat, c'est-à-dire la plaine
immense, stérile et nue, mer de sable, dont les vagues
éternelles agitées aujourd'hui par le simoum, seront
demain amoncelées, immobiles et sillonnées par les
caravanes et les chameaux, vaisseaux du désert (Dau-
mas).
Au Sahara s'associent, avons-nous dit, avec Tidée
de sables sans limites, celles de mirage, d'oasis, de
simoum ou vent du désert, et de caravanes. Ces ca-
ravanes du Sahara mettent cinquante jours à le tra-
verser. Rien de plus imposant que ces plaines immen-
ses ; elles font j)artie, dit Hiimboldt, d'une mer de
sable qui sépare des régions fertiles ou qui les en-
DES DEUX GUM'INENTS. l.*)5
toure comme des îles. Aucune rosée, aucune pluie ne
viennent humecter cette surface désolée, ni féconder
le germe de la vie des plantes dans le sein brûlant de
cette terre, d'où s'élèvent des colonnes d'air embrasé
qui absorbent les vapeurs et dissipent les nuées em-
portées rapidement.
Dans la partie du Sahara entre ïuggurth et Rha-
damès toutefois, il ne faudrait pas prendre à la lettre
cette description ; ni la rosée, ni les pluies n'j' font
défaut constamment, du moins pendant l'hiver, au
rapport de M. Largeau,et les nuages y séjournent par-
fois assez longtemps. Mais cette peinture tracée par
Humboldtse vérifie à mesure qu'on pénètre plus avant
dans l'intérieur.
Entre le 32° et le 17° de latitude Nord, de légères
troupes d'autruches et de gazelles, parfois des ban-
des altérées de lions et de panthères, remplissent ces
solitudes du bruit de leurs rugissements et de leurs
combats. Plus au Nord, ils sont remplacés au Sahara
par l'antilope, les scorpions qui y pullulent, et diver-
ses sortes de vipères, sans parler des lézards de tou-
tes dimensions.
Quelques groupes de ces îles que nous avons dési-
gnées, d'après les Arabes, sous le nom d'oasis, parce
qu'elles sont pourvues de sources, émergent de cette
mer de sable, et servent, depuis des miniers d'années,
de ligne de communication invariable aux tribus no-
mades et au commerce dont les nombreuses carava-
nes franchissent l'espace de Tafilet à Tombuctou, ou
du Fézan au Darfour.
La population du Sahara est essentiellement no-
made, mélangée de sang berbère, nègre et arabe, dont
le docteur Barth et M. H. Duveyrier ont récemment,
156 PLAINES ET DÉSERTS
par leurs études faites sur place, commencé à retra-
cer riiistoire.
Les nomades de ia partie Sud et Ouest du Sahara
sont désignés plus spécialement sous le nom de Toua-
regs. Le Touareg porte un voile sur la tête et sur le
visage ; d'oii son nom, qui signifie voilé. Les uns re-
connaissent la suprématie de l'empereur du Maroc,
les autres celle du sultan de Constantinople. Ils sont
maris d'une seule femme, et celle-ci occupe dans la
famille un rang bien supérieur à celui des femmes
chez les Arabes dont nous parlerons bientôt.
Pour les nomades du Sahara, l'immensité de l'es-
pace occupe et dévore tout leur temps ; malgré cette
immensité, la rapidité delà transmission des nouvel-
les y est incroyable. Les établissements sédentaires
où le nomade habite des maisons proprement dites,
quoique précaires et construites en fascinage et en
roseaux, y sont l'exception, à côté des stations et
campements qui, au Nord et au Sud, comme à l'Est
et à l'Ouest, se composent de tentes portatives que les
chefs surtout affectent d'habiter exclusivement.
Les nomades en général, les Touaregs en particu-
lier, dit M. H. Duveyrier, n'y sont ni agriculteurs,
ni artisans; ils ne sont que pasteurs, et leur ten.ps
est exclusivement consacré à leurs courses et à leurs
transports. La surveillance de l'immense territoire,
sa garde, et l'abreuvage des troupeaux aux puits pro-
fonds, les voyages, les déplacements exigés par la
transhumance absorbent un temps et des forces qui
supposent chez ces peuples un tempérament excessi-
vement robuste.
Notre imagination nous retrace, à côté de cette
existence pastorale, nomade et commerçante, celle
DES DEUX CUNTINENTS. 157
des tribus vivant plus ou moins de pillage, l'idée de
rares puits abreuvant les voyageurs, et surtout l'im-
posante et dramatique tigure du chameau, surnommé
le vaisseau du désert, qui, depuis les temps du pa-
triarche Abraham jusqu'à nos jours, en est la per-
sonnitication la plus vivante, comme elle en est la res-
source la plus indispensable et la plus constante. Sans
son chameau, l'Arabe ne pourrait voyager au désert;
l'homme et l'animal semblent faits pour y vivre en-
semble.
Le chameau, dit M. H. Duveyrier {Exxioration du
Sahara, p. 218j, est le destructeur de la distance, le
combattant de l'espace, ce grand ennemi de l'habitant
du désert. Le chameau est aussi son grand pour-
voyeur ; son lait est le principal aliment des familles
pendant la saison des pâturages ; sa viande est l'élé-
ment des festins et de l'hospitalité oiïerte à l'hôte
qu'on veut distinguer; le cuir du chameau entre
(comme celui du cheval chez l'habitant de la pampa
de l'Amérique du Sud) dans la confection de tous les
meubles et ustensiles de ménage, tels que selles,
bâts, coffres, chaussures, etc. ; son poil fournit les
cordages, étoffes, tapis indispensables; sa hente (Var-
jol des Mongols) récoltée, sert d'engrais au dattier
et de combustible au ménage.
Que deviendrait le voyageur dans ces déserts pri-
vés d'eau, sans le chameau, qui, supportant longtemps
la soif, porte sur ses épaules les outres pleines desti-
nées à étancher celle de l'homme, plus vite altéré ?
Au Sahara, pendant les grandes chaleurs de l'été, le
chameau restera huit à dix jours sans boire, mais lors
des pluies d'hiver, il reste, sans peine, un mois et
plus sans boire d'eau. L'Arabe nomade lui-même
MÉMOIRES, T. XVI, 1877. 11
158 PLAINES ET DÉSERTS
peut marcher deux longues journées sans satisfaire sa
soif.
« Les Arabes, » dit Moltke ( Voyage en Orient), « ont
en i3erspective dans leurs expéditions de pillage, de-
vant eux l'espoir du butin, derrière eux la certitude
d'une retraite. Eux seuls connaissent les pâturages
du désert et les puits ignorés; eux seuls, peuvent vi-
vre dans de telles régions, et ils ne le peuvent que
grâce à leurs chameaux. Cet animal qui porte un
poids de 500 à 600 livres, transporte tout leur avoir,
femmes, enfants, vieillards, tente, provisions et eau,
d'un endroit à l'autre ; le chameau fait 6, 8 et même
20 journées de marche sans boire; bien plus, un cin-
quième estomac procure à son maître de quoi se dés-
altérer en cas d'extrême nécessité ; son poil donne à
l'Arabe de quoi faire l'étoffe de ses vêtements et celle
de ses tentes ; on extrait du sel de son urine ; son crot-
tin sert de combustible et l'Arabe en retire le salpê-
tre dont il fabrique sa poudre de guerre. Le lait de
chamelle nourrit non-seulement les enfants, mais aussi
les juments qu'il amaigrit et fortifie en même temps.
Sa chair est saine et savoureuse et son cuir trouve
maint emploi. Le plus maigre fourrage, l'herbe la
plus dure, les épines et les broussailles suffisent à la
nourriture de cet animal inappréciable, patient, ro-
buste et inoffensif. »
Que deviendrait-il, ce voyageur, sans les rares
puits échelonnés de distance en distance sur cette
longue route, et qui alimentent et renouvellent la
charge précieuse des chameaux '? A cette charge vient
s'ajouter celle des dattes, qui, avec le lait de cha-
melle, donnent pendant la traversée du désert une
DES DEUX CONTINENTS. loî)
nourriture succulente au nomade épuisé et au voya-
geur haletant.
Les puits sont les pères nourriciers de ces oasis de
dattiers porteurs d'un fruit bienfaisant ; nous revien-
drons plus loin sur le rôle du chameau et des dattes
au désert. Disons ici un mot des puits arabes creusés
artificiellement dans le Sahara.
L'énorme quantité d'eau qui, dit M. Largeau, des-
cend des plateaux du Sahara central, circule alors en
une large nappe souterraine et justitierait, semble-t-
il, l'entreprise et l'exécution de ces sondages et de ces
puits en grand nombre. Ce n'est que depuis quelques
années que, grâce à eux, l'abondance de l'eau a per-
mis ici et là au Sahara la culture de l'orge.
Rien de plus primitif ici que l'opération du fo-
rage d'un puits; deux troncs de dattiers dressés l'un
contre l'autre au-dessus de l'ouverture projetée, et
reliés entre eux par une traverse de bois dur au-des-
sous de leur point de rencontre ; au sommet , un seau
de cuir remplacé quelquefois par un panier en feuilles
de palmier et une corde faite de l'écorce du même
végétal qui s'y rattache, voilà, avec une houe à creu-
ser le sable, tout l'appareil. Approchons-nous ! c'est
le nouveau puits qu'on est en train de creuser. Déjà
la tête du travailleur descendu dans l'ouverture n'é-
merge plus à la surface ; voyez-vous cet autre se dés-
habiller auprès d'un feu allumé tout à côté de l'ou-
verture, où, à son tour, il va descendre et remplacer
son compagnon ? Il y trouvera déjà l'eau qui com-
mence à jaillir au travers des couches plus profondes.
Pour cela, il s'enduit de graisse les oreilles qu'il bou-
che ensuite avec de la terre, se mouille le visage et la
poitrine^fait une courte prière et disparait dans le puits.
160 PLAINES ET DÉSERTS
Un signal de la corde qu'il agite, au bout de deux à trois
minutes au plus, indique que le seau est rempli de sa-
ble, et on le remonte aussitôt en manœuvrant au
treuil. Ce travail pénible sous l'eau se poursuit par
l'un des plongeurs alternativement, jusqu'à ce qu'à la
profondeur de 30 à 40 mètres environ, la nappe jail-
lissante soit atteinte. Le creusage et le coffrage du
puits prennent d'ordinaire six mois pour s'accomplir; il
donnera 240 litres d'eau par minute si l'opération a
bien réussi; l'eau est de 22° à 24° centigrades.
Les nomades sahariens s'associent pour les frais du
creusage (2 à 3000 fr. par puits). Il peut arriver
aussi qu'un riche Arabe, marchand ou santon, entre-
prenne le forage d'un puits, comme œuvre méritoire
faite à ses frais, mais au profit de la communauté.
Toutefois, si les puits assurent seuls la possibilité et
la sécurité des communications dans le désert, il ar-
rive parfois que cette sécurité même engage les tri-
bus du désert à les dissimuler, parfois même à les
combler pour couper aux tribus hostiles une voie par
laquelle elles viendraient exercer leurs déprédations.
Les puisatiers existent de temps immémorial au
Sahara; ils y forment aujourd'hui une corporation esti-
mée. Excités à jalousie par les foreurs de puits arté-
siens de l'administration militaire française, le désert,
sous Faction commune des travailleurs des deux na-
tions, tend à se transformer peu à peu entre Tug-
gurth et Rhadamès, et se couvrira bientôt et succes-
sivement de belles et fraîches oasis de dattiers (Lar-
geau, p. 100).
Dans le désert, chaque ruisseau, chaque étang,
provenant des pluies de l'hiver que le soleil n'a pas
absorbées totalement, donne naissance à l'une de ces
DES DEUX CONTINENTS. l()l
oasis ou Uots de verdure; entourée de tous côtés par
l'océan de sable, l'oasis est isolée, et ses habitants y
forment une petite république indépendante dont la
force et la richesse correspond au nombre de ses dat-
tiers (D'Escayrac, Désert et Soudan, p. 4).
Dans l'Oued-Rhir seulement, dit M. H, Duvey-
rier, 325 puits arrosent 600,000 dattiers. Un dat-
tier, dit un proverbe arabe, doit, pour produire du
fruit, avoir la tête dans le feu et les pieds dans Veau.
Le soleil se charge du feu sur la tête, les puits se
chargent dliumecter les pieds du dattier. Enfin il faut
.3000 livres de crottin de chameau tous les dix ans,
soit 300 livres de fumure annuelle au moins par ar-
bre.
La limite de la patrie du dattier est entre le 12*
et le 37* parallèle. Rien ne peut donner une idée de
la fraîcheur et de la beauté d'une oasis ; au-dessous
des dattiers plantés en quinconce à une douzaine de
pieds les uns des autres, se groupent les abricotiers,
pêchers, grenadiers aux belles fleurs rouges, les
orangers aux fruits d'or et le henné aux petites bou-
les rougeâtres ; d'un arbre à l'autre grimpe la vigne ;
le maïs, le blé, l'orge, le trèfle ou le tabac remplis-
sent tous les vides ; pas un pouce de terrain suscepti-
bl e d'arrosage n'est perdu (D'Escayrac, Bésert et Sou-
dan, p. 16).
Le dattier est en effet, nous Ta vous dit, la res-
source capitale de l'habitant du désert ; nous devrons
bientôt, en conséquence, dire un mot de son fruit et
faire connaissance avec la datte. Mais avant de nous
transporter sur un marché d'Arabie où ce fruit est
exposé dans toutes ses variétés, nous prendrons congé
du Sahara en achevant le tableau du spectacle qu'il
1()2 PLAINES ET DÉSERTS
présente. «On a beau, dit Fromentin, d'El Agouat par
exemple, regarder tout autour de soi, près ou loin,
on ne distingue rien qui bouge ; quelquefois pourtant
et comme par hasard, un petit convoi de chameaux
chargés apparaît comme une file de points noirâtres,
montant avec lenteur les pentes sablonneuses; on
l'aperçoit seulement quand il aborde au pied des
collines. Ce sont des voyageurs, qui sont-ils? d'où
viennent-ils? Ils ont traversé sans qu'on les ait aper-
çus tout l'horizon en vue. Nous marchions depuis une
heure silencieusement, dit Fromentin {Eté au Sa-
hara, p. 235), et déjà appesantis par l'action du so-
leil qui nous embrasait les épaules, quand une bouf-
fée de vent venant du large nous apporta le son loin-
tain d'une musique arabe. A ce bruit inattendu dans
ce pays solitaire, nous regardâmes dans la direction
du vent ; une ligue de poussière commençait à se des-
siner au-dessus de la plaine entre Tadjemout et nous.
C'était une tribu qui se déplaçait.
« En effet, le bruit se rapprochant, on put bientôt
reconnaître l'aigre fanfare des cornemuses jouant un
air aussi bien approprié à la marche qu'à la danse :
la mesure était marquée par des coups réguliers frap-
pés sur des tambourins; on entendait aussi par mo-
ments des aboiements de chiens. Puis la poussière
sembla prendre une forme et l'on vit se dessiner une
longue file de cavaliers et de chameaux chargés qui
s'api)rochaient de nous ; enfin il nous fut possible de
distinguer l'ordre de marche et la composition de la
caravane. Elle était nombreuse, et se développait sur
une ligne étroite, et longue d'au moins un grand quart
de lieue. Les cavaliers venaient en tête, en peloton
serré, escortant un étendard aux trois couleurs, rouge,
1G3
DES bEUX (»)NT1NENTS.
vert et jaune, avec trois boules de cuivre et le crois-
sant à l'extrémité de la hampe. Au delà, et sur le dos
des dromadaires blancs ou d'un fauve très-clair, on
voyait se balancer quatre ou cinq ataticbes de cou-
leur éclatante ; puis arrivait un bataillon tout brun
de chameaux de charge poussés par des piétons qui
suivaient ; enlin, tout à fait à l'arrière, accourait, pour
suivre le pas allongé des dromadaires, un énorme
troupeau de moutons et de chèvres noires divisé par
petites bandes dont chacune était conduite par des
femmes ou par des nègres, surveillée par un homme
à cheval et flanquée de chiens. C'était une tribu des
Arba.
« Les cavaliers étaient armés en guerre, et costu-
més, parés, équipés commepour un carrousel ;tousavec
leurs longs fusils à capucines d'argent, ou pendus par
la bretelle en travers des épaules, ou posés horizon-
talement sur la selle, ou tenus de la main droite, la
crosse appuyée sur le genou. Quelques-uns portaient
le chapeau de paille conique empanaché de plumes
noires, d'autres avaient le burnous rabattu jusqu'aux
yeux, le haïk relevé jusqu'au nez ; et ceux dont on
ne voyait pas la barbe, ressemblaient ainsi à des
femmes maigres et basanées. D^autres, plus étrange-
ment coiffés de hauts kolbacks sans bord, en toison
d'autruche mâle, nus jusqu'à la ceinture, avec le haïk
roulé en écharpe, le ceinturon garni de pistolets et de
couteaux, et le vaste pantalon de forme turque, en
drap rouge, orange, vert ou bleu, soutaché d'or ou
d'argent, paradaient superbement sur de grands che-
vaux habillés de soie comme au moyen âge, et dont
les longs chelils ou caparaçons rayés et tout garnis de
grelots de cuivre, bruissaient au mouvement de leur
164 PLAINES KT DÉSERTS
croupe et de leur queue flottante. Il y avait là de fort
beaux chevaux; j '3' reconnus ces chevaux noirs à re-
flets bleus que les Arabes comparent au pigeon dans
l'ombre; ces chevaux couleur de roseau, ces chevaux
écarlate « comme le premier sang d'une blessure ; » les
blancs étaient couleur de neige, et les alezans couleur
d'or fin. D'autres d'un gris foncé, sous le lustre de la
sueur, devenaient exactement violets; d'autres en-
core, d'un gris très-clair et dont la peau se laissait
voir à travers leur poil humide et rasé, se A^einaient
de tons de chair et auraient pu s'appeler hardiment
des chevaux roses.
« Au centre de ce brillant état-major, à quelque pas
en avant de l'étendard, chevauchaient, l'un près de
l'autre et dans la tenue la plus simple, un vieillard à
barbe grisonnante et un tout jeune homme sans barbe,
lie vieillard était vêtu de grosse laine, et n'avait rien
qui le distinguât, que la modestie même et l'irrépro-
cliable propreté de ses vêtements, sa grande taille, la
majesté de sa tournure, l'ampleur extraordinaire de
ses burnous, surtout le volume de sa tête coiffée de
trois ou quatre capuchons superposés. Enfoui plutôt
qu'assis dans sa vaste selle en velours cramoisi brodé
d'or, ses larges pieds chaussés de babouches enfoncés
dans des étriers damasquinés d'or et les deux mains
posées sur le pommeau étincelant de la selle, il me-
nait à petits pas une jument grise, à queue sombre,
avec les naseaux ardents et un bel œil doux encadré
de crins noirs. Un cavalier nègre, eu livrée verte,
conduisait en main son cheval de bataille, superbe
animal à la robe de satin blanc, vêtu de brocard et
tout harnaché d'or, qui dansait au son de la musique,
et faisait fièrement résonner les grelots de son capa-
DES DEUX COdTINE.N TS. 105
raçon, les amulettes de son poitrail et Torfévrerie
splendide de sa bride. Un autre écuyer portait son
sabre et son fusil de luxe.
« Le jeune homme était habillé de blanc et montait
un cheval tout noir, énorme d'encolure, à queue traî-
nante, la tête à moitié cachée dans sa crinière. Il
était fluet, assez blanc, très-pâle, et c'était étrange de
voir une si robuste bête entre les mains d'un adoles-
cent si délicat. Il avait l'air efféminé, rusé, impérieux
et insolent. Il ne portait aucun insigne, pas la moin-
dre broderie sur ses vêtements ; et de toute sa per-
sonne soigneusement enveloppée dans un burnous de
fine laine, on ne voyait que l'extrémité de ses bottes
sans éperons et sa main qui tenait la bride, une petite
main maigre ornée d'un gros diamant. Il était ren-
versé sur le dossier de sa selle en velours violet brodé
d'argent, escorté de deux lévriers magnifiques qui
bondissaient entre les jambes de son cheval.
« Les musiciens venaient ensuite frappant , sur des
tambours et des timbales de diverses formes ou souf-
flant dans des musettes et des hautbois; puis arri-
vaient, sur deux de front, les grands chameaux por-
teurs de pavillons ou litières de voyage (atatiches)
marchant du pas noble de Fautruche, comme disent
les Arabes ; ils avaient des mouchoirs de satin noir
passés au cou, et des anneaux d'argent aux pieds de
devant. Ces atatiches sont une sorte de corbeilles en-
veloppées d'étoffes, avec un fond plat garni de coussins
et de tapis, dont les extrémités retombent en manière
de rideaux sur les deux flancs du dromadaire. Elles
sont de toute espèce d'étoftes précieuses, et forment
un assemblage de toutes les couleurs, par exemple,
damas citron rave de satin noir, avec des arabesques
16(5 PLAINES ET DÉSERTS
d'or sur le fond noir, et des fleurs d'argent sur le fond
citron; ou bien soie où l'écarlate, l'olive, l'orangé,
le violet, le rose, le bleu, le vert s'entre-croisent et se
mêlent. On n'entrevoyait rien des voyageuses de dis-
tinction suspendues dans ces somptueux berceaux ;
mais un nègre à pied, qui se tenait au-dessous de
chaque litière, était à leur service et à leur disposi-
tion pour recevoir leurs ordres à travers les tapisse-
ries hermétiquement closes. Enfin venaient les cha-
meaux de charge portant les tentes, le mobilier, la
batterie de cuisine de chaque famille, accompagnés
par des femmes, des enfants et quelques serviteurs à
pied et les plus pauvres de la tribu ; parmi ces usten-
siles divers étaient suspendus des douzaines de pou-
lets liés ensemble par les pattes et qui battaient des
ailes en criant. Les chameaux de transport pour les
bagages et les maisons de poil de cette petite cité no-
made en déménagement étaient au nombre de 150 à
200. Ajoutez-y de jeunes garçons assis tout à fait à
l'arrière des bêtes, juste au-dessus de la queue, qui
jetaient des cris quand les animaux trop rapprochés
s'embarrassaient l'un dans l'autre, ou bien de petits
enfants tout nus suspendus à Textrémité de la charge,
quelquefois couchés dans un grand plat de cuisine et
s'y laissant balancer comme dans un berceau.
« A l'exception du harem, qui voyageait en litière
fermée, toutes les femmes venaient à pied sur les
deux flancs de la caravane, sans voile, leur quenouille
à la ceinture et filant. Les petites filles suivaient en
traînant ou portant, attachés dans leur voile, les plus
jeunes et les moins alertes de la bande. De vieilles
femmes, exténuées par l'âge, cheminaient appuyées
sur de longs bâtons, tandis que de grands vieillards
DES DEUX GONllNENTS. J67
se faisaient porter par de tout petits ânes, leurs jam-
bes traînant à terre. Il y avait des nègres qui, dans
leurs bras d'ébène, tenaient de jolis nourrissons coif-
fés de la c/<ec/im rouge; d'autres menaient par la longe
des juments couvertes depuis le poitrail jusqu'à la
queue de djeUale à grands ramages, suivies de leurs
poulains; d'autres conduisaient, les tenant par les
cornes, des béliers farouclres, comme s'ils les traî-
naient aux sacrifices. « C'était aussi beau, dit Fro-
mentin, qu'an bas-relief antique. » Des cavaliers ga-
loppaient au milieu de la foule et donnaient de loin
des ordres à ceux qui, tout à fait à l'arrière, ame-
naient le troupeau des chameaux libres et des mou-
tons. C'était là que se tenait la meute, hurlant,
aboyant, harcelant sans cesse la queue du troupeau.
Pendant une heure encore après la rencontre, on en-
tendait le bruit des cornemuses et on continuait de
voir la poussière dans la direction de l'Est. '>
Mais cette poussière provient aussi parfois d'une
trombe de sable, prélude du mirage et des dunes, qui
tout à coup se détache du sol comme une mince fu-
mée, s'élève en spirale, parcoui-t un certain espace,
inclinée sous le vent, puis s'évapore au bout de quel-
ques secondes.
Nous retrouvons dans le phénomène du mirage qui
se produit fréquemment au désert l'effet de l'absence
de végétation sur l'homme, et l'ardeur avec laquelle
l'attente d'arriver à l'oasis plantée d'arbres transforme
pour lui, dans certaines conditions et sous certaines
prédispositions, le désert aride en jardins merveil-
leux.
Le mirage vient, avec ses illusions, aggraver poul-
ies hommes le sentiment de la soif: de là le nom.
1()8 PLAINES ET DÉSERTS
expressif de désir de V antilope, c'est-à-dire so//, donné
à ce phénomène dans la langne sanscrite. Non-seule-
ment nous trouvons des allusions aux effets magiques
du mirage, cette poésie du désert, dans les poètes in-
diens, persans, arabes, et dans les peintures si frap-
pantes des vastes solitudes où ils l'ont puisée (de
Humboldt), mais tout récemment le voyageur au
Sahara déjà cité, M. Largeau, nous en donne, comme
témoin oculaire, des descriptions oiî nous allons pui-
ser nous-mêmes.
« La nuit même a ses beautés, quand la lune éclaire
les plaines du Sahara. L'homme du Nord ne pourra
s'en faire une idée ; ces nuits sont pleines de fraî-
cheur, de lumière et de silence ; elles portent à la
rêverie et à l'adoration.
« Demandons, dit-il, à l'Arabe ce qu'il pense de
ces nuits sous la tente au désert, ce qu'il pense aussi
de cette fata morgana, de ces horizons enflammés, de
ces mirages, qui ont bien pu être l'origine de ces mer-
veilleux contes arabes murmurés la nuit autour des
feux et à la lueur des étoiles, et qui ont passé à la
postérité sous le titre à jamais connu et célèbre des
Mille et une nuits.
« Le 17 décembre 1874, dit M. Largeau, je fus
témoin d'un mirage dans les circonstances suivantes :
Il ventait fortement du Sud -Est; le thermomètre mar-
quait 15" centigrades au-dessus de 0; sur le ciel pur
et vaporeux se dessinait à l'horizon une immense fo-
rêt d'arbres gigantesques dont la forme ne rappelait
pas des palmiers ; ce n'était pas proprement des ar-
bres que j'avais en face de moi, mais plutôt des fan-
tômes d' arbres; ils avaient plus ou moins l'apparence
de peupliers gigantesques, mais sans feuilles, Der-
DKS DEUX CONTINENTS. 1()9
rière et entre ces troncs, ici isolés, là en groupes,
ailleurs en massifs serrés comme une forêt, apparais-
sait quelque chose de brillant et même d'éblouissant,
comme seraient les eaux d'un lac ou de la mer lors-
que le soleil s'y réfléchit. Tranchant sur le fond va-
poreux de cette forêt, j'apercevais sur la gauche comme
deux collines couronnées de hauts palmiers vert-fon-
cés; peu à peu, en avançant vers eux, les branches
des arbres s'évanouirent et il n'en resta plus que les
troncs. Le lac aussi s'était effacé ; enfin les troncs dis-
parurent à leur tour, et il ne resta plus que les deux
collines couronnées de palmiers, qui n'étaient en réa-
lité, en approchant, que des monticules de sable de 2
à 3 mètres de hauteur, surmontés de quelques touffes
de palmiers nains. Cependant il me sembla voir en-
core quelques collines onduler à l'horizon, mais elles
s'évanouirent comme le reste, et il ne resta bientôt
plus rien qu'un horizon aussi uni que celui de la
mer.
« Arrivé à l'endroit où la vision s'était produite, je
me trouvai sur un sol sablonneux, humide et couvert
d'une épaisse couche de salpêtre. Quelques roseaux
d'un mètre et demi de hauteur poussaient çà et là,
couronnant avec quelques autres plantes de petits
mamelons de sable isolés les uns des autres de 3 à 4
mètres, et dont les proportions dépassent rarement
celles d'une grosse taupinière. Telle est la figure or-
dinaire de la plaine déserte où se produisent les mi-
rages. »
« Le 7 janvier, continue M. Largeau, au bord du
Chott Melrhir, par 34° lat. nord, se dessine au loin
devant moi, vers le Sud, une longue ligne sombre
bordant l'horizon et sur laquelle ondulent des collines
170 PLAINES ET DÉSERTS
qui paraissent boisées ; on dirait de beaux et hauts
l^almiers dont les cimes touchent le ciel. Sur la gau-
che s'avance une presqu'île allongée, toute couverte
de beaux arbres garnis d'un épais feuillage, formant
des bouquets isolés sur les eaux éblouissantes d'un
beau lac, dont les eaux calmes et unies s'étendent vers
l'Orient ; mais en m'avançant, je vois les troncs dispa-
raître successivement, leur feuillage s'efface ensuite;
bientôt je n'aperçois plus que quelques têtes d'arbres
qui surnagent encore; enfin tout s'engloutit, et le lac
lui-même s'évanouit derrière d'épais nuages qui vien-
nent intercepter le soleil. « C'est un fantôme, » me
dit mon guide arabe; oui, répondis-je, un joli fan-
tôme.
« Notre vie n'est elle-même trop souvent qu'un mi-
rage ; chacun s'avance et marche vers celui qui l'at-
tire; mais, au moment de le saisir, que trouve-t-il à
sa place? Hélas! ce que l'on trouve au désert, la soif
dévorante, la souffrance, le désespoir trop souvent,
la mort quelquefois.
« La nuit suivante fut admirablement belle, les étoi-
les scintillaient sous la voûte bleue du ciel, le calme le
plus parfait régnait, pas un cri de chacal ne troublait
au loin \e silence majestueux du désert; seule l'eau
qui coulait dans le ruisseau voisin faisait entendre un
léger murmure, douce musique à mes oreilles, comme
si quelque génie caché dans les roseaux eut voulu
cliarmer ma rêverie en jouant sur son instrument
champêtre l'air le plus doux et le plus mélancolique
en harmonie avec le silence de la nuit.
« Le matin suivant, à 7 heures, cheminant dans le
bassin desséché du Cliott (marais), le phénomène le
plus surprenant, le plus merveilleux s'offre devant
DES DEUX CONTINENTS. 17 1
moi. A l'Orient s'étend un beau lac argenté, uni comme
une glace, d'où surgissent deux îlots de verdure ; un
peu à gauche, une ligne sombre de petites collines
semble nager au-dessus des eaux brillante?; à droite,
sur la ligne vaporeuse de l'horizon ondulé, trois grou-
pes d'arbres se détachent; au fur et à mesure que le
soleil approche et que le jour grandit, la vision se mo-
ditie, les collines de gauche s'isolent des îles de ver-
dure qui se multiplient alors en diminuant de propor-
tion; puis, comme dans la vision de la veille, ces îles
2)longent lentement et disparaissent au sein des ondes
qui s'effacent à leur tour. Bientôt le soleil se montre
au-dessus d'une bande de nuages noirs qui s'étend à
l'Orient comme un sombre rideau ; à peine le disque
de l'astre du jour commence-t-il à poindre au-dessus
des nuages, qu'une immense cascade, étincelante de
mille feux, se précipite d'en haut dans une mer qui
surgit comme par enchantement, en s'embrasant des
mêmes feux dont mes yeux éblouis ne peuvent sup-
porter l'éclat. ^lais comment pourrais-je décrire ce
que je vis alors? Ni peintre, ni poète ne sauraient le
rendre et je serais impuissant à en donner la des-
cription. Quiconque n"a pas été témoin d'un pareil
spectacle ne peut se faire une idée de sa grandeur,
de sa majesté; et quiconque aussi en aura été témoin
ne pourra le raconter. Dieu est grand et magnitique
dans ses œuvres. »
Il n'existe pas de voyageur en Orient ou en Afri-
que qui n'ait vu le mirage d'eau ; on est en quelque
sorte tenu de le voir, comme les voyageurs dans les
Alpes voient des chamois et des avalanches ; on se fait
un programme en partant, et il faut qu'il se réalise ;
on contemple les prodigieux effets de ce mirage, dont
172 PLAINES ET DÉSERTS
la descriptiou n'exigera que quelques frais d'enthou-
siasme: « Nous vîmes alors devant nous, disent les
voyageurs, une vaste nappe d'eau; elle semblait s'é-
loigner à mesure que nous nous en rapprochions,
etc. » Je fais grâce au lecteur des exclamations admi-
ratives qui ne manquent jamais de suivre la mention
du phénomène.
Le mirage d'eau existe cependant, comme les ava-
lanches et les chamois dans les Alpes, témoin M. Lar-
geau, que nous venons de citer; M. D'Escayrac, au-
tre témoin oculaire, en donne une description qui
concorde de point en point avec celle de M. Largeau.
« Le mirage, dit D'Escayrac (p. 54), ne trompe ja-
mais les chameaux, mais pour les hommes l'illusion
est complète. Venant un jour de traverser dans le dé-
sert une suite de monticules assez élevés, j'aperçus
une grande flaque d'eau k une certaine distance ; c'est
le mirage, me dit mon guide ; au bout d'un instant
cependant, les chameaux, très-altérés, commencèrent
à accélérer leur marche et à donner des signes non
équivoques d'impatience. C'est de l'eau, dis-je de nou-
veau au guide, les animaux la sentent ; le guide ayant
mis sa chamelle au trot, ne tarda pas à se rendre à
l'évidence; c'était effectivement, véritablement de
l'eau, à laquelle nos chameaux firent largement hon-
neur. »
Ainsi l'eau et le mirage d'eau présentent une telle
ressemblance que, si le mirage peut être pris pour
l'eau, Teau peut tout aussi bien être prise pour un
mirage par l'œil le plus exercé. « Je citerai encore,
dit D'Escayrac, un de mes domestiques nubiens, qui
n'ayant jamais vu la mer Rouge, la prit de loin pour
un effet de mirage. »
DES DEUX CONTINENTS. 173
C'est ainsi que le désert, en apparence pays de la
monotonie et de ^uniformité, se transforme de deux
manières : soit accidentellement par l'illusion momen-
tanée des mirages fréquents et passagers ^soit par une
modification lente et continue du relief de sa surface,
dont les vents abaissent ou rehaussent constamment
les dunes, véritables montagnes de sable que nous
avons comparées aux vagues de l'Océan, ôtant à cel-
les-ci pour donner à celles-là, mais dont il est diffi-
cile, aujourd'hui encore, de proposer une explication
scientifique satisfaisante. Ce sable du Sahara pro-
vient-il d'ailleurs et y serait-il apporté par les vents,
ou n'est-il qu'un effet et un produit du sol local lui-
même, soumis à une lente désagrégation et tritura-
tion sous l'action combinée de forces diverses?
D'après M. Largeau {Glohe, 1877, Bull., p. 130-
132) les dunes se forment originairement autour de
certains obstacles dont les plus agissants sont sans nul
doute les végétaux et VliumkUté. 11 cite à l'appui une
montagne de sable en voie de formation autour d'un
bosquet de dattiers tout près de l'oasis de Tuggurth
(bosquet), dont l'étendue était autrefois bien plus con-
sidérable qu'aujourd'hui. « 11 est bien certain, n'est-ce
pas, dit M. Largeau, qu'à l'époque où ces dattiers
ont été plantés, il n'existait point de dune à cet en-
droit. Il est tout aussi certain que ces dattiers n'ont
pas été plantés sur une colline de pierres, mais bien
au milieu d'une surface plane et susceptible d'irriga-
tion ; il faut donc que les sables qui se sont accumulés
autour d'eux, au point de former une dune qui a déjà
huit mètres d'altitude, y aient été apportés, et ap-
portés par les vents du Sud-Est. La dune continue de
grossir et continuera jusqu'à ce que les vents ne char-
MÉMOIRES, T. X\T, 1877. 12
174 PLAINES ET DÉSERTS
rient plus de sable, c'est-à-dire jusqu'à ce que le foyer
d'alimentation soit éteint.
« Ce qui se passe ici, continue M. Largeau, se passe
ailleurs pour y former des dunes de 150 mètres. »
Ce sable charrié par les vents serait-il la cause ou
l'une des causes qui ont contribué au dessèchement
superficiel des grands fleuves, en comblant partielle-
ment ou complètement leurs lits?
On s'est demandé aussi comment les Romains s'y
prenaient pour le mouvement de leurs armées et pour
ouvrir au travers du Sahara, sans eau, de grandes
routes militaires, dont on croit retrouver ici et là des
traces. Les historiens y font-ils mention du chameau,
et sans cet animal comment abreuver des multitudes
sur cette terre déshéritée? Faut-il en conclure que ses
conditions géologiques et hydrographiques auraient
changé? On le voit, une étude du désert saharien se-
rait illusoire et incomplète si, avant tout, elle ne se
portait pas sur la constitution géologique du sol, sur
le régime de ses eaux, et surtout sur le phénomène
caractéristique de ses sables mouvants, modifiant sans
cesse son relief sur certaines parties, et le rendant
peut-être stable et définitif dans d'autres. On a cru
reconnaître dans le fleuve mort de Tlgharghar le
fleuve Triton des anciens. Le fait que les Carthaginois
employaient l'éléphant dans leurs caravanes de com-
merce et dans leurs armées ferait supposer un pays
plus boisé et mieux arrosé que le Sahara de nos jours ;
on a des raisons de croire que le crocodile y vivait^
s'il ne s'y trouve plus aujourd'hui.
Cette étude du Sahara est donc, je le répète,
fort incomplète. C'est un tableau , tableau bien im-
parfait lui-même, puisqu'il indique sans l'expUquer
DES DEUX CUNTINKNTS. 175
cette étrange transformation, par une cause locale ou
par les vents, des dunes du désert, qu'on voit alors fu-
mer à leur sommet comme on voit fumer par certains
vents les neiges du sommet du Mont-Blanc.
« Les vents, dit M. le professeur W. Rosier, ac-
complissent une œuvre géologique fort importante:
ils sont en même temps constructeurs et destructeurs,
ce sont eux qui portent au loin dans l'intérieur, pour
en former des dunes, les sables du rivage qu'ils dé-
gradent ; ils vaporisent d'immenses étendues d'eau et
transforment en lacs et eu mers des plaines très -éten-
dues » {Globe, t. XV, liv. 4-6, 1876).
A l'appui de ces lignes, on devrait citer l'opinion
de quelques géologues relativement à l'existence ac-
tuelle du désert de Sahara, qui aurait été précédem-
ment un bassin que remplissait la mer, et que des pro-
jets gigantesques proposeraient de restituer à son
primitif élément. N"osant m'aventurer à la suite de
M. Largeau sur ces domaines qui me sont étrangers,
j'avais raison de dire que mon tableau du Sahara n'é-
tait qu'ébauché, et que cette esquisse imparfaite aurait
réclamé une main plus ferme et plus sûre.
Je ne discuterai pas non plus, à l'occasion des sa-
bles mouvants, le motif qui a inspiré l'érection des
fameuses p3Tamides de Giseh, et l'opinion qui consi-
dère ces monuments gigantesques comme un boule-
vard et une digue destinés à rompre et à contenir
leurs envahissements; mais nous dirons un mot, en
passant, des trombes de sable du désert nubien, et
c'est au voyageur Bruce que nous devons ce qui suit :
« Le 14 novembre, dit-il, nous fûmes tout à la fois
surpris et épouvantés par un des spectacles les plus
magnifiques ; nous vîmes s'élever à l'Ouest et au Nord-
170 PLAINES ET DÉSERTS
Ouest, du sein de l'immense désert, d'énormes colon-
nes de sable qui tantôt couraient avec une prodi-
gieuse rapidité, et tantôt s'avançaient avec une ma-
jestueuse lenteur. Quelquefois nous tremblions qu'elles
ne fondissent sur nous, et nous en ressentîmes en ef-
fet quelque peu les conséquences, sous la forme d'une
pluie de sable ; mais ensuite nous les perdîmes à peu
près de vue ; elles s'élevaient à une si grande hauteur
qu'elles se perdaient dans les nuages, ou bien elles se
brisaient et se dispersaient dans les airs. Quelquefois
elles se rompaient par le milieu avec un bruit sem-
blable à l'explosion d'une pièce d'artillerie. Vers midi
nous comptâmes onze de ces colonnes à 3 milles de
distance, poussées sur nous par un violent vent du
Nord. Le diamètre de la plus grosse de ces colonnes
paraissait d'environ dix pieds. Heureusement le vent
sauta au Sud-Est et les coloniïes s'éloignèrent; mais
elles me laissèrent, dit Bruce, sous une impression
mêlée d'étonnement, de terreur et d'admiration. Le
cheval le plus rapide et le vaisseau le meilleur voilier
n'égalent point la célérité de la marche du phéno-
mène, et la persuasion où j'étais de ne pouvoir lui
échapper, me fit rester longtemps immobile, occupé à
le contempler. Nous revîmes, le 15, des colonnes de
sable mouvant; au lever du soleil, le ciel en était
obscurci ; puis le soleil les pénétrant, elles prirent
l'apparence de véritables colonnes de feu; c'était, di-
saient nos Arabes, un présage de l'approche du si-
moum (les voyageurs étaient alors à quelques jour-
nées de Syene, venant du Sennaar). Ce phénomène du
simoum, quoique prévu, nous jeta tous dans le plus
grand accablement, et nous en ressentîmes longtemps
les effets. S'il avait duré, nous n'y eussions pas ré-
DES DEUX CONTINENTS, 177
sisté ; lieureusement un vent du nord se leva qui y mit
fin pour cette fois, mais ce n'était pas pour long-
temps. En effet, le 20, à 11 heures du matin, reten-
tit dans la caravane le cri : le simoum! le simoum!
« Ma curiosité ne me permit pas de me jeter à terre,
avant d'avoir auparavant regardé derrière moi ; je vis
alors au Sud-Est un nuage rouge-bleuâtre comme le
précédent, alors que le simoum nous avait frappés la
dernière fois. Nous tombâmes tous le visage contre
terre et nous sentîmes passer le simoum. »
« Toutes les fois que s'apercevaient des colonnes de
sable un peu matinales, c'était, dit Bruce, un signe
assuré de chaleur et de vent du Nord jusqu'à midi.
Ce vent se calmait alors, et bientôt après le simoum
empoisonné se faisait sentir pendant deux heures de
temps, et nous le redoutions bien plus encore que les
colonnes de sable. Ces colonnes nous offrirent, le 21,
un spectacle vraiment magnifique: elles étaient plus
grosses que celles des jours précédents et le soleil les
frappait de manière que les plus rapprochées de nous
semblaient être couvertes d'étoiles d'or; elles étaient
alors à deux milles de distance (Bruce, Voyage aux
sources du Ml, vol. VIII, p. 398). »
« Voyageant ])ar une belle nuit de juin dans le dé-
sert de Bycharas, raconte D'Escayrac, à trois jour-
nées environ de Suakem, aucun nuage ne me déro-
bait une seule étoile et le ciel était admirablement
pur; je jouissais du calme profond de l'atmosphère,
quand tout à coup la scène changea ; un nuage noir
se montra brusquement à l'Est, et, s'élevant avec une
effrayante rapidité, eut en quelques instants envahi
la moitié du ciel. Une l'afale subite et d'une excessive
violence vint nous couvrir de sable ; des graviers de la
178 PLAINES KT DÉSERTS
grosseur d'un pois nous battaient la figure; le vent venait
directement de l'Est. Les chameaux, peu disposés à
lutter contre lui, eussent voulu louvoyer, et il nous
devint difficile de les maintenir dans la bonne route.
Le ciel envahi bientôt tout entier par l'immense nuée
de sable, nous plongea dans une profonde obscurité
qui ne nous permettait d'ailleurs plus de retrouver
cette route. Nous nous étions couvert avec soin le vi-
sage, mais nous ne pouvions entr'ouvrir les yeux sans
qu'ils se remplissent de sable. L'irritation qu'il y
causait revêtait tout ce que nous pouvions encore dis-
tinguer d'une teinte rougeâtre particulière. Les cha-
meaux grognaient et s'agenouillaient à chaque pas :
je réussis avec peine à réunir mes hommes que, dans
l'obscurité, l'indocilité des chameaux avaient écartés
un peu les uns des autres ; quoique les plus éloignés
ne fussent qu'à quelques pas, ils couraient le plus
grand danger de se perdre et entendirent à peine ma
voix, que j'avais élevée le plus qu'il m'était possible.
Nous nous arrêtâmes. Les chameaux s'étendirent si
bien sur le sable et les hommes étaient tellement gê-
nés par la grêle qui les fouettait, leur remplissait les
yeux, le nez et la bouche, que je m'abstins de faire
décharger les ettets. Je m'adossai à mon hcdj'ni dont
la selle élevée me protégeait un peu, je m'enveloppai
la tête avec le long châle de Tripoli qui formait ma
ceinture, et n'osant m'étendre de peur de reder eme-
veli sous ce déluge de sable, je me laissai cependant
aller au sommeil et mes gens imitèrent bientôt mon
exemple.
« Lorsque je me réveillai au point du jour, le calme
était revenu; le ciel avait repris sa pureté; jetant les
yeux autour de moi, je vis les chameaux enfoncés jus-
DES DEUX CONflNENTS. 179
qu'au cou daus le sable ; un de mes chameliers en était
entièrement recouvert; sa tête seule ne se trouvait en-
sevelie que jusqu'aux oreilles; il dormait encore, je le
réveillai avant de l'avoir aperçu, en marchant sur ses
jambes, et je ris beaucoup de sa surprise ; il avait 2 à
3 pouces de sable sur le ventre et sur la poitrine. Je
ne vis plus mou sabre que j'avais, avant de m'endor-
mir, placé près de moi; il me fallut fouiller longtemps
pour le retrouver. » M. D'Escayrac conclut en disant
que le danger, en telles circonstances, consiste non
dans la chance de demeurer enseveli ou englouti sous
le sable (et il nie formellement que ce sort ait jamais
pu atteindre ni voyageur ni encore moins des cai'a-
vanes ou des armées); le danger couru, ce sont les
dunes formées et soulevées par louragan; « il est évi-
dent, dit-il, que si le coup de vent nous eût surpris
au milieu de ces dunes, abandonnés de nos chameaux
que rien n'eût pu décider à continuer leur route, nous
eussions perdu la direction qu'il fallait suivre et pa-
taugé à l'aventure sur ce sol qui nous eût infaillible-
ment engloutis. Tel a dû être lé sort de ces carava-
nes et de ces troupes soi-disant ensevelies sous le sa-
ble, et qui perdirent tout simplement leur route, tra-
hies peut-être par des guides inlidèles, et qui succom-
bèrent aux lentes tortures de la soif. »
Combien de tels voyages ne doivent-ils pas renché-
rir les articles d'exportation qui, pour alimenter les
marchés de la Méditerranée, ont à transiter au tra-
vers du Sahara à dos de chameau ! Ce sont en parti-
culier, avec les dattes dont nous allons reparler, la
laine brute et ouvrée (bournous, etc.), le tabac, les
peaux (gazelle, antilope, tigre), les plumes d'autru-
che, lïvoire, le musc, le miel, la cire, l'encens, les
cornes et, hélas! aussi les esclaves.
180 PLAIiXES ET DÉSERTS
Ecoutons comment M. Soleillet {V Afrique occiden-
tale, p. 7) nous initie à la physionomie du désert.
« Voulez -vous jouir du panorama complet de
l'oasis et du désert au sud de Lagliouat dans sa
sévère beauté ? Montez sur la terrasse de son hôpital
et regardez dans la direction du Midi; vous aurez
sous les yeux, à perte de vue, une plaine uniforme
toute grise ; ses mouvements la font ressembler à une
mer agitée qui se serait subitement solidifiée. Cette
immensité immuable et silencieuse du désert paraît
plus grande encore que celle de la mer, son horizon
est plus vaste, et l'espace qu'il renferme est d'une
seule couleur, sans mouvement et sans bruit. »
Voici, du reste, comment le même voyageur {Ibid.
p. lOG) déiinit le Sahara.
« L'Afrique nord-méridionale se partage d'après
sa constitution physique en trois zones bien distinctes.
L'une, que j'appellerai la région méditerranéenne,
est formée par le Tell, ou plaine du Maroc, de l'Al-
gérie, de la Tunisie et de la Tripohtaine; c'est le
Magrch ou Occident des géographes arabes ; c'est
l'Atlantide des anciens, région limitée au nord par
la mer Méditerranée, et au sud par le Sahara qui
commence aux pentes méridionales de l'Atlas. Dans
la région méditerranéenne se rencontrent tous les
animaux et plantes de l'Europe méridionale.
« Le Sahara s'étend à partir du sud de l'Atlas jus-
qu'à la région des pluies tropicales ; il est limité au
nord par l'Atlas, à l'est par la Méditerranée et le dé-
sert libyque, à l'ouest par l'Océan. Au sud du Sahara
et avec les pluies tropicales, commence la Nigritie
proprement dite (le Soudan).
La Nigritie et le Magreb {Mauritanie) sont ainsi
DES DEUX CONTINENTS. 181
séparés comme ils pourraient l'être par une mer, et
ils forment deux régions parfaitement distinctes ayant
chacune leur faune, leur flore et leur climat. Le Sa-
hara qui les unit participe des deux.
Le SaUara, ainsi que cliacun le sait, est un pays
de pâturages ; il s'y trouve cependant de grands
massifs montagneux, tels que le Djébel-Hoggar, etc.,
qui constituent pour la contrée de véritables alpes
(Oberland). Le sol du Sahara est si fertile qu'il suffit
qu'il y pleuve tous les deux ou trois ans pour l'entre-
tien des pâturages. Le Sahara nourrit ainsi, outre des
troupeaux en grand nombre, des oasis habitées et
cultivées, qui produisent des céréales, des fruits et
des légumes. La culture des céréales et l'élève du
bétail pourraient y atteindre des proportions très-
considérables.
Les particularités du sol aux environs d"Ain-Çala.
occupé par les Touaregs, rappellent celles queWallin
a observées dans l'Arabie septentrionale et dont nous
reparlerons : ce sont des haniada. c'est-à-dire des in-
tervalles exclusivement pierreux et dénudés, recou-
verts parfois de pierres noires ou rouges. Ces pierres,
de diverse grosseur, sont toujours brillantes et lui-
santes comme du jais taillé et poli. Elles n'adhèrent
pas au sol, et forment parfois, dit M. Soleillet, une
couche si régulière qu'on les dirait étendues avec un
râteau. La terre qu'elles recouvrent est d'une nature
différente ; on est au milieu de ce fantastique terrain
le jouet des mirages les plus singuliers. Une pierre
d'une couleur tranchante, un bâton perdu par quelque
chamelier d'une caravane^ prennent de loin l'aspect
d'un arbre ou d'un chameau. « J'y ai vu, dit-il, des
gens familiarisés avec ce pays dès leur naissance,
182 PLAINES ET DÉSERTS
trompés tout comme moi, et discuter entre eux si les
cinq cavaliers qui venaient vers nous montés sur des
mehara (dromadaires) étaient vêtus de noir ou de
blanc : ces cinq cavaliers étaient en réalité cinq
pierres grises, de quelques centimètres de hauteur. »
Les sables mouvants du Sahara ne sont, selon
l'opinion de M. Soleillet, que l'exception ; et dans
cette contrée, qui est grande comme la moitié de
l'Europe, « ces sables n' occupent peut-être pas le tiers
delà surface qu'ils couvrent en Europe. Le Sahara en
effet n'est pas, surtout à Fouest, comme le désert de
Libye, une série continue de dunes de sables mouvants
séparées entre elles par des mers de ce même sable. »
La faune du Sahara, en dehors de certains scor-
pions et du céraste (vipère à cornes) , ne renferme au-
cun animal dangereux ; dans l'ordre des mammifères
et des oiseaux, le Sahara est caractérisé par la gazelle
l'antilope et l'autruche.
En gros, on peut dire que la partie déserte du Sa-
hara est renfermée entre les lignes irrégulières et
brisées que déterminent, au nord, les centres habités
de Moursouk , Rhadamès, Le Touat, Ain-Çala,
Fighig et le Tatilet ; au sud, les villes d'Agadès et de
Tombouctou. C'est aussi là, pour l'Afrique, le champ
parcouru par l'autruche, la gazelle et la grande an-
tilope. La girafe se montre surtout, sur et au sud
de cette seconde ligne (D'' Barth).
On retrouve l'autruche, en Asie, dans l'immense
désert situé entre le Xedjed arabe et le llauran
syrien. La femelle de l'autruche pond pendant l'hiver
de douze à vingt œufs, déposés en cercle et à moitié
enterrés dans le sable. La femelle et le mâle les cou-
vent alternativement ; celui (pii n'est pas sur les œufs
DKS DEUX CONTINENTS. 183
fait le guet du haut de quelque émineiice voisine, ce
qui trahit leur présence et les lait bien vite découvrir.
— L'œuf d'autruche est une nourriture saine, mais
un peu indigeste. — En Afrique, le nomade force
l'autruche à cheval, ou bien la tire à l'affût; en Asie
on tend souvent un piège aux abords d'un nid.
Dès qu'on entre dans le Sahara par le nord, on a
devant soi d'immenses plaines couvertes d'a//h.
« Cette plante, » dit M. Soleillet (p. 11 4), «forme de
vastes champs qui couvrent de grands espaces du Sa-
hara non cultivé, sur une largeur de 300 kilomètres
environ et sur une longueur, de l'ouest à l'est, de
plusieurs milliers de kilomètres, puisqu'ils s'étendent
du Maroc à la Tripoli taine. De tout temps cette plante
sous le nom de sparte, a servi en Espagne à faire des
cordages et divers ouvrages qui reçurent, de là, le
nom de spartetie ; mais elle n'a été réellement une
richesse que du jour où l'on a trouvé le moyen de faire
avec elle de la pâte de papier.
« Les papiers obtenus avec la fibre de cette plante
sont d'excellente qualité ; ils servent à l'impression du
Times et de plusieurs autres grands journaux de
l'Europe et de l'Amérique; l'alfa ne servirait qu'à
cette fabrication toujours croissante du papier, qu'il
serait une source inépuisable de prospérité pour le
Sahara ; mais l'industrie a su aussi l'utiliser pour
d'autres usages : on en a obtenu un fil très-résistant
qui a servi à tisser des toiles à sacs et autres étoffes
demandant une grande résistance. Ce fil est égale-
ment employé pour former la chaîne de divers tissus.
Dernièrement un Américain prenait un brevet pour
un carton fait avec de l'alfa, et qui peut se débiter et
se travailler comme le bois. Avec ce carton, il a con-
184 PLAINES ET DÉSERTS
fectioniié des boîtes, des caisses et même des ton-
neaux qui, tout en étant très-légers, offrent la plus
grande solidité.
« L'alfa, donc, cette plante précieuse, pour le
transport de laquelle s'équipent aujourd'hui des na-
vires en Europe et en Amérique, qui fait, dans les
deux mondes, marcher de nombreuses usines, aux
préparations de laquelle des milliers d'ouvriers sont
employés, qui fait construire des chemins de fer dans
le Sahara et des ports dans la Méditerranée, n'était,
il n'}^ a pas vingt ans, qu'une mauvaise herbe
appréciée du seul chameau du désert. »
C'est dans le champ parcouru par l'autruche que
se meuvent les populations nomades, adonnées à sa
chasse et à la vie du désert en général. J'ai déjà
nommé pour sa partie la plus méridionale du côté de
l'ouest, après les Arabes, les Touaregs. La tribu des
Cliâmba, intermédiaire entre les uns et les autres,
mais qui se rattache aux premiers par le langage,
doit aussi }• être mentionnée.
Ce sont ces tribus, d'origine diverse, dont l'exis-
tence présente le type patriarcal le plus simple, le
plus grand et le plus poétique à certains égards. —
« Le chef, entouré de tout ce qui lui est cher, de ses
enfants, de ses frères, de ses femmes, de ses servi-
teurs nègres ou blancs, de ses clients, porte, » nous
dit M. Soleillet, « aux cantons dont il est le souverain
incontesté, le même amour, malgré leur aridité com-
parative, qu'un paysan normand ressent i)Our ses
vertes campagnes. Une vaste plaine qui peut, comme
le Sahara entre Metlili et Kl-Goléa, fournir toute
l'année de gras herbages, paraît aux nomades le plus
beau pays du monde. Dans les circonstances ordi-
DES DEUX CONTINENTS. 185
naires, le Cheikh y passe doucement son existence ;
tantôt couché devant ses tentes, occupé à regarder
paître ses troupeaux, tantôt se livrant à des parties
de chasse dont le gibier est l'antilope ou l'autruche,
tantôt à des voyages ayant pour but les intérêts de
sa famille ou de sa tribu, ou la conduite des caravanes.
Dans les circonstances plus exceptionnelles, ses
voyages ont pour objet la conclusion d'alliances en
vue d'un danger commun, d'une guerre à soutenir, ou
d'une razzia à exécuter sur ses ennemis. »
Cependant, malgré les avantages d'une demeure
aussi champêtre et aussi transportable que la tente,
celui qui l'habite doit savoir faire maigre chère à
l'occasion ; car la chasse n'est ])as en tout temps pos-
sible ni toujours heureuse. Alors on est réduit aux
dattes de l'oasis et au lait des troupeaux, peut-être
aussi aux sauterelles séchées, grillées et frites au
beurre. Le lait surtout forme, en certains moments
de Tannée^ l'unique nourriture des nomades, et les
chevaux eux-mêmes alors n'en ont pas d'autre.
« Toutefois, » dit le voyageur que nous suivons,
« toute séduisante et pittoresque que puisse paraître
la vie nomade, quelque degré de civilisation qu'attei-
gne la vie de pasteur comparée à celle de simple
chasseur, cette vie paraît destinée à s'effacer et dis-
paraître au contact d'une civilisation plus avancée ;
cette civilisation-là ne peut se développer qu'avec
une demeure lixe pour l'homme et avec la culture du
sol, qui favorise et permet une plus grande population
sur le même espace de terrain. Il faut au contraire
aux nomades de vastes espaces incultes pour nourrir
leurs troupeaux et beaucoup de bras exclusivement
occupés à les garder et à les défendre, et c'est autant
18B PLAINES i:t déserts
d'enlevé aux travaux de l'industrie et des arts ou aux
spéculations de l'esprit, tels qu'ils se rencontrent chez
les peuples plus civilisés. Sans doute certains traits
de mœurs rappellent cette civilisation, là où l'on s'y
attendrait le moins : je veux parler entre autres des
mœurs des Touaregs, parmi lesquels la femme occupe
un rang et jouit de privilèges qu'on ne rencontre
guère que chez les Européens et dans leurs colonies
des autres portions du globe.
II. — ARABIE
Pays des dattes, Arabes bédouins, etc.
Continuons le voyage ; du Sahara gagnons l'Arabie
par la ligne de puits et d'oasis dont nous avons parlé ;
nos provisions, renouvelées au Caire, sont épuisées.
Transportons-nous sur un des grands marchés de
la Mecque ou de Médine. Nous sommes arrivés à la
suite du grand concours des pèlerins. C'est ici que
brille dans tout son éclat et que s'étale dans toutes
ses variétés le merveilleux fruit du désert. Consul-
tons à cet égardBurkhardt, Hue, Gabet, Vanbéry.
Le dattier, qui proclame de loin l'oasis à la cara-
vane haletante et épuisée, est un bienfait pour les
hommes et pour leurs chameaux ; cet arbre annonce
d'une manière certaine la pi'ésence de l'eau ; il offre
en outre dans ses feuilles un ombrage, dans son fruit
une nourriture aux hommes et aux animaux; son
noyau, soit broyé, soit ramolli pendant deux jours
dans l'eau, est un aliment favori des bestiaux et du
chameau, qui, dit-on, le préfère même au grain.
La datte forme avec la jujube l'aliment principal
DES DEUX CONTINENTS. 187
des populations du désert ; celle de ^lédine. où nous
sommes, est d'une qualité supérieure et jouit d'une
grande célébrité dans toute l'Arabie, surtout celle
qui provient d'arbres du désert non arrosés artifi-
ciellement.
Les dattiers d'Egypte, croissant sur un sol gras,
riche et bien arrosé, sont plus féconds, mais donnent
un fruit moins estimé, moins sucré et moins savou-
reux, quoique plus flatteur à l'œil ; dans certaines bou-
tiques de ^lédine on ne vend que des no^'aux de dat-
tes ; les mendiants ne font autre chose que ramasser
dans les rues les plus fréquentées ces noyaux qu'on y
jette pendant l'affluence des pèlerins.
On compte cent trente espèces de dattes, rien que
pour le territoire avoisinaut Médine ; chaque localité
du désert a sa variété spéciale. Voici, à notre droite,
la datte DJeheli ; elle compte parmi les variétés les
plus communes et les moins chères, c'est le Djeheli du
Hedjaz ; puis voici , à gauche , le Héloud , puis le
Héleia, dont le fruit n'est pas plus gros qu'une mûre ;
sa douceur extraordinaire égale celle des meilleures
figues de Smyrne; sèche, elle se recouvre, comme la
figue, d'un vernis sucré.
Les Médinois racontent que Mahomet planta un
noyau de datte Héleia, qui prit aussitôt racine, poussa
des feuilles et en quelques minutes devint un arbre
couvert de fruits. Un autre dattier, JSl S'iliani, adressa
au prophète qui passait devant lui le Salam Aleikum
d'une voix très-distincte. Voici aussi le Birni. Le
Birni passe pour la variété de dattes la plus saine.
Mahomet conseillait aux Arabes d'en manger chaque
jour sept avant le déjeuner. Le Djelehl, qu'il ne faut
pas confondre avec le Djeheli cité plus haut, est la
188 PLAINES ET DÉSERTS DES DEUX CONTINENTS.
plus rare et la plus grosse ; elle a trois pouces de lon-
gueur et un de large ; on ne connaît guère plus de cent
dattiers de ce nom dans tout le territoire de Médine
et d'Ijambo-el-Nackel, et ils sont moins féconds que
les autres dattiers ; mais huit dattes DJelebis valent
cent vingt dattes Blrnis. On en rapporte les noyaux,
au retour de la Mecque, comme souvenir de la ville du
prophète ; voici des boites qu'on fabrique dans ce but
à Médine, elles contiennent juste cent noyaux.
Des fêtes et réjouissances publiques signalent la
récolte des dattes dans tout l'Orient; c'est la ven-
dange cm désert . Quand les sauterelles ont nui à la
récolte des dattes, c'est un deuil général.
Les premiers fruits, la datte Bot ah, que vous voyez
dans cette corbeille en feuilles de dattier, se mangent
en juin; cuites dans du lait ou frites au beurre et
grillées, elles sont un mets recherché ; on en fait aussi
des compotes en y mêlant du miel. Voyez à côté la
boutique de ce marchand ; si sa femme est une bonne
maîtresse de maison, elle saura lui servir, un mois
durant, des dattes accommodées chaque fois d'une
manière différente et jamais il ne s'en lassera.
Une grande friandise est d'enlever le noyau de la
datte et de le remplacer soit par une amande, soit par
un morceau de beurre frais. Employée avec des œufs,
la datte fournit à la cuisine arabe trois ou quatre de
ses meilleurs plats.
A l'époque de sa récolte, tout le monde peut entrer
dans les jardins et satisfaire son appétit, à la seule
condition de ne rien emporter (Deut. XXIII, 24).
F. DE MORSIF.R.
(A suivre,)
BULLETIN
DK LA
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
DE GENÈVE
TOME SEIZIEME
SECONDE SÉRIE. — TOME III
GENÈVE
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE, ATHÉNÉE
1877
Tous droits réservés.
EXTRAIT
DES PROCÈS-VERBAIJX DES SÉANCES DE LA SOCIÉTÉ
SESSION 1876-1877
Séance du 24 novembre 1876.
Présidence de M. H. Bouthillier de Beaumont.
M. le Président ouvre la séance par un rapport sur les tra-
vaux (lu Bureau depuis la dernière réunion de la Société.
La Société a reçu une communication relative à la fonda-
tion du Comité international pour les études à faire dans
risthme du Darien, et une demande à la Société de géogra-
phie de s'associer à ces études. Le bureau, en témoignant de
sa sympathie pour cet intéressant objet, a sollicité des ren-
seignements plus déinillés que ceux de la circulaire primi-
tive.
Quant aux dernières nouvelles géographiques, M. le Pré-
sident rappelle en quelques mots l'expédition arctique de Na-
res, partie le 29 mai 187o el i-entrée le 29 octobre 1876,
après avoir poussé jusqu'au 83° 20' 27" de latitude N. Il
attire l'attention de l'assemblée sur l'expédition italienne en
Afrique, k laquelle le gouvernement égyptien paraît susciter
des difficultés ; puis sur celle que projette, dans la direction
de Timbuctu, M. Largeau, membre de la Société, encouragé
par les Sociétés de géographie de Paris, de Lyon, de Ge-
nève, etc.
4 BULLKTI.X,
F^a Société a l'eçii le procès-verbal du Congi'ès géograplii-
qiie réuni à Bruxelles par les soins du roi des Belges, pour
coordonner les moyens les meilleurs et les plus actifs, en
vue d'explorer l'Afrique centrale, de civiliser les régions en-
core sauvages du continent africain et do réprimer la traite
des esclaves.
La délibération sur cet important sujet est renvoyée à la
prochaine séance.
M. le Président paie ensuite un juste ti'ibut de regrets à la
mémoire de MM. Ch. Eynard, W. Turrettini, Salomonet Coin-
det, docteur, que la Société a perdus depuis sa dernière séance.
M. le docteur Coindet a donné par son testament à la Société
une aquarelle de grandes dimensions représentant un pay-
sage du Kamtchatka, et peinte par un des compagnons de
Cook. M. Malan-Sillem a également fait don de quelques
grandes cartes murales de de Fer, intéressantes au point de
vue de la cartograpliie.
Parmi les dons d'ouvrages, il en est deux qui méiitent une
mention spéciale : l'opuscule de M. le pasteur 15. Tournier
sur les Ascensions de Rochebrune, dans les Alpes du Dau-
phiné, et la brochure de M. Gogorza, établissant la possibilité
d'un canal sans tunnel ni écluses à travers l'isthme américain
par la Tuyra et le Cacarica.
M. le professeui' de Laharpe a rapporté d'un voyage en
Angleterre des extraits d'un ouvrage de Miss E.-L. Bird, qui
a fait le tour du monde et a séjourné aux Iles Sandwich.
Dans ces extraits il a réuni les principaux renseignements
sur les volcans de Hawaii, dont Miss Bird a fait l'ascension à
une époque où l'un d'eux, le Ivilauéa, était en éruption. Les
obseivations de l'auteur sont rendues par M. de Laharpe
dans un sl\le coloré et très-pittoi-esquc et M. le Président le
remercie vivement au nom de la Société.
PROCES-VERBAl X. 5
Séance du 8 décembre 1876.
PrésiclLMice (le M. H. Bouthillier de Bealmont.
A l'ouverlure de la séance M. le Présideiil communique
deux lettres annonçant la fondation des Sociétés de géogra-
l)liie de Marseille et de Bruxelles, et le désir exprimé parées
Sociétés d'entrei' en l'appoi't de travaux et de publications
avec celle de Genève. Cette communication est i-eçue avec
sympathie et reconnaissance.
M. Alfred Pictet lit ensuite un rapport sur Y Atlas topogra-
phique de G.- M. Wlieeler, dont l'auteur nous a fait pi'ésent,
et qui est destiné à faire connaître les explorations entrepri-
ses sui- le territoire des Étals-Unis d'Amérique, à l'ouest du
100' méridien. Le territoire exploré a été divisé en 93 rec-
tangles, embrassant chacun 2 degrés 45 minutes de longi-
tude, et J degré 40 minutes de latitude. Ces rectangles ont
été tracés d'après la méthode de projection dite polijconique,
à partir et de chaque côté du 111' méridien et du 39' paral-
lèle, pris comme lignes centrales servant de points de dé-
part. Chacun d'eux forme une feuille de l'atlas, à l'échelle de
1 p(uice (anglais) i)0ur8 milles. L'atlas que la Société a i-eçu
contient les feuilles 49, oO, 37 à 39, 63 à 67. outre la carte
d'ensemble indiquant les 93 divisions et une autre carte retra-
çant les principaux fleuves à l'ouest du Mis.sissipi. Ces feuilles
contiennent des portions des États ou territoires de Califor-
nie, Utah, Nevada, Arizona. Elles indiquent les lignes télé-
graphiques, les chemins de fer projetés, les routes suivies
par les wagons d'éraigrants, les districts miniers, les terrains
sablonneux, alcaUns, salins, etc. Les dates des explorations
sous les ordres du lieutenant Wheeler vont de 1869 à 1874,
et les routes parcourues dans dilTérentes directions jusqu'à la
lin de 1873 donnent une longueur totale de 23924 mille.s.
() BULLKTIN.
M. Pictel recommande à ratlention de la Société ce travail,
précieux à bien des points de vue, poui' la science, le com-
merce et la colonisation.
Il fait remarquer la beauté et le fini de l'exécution carto-
graphique de cet atlas, œuvre des plus intéressantes et méri-
toires, qui fait honneur à son habile directeur. Il félicite la
Société de posséder ce document, et espère que la suite hv
en sera envoyée à mesure de la publication ^\e^ dillerentes
portions de cet impoilanl relevé.
M. Faure communique ensuite la traduction d'un morceau
de l'ouvrage de M. le professeur A. Guyot : tfie Earth and
Mail (la Terre et l'Homme), dans lequel l'auteur, après avoir
exposé la loi de distribution des vents, étudie successivement
les circonstances qui favorisent la précipitation des vapeurs,
les pluies de la zone tropicale, celles des régions des mous-
sons, la quantité annuelle de Teau de pluie qui tombe sous
les tropiques, la distribution et la quantité annuelle de la
pluie dans les régions tempérées ; puis les modifications des
lois générales de distribution des pluies, la décroissance des
quantités d'eau de pluie et de jours pluvieux des bords de la
mer en avançant dans l'intérieur des continents, les excep-
tions et leurs causes; l'inHuence des montagnes et des pla-
teaux dans les deux mondes, la distribution des pluies dans
l'Amérique du Sud, dans l'Amérique du Nord, en Afiique.
en Europe, en Asie et en Austi'alie; enfin le cai-actère liydrc»-
métrique spécial à chaque continent.
M. le docteur Lombard confirme les données de 31. le pro-
fesseur Guyot sur Mahabulesliwur, Goïmbre. Bergen, ïol-
mezzo, et lappellel'étonnement de Kiemps eu voyant débou-
cher des gorges des Alpes des masses de nuages qui, au lieu
de tomber en pluie sur l'Italie, étaient absorbées par l'atmos-
phère échauffée de la plaine.
M. le Président jjcnse (|u"aux causes indi(piées par .M. h-
PROCÈS-VERBAUX. 7
pi-ofesseur Guyol, la tlirection des cliaines de montagnes et
leur altitude, il faut ajouter les circonstances électriques de
l'atmosphère, (|ui, avec les montagnes, influent aussi sur la
condensation des vapeurs; c'est à elles que nous devons les
orages, les pluies d'été, la grêle. Il explique les chutes énor-
mes d'eau par la considération du secteur géométrique cor-
respondant dans l'atmosphère à chaque point de la terre.
Dans la suite de cette intéressante exposition, M. le Président
introduit quelques détails sur l'action des violentes détona-
tions sur l'atmosphère, (}ui peuvent aussi servir à expliquer
les effets de l'électricité dans la condensation des pluies. Il
cite et traduit quelques parties d'un opuscule sur ce sujet de
M. le capitaine L. Gatta : La rjuerra e la meteorologia, dans
lequel l'auteur signale entre autres les orages qui eurent lieu
en Crimée pendant le siège de Sébastopol et en Italie pen-
dant la bataille de Solféiino ; il a constaté, par des observa-
lions faites à Gênes, à Bruxelles et à Londres, une baisse du
baromètre pendant les journées des grandes batailles de la
guerre franco-allemande.
M. Briquet rappelle qu'un ascensionniste qui se trouvait
au sommet de l'Aletschhorn le jour de la bataille de Solfé-
rino, ne constata aucune baisse barométrique en Suisse, où
le ciel était parfaitement serein ; en échange un violent
orage éclatait sur Solférino. M, Briquet rappelle encore, à
l'appui des données de M. le professeur Guyot, le phénomène
du drapeau, souvent visible au sommet du Cervin, où, par la
bise, se remarque une immense nappe de neige chassée à
une certaine hauteur, puis absorbée par l'atmosphère échauf-
fée sous l'action des rayons du soleil.
M. le professeur de Laharpe fait ensuite un rapport oral
relatif à l'expédition arctique de Nares et Stephenson, dont les
navires, YAlert et la Discovenj, ont hiverné à 60 milles l'un
de l'autre, sans communications possibles pendant des mois,
8 BULLETIN.
diins les régions polaires, où ils onl trouvé une glace com-
pacte sans aucun passage vers le Nord. Le climat tle la région
où hiverna VAlert ne présente plus aucune végétation ni au-
cune vie animale ; c'est la limite des migrations des oiseaux.
L'écjuipage a passé 142 jours dans une obscurité complète,
sauf les nuits où le ciel était pur et où l'on Jouissait du clair
de lune. Les hommes ont beaucoup soutïert du scorbut. La
température étant descendue à — iîV)° C, le mercure a été
gelé pendant plus d'un mois. A la station où hiverna la Dis-
covery, il y avait de^ bœufs musqués. Les obstacles offerts par
les glaces ont été excessifs cette année. On ne peut cheminer
dans ces régions (ju'avec des traîneaux, quelquefois attelés
de chiens; encore est-il aussi difficile de faire avancer ces
traîneaux qu'il le serait sur les glaciers de la Suisse; il y a
des crevasses, des montées et des descentes à angles très-
forts; à buil hommes par traîneau, on faisait souvent moins
d'un mille de chemin par Jour. Ce ne fut qu'au printemps
que les deux navires purent tle nouveau échanger des com-
munications. M. Archer, parti de la Discovery, visita le Fiord
de Lady Franklin, entre la terre de Grant et celle de Griii-
nel ; MM. Fulford et Coppinger reconnurent le Fiord Peter-
mann. De VAlert, M. Markham se dirigea vers le Nord jus-
qu'à 83° 20' 27"; mais il ne constata que l'existence d'une
étendue compacte de glace et pas la moindre apparence
d'eau. — MM. Beaumont et Rawson longèrent en traîneau
la côte du Groenland Jus(|u'à 82° 20' de lat. nord ; à l'Est, ils
trou\èrent des glaces puissantes et un certain nombre de
petits fiords. A l'Ouest, M. Aldrich a fait le relevé de la terre
de Grant sur une longueur de 200 milles. En somme, c'est
l'expédition présente qui a atteint le maximum de latitude
septentrionale, par 83° 20' 27", et qui a stationné, pendant
l'hiver, le plus au Nord,
M. le (h»rleur Lomi)ard ajoute que l'expédition a conslalé
PROGÈS-VERBAL'X. 9
(les épaisseurs de glace de plus de 100 pieds. Quant au scor-
but, on a essayé de le prévenir par de la nourriluie fraîche,
des conserves, l'usage du jus de citron, etc. On attend encore
des renseignements sur les causes de son intensité imprévue
et exceptionnelle parmi les membres de cette dernière expé-
dition.
Séance du 22 décembre 1876.
Pi'ésidence de M. H. Boutiiillier de Beaimo.nt.
Après la lecture du procès-verhal de la pi'écédenle séance,
M. le Président présente à la nomination de la Société MM,
.MetclinikolT et Clément, qui sont reçus membres eiïectifs à
l'unanimilé.
M. le Président attire ensuite l'attention de la Société sur
les conférences géograpliiques de Bruxelles, et sur le projet
qui y a été présenté, discuté et voté, de la ci'éation d'une asso-
ciation internationale pour l'exploration el la civilisation de
l'Afrique centi-ale ; il donne lecture des parties les plus im-
portantes des nomlireux documents i-eçus sur ce sujet par
notre Société (discours du roi, procès-verbaux, rapports des
divers délégués présents, l'ésolutions de la conférence). Il
propose au vote de l'assemblée l'adliésion à cette association
internationale el la formation, par l'intermédiaire et sous les
auspices de la Société de géographie de Genève, d'un Comilé
national suisse.
L'adhésion est votée, avec des remerciements au l'oi des
Belges pour son initiative de cette grande œuvre, philanthro-
pique et humanitaire avant tout, et sa présidence en per-
sonne des séances de la conférence. Le Bureau est chargé
des démarches à faire pour atteindre le but pioposé.
10 BULLETIN.
La parole est ensuite donnée à M. MelcIinikolT (jui lait,
comme suit, sa communication à Tordre du jour sur « les
origines et riiistoire de la nationalité japonaise, »
Des rapports de plus en plus actifs établis depuis une
vingtaine d'années avec le Japon, ont fait connaître à l'Eu-
rope la civilisation de ce pays, jusiju'aloi's assez mal connue,
et ti'op assimilée à la civilisation chinoise, dont elle se dis-
tingue manifestement, sinon par son origine, du moins par
son tléveloppement ; elle est l'apanage de toutes les classes
de la société au Japon, même des plus infimes ; l'instruction
y est très-générale, et ce n'est que dans certains districts
montagneux que l'on rencontre des gens alisolument illettrés,
et encoi'e parmi les femmes seulement.
Pour bien comprendre la civilisation japonaise, U faut
l'étudier non pas seulement par l'observation directe, immé-
diate, mais en y joignant l'étude de l'histoire de ce pays, et
celle delà foimalion de la race qui Ta peuplé. Les Japonais
ont, comme tous les peuples, cherché à rattacher leur origine
à celle du monde, et ont créé <à cet effet tout un système
théogonique et cosmogonique particulier; les premiers re-
pi'ésentants de la série de leurs souverains sont des divini-
tés ou des génies, (jui par dérivation et dégénérescence, sont
peu à peu descendus à l'état d'êtres humains; (juant au peu-
ple, il naît à un ceilain moment comme appendice à la per-
sonne royale. Mais toutes ces légendes relatives aux origines
otl'renl de si grandes difficultés lorsqu'on veut en tirer des
conjectures et les éléments d'une tliéorie quehpie peu déter-
minée, qu'il vaut mieux ne pas s'y avenlurei'.
Les premiers essais de coordination et de condensation
chronologi(|ues ne datent (|ue du YIP siècle deT' notre ère.
t't sont empreints d'inllurnces chinoises et bouddhiques.
C'est à |)artii' du célèbre Zin-mou Tenue, descendant direct
des divinités, mais liumain, (|ue l'élément surnaturel dispa-
PROCÈS-VERBAUX. 1 1
rail de riiistuire du Jupon, el qu'au dire des Japonais, lelle-
• i repose sur des documents certains. Le fait est qu'ils four-
nissent à partir du règne de ce pei'sonnage une liste com-
plète et non interi'ompue de leurs souverains.
Après avoir rapporté certaines données touchant l'arrivée
dans une des îles qui forment le Japon de conquérants
étrangers, M. Melclinikolf discute la question d'où ceux-ci
sont venus? On avait été porté à croire, en se fondant prin-
cipalement sur des considérations linguistiques, qu'ils étaient
d'origine mongolique. et qu'on doit leur assigner leur plact;
dans le groupe ouralo-altaïen ou touranien; c"est douteux.
La langue japonaise présente quelques caractères communs
à toute cette famille de langues, comme par exemple l'har-
monie vocale, les post-positions et l'emploi du délerminatif ;
mais l'élément important de la conjugaison posse.ssive .se
[•résentant non-seulement poui- les verbes, mais pour les
substantifs et les adjectifs, fait défaut dans la langue japo-
naise, dont les éléments phonétiques aussi n'oll'rent aucune
analogie avec ceux des langues mongoliques. La langue japo-
naise n'a que peu de rapports avec le coi'éen, non i)lus (pi'a-
vec l'aïno : quant à ses rapports avec la langue chinoise, ils
sont dus unicjuement à l'adoption postérieure de la même
écriture.
En somme, la linguistique ne nous fournit pas d'argu-
ments tendant à montrer que les fondateurs de la nationalité
japonaise doivent leur origine au continent asiatique.
Si des inductions tirées de la linguistique on passe aux
données fournies par l'anthropologie, on trouve là encore la
conûrmation de la même opinion.
Les études qui ont pu être faites à ce point de vue sont
récentes et peu nombreuses, tout au moins pour l'intérieur
du pays, puisque ce n'est que de peu d'années que datent
les rapports avec ces populations. Siebold et Dixon, le second
12 BULLETIN.
.siu'tout, les ont triiilées les premiers d'une manière sérieuse
et suivie. Dixoii reconnaît dans la population deux types assez
(lilïérents : l'un celui des nobles, des daïmios, oflVanl une
tèle et un visage allongés, ovales; l'autre celui du peuple
proprement dit, du paysan, de l'ouvrier, type mongol, au vi-
sage carré, avec les pommettes saillantes et les yeux hridés.
Ces deux types se l'etrouvent dans les i-eprésentations artisti-
ques des Japonais. — M. Metclinikoiï met sous les yeux des
membres de la Société des reproductions diverses de ces
deux types.— Le type aristocratique, japonais, très-ressemblant
à celui des lialtitants des îles Riou-Kiou ou Lou-Tcliou, pré-
sente des caractères polynésiens non équivoijues, et poi-le à
croire que les conquérants venus avec Zin-mou ap[)arte-
naient à ces tribus de pirates malayo-polynésiens, dont l'ap-
parition sur les côtes du Japon est constatée plus d'une fois
dans l'bistoire, et qui, encoi-e de nos jours, jouent dans les
îles du Pacifique un rôle assez analogue à celui des Nor-
mands dans l'Europe du moyen <âge. Du mélange de ces
nouveaux \enus avec un fonds de population mongole se
serait formée la nationalité japonaise, telle (pic nous la
voxons aujoui'd'bui.
Si nous considérons l'iiistoirc de cette nationalité dans les
jihases successives qu'elle a parcourues, nous lui trouvons
(le grands i-apporis avec l'bistoire féodale de notre Europe.
L'organisation à pai'lir de la conquête de Zin-mou-Tennô
(vei's Tan (550 avant notre ère) est celle d'une monarcliie
féodale. Ce caractère s'explique par le fait de la conquête du
pays par des bandes successives de ces émigrants de môm:
origine, arrivant à des intervalles plus ou moins rapprochés
et i-estant (juehjuefois longtemps indépendantes les unes des
antres.
La i)ériode de conquête va de l'an (îoO avant J.-d. à l'an
200 onvii-on de noire ère. présentant un caractère d'assez
('ROCKS- VK[\BALX. \'i
grande aiUlieiilicilé et reposant sur des documents passable-
ment certains, complétés d'ailleurs en partie par l'etlinogra-
phie chinoise telle que nous la donnent les auteui-s diinois.
et entre autres Ma-tliuan-lin, dont M. F. ïuriettini publie
présentement en français un intéressant ouvi-age.
Pentlant cette péi'iode, il est fait mention de plusieurs in-
vasions coréennes et de visites de pirates venant des îles de
la Polynésie, mais loiUes sont victorieusement repoussées.
D'autre part, il n'est pas (|uestion d'invasions chinoises.
Vers le IIP siècle de notre ère, la con(piéte de rarchii)(d
étant achevée, les Japonais font à leur tour des invasions, soit
en Corée, entre autres sous l'impératrice Zim-zoù, la Sémi-
ramis du Japon, soit dans les îles du Noiil, sous plusieui's
empereurs. Dui'ant cette période féodale, le trône était
héréditaire; mais la notion d'hérédité est d'un genre bien
dilTérent au Japon de ce ipi'elle est pour nous, l'adoption
jouant là un l'Ole beaucoup plus grand même (pie la pai-enlé
de sang.
Une seconde période de l'histoire japonaise commence
sous l'empereur 0-Zin,épo(pie où un lettré chinois, ou plulôl
coréen, importa les livres sacrés et les doctrines de Confu-
cius; l'écriture idéographique chinoise ainsi introduite fut
adoptée en particulier par les classes élevées de la société
japonaise, et avec l'écriture les .Japonais se sont peu à peu
assimilé les idées et les institutions chinoises. Les empe-
reui's, par politique, ont poussé à la diffusion du bouddhisme
dans le pays. Le système qui existait auparavant, et qu'on a
qualifié de religion, sous le nom de Sintoïsme, n'est pas à
proprement parler une religion, mais un composé de coutu-
mes et de légendes; aussi l'établissement du bouddhisme n'a
pas rencontré une bien vive résistance.
Si la première période se caractérise par la conquête du
territoire qui forme l'empire du Japon, et la seconde par une
14 BULLETIN.
transfonnatioii morale, la li"oisième est polituiue et marquée
par le commencement des luttes entre le pouvoir central des
Tennôs ou Mikados et les grands seigneurs féodaux, les daï-
raios, certaines familles de ceux-ci s'élant mises en opposi-
tion avec le pouvoir central; ainsi, celles des Naka-torai, des
Monobé, des Soga, etc. Ces luttes se terminaient le plus sou-
vent par des compromis qui, peu à peu, amenèrent ce résul-
tat, tpie le pouvoir centi'al passa aux mains des familles féo-
dales.
Alors commencent des i'ivalilés entre ces ([uelques familles,
particulièrement entre les Heï et les Guen ; elles aboutirent,
après de nombreuses péripéties, à la création du siogomiat
(taïcounat),etpar là à l'inauguration de la dualité du pouvoir,
régime ijui a existé au Japon jusqu'en 1868. C'est alors une
quatrième période, qui a duré de l'an 1200 jusqu'à nos jours,
et que M. Metchnikolf se réserve de traitei' dans une pro-
cbaine séance.
M. le Président le l'emercie de cette première communica-
tion et lui expi'ime le plaisir que la Société aura à en enten-
dit' la suite.
Séance du 12 janvier 1877.
Présidence de M. H. Bouthillier de J3eau.mo.nt.
Après l'adoption du procès-verbal el le rapport de M. le
Président .sur l'augmentation de la bibliotlièque et sui' les
premiers travaux du Bureau pour la formation du Comité
national suisse, la parole est donnée à iM. MetchnikolT ipii
continue sa communication sur les origines et l'iiisloire île
la nationalité japonaise.
A\aiit rappelé en quelques mois les traits pi-incipaux de la
première partie de cette histoire, qu'il a divisée en trois pério-
PROCÈS-VERBAUX. lo
(les : 1° la coïKiuêle, depuis Zin-moù jusqu'à Zim-zoù (200
ans après J.-C); 2° la civilisalion chinoise, depuis 0-ziii jus-
qu'à Tend-zi (672 de notre èi-e); li" la décadence impériale,
jusqu'à Toha (en 1180); M, MelchnikofT passe à l'étude de
Tépoque qu'on peut désigner du nom d'époque siogounale
ou laïcounale. parce (|ue son trait principal consiste dans la
formation d'un second pouvoir central indépendant de celui
des empereurs ou Mikados, et représenté par les Siogoûns
ou Sei-i-taï-siogoûns, dont les Européens ont fait, sous le
nom inexact de Taïcouns, des souverains temporels du Ja-
pon.
La création de ce pouvoir date de Tori-tomo, chef de la
maison des (iuen ou Mina-moto, qui sous le règne des empe-
reurs An-to-kou et Toha II (en 1192) vainquit la famille l'i-
vale des Heï ou Teïra, et devint de fait régent tout-puissant et
imontesté de l'empire, faisant ployer devant son autorité
toute militaire, et la cour de Kioto, et la noblesse féodale. Il
se construisit une capitale, Kama-Koura, dans le voisinage de
l'emplacement où se trouve maintenant Yokohama, et l'im-
posa au pays pai- la force des armes. Son fils, Tori-gué, ne
lui succéda point; il fut déposé par son grand-père maternel,
Hozio-Yoki-maçà, et le pouvoir effectif tomha alors entre les
mains de la famille des Hozio, qui le posséda pendant neuf
générations. Pendant cette période le siogounat fut tout-
puissant; il déposait à son gré les empereurs-Mikados; ceux-
ci entraient habituellement dans les ordres houddhiques. Il y
avait Itien. à côté du pouvoir siogounal, un conseil de l'em-
pire qui était censé assister l'empereur dans le gouverne-
ment, mais son autorité était d'ordinaire purement nominale
et annulée par celle des Siogoùns.
Mais par suite des luttes qui se succédaient entre les famil-
les rivales pour la possession du pouvoir, le siogounal perdit
de son prestige et tomha en décadence, étant souvent entre
1() BULLETIN.
(les mains peu dignes de l'exercer, ce qui permit à l'empe-
reur Daï-go II d'organiser une coalition des nobles conti'e
les Hozio pour recouvrer son indépendance. Mais le Siogoùn
Taka-toki le chassa de sa capitale, le forçant de se réfugier à
Socino, et les insignes du pouvoir impérial furent remis à un
cousin de Daï-go. Il y eut donc simultanément deux souve-
rains , et lieux cours, l'une au Nord, l'autre au Sutl, et cela
ilura 50 ans; mais vu la faiblesse inhérente dont était frappé
le pouvoir impérial, on ne peut attribuer à ce fait qu'une
importance secondaire.
La coalition des nobles sous un certain Acinaga-Taka-
ousi, parvint à i-enverser la famille des Hozio; Acinaga se
saisit de l'autorité siogounale, et ses descendants la conser-
vèrent pendant treize générations; mais la décailence conti-
nua, si bien que vers le commencement du XYI"* siècle, le
.lapon se trouvait dans une complète anarchie.
Ce fut alors que, vers l'an I."i60, un guerrier nommé Ola-
Nabou-naga parvint à pacifier le pays et à ramener à la sou-
mission une partie de la noblesse. Malheureusement pour
lui, outre l'opposition persistante du reste des nobles, il ren-
contra celle des moines bouddhistes devenus très-nombi-eux
et très-influents, avec lesquels il entra en lutte. Attaqué
à l'improviste par un de ses généraux, Akelsi-Milsou-hida, il
se suicida dans un temple de Kioto, laissant son entreprise
inachevée.
Ce fut sous Nabou-naga qu'arrivèrent, en 1543, les pre-
miers Portugais conduits par Mendez Pinto ; c'est la décou-
verte réelle du Japon par les Européens. Peu après ces pre-
miers trafiquants, vinrent les missionnaires chrétiens, avec
François Xavier à leur tète. Ils furent il'aliord fort mal ac-
cueillis; mais un des principaux daïmios, le piince d'Ai'imo,
s'étant déclaré pour le christianisme et ayant piésenté les
missionnaires à Nabou-naga, celui-ci les recul liès-favoi-a-
PROCÈS-VERBAUX. 17
blemenl, dans la pensée toute politique de s'en faire un ap-
pui dans sa lutte contre les bonzes bouddhiques. Le peuple
aussi les vit dès l'abord avec faveur, attiré surtout par les cé-
rémonies du culte. Il apprit d'eux l'usage du pain, du tabac,
du verre, etc., toutes choses jusque-là inconnues au Japon.
Le nombre des chrétiens s'éleva bientôt à 250,000, et l'on
compta parmi eux plusieurs daimios, entre autres le prince
d'Arimo. Une ambassade fut envoyée par le gouvernement
japonais à Philippe II et au pape Sixte-Quint. Mais l'accord
des seigneurs et des missionnaires s'évanouit bientôt à la
suite de contestations fréquentes pour des questions de pré-
éminence ; les prétentions ambitieuses des missionnaires
froissèrent les daïmios et amenèrent les persécutions dont
ils furent dès lors l'objet.
Nabou-naga eut pour successeur un de ses généraux,
nommé Kino-Sita ou HiJé-yoci, et plus connu sous le nom
de Taïko-Sama, d'où les Hollandais, venus au Japon après
les Portugais et les Espagnols, firent le nom générique de
Taïkoun. Ce fut sous son règne qu'eurent lieu les persécu-
tions les plus violentes contre les chrétiens, à l'instigation
surtout de la noblesse féodale. Pour faire diversion à l'esprit
remuant de celle-ci, Taïko-Sama entreprit une guerre contre
la Corée, dans laquelle il infligea aux Chinois et Coréens
réunis plusieurs défaites sanglantes.
Après avoir imposé au général chinois un traité humiliant
pour l'Empire du Milieu, Taïko retourna à Osaka, sa capi-
tale, où une ambassade chinoise le suivit bientôt. Mais celle-
ci lui ayant apporté de la part de l'empereur de la Chine, au
lieu de la reconnaissance stipulée de la suzeraineté du Japon
sur la Chine, le titre d'empereur du Japon que l'empereur
chinois daignait lui octroyer, à lui Taïko, celui-ci, irrité, ou-
vrit une seconde expédition contre la Chine ; mais il mourut
sur ces entrefaites. Les dissensions recommencèrent bientôt
BULLETIN, T. XVI, 1877. 2
18 BULLETIN.
entre les chefs japonais ; le prince de Hiogo, Kato-Kiomâça,
abandonné par les autres daïmios, dut subir en Corée de du-
res épreuves, mais il s'en tira avec gloire, et rentra victo-
rieux au Japon, où il joua un rôle important sous l'impéra-
trice Mio-Sio, lors de la seconde persécution des chrétiens
(1630j. Il est même resté un des héros favoris du peuple ja-
ponais.
Le fils cadet de Taïko-Sama (il avait fait mourir son fils
aîné) fut déposé par son tuteur, ancien compagnon d'armes
de Nabou-naga et de Hidé-yoci, nommé Tokoun-gara-Seya-
çou, célèbre dans l'histoire japonaise sous son surnom post-
hume de Gonghen-Sama. Celui-ci, après avoir vaincu la
coalition des daïmios à la bataille de Sekigawara, se proclama
Siogoùn, titre tombé en désuétude et inusité depuis les Aci-
naga. Il inaugura ainsi la dernière période de la deuxième
époque de l'histoire japonaise, celle de la restauration du
siogounat, qui resta dans sa famille jusqu'en 18G8, o^ il prit
fin à l'arrivée de la flotte américaine sous le commandement
du Commodore Parry. L'état actuel du Japon fera l'objet
d'une communication subséquente, que M. MetchnikofT pro-
met à la Société.
M. le professeur de Laharpe, en exprimant l'intérêt avec
lequel il a entendu les communications de M. MetchnikofT,
signale qu'elles présentent une lacune sur un point qui lui
paraît important, savoir qu'elles n'ont guère traité que de
l'histoire politique du pays, et surtout de ses princes, et n'ont
pas parlé du peuple proprement dit, de son état social,
de sa vie, pendant ces périodes successives.
M. MetchnikofT répond que le rôle du peuple a été très-
effacé, relégué à l'arrière-plan, comme cela est toujours
le cas avec une organisation toute féodale, comme l'était
celle du Japon ; de plus il ne possède de données vraiment
sérieuses et un peu cei-taines sur ce sujet que pour la der-
PROCÈS-VERBAUX. 19
nière période, celle qu'il se propose de traiter ultérieure-
ment devant la Société.
M. de Laliarpe communique à la Société des nouvelles
toutes récentes qu'il a extraites du journal anglais Galignaui,
sur l'état actuel de la question du percement de l'isthme cen-
tral américain. 11 s'agit maintenant, d'après ce journal, du
projet mis en avant et recommandé par le gouvernement
des Étals-Unis, d'ouvrir ce canal en utilisant le fleuve San-
Juan et le lac de Nicaragua*, avec neutralisation d'un espace
latéral de largeur convenable sur tout le parcours du canal,
et d'un rayon correspondant, en mer, devant chaque embou-
chure. Le canal même aurait, suivant ce projet, environ 153
milles de longueur.
M. le Président rappelle que la Société avait été nantie dans
le temps d'une invitation à prendre part à la formation d'un
Comité international pour la poursuite de ce grand travail,
et que le Bureau, chargé d'y répondre et de demander des
renseignements plus circonstanciés, a reçu dès lors une let-
tre de M. de Lesseps, alors l'un des promoteurs de rentre-
prise.
M. Elisée Reclus donne des détails topographiques et
techniques relativement à l'étabhssement de ce canal projeté •_
il rappelle que le nivellement du lac de Nicaragua est à 39
mètres au-dessus du niveau de l'Océan, et que le seuil le plus
bas qu'il faudrait couper, est encore de 16 mètres plus élevé ;
ce projet offre donc de formidables difficultés d'exécution, et
une perspective de rendement peu encourageante.Quantaux
autres projets, visant à effectuer le percement soit au Da-
* On sait qu'il a été proposé divers tracés du même genre : Le
canal du projet analogue de M. Belly, utilisant le lac de Nicaragua
et le fleuve San- Juan, aboutirait d'une part à la baie de Satinas, sur
l'Océan Pacifique, et de l'autre à Greytown, sur l'Atlantique.
L'isthme à percer à l'ouest, entre le lac et la mer, n'aurait que 22
ou 24 kilomètres de largeur, avec un seuil de 36 ou 38 mètres.
20 BULLETIN.
rien, soit à l'isthme de Panama, un ingénieur russe, qui s'est
occupé du premier de ces projets, a émis Topinion que, au
Darien, les collines s'abaissent assez pour ne présenter plus
qu'un seuil de hauteur praticable ; h l'isthme de Panama ce
seuil ne serait que de 40 mètres, ce qui est l)ien encore un
chiffre assez notable, lorsqu'il s'agit de creuser un canal de
60 mètres de largeur.
Mais l'objection principale à l'exécution de tous ces projets
sera toujours, aux yeux de M. Reclus, le rendement insuffi-
sant de ces entreprises, en regard des frais énormes qu'elles
entraînent. Le canal de Suez, il est vrai, a pu être établi, ou
plutôt rétabli, et paraît maintenant devoir être une entre-
prise rémunératrice. Mais les conditions seraient bien diffé-
rentes pour le canal américain. Le canal de Suez a été creusé
dans des sables, tandis qu'au Darien et à Panama il devra
l'être dans des couches essentiellement rocheuses. Le climat
qui, cà Panama surtout, est insalubre au plus haut point même
pour les travailleurs nègres, est un grand obstacle. Enfin le
trafic sera trois fois moins considérable que pour le canal de
Suez ; le grand commerce continuera cà se faire beaucoup
par le Cap Horn, et le commerce local sera toujours à peu
près nul.
Il y aurait encore l'isthme de Tehuantepec, auquel on
pourrait songer, et auquel on a songé en effet, pour le per-
cement du canal. Là le climat est bien différent qu'à Panama.
La vallée de l'Atrato offrirait aussi certains avantages pour
une plus grande facilité de travaux; mais outre l'objection
générale qui vient d'être signalée quant au trafic peu rému-
nérateur, laquelle s'applique à tous les projets, il y a celle
autre, que la contrée à traverser est on ne peut moins con-
nue, et que l'établissement et la poursuite des travaux en se-
raient rendus Irès-difficiles et peut-être même impossibles.
A la question d'un des membres sur ce qu'il est advenu
PROCÈS-VERBAUX. 21
du projet de M. Belly, dont celui-ci avait lui-même entretenu
notre Société il y a quelques années, et qui utiliserait le lac
de Nicaragua et le San-Juan avec une de ses embouchures
à la baie de Salinas et l'autre à Greytown, M. Reclus observe
que ce projet avait peu de chances de réussir, l'endroit
choisi pour le débouché du canal dans le lac de Nicaragua
étant dans la partie sud de celui-ci, où le seuil est le plus
élevé, tandis que le plus facile à franchir, comme étant le
moins élevé, est au nord du lac, là où le proposait un autre
projet, abandonné aussi, celui de M. de Sonnenstern.
M. Metchnikofï ne partage pas l'opinion de M. Reclus
quant au peu de trafic qu'offrirait le canal en question ; il bé-
néficierait certainement de celui, assez important, de la Cali-
fornie ; puis le pays lui-même renferme de grandes ressour-
ces, en forêts^ en mines, etc., qui ne sont pas exploitées faute
de voies de communications, mais le seraient aussitôt qu'il
en aurait été créé une aussi importante. Pour le grand com-
merce, doubler le Cap Horn est toujours un inconvénient.
M, Reclus tout en admettant que l'entreprise présente cer-
tainement quelques avantages, qui l'ont fait mettre en avant,
insiste sur les considérations qu'il a énoncées et rappelle
qu'outre le Cap Horn, il y a encore d'autre voies de commu-
nication contre la concurrence desquelles le canal projeté au-
rait à lutter : ainsi pour le commerce avec la Cahfornie et
avec les pays du nord de l'Asie, outre le cbemin de fer de
Panama déjà en exploitation, ceux qui traversent les États-
Unis; il y en aura bientôt deux, et peut-être un troisième,
projeté à travers le Mexique. Dans l'Amérique du Sud, il y
aura celui, projeté aussi, à travers les Andes.
En résumé, M. Reclus pense que si l'entreprise arrive à
s'exécuter, ce ne sera que dans un temps encore assez éloi-.
gné, et non sans de grandes difficultés et une dépense consi-
dérable, peu en rapport avec les profits à en retirer.
22 BULLETIN.
Quant à un détail, les écluses, dont parle le projet en ques-
tion, sont un obstacle à la navigation des gros navires qui
équivaut bien aux inconvénients des débarquements et trans-
bordements des marcbandises, l'objection principale aux
moyens actuellement en usage pour la traversée de l'isthme
interocéanique.
M. de Beaumont fait ressortir les avantages d'un tel canal,
mais sans écluses, pour l'assainissement du pays et de son
climat, par la régularisation, par ce moyen, des cours d'eau
qu'on utiliserait sur l'un et l'autre vei'sant.
M. Reclus mentionne encore un obstacle aux travaux qu'il
n'a pas signalé d'abord, c'est l'envahissement rapide de la
végétation dans ces contrées tropicales, aussitôt qu'il y a une
interruption un peu prolongée dans les travaux, comme cela
est arrivé à la plupart de ceux qui ont été entrepris jusqu'ici,
excepté pour le chemin de Panama et pour un autre établi
dans l'intérieur de l'État de Gosta-Rica, Il cite comme exem-
ple le chemin des Boucaniers, autrefois très-fréquenté, entre
Porto-Bello et Panama, maintenant tout à fait abandonné; il
n'y a plus maintenant de communications entre ces deux
points, entre lesquels se faisait précédemment un commerce
important.
M, de Laharpe ajoute que, d'après le journal d'où il a ex-
trait les détails qu'il a donnés, le Président des États-Unis
paraît attacher une très-grande importance k l'exécution du
projet en question, et a adressé à ce sujet aux gouverne-
ments européens une communication à laquelle plusieurs ont
déjà répondu favorablement.
PROCÈS-VERBAUX. 23
Séance du 26 janvier 1877.
Présidence de M. H. Bouthillier de Beaumont.
A l'ouverture de la séance, M. le Président communique
ce que le Bureau a fait, depuis la dernière réunion, pour la
formation du Comité national suisse qui devra entrer en
rapport avec la Commission internationale d'exploration et
de civilisation de l'Afrique centrale. Une circulaire a été
adressée à tous les membres de la Société, et un certain
nombre d'adhésions sont déjà parvenues entre les mains du
Président. Les obligations des membres du Comité national
n'ont rien d'onéreux ; les comités sont créés pour faire con-
naître l'œuvre et stimuler le zèle patriotique par des sous-
criptions, des dons, des travaux, etc.
M. le Président expose ensuite les motifs qui rendent né-
cessaire une augmentation de la contribution annuelle des
membres, principalement pour l'extension et l'entretien de
la bibliothèque et la publication des Mémoires et Bulletins de
la Société. — Il émet aussi le vœu de voir la Société s'éten-
dre toujours plus en Suisse, par l'adhésion de nouveaux
membres dans les autres cantons.
Plusieurs membres prennent successivement la parole
pour appuyer fortement ce désir. M. Aloïs Humbert estime
qu'il faudrait accorder à ces membres les mêmes droits
qu'aux membres ordinaires, ainsi que le font les Sociétés
vaudoises ou autres qui comptent des membres à Genève.
Quand ceux-ci vont a Lausanne, ils peuvent assister aux
séances et voter comme ceux qui résident dans le can-
ton de Vaud. La Société géologique de France n'a pas le
tiers de ses membres résidant à Paris ; tous paient la même
contribution et reçoivent également, qu'ils soient à Genève
ou à St-Pétersbourg, les belles publications de la Société. Le
Bureau est invité à donner suite à cet objet. •
24 BULLETIN.
M. le Président présente à la Société une carte géologique
du département de la Gironde, don de la Société de Bor-
deaux, beau travail, sur une grande échelle, dont les don-
nées sont très-intéressantes pour la formation des landes ; et
une carte concernant l'hydrographie de la Suisse, de M. Lau-
terburg.
M. de Morsier lit ensuite une notice sur les pampas de
l'Amérique méridionale. Cette étude se rattache à un travail
beaucoup plus étendu sur les grandes plaines, déserts, lan-
des, steppes, Uanos, pampas, savannes, du Sahara, de la Nu-
bie, de l'Arabie, de la Mésopotamie, de la Tartarie, des Kir-
ghises, de la Mongolie, etc. Les documents sur le Nouveau
Monde sont les plus rares; cette rareté les rend plus
précieux ; c'est ce qui engage M. de Morsier à entretenir au-
jourd'hui la Société des pampas de l'Amérique du Sud.
La superficie de la pampa de Buenos-Ayres est immense:
elle est bornée d'un côté par des bouquets de palmiers, de
l'autre par les neiges éternelles. Ce qui la caractérise, c'est
l'étendue sans limites, ce sont les perspectives fuyantes et
incertaines, qui donnent l'idée de la mer. L'habitant de la
République Argentine se meut au milieu d'impressions
étranges: il n'aperçoit rien à l'horizon; la solitude, le danger
invisible, l'Indien, la mort l'entourent de toutes parts.
Dans la pampa des Andes, les guides consultent, de jour
le soleil, de nuit les étoiles. Si le ciel est voilé, les carcasses
d'animaux qui ont péri en traversant le désert jalonnent la
route de la caravane.
Au N. et au S. sont les Indiens pillards, toujours prêts à
assaillir les voyageurs, que d'autres dangers, les piqûres des
vipères, la rencontre des tigres, du tigre sebado (qui a goûté le
sang humain) en particulier, menacent encore. Cette insécu-
rité donne à l'Argentin une résignation calme qui n'exclut
pas la poésie; cette disposition est au contraire très-déve-
PROCÈS-VERtfAUX. 25
loppée dans le peuple; le pays y contribue, par les pliénomè-
nes physiques qu'il présente.
M. de Morsier passe en revue certains types particuliers à
cette contré^: le Rostreador, dépisteur, chez lequel l'organe
de la vue est développé d'une manière étonnante, à ce point
qu'il est capable de retrouver la piste des coupables que re-
cherche la justice, très-longtemps après la consommation
d'un déUt ou d'un crime; — le Bachuano, doué d'une con-
naissance géographique qui en fait un auxiliaire très-précieux
pour les généraux qui doivent conduire leurs troupes dans
ces solitudes sans bornes ; — le Gaucho, maquignon ; — le
Cantor, sorte de rhapsode auquel tout le monde fait place
dans les fêtes, où il improvise des poésies charmantes, iieu-
reux mélange de l'histoire nationale et de la célébration des
us et coutumes du pays.
M. le Président ajoute quelques mots sur les steppes de la
Russie méridionale, et M. de Laharpe caractérise les Gau-
chos comme de véritables Centaures, qui vivent sur leurs
montures et se font un jeu de dompter les chevaux sauvages
les plus rebelles.
M. Lecoultre donne lecture de la traduction d'un morceau
de Weyprecht contenant des observations sur les glaces po-
laires. La glace des contrées arctiques revêt les deux formes
de montagnes de glace et de bancs. Les premières sont
fournies par le sol, les bancs le sont par la mer. La neige
s'accumule dans les vallées, se transforme en glace poreuse,
puis obéissant lentement, mais constamment, à la loi de la
pesanteur, elle descend vers la mer. Chaque vallée est rem-
plie par un glacier; parfois plusieurs se réunissent ; ils n'en
poursuivent pas moins leur marche pouce par pouce. Arri-
vés au bord de la mer, ils continuent à. avancer quelque
temps sous l'eau, où, par suite de leur légèreté relative, ils se
détachent du sol ; l'équiUbre est rompu. Le glacier se brise
26 BULLETIN.
avec fracas. Le vent et les courants en entraînent les masses
vers le sud. Les icebergs qui viennent échouer au S.-O. du
Spitzberg«peuvent provenir de la Terre de François-Joseph.
— La montagne de glace n'est que l'exception ; la règle,
c'est le banc : son berceau se rencontre partout où la mer
se prend, et son étendue est immense. En 1873, d'une hau-
teur de 70 pieds, Weyprecht ne put découvrir les limites du
champ de glace qui l'avait enveloppé. Autour de ces bancs,
la mer est tranquille. Mais dans la haute mer, le vent de
tempête fait des bords du banc de glace le théâtre de sa fu-
reur; les glaçons deviennent le jouet des vagues, et présen-
tent des scènes grandioses de destruction. Les glaçons
se rapprochent ou s'écartent, et forment les champs de glace
tlottante dans le voisinage de la glace compacte, qui elle-
même n'est jamais immobile. Sa superficie est tantôt lisse,
tantôt couverte d'aspérités. Le vent exerce en maître sa
puissance sur les icebergs, sur la glace flottante, sur la glace
compacte. La montagne de glace jouit relativement d'un re-
pos plus assuré.
Weyprecht décrit ensuite les phénomènes observés de la
fin de septembre (1871) époque où commencent les tour-
mentes de neige, en février (1872) moment où s'établit le
froid rigoureux, pendant lequel le mercure se maintient du-
rant des semaines à l'état de congélation.
En avril, le soleil, par son action croissante, développe l'éva-
poration sur une grande échelle ; en mai, il commence à tra-
vailler la glace ; en juin, le thermomètre monte au-dessus de
zéro ; alors se forment des lacs d'eau douce, le tapis de neige
s'amincit ; au milieu d'août, la neige a disparu, la couche de
glace forme une bouillie, les flaques d'eau s'étendent davan-
tage, surtout dans la dii-ection du sud. Mais bientôt, avec le
mois de septembre, le froid l'eparaît, et les champs de neige
et de glace commencent à se reformer de nouveau.
PR0CÉS-VERB4UX. 27
Après cette intéressante communication, M. de Saussure
présente à la Société des cartes préparées par M. le colonel
de Mandrot sur les minutes de l'État-major français ; une
carte hydrographique de l'est de la France, et deux caries du
département du Doubs, à l'échelle de -g-o"ooôi7> à lumière obli-
que ; le relief y est donné au moyen de courbes ombrées
dont M. de Mandrot a été l'initiateur. L'exécution en est ju-
dicieuse ; les plateaux y sont bien dessinés.
Séance du 9 février 1877.
Présidence de M. H. Bouthillier de Beaumont.
M. le Président met en discussion la proposition d'augmen-
tation de la contribution présentée dans la précédente séance.
La contribution serait portée à 20 francs, moyennant quoi
chacun des membres recevi-ail gratuitement le Globe. Cette
proposition est adoptée à l'unanimité, après des remercie-
ments votés, sur la proposition de M. Aloïs Humbert, au Co-
mité de rédaction du Globe pour les sacrifices personnels
faits jusqu'à ce jour en faveur de la publication.
Le Bureau et les Commissions sont ensuite réélus pour un
an. — MM. Camille Favre, Grivel et Beaujelois sont nommés
membres de la Commission de la bibUothèque.
M. Frey-Gessner, conservateur du musée entomologique,
est admis comme membre à l'unanimité.
M. G. Rochette, trésorier, présente le compte rendu de l'é-
tat des finances, et la Société lui vote des remerciements.
M. le Président fait part d'une invitation du Club scientifi-
que de Tienne à ceux de nos membres qui se rendraient
dans cette ville, à assister aux séances du Club. Des remer-
ciements sont adressés aux Directeurs pour leur aimable in-
vitation.
28 BULLETIN.
Il communique ensuite une lettre de la Société de géogra-
phie d'Anvers, annonçant sa fondation et offrant l'échange
de ses publications avec la nôtre. — Des assurances de sym-
pathie et l'acceptation de l'échange sont votées par l'assem-
blée. — Cette Société a déjà décerfté à M. Alex. Lombard,
notre vice-président, le titre de membre correspondant.
M. le Président fait rapport sur le travail du Bureau en
vue de la formation du Comité national pour l'œuvre afri-
caine. La circulaire a été envoyée à une centaine de nos
concitoyens en dehors de la Société de géographie. Il est déjà
parvenu une trentaine d'adhésions.
M. W. Rosier lit la suite de son mémoire sur l'Atlanti-
que ; cette partie comprend les îles et les rivages, particuhè-
rement les îles construites par les polypes sur les côtes du
nouveau continent, sur celles du Brésil, dans la mer des An-
tilles, dans le canal de Yucatan, la Floride, composée de
bancs de ces formations, ainsi que dans l'archipel des îles
Bahama, des Bermudes, etc. — (Voir aux Mémoires.)
Cette communication fournit à MM. le docteur Lombard,
Rochette, Humberl et de Beaumonl l'occasion d'ajouter quel-
ques détails sur les roches nummulitiques de Biarritz et sur
les sables des landes et de la côte de l'Océan en France.
Séance du 23 février 1877.
Présidence de M. H. Bouthillier de Beaumont.
M. le Pi'ésident fait rapport sur les travaux du Bui'eau de-
puis la dernière séance. La circulaire pour la formation du
Comité national suisse a été envoyée à un grand nombre de
nos confédérés dans tous les cantons ; il continue d'ai-river en
retour un certain nombre d'adhésions.
M. de Beaumont donne leclur« d'une lettre de M. le baron
PROCÈS-VERBAUX. 29
Greindl, secrétaire général de la Commission executive à
Bruxelles, annonçant que : « S. M. le roi des Belges sera
« heureuse de recevoir, en qualité de Président, les délégués
« du Comité national suisse au sein de l'Association interna-
« tionale. »
M. de Saussure présente à la Société M. Samson, ingé-
nieur, auquel M. le Président donne la parole pour une com-
munication sur un voijage en Chine, de M. Léon Rousset.
Appelé en 1868, par le marquis d'Aiguebelle, à aller en
Chine enseigner à des élèves chinois les sciences physiques
et naturelles, et attaché à l'arsenal de Fou-Tscheou, M.
Rousset y a professé, depuis 1868 à 1874, avec une distinc-
tion qui lui a valu les félicitations du directeur de l'arsenal et
des autorités chinoises, le brevet et les insignes de mandarin
de quatrième rang et la décoration de seconde classe de l'or-
dre du Mérite.
M. Léon Rousset s'appliqua en même temps à l'étude de .
la langue, des mœurs et des usages des Chinois, et reconnut
que la Chine n'est pas ce qu'on la voit en parcourant super-
ficiellement les ports ouverts aux étrangers. Avant de quitter
ce pays pour revenir en France, il résolut d'y faire avec un
ami un voyage dans l'intérieur, et prit pour prétexte une vi-
site à un mandarin intelligent, fondateur de l'arsenal de Fou-
Tscheou, envoyé peu auparavant à l'extrémité N.-O. de la
Chine, dans les provinces de Chen-si et de Kan-sou, pour y
combattre l'insurrection musulmane, et résidant alors à Lan-
Tscheou sur les bords du Hoang-Ho (fleuve jaune), à quel-
ques journées de marche du Khou-khou-Noor (lac bleu). —
Vêtus en chinois, les deux voyageurs quittèrent Hang-
Tscheou le 13 mars 1874, remontèrent le cours du Han-
Kiang, jusqu'à Siang-Tang, traversèrent la province de Ho-
nan, parcourant des contrées où aucun Européen ne les avait
précédés. Après un séjour de deux semaines à Si-Ngan, capi-
30 BULLETIN.
taie du Chen-si, ils reprirent le chemin de Lan-Tscheou, où
ils arrivèrent le 18 mai, et où ils furent reçus par le vice-roi
Tso, qui leur accorda toutes les facilités désirables pour visi-
ter le pays environnant. — Dans le voyage de retour à Hang-
Tscheou^ ils s'écartèrent, tantôt à droite tantôt à gauche, de
la roule qu'ils avaient suivie précédemment, en vue de faire
des observations physiques, géographiques et géologiques
sur cette contrée. De retour en France, M. Léon Roussel a
rédigé une relation de son voyage.
M. Samson en fait connaître à la Société deux ou trois
fragments. D'abord sur la ville de Han-Keou, et sur les au-
tres villes chinoises en général, dans lesquelles on distingue
la ville proprement dite, fortifiée, et les faubourgs.
La première, tschaug (town, cité), sert d'habitation aux
représentants des autorités, à la bourgeoisie lettrée et à l'in-
dustrie de luxe; les seconds, essentiellement commerçants,
* sont souvent plus considérables que la cité, plus libres, plus
bruyants, mais moins sûrs par le fait qu'ils sont en dehors
des remparts et de la zone où s'exerce l'efficace protection
de l'autorité.
La cité paraît froide et comme déserte ; les rues en sont
larges et bien pavées, mais l'herbe y croît entre les dalles ;
les maisons en sont clair-semées au milieu des jardins; la vie
du foyei' domestique s'y cache derrière de hautes murailles
sans fenêtres. Dans les faubourgs, au contraire, déborde la
vie bruyante, souvent grossière; disputes, vices, malpropreté,
débauche, tout s'y trouve et s'y étale. — La ville de Han-
Keou est située au conlluent du Han-Kiang et du Yang-tse-
Kiang (fleuve bleu), confluent qui forme un T renversé; dans
un de ses angles se trouve la ville de Han-Keou, dans l'autre
celle de Han-Yang, et au delà du fleuve, vis-à-vis, celle de
Hoan-Tschang, capitale de la province de Hu-pé, et rési-
dence du vice-roi qui gouverne les deux provinces de Hu-pé
PROCÈS-YEBBAUX. 31
et de Hu-nan. L'embouchure du Han-Kiang a été choisie
comme fournissant aux navires un excellent mouillage. Des
centaines de bateaux de toutes formes et de toutes gran-
deurs y sont alignés côte à côte : tous les types de bateaux
chinois s'y rencontrent. La rive est bordée de maisons sus-
pendues au-dessus de l'eau sur de hauts pilotis, avec une
hardiesse voisine de la témérité. Dans les grandes crues,
l'eau en emporte souvent quelques-unes avec leurs habitants,
ce qui n'empêche pas qu'on n'en rebâtisse aussitôt sur l'em-
placement même de celles qui viennent de disparaître.
M. Samson parle ensuite du voyage de M. L. Rousset de
Han-Keou à Lan-Tscheou, dont la distance, à vol d'oiseau,
est de 400 lieues, et avec les détours de la route, de 500
lieues, ce qui fait mille lieues pour l'aller et le retour. Les
seuls Européens qu'on rencontre sont les missionnaires ita-
liens établis à Si-Ngan, aux deux tiers de la route à partir de
Han-Keou. Pour se rendre à Si-Ngan, il faut remonter le
Han-Kiang jusqu'à la grande place de commerce de Han-
Tschung, puis suivre en voiture la route qui contourne les
derniers sommets de la chaîne des Thsing-Ling, jusque dans
la vallée du Hoang-Ho. Le Han-Kiang forme un grand Z. Il
prend sa source dans les hautes régions du Chen-si, et coule
d'abord de l'Ouest à l'Est entre de longues chaînes de colli-
nes ; dans sa partie supérieure, les rapides sont nombreux.
Dans son cours moyen, de 80 lieues environ, il coule du
Nord au Sud dans une vallée qui s'élargit et dont la pente
est peu sensible. Dans la partie inférieure, de 33 lieues, il re-
prend sa direction primitive de l'Ouest à l'Est, dans une
plaine basse^ marécageuse, d'alluvions abondantes. Ses eaux
ne sont pas boueuses comme celles de beaucoup de rivières
du sud de la Chine, ce qui provient de la nature des terrains
traversés. Au S.-E. on trouve un granit grossier qui se dé-
compose aisément et qu'entraînent les eaux de pluie; au
32 BULLETIN.
Nord sont des roches métamorphiques ou calcaires. Les dé-
pôts du Han-Kiang ont l'air d'un sable calcaréo-siliceux légè-
rement micacé, réduit à un état d'extrême ténuité; cette
poussière donne à l'eau une légère teinte opaUne.
Au point de vue géologique, M. L. Roussel distingue en
Chine deux régions : celle du midi et du centre, où les l'o-
ches appartiennent à l'époque carbonifère, et celle du nord,
où ces mêmes roches sont recouvertes d'un épais diluvium
récent, le loess. Il en résulte de grandes difïérences de cli-
mat, de culture, d'alimentation, de langage même. Au sud
règne une humidité persistante, au nord une sécheresse
presque continue ; au sud, le riz est la principale culture,
au nord, c'est le blé, le maïs, le millet; au sud, les con-
structions sont toutes en bois, au nord, elles sont toutes en
terre, etc.
Le voyage se poursuit le long d'une route qui emprunte le
lit desséché de petites rivières; la poussière devient très-fati-
gante ; le vent la soulève en tourbillons épais ; elle s'atta-
che à tout, recouvre tout; le nuage qu'elle forme est telle-
ment opaque qu'il permet d'apercevoir en plein midi le dis-
que du soleil privé de ses rayons. J^e loess paraît spécial au
nord de la Chine et au bassin du Hoang-Ho. Ce n'est plus de
la terre, ce n'est pas encore une roche, c'est une sorte de
pierre en voie de formation^ ou qui n'a pas eu le temps de
se durcir; il en a la cohésion, mais non la densité ni la du-
reté; friable et tendre, sa résistance à l'outil est insignifiante.
Sa légèreté rend le labour très-aisé; sa fertilité fournit d'a-
bondantes moissons.
Les ondulations du sol primitif ont disparu sous cette cou-
che, qui a nivelé collines et vallées pour former une immense
plaine légèrement concave.
Les ruisseaux et les rivières l'ont facilement entamée
et y ont creusé de profonds sillons ; aussi la plaine de loess
PROCÈS-VEEIBAUX. 33
est-elle entrecoupée en tous sens par de nombreuses mais
étroites crevasses à parois verticales, qui n'apparaissent guère
que lorsqu'on arrive sur leur bord.
Les Chinois font circuler leurs routes au fond de ces tran-
chées, où la chaleur est étouffante ; le sol broyé par les roues
des voitures y est transformé en un lit de poussière que sou-
lèvent les pieds des mules ; la tristesse, la fatigue, s'emparent
du voyageur qui, pendant des lieues entières, ne voit que les
parois de la tranchée. La monotonie du pays est affreuse ;
peu ou point de végétation arborescente, de l'herbe qui se
cache et se perd sous une couche de poussière, voilà le ta-
bleau sur lequel se pose le regard allangui.
Les éboulements qui se produisent dans ces tranchées n'en
altèrent pas l'aspect général, car le loess a une tendance au
clivage par plans rectangulaires verticaux. Les blocs qui se
détachent ont toujours la forme de grands prismes rectan-
gulaires, en sorte que les surfaces mises à nu sont toujours
la contre-partie de celles qu'elles remplacent. — Les rencon-
tres, dans ces tranchées, ne sont ni agréables ni sans dangers
et ne se terminent pas toujours sans quelque rixe, comme
celle par laquelle finit la communication des notes de M. L.
Rousset sur son voyage jusqu'à Si-Ngan.
M. le Président remercie, au nom de l'assemblée, M. Sam-
son des intéressants détails qu'il a bien voulu lui donner.
M. de Saussure joint ses remerciements à ceux du Prési-
dent, en faisant observer plus particulièrement que ce récit
fait connaître la Chine, ses mœurs et sa constitution géologi-
que, mieux que beaucoup d'autres ouvrages.
M. Aloïs Humbert fait remarquer que la distinction entre
la ville commerciale et la ville bourgeoise riche, signalée par
M. L. Rousset, existe dans tout l'orient, de l'Adriatique au
Japon ; partout le bazar est séparé de la ville d'habitation. A
BULLETIN, T. XVI, 1877. 3
34 BULLETIN'.
Scutari, le bazar est grand comme une ville, mais personne
n'y demeure.
A propos du loess, M. Elisée Reclus cite l'opinion de Richt-
hofen qui pense que le loess n'est pas de formation aqueuse;
il serait dû à la poussière du désert de Gobi, portée par les
vents qui en auraient graduellement couvert la contrée, pen-
dant que les travaux du sol, en particulier les irrigations^ lui
auraient donné sa consistance actuelle.
M. Humbert rappelle encore à ce sujet les formations aré-
nacées des Bermudes, dont le sable est durci comme de la
roche.
M. le Président donne ensuite la parole à M. Alb. Petil-
pierre pour l'exposition de sa méthode d'enseignement de
la géographie pour l'école primaire. Il s'agit du premier en-
seignement, intuitif, important comme tous ceux qui doi-
vent poser les fondements de nos connaissances. Il est né-
cessaire de faire voir aux enfants, dans leur propre horizon,
des points de comparaison avec les types dont on devra les
entretenir dans la suite. Genève est tout particulièrement
favorisé à cet égard, puisqu'il présente tous les types géo-
graphiques désirables. Il suffit de savoir observer et lire dans
la nature, et d'apprendre aux enfants à y Ure à leur tour.
La première leçon commence par la salle d'école, dont on
trace le plan sur la planche noire. Puis viennent des exer-
cices propres à familiariser les enfants avec les représenta-
tions verticales d'un pays qu'ils sont accoutumés à voir en
sens horizontal. Quand le jeune élève sait son orientation, le
maître l'exerce à nommer la direction des objets dans la
salle d'école. Après quoi l'on passe au plan du quartier dans
lequel est située l'école. M.Pelitpierre a dressé celui du quar-
tier de l'Athénée, de la promenade du Pin, des terrasses de
Beauregard, de St-Victor, tous objets bien connus des élè-
ves. Quand ceux-ci ont appris à indiquer correctement la di-
PROCÈS-VERBAUX. 35
rection de ces objets, ils sont bien préparés à recevoir l'en-
seignement géographique et à lire les cartes.
M. Petitpierre passe alors à un rayon plus étendu, au plan
de la ville, au moyen duquel il fait faire à ses enfants de
nombreux exercices pour leur apprendre à s'orienter dans
tous les quartiers et dans toutes les directions. Ces exercices
sont accompagnés de dictées et d'un questionnaire, afin que
les élèves, de très-bonne heure, après avoir fait de l'analyse,
soient obligés de faire de la synthèse.
Après la ville et les types géographiques qu'elle fournit,
vient l'étude du pays dans l'horizon des élèves. Les maté-
riaux manquant, M. Petitpierre a dressé, dans ce but, une
carte au 5-5-Î-00 ; il l'a éclairée comme celle de Dufour, en
traduisant par la lumière oblique la lumière verticale de la
carte de l'état-major français. Sa carte est avant tout physi-
que ; elle n'est politique que pour le canton de Genève ; en
dehors du canton, elle est très-sobre de détails. Les environs
de Genève fournissent tous les types géographiques : plaines,
coteaux, collines, vallées, montagnes, cols, lac, falaises, dé-
troits, presqu'îles, même des dunes, entre Sciez et Exce-
nevez. Le bois de la Bâtie mériterait une carte spéciale, pour
la presqu'île qu^il présente, la triple jonction de l'Arve, du
Rhône et de l'Aire, l'isthme de la queue d'Arve, la plaine au
niveau du fleuve, le plateau au-dessus du bois, la vallée d'éro-
sion du Rhône, etc.
Au quatrième degré de l'enseignement, M. Petitpierre fait
connaître à ses élèves la Suisse, trouvant bon qu'ils étudient la
géographie de leur pays avant celle de la Chine et de l'Aus-
tralie. La Suisse offre, en outre, des types géographiques que
l'on ne rencontre pas ailleurs. — Sa méthode n'est que l'ap-
plication à la géographie des principes de Pestalozzi ; le père
Girard a fait pour ses élèves de Fribourg ce que M. Petit-
pierre fait pour les siens à Genève. Karl Ritter voulait qu'on
36 BULLETIN.
étudiât son pays avant tout. M. A. Guyot travaille sur le
même plan en faveur des élèves des Etats-Unis.
Il ne faut cependant pas s'arrêter trop longtemps à la
Suisse, pour ne pas priver indéfiniment l'enfant de la con-
naissance des autres pays de l'Europe et des autres conti-
nents. La construction de la carte de la Suisse présente des
facilités si l'on se souvient que toutes les chaînes composent
un éventail dont les lignes convergent à Culoz. Les points de
repère suivants permettent de faire le tracé de la carte à
coup sûr :
La première ligne va de Culoz au Mont-Blanc, à Lugano et
aux Alpes de Bergame.
La seconde, de Culoz à Annecy, puis aux Alpes bernoises
jusqu'au Calanda.
La troisième, de Culoz par St-Gingolph, Thoune, Lucerne,
Zoug, etc.
La quatrième, de Culoz à Thonon, Fribourg, Langenthal,
Brugg, Scbatïbouse.
La cinquième, de Culoz à Genève, Neuchàtel et Bàle.
La sixième, au Jura, avec le Locle, le Doubs, Porrentruy,
comme points de repère.
Quant à l'emploi à faire de la carte, les enfants ne doivent
pas pouvoir y lire les noms. — M. Petitpierre a rédigé de plus
un manuel pour son enseignement, qui jusqu'ici lui a permis
de constater de bons résultats.
M. le Président, en remerciant M. Petitpierre de son ex-
posé, exprime l'intérêt qu'il a éprouvé à voir le professeur
prendre ses élèves dès le début, pour leur faire gravir suc-
cessivement les degrés de l'enseignement, et à apprendre
que notre pays réunit dans son horizon tous les éléments né-
cessaires pour conduii-e à l'étude de la géographie dans ses
degrés supérieurs.
M. L. Brocher estime que la marche suivie par M. Petit-
PROCÈS-VERBAUX. 37
pierre est la meilleure. Il fait ressortir l'utilité de procéder
en allant du connu à l'inconnu, au point de vue des plans,
et attire aussi l'attention sur l'importance de bien faire
comprendre aux élèves ce que c'est qu'une échelle, et quel
en est l'usage.
M. A. Humbert appuie spécialement sur cette dernière re-
commandation.
M. Faure ajoute que la méthode exposée par M. Petit-
pierre est celle que pratiquent depuis de longues années nos
confédérés des cantons allemands, de Zurich, de Lucerne,
d'Uri, de Schwytz, d'Unterwalden, etc., tous les instituteurs
allemands depuis Karl Ritter, et ceux des Etats-Unis, grâce
aux manuels et aux cartes de notre compatriote M. le pro-
fesseur Arnold Guyot.
M. Humbert signale à l'attention de la Société la pubUca-
tion des voyages de Bruce en Algérie et en Tunisie par M.
Playfair, consul général d'Angleterre en Algérie.
MÉLAÎ[GES ET NOUVELLES
Conférence de Bruxelles
en vue de l'exploration et de la civilisation de
l'Afrique centrale.
Au sortir des guerres du premier empire, les puissances
de l'Europe, représentées à Vienne, inauguraient l'ère de
paix, si ardemment souhaitée, par une déclaration solennelle
dans laquelle leurs délégués prenaient en considération la
traite des nègres d'Afrique qui répugnait aux principes d'hu-
manité et de morale universelle; et prêtant l'oreille à la voix
publique qui, dans tous les pays civilisés, s'élevait pour de-
mander qu'elle fût supprimée le plus tôt possible, ils rappe-
laient que plusieurs des gouvernements européens avaient
pris la résolution de la faire cesser, que successivement tou-
tes les puissances possédant des colonies dans les différentes
parties du monde, avaient reconnu, soit par des actes légis-
latifs, soit par des traités et autres engagements formels,
robligalion et la nécessité de l'abolir.
Au nom des puissances, leurs représentants émettaient le
vœu de mettre un terme à ce fléau qui depuis si longtemps
désolait l'Afrique, dégradait l'Europe et affligeait l'humanité.
Ils délibéraient sur les moyens d'accomplir une œuvre aussi
salutaire, et proclamaient leur désir sincère de concourir à
l'exécution la plus prompte et la plus efficace de cette mesure
par tous les moyens à leur disposition, et d'agir dans l'em-
ploi de ces moyens avec tout le zèle et la persévérance qu'ils
MÉLANGES ET NOUVELLES. 39
devaient à une aussi grande et belle cause. Cependant, par
ménagement pour des intérêts, des habitudes et des préven-
tions particulières, ils laissaient aux négociations entre les
puissances le soin de déterminer l'époque où ce commerce
devrait universellement cesser; bien entendu, disaient-ils, que
Ton ne négligera aucun moyen propre à en assurer et à en
accélérer la marche, et que l'engagement contracté ne sera
considéré comme rempli qu'au moment où un succès com-
plet aura couronné les efforts des gouvernements. « Le
triomphe de cette cause devait être un des plus beaux mo-
numents du siècle qui l'avait embrassée et qui l'aurait si glo-
l'ieusement terminée. »
Ainsi s'exprimaient, cà Vienne, le 8 février 1815, les repré-
sentants de l'Angleterre, de la Russie, de la Suède, de l'Au-
triche, de l'Espagne, du Portugal, de la Prusse et de la
France.
Sept ans plus tard, cinq des mêmes puissances représen-
tées au Congrès de Vienne, étaient obligées de constater que,
en dépit des mesures législatives et des différents traités con-
clus entre les puissances maritimes, ce commerce solennelle-
ment proscrit avait continué, qu'il avait même gagné en in-
tensité ce qu'il avait perdu en étendue, et qu'enfin il avait
pris un caractère plus odieux et plus funeste par la nature
des moyens auxquels ceux qui l'exerçaient étaient forcés
d'avoir recours.
Elles voyaient les causes d'un abus aussi révoltant dans les
pratiques frauduleuses moyennant lesquelles les entrepre-
neurs de ces spéculations condamnables éludaient les lois de
leur pays, déjouaient la surveillance des bâtiments employés
pour arrêter le cours de leurs iniquités, et couvraient les
opérations criminelles dont des milliers d'êtres devenaient,
d'année en année, les innocentes victimes.
Les puissances se sentaient appelées par leurs engage-
40 BULLETIN.
ments antérieurs, autant que par un devoir sacré, à chercher
les moyens les plus efficaces pour prévenir un trafic que les
lois de la presque totalité des pays civilisés avaient déclaré
illicite et coupable, et pour punir rigoureusement ceux qui le
poursuivaient en contravention manifeste de ces lois; et dé-
clarant qu'elles persistaient dans les principes manifestés le
8 février 1815, elles répétaient qu'elles ne cesseraient de re-
garder le commerce des nègres comme un fléau qui avait
trop longtemps désolé l'Afrique, dégradé l'Europe et affligé
l'humanité, et qu'elles étaient prêles à concourir à tout ce
qui pourrait assurer et accélérer l'abolition complète et défi-
nitive de ce commerce. Elles voulaient amener un résultat
constatant aux yeux du monde la sincérité de leurs vœux et
de leurs efforts en faveur d'une cause digne de leur sollici-
tude commune.
Dès lors, cinquante-cinq années se sont écoulées et malgré
les efforts des gouvernements et des particuliers, c'est la
traite qui s'oppose aux progrès de la civilisation dans l'Afrique
centrale, et qui rend si difficile l'exploration un peu complète
d'immenses étendues de son sol.
Sans doute, les explorateurs l'attaquent de tous les côtés,
de Tripoli au Nord, de la Nubie et de Zanzibar à l'Est, de la
Gambie et de Loanda à l'Ouest, et les résultats des voyages
de Mungo Park, de Caillé, du Chaillu, H. Duveyrier, Rohlfs,
Clapperton, Nachtigal, Burton, Speke, Grant, Baker, Piaggia,
Antinori, Schweinfurth, Livingstone, Cameron et Stanley ont
jusqu'à un certain point levé le voile épais qui, pour nous,
recouvrait le continent africain. Mais aussi longtemps que la
traite s'y poursuivra^ les explorateurs eux-mêmes ne s'y ha-
sarderont pas sans danger, et les relations commerciales à
l'intérieur ne pourront pas s'y établir sûrement.
Mais si la science et le commerce peuvent faire désirer la
suppression de la traite, l'humanité la prescrit comme un
MÉLANGES ET NOUVELLES. 4é1
devoir. Il semblerait que depuis l'abolition de l'esclavage en
Amérique et depuis la proscription officielle de la traite par
tous les peuples civilisés, cet infâme trafic ait dû disparaître
ou du moins se réduire à des proportions insignifiantes. Il
n'en est rien. Le trafic des esclaves existe • il a ses marchés
réguliers d'approvisionnement et de vente, comme les voya-
geurs africains l'ont constaté, et l'on ne peut qu'être navré
par la lecture de récits, tels que ceux de M. Berlioux : « la
traite orientale » et de M. J. Cooper : « The lost continent, »
où sont résumés, avec autant de science que de cœur, les dé-
tails de cet abominable trafic *.
Si les croisières ont à peu près réussi à l'éteindre sur la
côte occidentale, il prospère d'autant mieux dans les États du
Soudan, dans la vallée du Haut-Nil et sur le plateau central.
Dans le Soudan, les princes indigènes sont eux-mêmes les
pourvoyeurs des marchands d'esclaves. Disciples du Coran,
et considérant les populations païennes comme dépourvues
de tout droit vis-à-vis des croyants, ils organisent, sur de
vastes territoires, des razzias auxquelles ils intéressent les
chefs et les soldats de leurs armées. Elles entourent et in-
cendient les villages, dit M. Banning, tuent tout ce qui paraît
impropre à la marche, au travail, au plaisir, et emmènent le
reste; des provinces entières sont ravagées, et telle d'entre
elles qu'on avait vue naguère populeuse et prospère se re-
trouve au bout de quelques années déserte et aride. Les pro-
duits de ces chasses sont amenés sur les marchés de l'inté-
rieur. L'un des principaux, Kouka, reçoit chaque semaine
6000 esclaves. Les marchands arabes les achètent et les ache-
minent à travers le désert, sous un soleil ardent, vers Mour-
zouk. La grande caravane de Kouka en emmène à elle seule
environ 4000.
^ Ch.-E. Banning , L^ Afrique et la Conférence géographique de
Bruxelles, 1877.
42 BULLETIN.
Les lignes suivantes de M. Rohlfs peuvent donner une idée
des privations et des tortures qu'éprouvent ces malheureux
dans cette marche de 12 à 1500 kilomètres. « Des deux côtés
de la route, dit-il, nous voyons les ossements blanchis des
esclaves morts. Quelques squelettes ont encore le vêtement
des nègres. Celui qui ne connaît pas le chemin du Bornou
n'a qu'à suivre les ossements dispersés à gauche et à droite
de la voie, il ne se trompera point, »
Dans la vallée du Haut-Nil, la chasse à l'homme se pour-
suit sur une si grande échelle qu'une seule battue amena une
fois la capture de 8000 esclaves. Ils sont dirigés sur Khar-
toum, où ils arrivent par les affluents du Nil, serrés, en-
tassés comme du bétail dans des bateaux, où sévissent d'or-
dinaire la petite vérole et la peste. De là, on les conduit à
Massaoua et sur les marchés de l'Orient.
Mais nulle part ce trafic abominable n'exerce de plus cruels
ravages que sur le plateau central de l'Afrique. L'entrepôt
général des traitants araljes se trouve à quelque cent lieues
de la rive orientale du Tanganyka. M. Berlioux s'exprime
ainsi : « Du plateau à la mer, du point où la razzia s'est faite
au port où l'on s'embarque, la route ne comptera plus de
longues semaines. Mais il faut aller vite, car derrière les ro-
chers, dans la profondaur des taillis, peuvent se cacher des
embuscades. L'indigène n'épargne pas l'Arabe, s'il trouve
l'occasion favorable. Marcher rapidement, c'est l'ordre répété
aux esclaves enchaînés; mais quand l'ordre n'est plus en-
tendu, quand le bâton n'a plus d'action sur le malheureux
que la fatigue abat, sans pitié on l'abandonne au milieu delà
solitude. » M. Baker nous parle d'un convoi ramené, non par
des Arabes, mais par des Turcs : les vieilles femmes enlevées
dans la razzia ne marchaient pas assez vile. Dès que la fatigue
en faisait tomber une, on l'assommait; un coup de massue
sur la nuque^ et il ne restait qu'un cadavre agité par la mort-
MÉLANGES ET NOUVELLES. 43
Le chemin était marqué par ces jalons effroyables. Lorsque
la mer est proche^ lorsque le danger semble un peu éloigné,
alors l'intérêt du marchand conseille un peu plus de précau-
tion. S'il reste dans la troupe des hommes que la faim et la
fatigue aient un peu épargnés, on les charge de porter leurs
compagnons affaiblis. Il y a quelque chose d'horrible et qui
soulève le cœur dans la vue d'une semblable caravane. La
troupe ne marche plus réunie ; les malheureux sont échelon-
nés par groupes le long du sentier, chancelants^ semblables
à des squelettes : leur visage n'a plus d'autre expression que
celle de la faim, leurs yeux sont ternes et enfoncés, les joues
sont devenues osseuses. Il est temps d'arriver au terme de
la course. Mais que va-t-il donner aux malheureux, ce terme
du voyage ? Les noirs bateaux sont là, avec leur cale sombre,
étroite, fétide, pour la marchandise humaine. Voilà, dans
toute sa laideur physique, le commerce des esclaves ; il serait
plus effrayant encore, s'il pouvait étaler à nos yeux les plaies
morales, les vices, la dégradation hideuse que l'esclavage pro-
duit chez le maître comme chez l'esclave.
Et Livingstone, peu avant sa mort, écrivait : « Quand j'ai
essayé de rendre compte de la traite de l'homme dans l'Est
de l'Afrique, j'ai dû rester très-loin de la vérité, de peur
d'être taxé d'exagération ; mais, à parler franchement, le su-
jet ne permet pas qu'on exagère. En surfaire les calamités
est une pure impossibilité. Le spectacle que j'ai eu sous les
yeux^ incidents communs de ce trafic, est tellement révoltant
que je m'efforce sans cesse de l'effacer de ma mémoire. Je
parviens à oubUer avec le temps les souvenirs les plus pé-
nibles ; mais les scènes de la traite se représentent malgré
moi, et, au milieu de la nuit, me réveillent en sursaut, frappé
d'horreur par leur vivacité. » En 1851, il avait pour la pre-
mière fois visité les rives du Tanganyka, y avait trouvé une
population nombreuse, livrée aux travaux de l'agriculture,
44 BULLETIN.
initiée aux premiers arts de la civilisation. Le climat lui parut
si beau, la terre si féconde, les hommes si bienveillants, qu'il
conçut le projet de fonder une colonie dans ces parages.
Lorsqu'il repassa dans les mêmes lieux dix ans plus lard, en
1861, il ne les reconnut plus; dans l'intervalle la traite y avait
pénétré. Les plantations avaient disparu; les villages étaient
incendiés, les habitants dispersés, emmenés, tués. Les taillis
étaient remplis de cadavres sanglants ; les rivières en étaient
obstruées ; aux branches des arbres pendaient des femmes
que le chef de la bande avait condamnées à périr, quand
l'épuisement de leurs forces les empêchait de suivre plus
longtemps le convoi, afin d'intimider leurs compagnes d'es-
clavage ou de se venger de ses pertes.
Le nombre des nègres que la traite enlève à l'Afrique
s'élève à une centaine de mille, mais ce n'est qu'une fraction
d'une perte bien autrement considérable. Livingstone affirme
que la quantité des esclaves qui atteignent la côte, ne repré-
sentent que la cinquième partie , dans certaines régions
même, où la résistance est la plus énergique, que la dixième
partie des victimes réelles de la traite. Les autres succombent
dans l'attaque des villages, dans les massacres^ dans les in-
cendies qui les accompagnent, ou périssent le long des rou-
tes, pendant la marche des convois et à bord des bateaux.
Le supérieur de la mission catholique de l'Afrique centrale
évalue à un million d'hommes le chiffre des pertes que le
trafic des esclaves inflige annuellement aux populations afi'i-
caines. Ce chiffre n'a rien d'étonnant pour qui songe que la
traite sévit sur un territoire aussi étendu que toute l'Europe,
habité par environ quatre-vingt millions de nègres.
Et aussi longtemps qu'elle y régnera, toute tentative de
l'explorer régulièrement et d'y faire pénétrer la civilisation
et le commerce honnête, sera infructueuse.
C'est pourquoi, après que les efforts des gouvernements
MÉLANGES ET NOUVELLES. 4o
ont été reconnus impuissants pour la réduire par l'emploi
de la force, le roi des Belges a eu la pensée généreuse de
convoquer à Bruxelles des représentants des principales So-
ciétés de géographie de l'Europe, MM. de Richthofen, de
Hochsletter, l'amiral deLaRoncière le Noury, Sir Rutherford
Alcock, C. Negri, T. de Semenow, les grands voyageurs
G. Nachtigal, Rohlfs, Schweinfurth, H. Duveyrier, le marquis
de Compiègne, J. A. Grant, Lovett Cameron, pour leur ex-
poser le plan d'une croisade d'un nouveau genre en vue
d'explorer et de civiliser l'Afrique centrale.
Voici le discours que prononçait S. M. à l'ouverture de la
Conférence, le 12 septembre i876 :
« Messieurs,
Permettez -moi de vous remercier chaleureusement de
l'aimable empressement avec lequel vous avez bien voulu
vous rendre à mon invitation. Outre la satisfaction que j'au-
rai à entendre discuter ici les problèmes à la solution des-
quels nous nous intéressons, j'éprouve le plus vif plaisir à
me rencontrer avec les hommes distingués dont j'ai suivi
depuis des années les travaux et les valeureux efforts en fa-
veur de la civilisation.
Le sujet qui nous réunit aujourd'hui est de ceux qui mé-
ritent au premier chef d'occuper les amis de l'humanité. Ou-
vrir à la civilisation la seule partie de notre globe où elle
n'ait point encore pénétré, percer les ténèbres qui envelop-
pent des populations entières, c'est, j'ose le dire, une croi-
sade digne de ce siècle de progrès ; et je suis heureux de
constater combien le sentiment public est favorable à son ac-
comphssemenl ; le courant est avec nous.
Messieurs, parmi ceux qui ont le plus étudié l'Afrique, bon
nombre ont été amenés à penser qu'il y aurait avantage pour
le but commun qu'ils poursuivent, à ce que l'on pût se réu-
nir et conférer en vue de régler la marche, de combiner les
46 BULLETIN.
efforts, de tirer parti de toutes les ressources, d'éviter les
doubles emplois.
Il m'a paru que la Belgique, État central et neutre, serait
un terrain bien choisi pour une semblable réunion et c'est
ce qui m'a enbardi à vous appeler tous, ici, chez moi, dans
la petite Conférence que j'ai la grande satisfaction d'ouvrir
aujourd'hui. Ai-je besoin de vous dire qu'en vous conviant
à Bruxelles, je n'ai pas été guidé par des vues égoïstes? Non,
Messieurs, si la Belgique est petite, elle est heureuse et satis-
faite de son sort; je n'ai d'autre ambition que de la bien ser-
vir. Mais je n'irai pas jusqu'à affirmer que je serais insensible
à l'honneur qui résulterait pour mon pays de ce qu'un pro-
grès important dans une question qui marquera dans notre
époque fût daté de Bruxelles. Je serais heureux que Bruxel-
les devînt en quelque sorte le quartier général de ce mouve-
ment civilisateur.
Je me suis donc laissé aller à croire qu'il pourrait entrer
dans vos convenances de venir discuter et préciser en com-
mun, avec l'autorité qui vous appartient, les voies à suivre,
les moyens à employer pour planter définitivement l'éten-
dard de la civilisation sur le sol de l'Afrique centrale ; de
convenir de ce qu'il y aurait à faire pour intéresser le public
à votre noble entreprise et pour l'amener à y apporter son
obole. Car, Messieurs, dans les oeuvres de ce genre, c'est le
concours du grand nombre qui fait le succès, c'est la sympa-
thie des masses qu'il faut solliciter et savoir obtenir.
De quelles ressources ne disposerait-on pas, en effet, si
tous ceux pour lesquels un franc n'est rien ou peu de chose,
consentaient à le verser à la caisse destinée à supprimer la
traite dans l'intérieur de l'Afrique?
De grands progrès ont déjà été accomplis, l'inconnu a été
attaqué de bien des côtés ; et si ceux ici présents qui ont en-
richi la science de si importantes découvertes, voulaient nous
MÉLANGES ET NOUVELLES. 47
en retracer les points principaux, leur exposé serait pour tous
un puissant encouragement.
Parmi les questions qui seraient encore à examiner, on a
cité les suivantes :
1" Désignation précise des bases d'opération à acquérir,
entre autres, sur la côte de Zanzibar et près de l'embouchure
du Congo, soit par conventions avec les chefs, soit par achats
ou locations à régler avec les particuliers;
2° Désignation des routes à ouvrir successivement vers
l'intérieur et des stations hospitalières, scientifiques et pacifi-
catrices à organiser comme moyen d'abolir l'esclavage, d'éta-
blir la concorde entre les chefs, de leur procurer des arbitres
justes, désintéressés, etc. ;
3° Création, l'œuvre étant bien définie, d'un comité inter-
national et central et de comités nationaux pour en pour-
suivre l'exécution, chacun en ce qui le concernera, en expo-
ser le but au public de tous les pays et faire au sentiment
charitable un appel qu'aucune bonne cause ne lui a jamais
adressé en vain. ^
Tels sont. Messieurs, divers points qui semblent mériter
votre attention; s'il en est d'autres, ils se dégageront de vos
discussions et vous ne manquerez pas de les éclaircir.
Mon vœu est de servir comme vous me l'indiquerez la
grande cause pour laquelle vous avez déjà tant fait. Je me
mets à votre disposition dans ce but et je vous souhaite cor-
dialement la bienvenue. »
Après ce discours qui déterminait la pensée et le but de la
Conférence, la présidence fut décernée par acclamation au
roi, et la vice-présidence aux présidents des diverses Sociétés
de géographie présents à la réunion.
Le roi annonça que M""^ Heine-Furtado mettait à la dispo-
sition de la Conférence une somme de 20,000 francs pour la
fondation de stations scientifiques et internationales. S. M.
48 BULLETIN.
adressa ensuite des remerciements à Sir Rutherford Alcock
pour les cartes spéciales qu'il avait fait dresser à l'usage de
la Conférence. Puis, elle communiqua une lettre du président
de la Société de géographie de New-York, M. le juge Daly,
offrant de seconder de tout son pouvoir l'œuvre de la Con-
férence.
Sur l'invitation du roi, les voyageurs étrangers résumèrent
leurs travaux en Afrique. M. Nachtigal donna une esquisse
de son voyage de Tripoli à Kouka, de ses explorations dans le
bassin du lac Tschad, dont il a découvert le canal de déchar-
gement dans le Bahr-el-Ghazal, et de son retour par le Wadaï,
le Darfour et le Kordofan.
M. Schweinfurth retraça ses voyages entrepris, le premier,
en 1863, dans la Nubie, le second, en 1869, dans le bassin du
Haut-Nil, jusqu'au 3"^ degré de latitude dans le royaume des
Monbuttu. Cette région, soumise aujourd'hui à la domination
égyptienne, a subi une transformation complète.
M. Rohlfs rappela ses voyages dans le Maroc et la partie
méridionale de l'Algérie, son expédition de Tripoli par Kouka
jusqu'à Lagos, ses explorations en Al)yssinie, dans la Cyré-
naïque et dans le désert de Libye.
M. Lux parla de l'expédition allemande sur la côte de
Loango dans le but d'atteindre Nvangwé, la route la plus
directe pour arriver dans les États de Muala Yamvo, le chef
le plus puissant de l'Afrique centrale, dont Kabelé est la ca-
pitale. Il a traversé le Goango et le Kassabi qu'il croit être la
branche originaire du Congo.
M. Cameron rendit compte de son expédition de Zanzibar
à Benguela. Après avoir traversé le Tanganyka, dont il a dé-
couvert l'issue occidentale, le Loukouga, il s'est dirigé vers
Nyangwé, puis est redescendu au Sud-Ouest, a exploré le
bassin méridional du Congo, a passé dans celui du Zaml)èze^
a traversé le fleuve à une altitude de oGOO pieds, et a atteint
MÉLANGES ET NOUVELLES. 49
la côte occidentale à travers les possessions portugaises. Il a
reconnu l'existence de forêts renfermant de grandes riches-
ses végétales, et constaté la présence de mines de charbon et
de cuivre.
M. Grant, après avoir rappelé la première expédition de
Burton et de Speke aux grands lacs, retraça celle qu'il entreprit
avec ce dernier de Zanzibar au lac Victoria, où ils reconnu-
rent, à rOuest, des montagnes de oOOO pieds de hauteur. Re-
montant au N.-E., ils atteignii-ent le cours d'eau qui sort du
lac Victoria et forme la branche primitive du Nil; résultat
confirmé par les explorations de Gordon et de Stanley.
Le commandeur Negri donna quelques détails sur l'expé-
dition du marquis Antinori ; le baron de Hofmann commu-
niqua des renseignements sur celle de Gordon et de Piaggia,
qui ont remonté le Nil Blanc depuis Magungo jusqu'au point
où il sort du Victoria. Dès à présent, il existe dans cette ré-
gion dix-neuf stations égyptiennes.
Après avoir remercié les auteurs de ces diverses commu-
nications, Sa Majesté proposa d'examiner la question de Tuti-
lité de la fondation en Afrique de stations scientifiques et hos-
pitalières.
M. de Semenow constata que ce point était acquis, que les
voyageurs auraient pu pénétrer généralement en Afrique k
de plus grandes distances que celles qu'ils ont atteintes, s'ils
avaient rencontré sur leur chemin des stations où ils eussent
pu trouver secours et appui. D'autre part, Tabsence de toute
espèce d'entente dans l'organisation des expéditions en ac-
croît les difficultés. Aussi i\l. de Semenow se rallia-t-il au
projet de stations qui seraient établies sur la côte d'abord,
pour pénétrer ensuite dans l'intérieur du continent.
M. de Laveleye, d'accord sur l'utilité de ces stations, de-
manda dans quelles conditions il faudrait les organiser pour
en obtenir des résultats pratiques.
BULLETIN, T. XVI, 1877. 4
50 BULLETIN.
M. Rolilfsi-appela que l'utilité et la possibilité d'en créei- sont
prouvées par le fait de l'existence de stations semblables. Les
Anglais, en eflet, ont déjà organisé trois établissements de
cette nature, à Rhadaniès, à Mourzouk et à Lokaja. Avant la
conquête égyptienne, Kiiartoum était aussi une station de ce
genre.
Sir Henry Rawlinson, très-favorable au projet, exprima la
pensée que ces stations devraient devenir des centres de
renseignements, des postes bospitaliei's, des foyers de civili-
sation. Le colonel Gordon^ dans son expédition actuelle sur
le Haut-Nil, a établi une série de postes placés à des distances
de 20 à 50 milles et communiquant entre eux. Un établisse-
ment a été créé, sans aucun élément militaire, sur le lac
Nyassa, gur lequel un bateau à vapeur a été lancé. La même
chose poui'rait être faite sur le Tanganyka. De là, on pourrait
gagner, par le Congo, la côte occidentale de l'Afrique. La
réalisation de ce projet pourrait être entreprise sous les aus-
pices de Sa Majesté.
M. le vice-amiral de La Roncière le Noury s'est rallié en
principe à l'établissement de stations scientifiques en Afrique.
Elles contribueraient efficacement à restreindre le commerce
des esclaves; les missions religieuses, qu'il ne faudrait pas
organiser directement, mais qui suivraient les stations, se-
raient d'un utile concoui's. Les relations commerciales, qu'il
est d'un intérêt général de créer et de développer, tendraient
au même but. Elles sont entravées aujourd'lmi par l'absence
de routes et de communications fluviales. La première chose
à faire à ce point de vue, sei-ait de transpoiter en Afrique le
bateau à vapeur, comme l'Anglelerre vient de le faire sur le
lac Nyassa. Le bateau à vapeur serait l'instrument indispen-
sable pour faire vivre et fructifier la station. Il faudrait seule-
ment réserver à un coniité le soin de dêteiMniiicr les em-
MÉLANGES ET NOUVELLES. 51
placements des stations futures et de recueillir les fonds né-
cessjiires.
Sir Harry Verney est entré dans quelques détails sur le
commerce de l'ivoire, considéré comme une des causes de
l'extension de la traite. Il signala l'existence, au centre de
l'Afrifjue, d'un État impoi'tant (Lunda) dont la population est
favorable à l'établissement d'un commerce régulier avec la
côte occidentale. Mais il demanda si l'établissement de sta-
tions serait utile sans la création de routes.
M. Xachtigal constata qu'il s'agissait avant tout d'ouvrir l'A-
frique. A ce point de vue, l'établissement de stations sera très-
utile ; et quant aux routes, elles existent. Tous les voyageurs
qui ont pénétré en Afiique, ont suivi les routes tracées par
le commerce. L'emploi des bateaux à vapeur ne pourra être
qu'une exception, à cause des obstacles naturels dont les
fleuves africains sont hérissés. Quant à la traite, la fermeture
des débouchés du littoral ne suffira pas à la supprimer. Par-
tout où pénètre l'Islam, l'esclavage s'installe avec lui; celui-ci
se maintiendra donc à l'intérieur, même dans les États rela-
tivement civilisés du Soudan central. C'est dans Tislamisme,
qui est sa source, qu'il faut combattre le commerce des es-
claves ; or les États du Soudan sont très-accessibles à l'in-
fluence européenne. C'est par le commerce qu'on civilisera
le mieux l'intérieur de l'Afrique.
Sir Fowell Buxton donna quelques explications sur les sta-
tions établies ou en voie de formation. Entre les deux grands
lacs Albert et Victoria Nyanza, les missionnaires en ont fondé
une ou deux. Une auti-e va s'établir au bord du lac Nyassa.
Il conviendrait d'en établir également une sur le lac Tanga-
nyka. Une expédition s'organise pour prendre position à Ujiji,
sur le lac. Six ou sept stations seront fondées au courant de
Tannée 1877. L'intérêt qu'on porte en Angleterre à cette
entreprise est tel, qu'on a déjà souscrit plus de 40,000 liyres
52 BULLETIN.
Sterling pour en hâter la réalisation. Nul doute que les mê-
mes sympathies ne se manifestent sur le continent.
Sir Rutherford Alcock attira l'attention sur la base d'opé-
ration, qui devrait nécessairement être sur une côte. Mais sur
quelle côte ? Une lettre du colonel Gordon donne des détails #
peu encourageants pour ceux qui voudraient opérer par le
Nord. Les annexions réalisées récemment par TÉgyple ont
jeté l'alarme et la méfiance parmi toutes les populations de
cette partie du continent. Du côté de l'Ouest, il reste bien des
recherches, bien des dépenses à faire. Il faudrait créer à Ujiji
une grande station, qui serait le point centi-al. Sa Majesté
pourrait y établir une autorité consulaire. Que l'on fasse un
appel au public et l'on parviendra à civiliser de vastes et fer-
tiles régions, en y introduisant le commerce et en y suppri-
mant la traite. L'Afrique centrale s'ouvrira alors tout entière.
L'amiral Sir Leopold Heath proposa k Sa Majesté de
s'adresser aux gouvernements français et anglais, qui enver-
raient une expédition pour reconnaître les côtes. Une fois le
port choisi, on en ferait un territoire européen sous un dra-
peau quelconque. De nombreux émigrants ne manqueraient
pas d'affluer sui- ce point. Il y a à Zanzibar 3000 ou 4000 su-
jets indiens qui s'empresseraient d'y accourir.
Sir Bartle Frère a présenté les deux manières de pénétrer
en Afrique : la douceur ou la violence. Ce n'est pas la force
matérielle dont il dispose, qui fait le prestige du voyageur
européen en Afrique ; c'est la supériorité de l'homme blanc
qui fait de lui une puissance, un centre de civilisation. C'est
un des traits caractéristiques des peuples de l'Afrique, que
d'affluer partout où existe un tel centre. Toute la côte, de-
puis le neuve Djouba jusqu'à la baie de Delagoa, se prête ad-
mirablement à la création de ports. On pourrait partir de
l'un de ces ports et établir, en avançant dans l'intérieur, des
stations pour les explorateurs, les commerçants et les mis-
sionnaires.
MÉLANGES ET NOm'ELLES. * 53
Sa Majesté, après avoir constaté runanimité de la Confé-
rence sui- l'utilité de la création de stations scientifiques et
hospitalières en Afrique, désigna ensuite le second point à
examiner, à savoir le choix des emplacements qui pourraient
le mieux convenir à l'établissement des stations, et les re-
présentants des divers Étals, réunis en groupes nationaux,
furent chargés d'élaborer un plan précis à cet égard et de
faire rapport dans la séance du lendemain.
Le 13 septembre, en effet, la Conférence reçut de M. de
Semenow la communication, que certaines nations n'étant
représentées que par une seule personne, les éléments étran-
gers s'étaient fusionnés en deux groupes, formés l'un par les
membres anglais, français et italien, l'autre par les membres
allemands, autrichiens et l'usse.
Sir Henry Rawlinson fit connaître les vues du groupe an-
glo-franco-ilalien dans un rapport dont voici le résumé :
Le but que l'on se propose dans l'intérêt de la civilisation,
de la science et du commerce, serait atteint le plus facilement
par l'établissement d'une ligne continue de communication
entre les côtes orientale et occidentale du continent au Sud
de Téquateur, avec des lignes subsidiaires traversant les ré-
gions des lacs, qui rattacheraient l'artère principale au bassin
du Nil et au cours inférieur du Congo, au Nord, et à la région
du Zambèze, au Midi, et qui déboucheraient sur des points
convenables du littoral.
L'appui que l'entreprise trouverait chez les nations repré-
sentées à la Conférence, servirait de réponse à la question de
savoir si l'artère prmcipale serait maintenue par l'établisse-
ment d'une suite de stations permanentes sous une surveil-
lance européenne, ou bien s'il suffirait de désigner des agen-
ces indigènes étabUes sur des points intermédiaires détermi-
nés, et de compter sur les efforts des voyageurs isolés et sur
rinfluence du trafic local pour maintenir une communication
régulière le long de la ligne.
54 BULLETIN.
Mais il faudrait, tout d'aboi'd prendre en considération :
l"Le clioix par une autorité navale compétente des points
d'entrée les mieux appropr-iés sur les côtes orientale et occi-
dentale, dans le voisinage de Zanzihar d'une part et de St-Paul
de Loanda de l'autre.
2" Le placement de petits bateaux h vapeur sur les lacs Vic-
toria et Tanganyka, et l'ouverture d'une voie commerciale,
d'abord entre ces lacs et ensuite entre les lacs Tanganyka et
Nyassa,où il y a déjà un bateau cà vapeur, de manière à avoir
une communication continue par terre et par eau entre le
Zambèze et le Nil.
3° Le placement, sur le Congo, d'un bateau à vapeur dont
on assemblerait les pièces au-dessus de la chute de Yellali,
et qui serait assez fort pour résister à une attaque de la part
des tribus indigènes le long du cours de ce fleuve.
4° S'il fallait établir des stations permanentes, le groupe
indiquerait Ujiji, et Nyangwé sur le Lualaba, comme les pre-
miers endroits à occuper, en prenant des arrangements avec
les autorités locales. Viendraient ensuite des établissements
semblables dans les États respectifs de Cazembé, de Kassongo
et de Muata-Yamvo.
5° Le groupe recommanderait en outre, qu'après l'établis-
sement de l'artère principale à travers le continent, tous les
efforts possibles fussent faits par les expéditions scientifiques
à l'effet d'ouvrir la l'égion au Nord du Lualaba, de manière à
mettre en communication l'Afrique équatoriale avec le Dar-
four, le lac Tscbad et la vallée de l'Ogowé.
M. de Semenow fit ensuite rapport au nom du groupe
austro-germano-russe. Tout en constatant que le but pour-
suivi est identique, ouvrir l'Afrique aux elTorts de la civilisa-
tion européenne, établir des routes vers l'intérieur de ce
continent, supprimer la traite, il fit ressortir la divergence
qui existe quant à la détermination du but inunêdiat à attein-
MÉLANGES ET iNOCVEI.LES. OO
(Ire. Le .iïroiipe au nom duquel il rapportait avait cru devoir
assigner la priorité à Tinlérêt scientifique, sauf à compter
pour les autres progrès sur la marclie naturelle des événe-
ments, et il proposait :
1° D'organiser sur un plan commun et international l'ex-
ploration des parties inconnues de l'Afrique, en limitant la
région de l'exploration du côté de l'Est par les grands lacs,
du côté du Midi par la l'oute du commandant Cameron, et du
côté du Nord par les États de Bagliermi et de Wadaï.
2» Pour effectuer cette exploi-ation, le moyen le plus ap-
proprié consisterait : a) dans l'envoi d'un nombre suffisant
de voyageurs isolés, partant de différentes hases d'opération^
vers l'intérieur du continent, et b) dans la fondation, comme
point d'appui de ces voyageui's dans leurs explorations, d'un
certain nombre de stations scientifiques et hospitalières, tant
sur les côtes de l'Afrique que dans l'intérieur du continent.
Quant à l'envoi des voyageurs, le territoire dominé par S.
A. le Khédive d'Egypte est exclu du plan de l'organisation
projetée; mais il est désirable d'entrer en relations avec S. A.
le Khédive, pour engager le gouvernement égyptien à orga-
niser des expéditions sur des bases d'opération égyptiennes.
En i-evancbe, la ligne de l'itinéraire (he Camei'on est recom-
mandée comme une base bien appropriée, mais non unique,
des entreprises de voyageurs isolés.
Relativement aux stations scientifiques et hospitafières, le
groupe a reconnu qu'il serait désirable d'en établir deux ca-
tégories : a) Les unes, en nombre très-restreint, sur les côtes
orientale et occidentale de l'Afrique, dans les endroits où la
civilisation européenne se trouve déjà représentée, par exem-
ple à Bagamoyo et à Loanda. Ces stations, ayant un caractère
d'entrepôts destinés k procurer aux voyageurs des moyens
d'existence et d'exploration, peuvent être fondées à peu de
frais; la charge en serait confiée à des Européens résidant
56 BULLETIN.
dans ces endroits, b) Les autres, sur les points de l'intérieur
du continent les plus appropriés pour servir de base immé-
diate aux explorations. On commencerait par établir ces sta-
tions sur les points reconnus dès aujourd'hui comme les plus
favorables sous ce rapport, par exemple Ujiji, Nyangwé, Mos-
sumbé (résidence actuelle de Mutajambo), et on laisserait
aux voyageurs le soin d'indiquer plus lard d'autres points où
il conviendrait d'établir des stations de ce genre.
Il n'y aurait pas à songer actuellement à établir des com-
munications régulières entre les stations; ces communications
pourront être organisées plus tard, lorsque les stations scien-
tifiques auront concentré autour d'elles assez d'intérêts com-
merciaux et religieux pour qu'elles se transforment en de
véritables factoreries européennes.
Sa Majesté ayant prié la Conférence de faire connaître ses
vues sur les deux projets dont elle était saisie, M. le vice-
amiral de la Ronciére le Noury fit remarquer que la diver-
gence entre les deux projets ne portait que sur des questions
accessoires: l'établissement déroutes reliant entre elles les
stations extrêmes et la création de ports nouveaux sur la
côte orientale ; ce dernier point n'offre lui-même qu'une im-
portance relative. On pourrait se contenter provisoirement
du port de Bagamoyo. Ce n'est pas tant le port qui est l'élé-
ment essentiel, c'est plutôt la route dont il est le point de
départ.
Quant à la jonction des stations, si elle offre de grandes
difficultés, elle n'en est pas moins indispensable ; mais dans
cet ordre d'idées, il faut évidemment compter sur les progrès
ultérieurs de l'entreprise qu'il s'agit aujourd'hui de fonder.
Dès à présent l'on est d'accord sur les éléments essentiels de
l'œuvre, cà savoir: rétablissement de stations scientificjues, et
le choix des emplacements principaux où il convient de les
établii-. Il reste à trouver les vovageurs et les ressources
MÉLANGES ET NOUVELLES. O/
financières. Les premiers se trouveront probablement. Quant
aux secondes, il faut faire un appel à l'Europe, et se servir à
cette fin de la presse, dont la coopération est indispensable.
11 y a lieu d'espérer que les gouvernements viendront en aide
à l'entreprise, parfois même ils pourraient prendre l'initia-
tive. M. le vice-amiral conclut en proposant de constituer à
Bruxelles, sous la présidence du roi des Belges, une com-
mission internationale qui arrêterait le plan détaillé de l'en-
treprise et en dirigerait l'exécution.
M. Nachtigal croit que ce serait dépasser le but que de vou-
loir créer d'emblée des stations navales et des voies de com-
munication régulières et permanentes. Il faut beaucoup at-
tendre de l'action du temps, du progrès naturel de l'œuvre.
Les stations scientifiques ne doivent pas précéder l'explora-
tion, elles doivent la suivre. Elles seront pour les voyageurs
des points d'appui et de refuge sur lesquels ils pourront se
rabattre à l'occasion, non des points déterminés qu'ils auront
à atteindre.
M. le baron de Hofmann, estimant qu'il serait possible de
concilier les deux projets en présence et de les fusionner
dans un système transactionnel, proposa de réunir dans ce
but les délégués des deux groupes en un comité et de sus-
pendre provisoirement la séance.
Au bout d'une beure d'interruption, la séance ayant été
reprise, M. de Semenow communiqua au nom des deux
groupes, qu'une entente parfaite s'était établie sur l'objet
soumis à leurs discussions, et M. Maunoir fut chargé de lire
le rapport exprimant leurs vue,s communes.
Ce rapport expose que, pour explorer scientifiquement les
parties inconnues de l'Afrique, faciliter l'ouverture de voies
qui fassent pénétrer la civilisation dans l'intérieur du conti-
nent africain, et rechercher des moyens pour la suppression
de la traite des nègres en Afrique, il faut :
58 BULLETIN.
1° Organiser sur un plan internalional commun l'explora-
tion (les pai-ties inconnues de l'Afiique, en limitant la région
à explorer, à l'Orient et à l'Occident, par les deux mers, au
Midi, parle bassin du Zambèze,au Nord, par les frontières du
nouveau territoire égyptien et du Soudan indépendant. Le
moyen le mieux approprié à celte exploration sera l'emploi
d'un nombre suffisant de voyageurs isolés, partant de diver-
ses bases d'exploration.
2° ÉtaJjlir, comme bases de ces explorations, un certain
nombre de stations scientifiques et hospitalières, tant sur les
côtes de l'Afrique que dans l'intérieur du continent.
De ces stations, les unes devront être établies en nombre
très-restreint, sur les côtes oiientale et occidentale d'Afrique,
aux points où la civilisation européenne est déjà représentée,
à Bagamoyo et à Loanda par exemple. Ces stations auraient
le caractère d'entrepôts destinés à fournil- aux voyageurs des
moyens d'existence et d'exploration. Elles pourraient être
fondées à peu de frais, car elles seraient confiées à la charge
des Européens résidant sur ces points.
Les autres stations seraient établies sur les points de l'in-
térieur les mieux appropriés pour servir de base immédiate
aux explorations. On commencei"ait l'établissement de ces
dernièi-es stations par les points qui se recommandent dès
aujourd'hui comme les plus favorables au but proposé. On
pourrait signaler, par exemple, Ujiji, Nyangwé, la résidence
du roi, ou un point quelconque situé dans les domaines de
Muata-Yamvo. Les explorateurs pourraient indiquei" plus tard
d'autres points où il conviendrait de constituer des stations
du même genre.
Laissant à l'avenir le soin d'établir des communications
sûres entre les stations, la Conférence exprime surtout le
vœu qu'une ligne (autant que possible continue) de commu-
nications s'établisse de l'un à l'autre Océan, en suivant ap-
MÉLANGES ET NjQL'VELLES. S9
proximativement l'itinéraire du commandant Cameron. La
Conférence exprime également le vœu que, dans la suite,
s'établissent des lignes d'opération dans la direction Nord-
Sud.
La Conférence fait appel dès aujourd'hui au bon vouloir
et à la coopération de tous les voyageurs qui enti-eprendront
des explorations scientifiques en Afrique, qu'ils voyagent ou
non sous les auspices de la Commission internationale insti-
tuée par ses soins.
M. le vice-amiral de La Roncière le Noury fit obsei'ver
qu'il serait utile que la Conférence, en arrêtant la formule de
ses résolutions, n'exclût pas toute action autre que la sienne,
et qu'elle acceptât le concours de toutes les initiatives publi-
ques ou privées qui seraient de nature à seconder fexécution
de ses desseins.
L'accord unanime sur le but à poursuivre et sur les moyens
à employer ayant été constaté, M. de Semenow proposa la
création d'un comité international qui aurait pour mission de
préciser l'œuvre et d'en organiseï' l'exécution ; poui- sur-
monter les dififlcultés, il accepterait le concours de toutes les
institutions publiques, de toutes les initiatives privées qui
pourraient le seconder dans son entreprise. Il devrait aider,
diriger, coordonner les efforts sans en supprimer aucun. La
formation du comité international fut fixée au lendemain
après que Sa Majesté eut invité les membres de la Confé-
rence à se concerter préalablement sur ce sujet, et annoncé
à cet effet une réunion préparatoire au Palais Royal dans le
cours de l'après-midi.
Le 14 septembre, à la demande de sir Rutherford Alcock
et de sir Fowell Buxton, la Conférence décida de substituer
dans tous les actes et comptes rendus de ses travaux les ter-
mes de « suppression de la traite des Nègres » à ceux de
« abolition de resclavage. » Puis M. de Semenow, rapporteur
60 BULLETIN.
du comité chargé de formuler un projet de résolutions sur
la formation d'une commission internationale, exposa les hases
de l'institution qui aurait elle-même à régler plus tard les
détails de son organisation.
Voici le texte des résolutions adoptées après discussion du
projet du Comité :
1° Il sera constitué une Commission internationale d'explo-
ration et de civilisation de l'Afrique centrale, et des comités
nationaux qui se tiendront en rapport avec la Commission
dans le hut de centraliser, autant que possihle, les efforts faits
par leurs nationaux et de faciliter, par leur concours, l'exé-
cution des résolutions de la Commission.
2" Les comités nationaux se constituent d'après le mode
qui leur paraîtra préférahle.
3° La Commission sera composée des présidents des prin-
cipales Sociétés de géographie qui sont repi'ésentées à la Con-
férence de Bruxelles ou qui viendraient à adhérer à son pro-
gramme, et de deux memhres choisis par chaque comité
national.
4° Le président aura la faculté d'admeltre dans l'associa-
tion les pays qui n'étaient pas représentés à la Conférence.
5° Le président aura la faculté de compléter la Commis-
sion internationale en y ajoutant des memhi'es effectifs et des
memhres d'honneur.
()° La commission centrale, après avoir fait son règlement,
aura poui- mission de diriger, par l'organe d'un comité exé-
cutif, les entreprises et les travaux tendant à atteindre le hut
de l'association, et de gérer les fonds fournis parles gouverne-
ments, par les comités nationaux et par des particuliers.
7" Le comité exécutif sera constitué auprès du président
et composé de trois ou quatre memhres désignés préalahle-
ment par la Conférence actuelle et, plus tard, par la Commis-
sion internationale.
MÉLANGES ET NOUVELLES. 61
8° Les membres du comité se tiendront prêts à répondre
à l'appel du président.
9° Le président désigne un secrétaire général qui, par le
fait même de sa nomination, deviendra memijre de la Com-
mission internationale et du comité exécutif, ainsi qu'un tré-
sorier.
Sur la proposition de sir Bartle F^;ere, la Conférence dé-
cerna avec acclamation au roi des Belges la présidence de la
Commission internationale. Sa Majesté accepta la mission qui
lui était confiée et promit d'y apporter le plus entier dévoue-
ment, mais Elle exprima la pensée qu'à raison du caractère
international de l'œuvre, il serait désirable que la présidence
ne fut pas exercée indéfiniment par la même personne. En
l'acceptant pour le terme d'un an, Elle forma le vœu de voir
alternativement les représentants des autres pays remplir
ces hautes fonctions.
M. le baron de Hofmann proposa ensuite de passer à la
nomination des membres du comité exécutif, et indiqua à cet
effet au choix de l'Assemblée :
Sir Bartle Frère, pour la Grande Bretagne ; M. Nachtigal,
pour l'Allemagne ; M. de Quatrefages, pour la France. Ces
choix furent admis à l'unanimité par l'Assemblée.
Avant de clôturer les travaux de la Conférence, Sa Majesté
invita les voyageurs français, MM. H. Duveyrier et le marquis
de Compiègne, présents à la séance, à communiquer à l'As-
semblée un aperçu de leurs explorations en Afj-ique. M. Du-
veyrier retraça à grands traits ses voyages dans le Sahai'a
algérien et tunisien; M. de Compiègne donna une esquisse
de ses explorations sur les bords du Gabon et de l'Ogawaï.
Puis M. le vice-amiral de La Roncière le Noury exprima
les sentiments de reconnaissance de l'Assemblée envers le
roi des Belges pour la noble hospitalité que Sa Majesté lui
avait otTerte. Il La félicita de sa généreuse initiative et Lui
62 BULLETIN.
promit le concours le plus actif de tous. Le développement
des explorations géograpliiques en Afrique, la suppression
de la traite et l'ouverture d'une vaste contrée aux pi'oduits
de la civilisation, ajouta-t-il, sont des aspirations qui répon-
dent aux sentiments de toutes les nations représentées à la
Conférence. Le concours d'aucune d'elles ne saurait leur être
refusé, et le roi, en precaant ces aspirations sous son patro-
nage, a bien mérité de la science et de l'humanité.
Répondant à ces paroles, S. M. déclara qu'Elle était très-
flattée des sentiments qui venaient d'être exprimés à son
égard. Elle ajouta que son dévouement le plus absolu était
acquis à l'œuvi-e que la Conférence venait de fonder, mais
qu'à cette dernière appartenait tout l'honneur des services
que cette œuvr-e peut être appelée i\ rendre tant à la science
qu'à la civilisation.
Dès lors, les Sociétés de géographie des divers pays se sont
empressées de répondre aux vœux de la Conféi'ence de
Bruxelles et du comité exécutif de l'Association internatio-
nale. — Le roi de Suède, le roi de Saxe, le grand-duc de
Saxe-Weimar, le grand-duc de Bade, le grand-duc Constantin
de Russie, l'archiduc Cliarles-Louis d'Autriche, le prince hé-
ritier de Danemark ont été nommés membres d'honneur
de l'Association.
Un comité national allemand s'est formé sous la présidence
du prince Henri Yll de Reuss; il continuera les entreprises
nationales allemandes en Afrique et contribuera aux travaux
de l'Association internationale. Il partagera ses ressources
conformément aux exigences de la double mission qu'il s'est
imposée.
Le comité national autrichien est constitué sous la prési-
dence de M. le baron de llofmann. — Celui de Hollande a
mis à sa tête le prince Henri des Pays-Bas.
MÉLANGES ET NOUVELLES. 63
Une société espagnole d'exploration de l'Afrique s'est for-
mée à Madrid sous la présidence de S. M. le roi d'Espagne,
pour s'associer aux vues de la Conférence de Bruxelles.
S. A. R. le prince Hunibert a accepté la présidence du co-
mité national italien.
La branche française de rAssociatiou internationale sera
très-prochainement constituée.
La Société de géographie de Lisbonne a donné son adhé-
sion aux vues de la Conférence de Bruxelles; un comité na-
tional portugais est en voie de formation sous les auspices de
cette Société et du comité de géographie du ministèi'e des
colonies. L^'expédition portugaise qui se prépare se mettra en
rappoi-t avec la Société internationale.
M. le Juge Daly, président de la Société de géographie de
New-York, travaille à la constitution d'un comité national
aux États-Unis.
La Société l'oyale de géographie de Londres a donné un
témoignage d'adhésion et de sympathie aux idées émises par
la Conférence, en instituant un fonds anglais d'exploration
africaine, sous le patronage de S. A. R. le prince de Galles.
VAfrican exploration fund promet un échange amical d'in-
formations et d'assistance aux Sociétés établies dans le même
but en d'autres pays.
Le premier comité national formé a été le comité belge,
qui est entré immédiatement en activité et qui a déjà ol>tenu
des résultats financiers considérables. Il a en caisse fr. 139,386.
28 c, sans compter une somme de fr. 33,000 adressée au roi
par des personnes étrangères cà la Belgique, et a reçu en
outre des souscriptions non encore versées pour une valeur
de fr. 136,000, ce qui forme un total de fr. 330,386. 28 c,
qui, placé au 4Vo, fournit un revenu de fr. J3,2L3. 43 c, à
quoi il faut encore ajouter des souscriptions annuelles pour
fr. 109,746. 83 c. Il existe donc un revenu disponible, à partir
64 BULLETIN.
du l'^'- janvier 1878, de fr. 122,962. 30 c. — Une partie de
ce revenu sera capitalisée. Mais il ne représente pas toutes les
ressources que le comité belge pourra mettre à la disposition
de TÂssociation internationale. La souscription continue avec
activité. D'ailleurs, on n'a tenu compte jusqu'ici que des sou-
scriptions adressées directement au cpmité central. Celles qui
ont été recueillies par des comités provinciaux et locaux
n'ont pour la plupart pas été indiquées au comité national,
et ne lui seront remises qu'après la clôture des listes.
La Suisse n'est pas demeurée étrangère à cette œuvre.
Sur l'initiative de la Société de géographie de Genève, un
nombre satisfaisant d'adhésions de Genève et d'autres can-
tons de la Confédération sont parvenues au président de
cette Société; ces adhérents seront très-prochainement invi-
tés à se réunir pour constituer le comité national suisse, qui
nommera son bureafi et les délégués chargés de le représen-
ter à la première réunion de l'Association internationale.
Nous apprenons au dernier moment que S. A. I. et R. l'ar-
chiduc Rodolphe, prince héritier, a daigné accepter le patro-
nage du comité national autrichien qui s'est formé sous le
nom de Société africaine de Vienne. — Nous sommes égale-
ment informés que le Comité national français de l'Associa-
tion internationale africaine s'est constitué sous la présidence
de M. Ferdinand de Lesseps, et a nommé comme ses délé-
gués à la Commission internationale MM. d'A*bbadie et Gran-
didier.
En définitive, plusieurs comités nationaux sont déjà for-
més; plusieurs autres le seront très-prochainement; et rien
qu'avec les fonds déjà recueillis en Belgique, il est possible
de mettre dès maintenant la main à l'œuvre d'une manière
sérieuse. Le Comité exécutif, mû par ces considérations, est
d'avis qu'il faut chercher à utiliser encore la saison favorable
de 1877, et convoquera, en conséquence, le plus tôt possible
MÉLANGES ET NCfÙVKFJ.ES. 6S
la Commission internationale pour arrêter d'une manière dé-
finitive un plan d'opérations. Il engage ceux ipii ont adhéré
à la pensée de la Conférence de Bruxelles, et dont les comi-
tés nationaux ne sont pas encore constitués, à les former sans
relard et à nommer leurs délégués, afin que tous, ou au
moins la plupart d'entre eux, puissent être représentés à la
prochaine réunion.
L'institution est donc fondée ; à la période de préparation
a déjà succédé un commencement d'exécution, et l'on peut
espérer qu'il ne s'écoulera pas un temps bien long avant que
les fondateurs puissent voir les explorateurs à l'œuvre, et les
stations scientifiques et hospitalières commencer le travail de
civilisation et de philanthropie qu'ils ont donné pour but à
leurs efforts.
C. F.
urLi.ETiN, T. xvr, 1877.
OUVRAGES REÇUS
PÉRIODIQUES ET PUBLICATIONS DE SOCIÉTÉS.
Petermann, docteur: Mittheilungeii, 187(), n" 12; — 1877,
ïT i, 2 et 3.
Géographie untl Erforsclmng der Polai-Regionen, n»* 126
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T. fX, n"' M et 12. — 1877. T. X, n° 1.
Société de Géographie de BerUn. Zeitschrift, 187H, n"" 3,
4 et 5. — Verhandlungen, 1876, ir 6, 7 et 8. — Gorrespon-
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Société de Géographie de Paris. Bulletin, 1876, novembre,
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Société de Géogi-aphie de Lyon. Bulletin, n» 6.
Société géographique roumaine. Bulletin, 1876, n"' 9 et 10.
Société de Géographie de Madrid. Bulletin, 1876, n"^ 3,
4 et 5.
Société de Géographie et de Statistique de la République
du Mexique. Bulletin, T. III, n"^ 1 et 2.
Société de Géographie de Lisbonne. Bulletin, n" 1, décem-
bre 1876. Pareceres n"' 1 et 2.
Annaes da Commissao central permanente de Geographia,
n° 1, décembre 1876.
Société de Géographie italienne. Bulletin, 1876, n"' 8-10,
11-12.
68 BULLETIN.
Société Khédiviale de Géographie du Caire. Bulletin, 1876,
n" 3, juillet à novembre.
Club alpin de Genève. Echo des Alpes, 1876, n° 4.
Meteorological Society. Quarterly .Journal. Vol. III, n" 21,
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American Geograpbical Society, Bulletin, session 1876-77,
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Revue Savoisienne, 1876, décembre; 1877^ janvier.
Cosmos, de Guido Cora. T. III, n° 12; T. IV, n" 1.
Revue maritime et coloniale, 1876, décembre; 1877, jan-
vier, février, mars.
Société d'anthropologie de Vienne. Mittheilungen, T. VI,
n"^ 5, 6, 7, 8, 9 et 10.
Journal asiatique, 1876, octobre, novembre, décembre ;
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Société archéologique de l'Orléanais. Bulletin, n" 89.
Société de Géographie de Dresde. Jahresberichte, n" 13.
L'Exploration, 1876. Livraisons 1 à 16.
Société archéologique de la Charente. T. X, 1875.
Géographie universelle. Livraisons 95 à 115 (don de
M. Elisée Reclus).
L. Vulliemin. Histoire de la Confédération sui.sse. T. Il (don
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Garcin de ïassy. La langue et la littératuie hindoustanies
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Vicomte de Bizemont. Les g!-andes entreprises géogi'a-
phiques depuis 1870 en Afrique. Broch. Pai'is, 1877 (don de
l'auteur.)
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Gh. Wolcott Brooks. Origin of tlie Chinese race. Brocli.
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F.-V. Hayden. Report of the United States Geological Sur-
vey of the territories. Vol. X. Washington, 1876 (don de l'au-
teur).
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cal and geographical Survey of the territories, embracing
Goloi-ado and parts of adjacent teri'itories ; being a report of
70 BULLETIN.
progress of the exploration for tlie year 1874. Washington,
1876. 1 vol. in-8'* (don de l'auteur).
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Léon Clugnet. Géographie de la soie, (don de la Société de
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Paul Hunfalvy. Ethnographie von Ungarn. Buda-Pesth,
1877 (don de l'auteur).
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— Zoppritz, Pruyssenœre's Reisen im Nilgebiete (1^'" Halfte).
Inhaltsverzeichniss von Petermann's « Geographischen
Mittheilungen » 1865-1874 (10 Jahresbànde und 5 Ergân-
zungsbânde). Gotha, 1877.
Société Belge de Géographie. Bulletin, 1877, n" 1.
Carte géologique de la Gironde, par Victor Raulin, profes-
seur à la Faculté des sciences (dou de la Société de Géogra-
phie commerciale de Bordeaux).
BULLETIN
BULLETIN, T. XVI, 1*77,
EXTRAIT
DES PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES DE LA SOCIÉTÉ
SESSION 1876-1877
Séance du 9 mars 1877.
Présidence de M. H. Bouïhillier de Beaumont.
M. le Président fait nipporl sur le Uavail du Bureau, depuis
la tieinière séance, en vue de la formation du Comité national
suisse poui" l'exploration africaine. Les adliérenls seront in-
vités à venir à Genève pour le constituer. A celte occasion la
Société tiendrait une séance extraordinaire ayant pour sujet
r Afrique centrale.
La Commission de la Bibliothèque s'est réunie; ses niem-
i)res se sont réparti l'examen des ouvrages reçus. Outre les
périodiques, la ljil)liothèque a reçu plusieurs dons d'auteurs :
deux volumes américains, l'un de M. F.-Y. Hayden, Mono-
graphie des phalènes, l'autre de M. Wheeler, Relevé géogra-
phique etc., des États-Unis; un autre de M. Paul Unfalvv sur
V Ethnographie de la Hongrie.
M. Ch. Perron est ensuite présenté comme membre eflectif
et nommé à l'unanimité.
M. le Président donne lecture d'une lettre de M. le Itaron
Greindl, secrétaire généi'al du Comité exécutif de l'œuvre
africaine, qui rend compte de la situation des affaires de l'as-
sociation. Plusieurs membres d'honneui- ont été nommés;
7() BULLKTI.N.
(les couiilés iiation.iux ont été constiliiés en Alleiniigiie, en
Autriche, en llolhmde et en Italie; d'autres sont en voie de
toiMiiation en Espagne, en Portugal, aux Klats-Unis et en
France. La Société de Londres a constitué un Africau explo-
ration fiutd et promet un écliange amical d'informations et
d'assistance aux sociétés ([ui tendent au même l)ul dans d'au-
ti-es pays.
Le Comité national helge est entré en activité, et peut
déjà disposer d'un revenu de plus de fr. 120,000, rente de
sommes déjà reçues en don ou de souscriptions annuelles.
La Société peut donc mettre la main à l'œuvre et le Comité
exécutif est d'avis qu'il faut chercher à utiliser la saison favo-
rahle de 1877,etconvo(]uer le plus t(M, possililela Conmiission
intei'nalionale pour arrêter un plan déthiilif d'opérations. Les
comités nationaux qui ne sont pas encore organisés doivent
se constituer sans retard et nommer leurs délégués, alin (pic
tous, ou au moins la plupai't d'entre eux, puissent premlrc
part à la pi'ochaine réunion.
M. le professeur de Laharpe communi(pie la nouvelle de
la moit du inanpiis de Compiègne, secrétaire de la Société
khédiviale du Caii'e, perte extrêmement regrettahle; intelli-
gent, zélé, courageux, M. de Compiègne fait défaut à celle
(leuvre dans un moment où il pouvait lui être fort utile.
M. Alex. Loniitard donne ensuite comnuniication d'un mé-
moire sur la Terre de Uz et le couvent de .ïoh, rédigé d'après
le travail de M. Wetzstein, puhlié dans le commentaire de
Delilzscii. Dans une première pai-lie, il expose les tradition>
liauraniennes relatives au séjour de .loh dans le i»a\s de l'z.
et dans une seconde partie, il fait la criti(|ue de ces traditions :
puis il conclut des données fournies par Wetzstein que, pour
lui, il n'y a plus de doutes siu' le fait (pu; la IJatanée était si-
tuée à l'ouest du Hain-an (Voyez aux Mémoires).
M. le Pi'ésident ollVe à M. Loinhard les reiiicicicuieiils dr
PROCkS-VKRBAtX. 77
la Société pour ce li'avail très-intéressaiil, qui a dû lui coûter
heaucouj) de peine, le texte de Wetzsteiii étant très-diflicile
;i analyser.
.\\ant la clôtiue de la .séance, M. Lagier annonce (pie la
seconde ses.sion du Congrès international des Américanistes
se tiendra à Luxembourg, ilu 10 au 13 septeml)re 1877. Les
principales questions à l'oi'dre du jour se l'apporteront à
riiistoire, à l'archéologie, à la linguistique, à la paléographie,
;i rantliio|iologie et à l'ethnographie de l'Amérique. M. La-
itier est pi'èt à fournir tous les renseignements (|u'ou pourrait
désirer sur cette session, ainsi que sur les moyens d'a.ssi.ster
au Congrès.
Séance du 2 S mars 1877.
Présidence de M. H. KoiTnn.LiER dk Beaumont.
M. le Président communique une lettre de M. le secrétaire
général du Comité exécutif africain, annonçaul ipie le comité
national autrichien a été placé sous le patronage de l'ai'chi-
duc Rodolphe.
La Société de géographie de Lyon propose que celle de
(ienéve demande au gouvernement de la Confédéi-ati(ui
suisse qu'il prescrive aux bureaux tie poste suisses d'indiquer
sui- leurs timhres non-seulement le nom de chaque localité,
mais au.ssi celui du canton dans lequel elle est située; cela à
rimilation de ce qu'a fait le gouvernement français, à la de-
mande delà Société de Lyon, pour vulgariser les connai.ssan-
<:es géographiques. Le nom du département est indiqué dans
le timbre au-des.sous de celui de chaque localité.
'SI. le professeur de Laharpe estime cpi'au point de vue de
la .sûreté des coirespondances commerciales, comme au point
de vue géographique, cette innovation .serait avantageu.se.
78 BULLETIN.
La Société, approuvant l'klée dont il s'agit, charge le Bu-
reau (le faire les démarches indiquées auprès de l'autorité fé-
dérale.
La Société de Lyon pense encore demander aux Compa-
gnies de chemins de fer de faire inscrire sur le fronton îles
gares, à côté du nom de la localité, celui du départemenL
l'altitude, la longitude, le chiffre de la population, etc.
M. de Laharpe ne croit pas cette idée entièrement nou-
velle, car en Fi'ance la Direction des Ponts et Chaussées a dès
longtemps fait inscrire à l'entrée de chaque localité, le nom
du lieu et d'autres détails. M. Aloïs Humbert ajoute que non-
seulement les poteaux indicateurs sont chargés d'indications
de mesures de longueur donnant la distance des localités
entre elles, mais que sur certaines pierres milliaires l'altitude
se trouve marquée, ce qui fournil un moyen de rapporter
certaines ohservations à des hauteurs bien déterminées. La
Suisse a encore beaucoup de progrès à faire à cet égard.
La question est renvoyée au Bureau.
Lecture est faite d'une note extraite des Mittheilungen de
Petermann par M. Frey-Gessner, d'après laquelle un profes-
seur de gymnase à Berlin aurait trouvé dans l'Odyssée les
traces d'un voyage aux régions arctiques.
M. Alfred Pictet fait un rapport sur un travail de >L Wil-
liam Marriott, secrétaire-adjoint de la Société de météorolo-
gie de Londres, in.séré dans le journal de cette société, dans
le numéro de janvier de cette année, et contenant les résul-
tats d'observations météorologiques faites parle colonel Ward.
membre de cette société, à Rossinière, canton de Vaud, de
novembre 1873 jusqu'à la Hn de 1875 (Voyez aux Notices).
M. le Président remercie M. Pictet pour cet intéressant
rapport.
M. Aloïs Humbert recommande à Valteuti(Hi le voluuu' tU-
F.-V. Hayilen, renfermant sa monographie tics phnlènes. Cet
PROCÈS-VERBAUX. 79
(tuvrage présente un intérêt géographique, en ce sens, qu'il
détermine la distribution des insectes, en particulier celle des
phalènes, dans les différentes parties de TAmérique, et mon-
tre comment la faune américaine s'est formée, et comment
se sont répartis les éléments tropicaux, ceux de la faune arc-
tique et ceux de la région moyenne. A l'aide de ce grand tra-
vail on peut suivre la trace des migrations et celle des modi-
fications qui ont eu lieu pendant l'époque glaciaire. Il existe
des différences dans les genres des deux côtés de la chaîne
centrale, sur le versant occidental tourné vers le Pacifique, et
sur le versant oriental qui regaide l'Atlantique; ce dernier
manque de certains genres qui se retrouvent à la fois en Eu-
rope et de l'autre côté des Cordillères. Ce fait contredit l'hy-
pothèse d'une terre qui aurait jadis relié l'Europe à l'Améri-
que. On comprend mieux cette répartition en supposant que
(l'est d'un monde arctique que les genres ont rayonné dans
les directions où on les rencontre aujourd'hui.
>1. le Président ajoute quelques mots sur la théorie du
rayonnement des espèces à partir du pôle, en opposition à la
théorie ordinairement reçue des migrations correspondant
au mouvement de rotation du globe terrestre.
M. Humbert voit une confirmation de cette théorie dans le
fait que les terrains fossilifères européens contiennent les dé-
bris du bos mosc}tatus(le>^ régions arctiques américaines. Pro-
bablement ce genre a rayonné dans la direction de l'Amérique
et de l'Europe, puis il s'est éteint en Europe et a sultsisté en
Amérique.
M. le Piésidenl i-emercie M. Humbert de son rapport sur
cet ouvrage si important, reçu en don de la part de l'auteur.
La parole est ensuite à M. F. de Morsier pour une commu-
nication sur la récolte des œufs de tortues dans TAmérique
du Sud, comprenant la ponte et les migrations des tortues
dans les parages qu'elles fréquentent, entre le .30° latitude N.
80 BULLETIN.
et rÉqualeur; ce travail est fait d'après les reriseignemenls
fournis par Humboldt, Marcoy et Audution. M. de Morsior
s'occupe de quatre espèces de tortues marines: la tortue
verte ou franche; la tortue à Itec de faucon ou caret, qui
foui-nit l'écaillé employée dans les arts et l'industrie; la tortue
à grosse tête ou couane, et la tortue à trompe ou molle.
M. de Morsier transporte ses auditeurs sur les rives de l'O-
rénoriue, à l'île d'Umana. Cette portion des rives de l'Oréno-
que est fréquentée comme les foires de Beaucaire, ou de
Nijnéi-Novogorod. Aussi loin (|ue poile la vue, la cou<'lie de
sable de la plage recouvre de^ œufs de tortue; toute celle
étendue est divisée en lots égaux, qui sont tirés au sort par
les Indiens et exploités avec la plus grande régularité. Les In-
diens canibos excellent à ce travail, qui est pour eux une épo-
que de réjouissances.
L'Indien est secondé dans ses chasses par le tigre-jaguar,
grand amateur de lortues; il les surprend au milieu de l'opé-
l'alion de la ponte et les renverse sur le dos; dans celle
position, les tortues ne peuvent se retourner. Les Indiens
chassent alors à ;j:nnu\ hruit le tigre, et s'emparent de sa
proie.
M. de Morsier termine par quelques explicalions louchant
l'épuisement (Ws plages à tortues, sur les grèves de TOréno-
que et de l'Amazone et sur celles des tributaires de ce dei--
nier lleuve. — QuanI au poids des tortues, les évalualions
s(ml très-diverses: Audubon l'estime de 400 à 700 livres ;
Marcoy à M) livres seulement. Et (|uant à la force de la lorlue,
on a vu empreintes sur une ancre de vaisseau les mai-ques
des dents d'une tortue à bec'.
M. le Président présente à M. de Moisier les reuH'rciemenls
' Le travail de M. de Morsior se trouvera dans la prochaine
livraison du Globe.
PROCÈS-VKRiAUX. 81
«le la Société [miv ri'i intéressant travail, et lappelle à cetlf
occasion l'impression (rélilouissenienl (|u"il a éprouvée, sur
la côte (le la Russie méridionale, en voyant une plage cou-
verte de tortues noires (pii se dirigeaient toutes ensemItU'
vers la mer; il semhlail ipic le rivage s'en allât à la nier.
M. de Laharpe ajoute avoir \u en Angleterre des arrivages
de tortues, venant ordinairement de l'île de l'Ascension; leur
longueur pouvait être d'un mètie, leur largeur un peu moin-
dre; elles devaient peser de 200 à .'iOO livres. Leur vie tst
très-per'^islante.
M. Aloïs Humberl parle de celles dont le Musée de Genève
possède les carapaces, puis des tortues énormes des Gallapa-
gos et de l'île Maurice, des tortues fossiles que pos.sède le
Briliah Muséum, de celles des terrains jurassiques, etc.
M. Faure fait ensuite un rappoit sur le journal VExplora-
tion, qui a succédé à V Explorateur, el sur des aitides ipie
renfernienl les dernières livraisons de ce journal : un coui's
de M. Foncin sur la géographie commerciale, donné aux
jeunes gens ileBoi-deaux; une lettre du roi de Clioa au Khé-
dive poui- l'assurer de ses sentiments paciliques, et protester
contre les envahissements des iroupes égyptiennes en Ahys-
sinie; des rapports sur les projets de percement de l'isthme
américain, soit par la canalisation du lac de Nicaragua, soit
par celle <les vallées de la ïuyra et de l'Atralo ; à ce pro-
pos, il fournil d'intéressants renseignements sui- les travaux
du général Tûrr pour la canalisation de la Hongrie. Le même
journal a ilonné un ai-tide impoilant, dû à la plume de M.
Ch. Robert, sui' la situation présente de l'Algérie, sur les
travaux entrepris pour la prospérité de la colonie, pour l'édu-
(tation des Français et des Arabes, la répartition de l'impôt,
les cultures, les barrages, les puits ai'tésiens, les chemins île
fer, etc.; un résumé très-bien fait des travaux du Challenger,
«lans son expédition de trois ans et demi; des considérations
8!^ BULLETIN,
Kéiiérales de M. H. Bioniie sur le régime colonial de la France
ef sur ce que ce pays devrait faire pour relever ses colonies
et sa marine; des extraits des ouvrages de Banning et de
Trémaux sui- la traite des esclaves au XIX""" siècle, etc.
M. de Morsier communique encore que l'Amérique ne re-
nonce pas à l'exploration polaii'e, mais qu'elle a le projet
d'envoyer une expédition hiverner là où ont stationné les
navires anglais VAlert et la Discovery.
M. le Président rappelle enfin ce (|u'a fait le Bureau pour
faciliter le travail de ceux de messieurs les meml)res (jui veu-
lent profiter de la bibliothèque et consulter, dans la salle
même, les cartes et les ouvrages volumineux ou autres do-
cuments qu'il est préférable de ne pas sortir du local de la
Société.
Séance du iS avril 1877.
Présidence de M. H. Bouthu-lirr dk Beaumont.
M. le Président fait rapport sur les travaux du Bureau de-
puis la dernière séance.
La première livraison du Globe (1877) est sortie de presse;
un exemplaire en a été envoyé gratuitement aux adhérents
du comité national suisse pour l'oeuvre africaine; la plus
grande partie du Bulletin est consacrée à l'analyse de la con-
férence de Bi-uxelles pour l'exploration et la civilisation de
rAfriipie centrale. Le Bureau a fixé au lundi S.'i, et au mardi
â't avril, la convocation i\i^^ adhérents à (lenève. Lundi soir
à 7 heures, dans la salle de la Société, aura lieu une séance
extraordinaire dans laquelle M. le piofesseui- de Laharpe fera
une communication sur rAfri(|ue centrale; après quoi, les
adhérents et les membres de la Société se rendroni chez iM.
le président, qui les invite pour la soirée. Le mardi uialiu, les
PROCÈS-VEftBAUX. 8:J
adhérents se réuniront à l'Athénée pour constituer le comité
national suisse, et nommer son Ijureau et ses délégués.
M. le Président présente ensuite deux articles de règlement
relatifs aux memhres nouveaux que la Société pourrait re-
crutei" dans les autres cantons: ces articles seraient commu-
niqués, en Suisse, à tous ceux que nous supposons s'intéres-
ser aux études géographi(iues. Ils paieraient une contrihutioii
de 10 francs, recevraient gratuitement le Globe, assisteraient
aux séances, et jouiraient de la hibliothè({ue par Tintermé-
diaire d'un membre résidfint à Genève, autre (|ue le biblio-
thécaire; ce membre répondrait par sa signature du ^()lumt^
sorti. Si le nombre desmenil)res suisses devenait assez grand
on pourrait tenir des assemblées générales dans une ville
suisse autre que Genève. — Ce projet de règlement est
adopté.
Lecture est donnée d'une lettre de M. le baron GreindI,
annonçant la constitution (Tun Comité portugais formé par
les soins de la Société de Géograpliie de Lisbonne. Les Por-
tugais poursuivront leurs œuvres nationales déjà commencées
en même temps (ju'ils pi'èteront leur conconi's à r<Mitreprise
internationale.
La Société khédiviale du Caire fait part de la mort ihi mar-
(|uis deCompiègne, à la mémoire (lu(|uel la Société, pai- l'or-
gane de son président, paie un Juste tribut de regrets.
M. Metchnikotr fait ensuite rapport sur le contenu ilu n" (î,
vol. XII, du Bulletin de la Société de géographie russe (Voy.
aux Notices).
M. le Président remercie de cette communication M. Melcb-
nikofï, qui ajoute que la Revue de géographie grave une
carte du Japon fournie par lui, et une petite carte de Yeso,
renfermant des données orographi(|ues nouvelles.
M. Lecoultre donne lecture de la traduction d'une lettre
<lu D'' Petermann à la Société de géographie de Londres;
84 BULLKTI.N.
après l'avoir félicilée des résultats LJe rexpédilion de Nares,
il revient sur les vues (ju'il a pi-éfédemment exprimées rela-
tivement aux expéditions polaires. 11 attire fattention sur un
(\ç>i l'ésultats de l'expédition de l'ex-commandant du ClniUen-
ffer dans la mer paléocrvstique, à savoir, la pleine lumière
faite sui- un immense territoire équivalant à un tieis des ré-
gi(ms arctiques, et (pii avait été depuis longtemps le théâtre
des principales explorations anglaises, de Baflin, John Ross,
Inglelleld, etc., à côté desipiels les Américiiins Kane, Hayes,
et Hall ont pris rang parmi les héros de la science. L'expédi-
tion de Nares a dissipé les doutes ijui planaient encoi'e sui"
le passage du Smilhsound: si Nares eùldouhlé lecapFarewell
et all,i(|ué l'autre côté du (Iroënland, il aui'ait résolu dans
un sens iiositil" le problème du pôle Nord. Le D' Petermann
examine ensuite les six rouies par lesquelles on peut se diriger
vers le pôle : le Smithsound. le détroit de Behring, la côte
Est de la Terre Francois-.)oseph, la côte Ouest de cette même
terre, le Nord du Spitzherg dans la direction de l'expédition
(h^ Parry, enfin la côte Est du Groenland. Il estime que celles
du Smithsound et du détroit de Behring ont dit leur dernier
mot, el expose lei'ésultat de ses longues ohservations sur les
quatre roules à l'Est et à l'Ouest du Spitzherg. qui lui jiarais-
sent mériter la préférence.
Le D' Petermann se leprésenle les contrées ai-ctiques
comme formées de deux parties d'étendue à peu pi'ès égalo:
l'une s'étend des côtes du Groenland oriental, sous le 20" de
longitude 0. de Greenwich, sur la haie de Balfin.les iles Parry,
la pointe Barrow, le détroit de Behring et le cap Yakan, par
le 17()° de longitude Est; l'autre passe de là >n\ loutr la côte
sihérienne, la ïerr-e de François-Joseph, el le Spitzherg jus-
(pi'au Groenland. Au point de vue topiipie, physique, thei-
ni(tméli"i(|ue. hydrographiipu'. ces deux régions sont ahsolu-
iiienl dilîérenlcs l'une de Taulrc. ,\ l'occident domine la leri-e
l'IKiCKS-VKKBAUX. 8.*)
ferme, ii l'<nieiil,l;i mei; ici les len-esenveloppeiil les eaux ;iii
poinl (jne celles-ci ne peuvent se délKirrasser de leurs glaces,
là ail contraire se trouve une large issue océanique par où,
hiver comme été, passent les nappes congelées. A cet égard,
lu mer paléocrystique présente le type d'une baiTière solide,
d'une énorme accumulation glaciaire, avec la pi-oduction de
(Void qui en icsulte. Des ol»ser\ations répétées attribuent à
la Polynia df^^ Russes une longueur d'environ 80° de longi-
tude, ou poin- le moins 1400 milles marins. Là existe une
laruemerimverte, toujours retrouvée à la même place, hiver
comme été.
L'auteur expose ensuite le plan des expéditions projetées
par la Suède et la Hollande, puis l'Idée de Weyprecht d'éta-
hlir plusieurs observatoires dans les régions arctiques, et pi'o-
pose comme but aux futures expéditions la résolution de la
rjuestion capitale : le bassin polaire est-il praticable, et le pôle
Nord peut-il être atteint?
Enfin, il fait ressortir l'Ignorance où l'on est encore des
grands traits physico-géographiques de notre globe, l'énoiine
contraste ijui existe entre les régions situées à l'est et celles
qui sont à l'ouest de l'océan Atlantique du Nord; la différence
entre l'Allemagne et les iles Britanniques d'un côté et le La-
brador de l'autre, entre la Scandinavie et la Russie à l'est et
le Groenland à l'ouest sous la même latitude, dilïérence qui
se poursuit jusque dans la région arctifiue centrale : témoin la
faune trouvée par Payer à l'extrême nord de son excursion
en traîneau vers le 82°,o en mars et avril, tandis que la ré-
gion où hiverna VAlert n'offre plus trace de vie, soit végé-
tale soit animale.
M. le Président remercie au nom de toute la Société 3L
Lecoultre pour son excellente traduction d'un document
d'une si grande valeur.
M. de Morsier a entendu la lecture de M. Lecoultre avec
8() BULLETIN.
beaucoup (riulérêl. Les raisons à l'appui de l'idée d'une i>ro-
longation du Groenland vers le détroit de Behring lui parais-
sent celles-ci :
Ce continent passant par le p(Me et à peu ])rès pai- la ligne
méiidienne, coupe la région arctique en deu\ parties, dont
l'une, le bassin occidental, entre l'Amérique et le Groenland,
est étranglée à ses deux extrémités par les détroits de Sniilli
el Ro])esoii, et pai'le détroit de Behring, d'où résulte une ac-
cumulation de glaces sans issue suifisante pour sa décharge;
et l'autre, le bassin oriental, entre l'Asie et le Groenland, a un
vaste champ où peut en liberté se déployer la puissance du
Gulfstream ou de tout autre courant marin, (lonime jireuve
de ce fait, Petermann cite :
1° La Polynia des Russes, bien plus étendue (ju'on ne la
suppose;
%° Les apports d'eaux chaudes des fleuves sibériens dans
le Ijassin oriental, d'où résultent des maxima et des minima
d'hiver bien ditïérents de ceux du Itassin ouest;
'.Y Peu de bois llotté dans le bassin ouest, et ne provenant
pas des côtes d'Asie mais de celles d'Amérique, preuve de
non-correspondance entre les deux bassins;
i" Les Esijuimaux disparaissant sur la côte d'Amérique au
delà du 81° latitude Nord, ce qui tendrait à prouver que le
cliejnin pour s'y rendre leur sei-ait fermé i)ar la mer paléo-
crysti(|ue du bassin ouest, tandis ijue le bassin est leur offrait
une communication facile par la côte est du Groenland, d'où
ils arrivaient Jusqu'aux établissements danois du ^\\(\ et Jus-
qu'au-dessous du glacier de Humboldt.
En résumé, et malgré la déclaration catégori(|ue de Peter-
mann que la (|uestion est désormais Jugée et la voie du
Suiithsound définitivement condamnée, malgré son ingénieuse
hypothè.se. dounaiil :hi ciiiiliuriil on airhipel groënlandais à
peu pi'ès la forme d'un inousiiin'ton. coiifornialion qui sérail
J'ROCÈS-VEIIBAUX. 87
la (.alise de celte mer paléotrvsli(|iie iiiabuiilable du bassin
ouest, iM. de Morsier ci'oit qu'il serait intéressant, si le projet
américain se confirme, de voii- une nouvelle expédition abor-
dei" ces parages du liassin ouest, via Smitlisouiul. en profitant
de l'expérience de Nares poui- éviter les dangers connus, cl
pour pousser plus loin les découvertes dans les eaux mysté-
rieuses de cette paléocrystie; et cela d"aulaiil plus. (|ue les
Hollandais et les Suédois se proposent Tauti-t' itinéraire, rià
Spitzbei-g et Polynia du bassin est.
M. le pi'otésseui' Metchnikoiï a la parole pour rontiiiiier
son exposition du développement de la civilisation japonaise;
les documents plus nombreux que l'on possède sur la péiiode
qui commence avec les cliangemenls introduits par Gonglien-
Sama. lui permettent de présentei' un tableau de Toi-ganisa-
tion politique et sociale du pays, plus complet que pour les
périodes antérieures.
Il rappeUe les trois pouvoirs existant à la base de l'organi-
sation politique du Japon :
1° Le pouvoir impérial, celui du souverain, «lu chef su-
prême. — La dénomination d'empereui- est-elle bien exacte 1
La langue japonaise n'a que deux termes poui' exprimer l'i-
dée du pouvoir : kimi ([)rince). et soumera ou soubera (qui
commande aux princes).— .WAv/do signifie « la noble porte."
Toutes les autres appellations du souverain ont été emprun-
tées à la Chine. — Quoi qu'il en soit, à partir du Xll"^ siècle
de notre ère, ce pouvoir impérial ne jouit plus d'aucune au-
torité, et est exercé nominalement le plus souvent par des
enfants de 8 h 14 ans; les souverains adultes sont fréquem-
ment déposés et entrent dans les ordres bouddhjques. Le
pouvoir était de fait entre les mains de leurs i-eprésentanls.
les siogoùns; la seule fonction qui leur était toujours restée,
(î'est d'accorder les titres de noblesse ou ceux d'adoption.
88 BULLETIN.
Kiolo, leur capitale, par sa situation niêuie, était hors (Tétat
(le jouer un rôle prépondérant dans le pays.
2° Le siogoùnat, institué au XlIP' siècle de notre ère, et
restauré au XVIl""" siècle par Gon.i-lion-Sania, dont le vrai nom
est Tokougava Yeyass. Les siogoùns étaient les véritatiles
chefs du gouvernement, répondant, assez bien aux maires du
jialais sous les rois mérovingiens.
3" L'aristoci-atie féodale, la noblesse, représentée par un
très-grand nombre de princes, daïiiiios, n'ayant entre eux
qu'un lien féodal, indépendants dans leurs pi-ovinces les uns
vis-à-vis des autres, et même bien souvent vis-à-vis du pou-
voir central. Toutefois nne loi impériale, édictée pai' le fils de
Gonghen-Sama, imposait aux daïmios une résidence au moins
lemporaii-e, pendant la moitié de l'année, à Yeddo, la capitale
des siogoùns; «''était là un moyen assez eiïicace d'inllaence et
de domination. La noblesse au Japon comptait deux classes,
deux i-angs : les daïmios, l'aristocratie féodale proprement
dite, formée des anciennes familles princières et se subdivi-
sant en diverses catégories; puis les nol)les de second rang,
la petite noblesse, ciui jouaient le rôle de satellites des princes
de première noblesse, se groupant autour de l'un ou de
l'autre.
Ces trois institutions i-eprésentaient le pouvf)ii', Tautonté.
— A côté d'elles existait encore une autre classe, qui appai'-
tenail aussi à la noblesse, mais (|ui jouait un rôle ordinaire-
ment peu important dans l'État, aux éi)0(pies récentes sur-
tout : celle des nobles on princes appartenant à la famille
impériale, mais qui n'étaient point seigneurs féodaux et n'a-
vaient pas «le possessions ttîrritoriales; ils ont même occupé
le plus souvent une position assez intime, reinplissani des vo-
cations peu relevées; les uns exerçaient de simples métiers,
comme celui de tresser des i)ailles; d'autres prolitanl de l'in-
struction (pi'ils devaient à leur position, donnaient des lenuis.
PROCÈS-VERBAUX. 89
Au-dessous des nobles venait la classe des samoûraïy les
guerriers, ceux qui avaient le droit de porter deux sabres (un
sabre et un poignard). Les savants, les médecins, les artistes,
etc., étaient généralement rangés dans celte classe. Lorsque
vint à prédominer le système qui existe actuellement, les sa-
mouraï se partagèrent en deux classes, ceux qui étaient no-
bles et ceux qui ne l'étaient pas.
Après eux venaient les Jiiakusio, les paysans. Mais ceux-ci
étaient-ils propriétaires du sol? Dans la règle, non, puisque la
terre appartenait aux seigneurs féodaux^ aux daïmios; ils
avaient sur le sol certains droits, ceux que donne un long
établissement, mais ils payaient une redevance aux seigneurs,
laquelle variait entre le tiers et le dixième des produits. Cette
redevance se confondait avec l'impôt. Le système à demi-
produit, c'est-à-dire le métayage, était aussi, mais rarement,
en usage au Japon. Les samouraï recevaient généralement
une redevance variable et temporaire, ordinairement en me-
sures de riz ou kok. Aussi, n'ayant rien d'assuré, un grand
nombre d'entre eux se faisaient brigands et devenaient la
terreur du pays.
Les paysans ont eu pendant longtemps, jusqu'à l'époque
actuelle, la faculté de s'établir dans les parties peu peuplées
au nord de l'île de Nippon, où le gouvernement leur octroyait
des concessions de terrains. Mais maintenant cela n'a plus
lieu; les terres ont toutes des propriétaires.
De cette possession est résultée la formation d'une classe
de paysans riches, plus riches même quelquefois que leurs
seigneurs féodaux; quelques-uns d'entre eux avaient même
le droit de porter le sabre. Après les paysans venaient les
ko, les artisans, ouvriers, etc., qui jouaient ordinairement,
vis-à-vis des premiers, le même rôle que les petis nobles vis-
à-vis des grands seigneurs, mais se mettaient aussi directe-
ment au service de ceux-ci; les métiers impurs, infamants,
BULLETIN, T. SVI, 1877. 7
90 BULLETIN.
ceux qui obligeaient à manipuler les sang, faisaient seuls
exception à cet égard. Ces ouvriers changeaient parfois de
maîtres, engageant leurs services à l'un et à l'autre.
Cet état de sujétion de la fabrication explique l'extrême
bon marché de certains produits du pays.
La dernière classe de la société japonaise était formée par
les marchands et les industriels. Ceux-ci étaient l'objet du
mépris des autres habitants, mépris dû à la réputation de
mensonge attachée à leur métier; aussi le nombre des repré-
sentants de cette classe était-il restreint. Cela tenait du reste
aussi à une autre cause : le commerce à l'intérieur du pays
se réduisait à peu de chose, les seigneurs échangeaient entre
eux, directement et sans intermédiaire, les produits qu'ils ti-
raient des redevances, et le commerce avec l'extérieur était
tout aux mains des étrangers, des Hollandais. Tout d'abord le
commerce se bornait presque uniquement pour cette classe
des marchands, à servir d'intermédiaires, de prêteurs à la
petite semaine aux paysans pour leurs transactions.
En dehors de ces classes on trouvait encore la classe des
hi-nin (ce qui signifie pas hommes), des parias, dans laquelle
rentraient ceux qui exerçaient des métiers impurs, les pros-
tituées, les mendiants, etc. Ceux qui appartenaient à cette
classe étaient souvent respectés à l'égal des ressortissants des
autres classes, mais avec cette dilTérence : point d'alliance
matrimoniale entre eux et les autres classes, tandis que cela
avait heu pour les autres classes entre elles.
Un autre rouage de l'organisation de l'État, qui assistait
les empereurs d'abord, puis les siogoùns, c'était le conseil des
nobles, gorosio, corps assez analogue à un Sénat ou à un
Conseil d'État tel qu'il existe en France. Ces fonctions étaient
électives, et non héréditaires. Depuis le XVIl"'' siècle, époque
delà restauration du siogoùnat, le Japon a joui d'une certaine
tranquillité relative, non par le fait de l'excellence de son
PROCÈS-VERBAUX. 91
gouvernement, mais pai'ce que le pays élait las des commo-
tions et des dissensions intérieures, dont les Japonais, ayant
goûté les bienfaits delà paix, faisaient tout pour éviter le re-
tour. Alors le pouvoir, comme cela arrive à tout pouvoir,
tomba en décadence; ce fui d'abord le pouvoir impérial, puis
vint le tour du siogoùnat; l'autorité réelle n'était plus dans
les mains du titulaire, mais dans celles de ses représentants.
C'est du reste le propre de l'organisation politique au Japon,
que l'existence des remplaçants en autorité, des aides poui-
l'exercice de celle-ci; ainsi à côté de chaque ministre, il y a
toujours le vice-ministre, qui est le véritable administrateur,
pendant que le ministre n'est lui-même que titulaire.
Depuis 1840, les ti'oubles et les dissensions entre les prin-
ces n'ont fait que recommencer et fleui'ir de plus belle; toute
l'organisation politique a été disloquée, le pouvoir siogoùnal
annulé; les princes du sud-ouest se sont ligués en opposition
et souvent en lutte armée contre ceux du nord. Alors se pro-
duit un changement important dans l'état social du pays; le
mouvement inauguré au commencement du siècle, de litté-
raire et intellectuel qu'il était d'abord, s'accentue toujours
davantage et devient général, revêtant un caractère qu'on
pourrait appeler démocratique, pour autant que ce terme est
applicable en Orient. En I8o4, à l'arrivée de la flotte améri-
caine et sous son influence, le changement est complet. Ceci
caractérise le commencement d'une nouvelle période à trai-
ter à part dans l'histoire du développement de ce pays, et
que M. Metchnikoff se propose d'aborder devant la Société
dans une prochaine occasion.
M. le Président, après avoir remercié M. MetchnikofT de
cette communication, attire l'attention sur ce fait général de
la dilTéi'ence qu'on peut observer, suivant les temps et les
pays, dans la considération plus ou moins grande dont jouit
le commerce. Gela tiendrait-il à un développement commer-
92 BULLETIN.
cial plus ou moins important, surtout au point de vue
maritime? — M. Metclinikoff, sans contester l'influence de
ce facteur, pense que cela dépend plutôt de l'importance du
commerce intérieur. Dans les pays qui se suffisent par leurs
produits intérieurs, il n'y a pas place, en général, pour le
commerce proprement dit; il y est restreint et partant peu
considéré.
M. le Président demande s'il a existé aux époques anté-
rieures une marine japonaise?
M. MetchnikotT répond qu'elle n'existe que depuis quelques
années. Autrefois la navigation japonaise se réduisait à quel-
ques expéditions de piraterie, ou tout au plus à des descentes
en Corée, à Formose ou autres îles voisines. Les Japonais sont
les plus mauvais marins du monde; ils ne s'éloignent pas vo-
lontiers des côtes, qu'ils serrent de manière à pouvoir y faire
de fréquentes relâches. Cette infériorité tient en partie à la
sévère réglementation de la navigation par l'autorité ; il en
est résulté qu'on naviguait peu, et qu'on a fini par perdre
l'habitude de la mer. Maintenant c'est différent; on est en
train de créer une marine qui a certainement de l'avenir, et
qui accaparera nécessairement le coi^erce du Pacifique,
jusqu'ici dans les mains surtout des Allemands.
Séance du 27 avril 1877.
Présidence de M. H. Bouthillier de Beaumont.
Après l'adoption du procès-verbal, M. le Président donne
connaissance à la Société des opérations de l'assemblée du
mardi 24, dans laquelle a été constitué le Comité national
suisse, qui a élaboré ses statuts et nommé son Bureau. — M.
de Beaumont a été élu à la présidence; quatre vice-présidents
PROCÈS-VERBAUX. 93
ont été clioisis dans les cantons de Bàle, Zurich, Berne et
Neuchàtel, savoir, MM. Ad. Clirist, Mousson, Th. Sluder et
Al. de Dardel. M. Eug. Delessert, professeur à Lausanne, a été
chargé du secrétariat général. MM. G. Moynier et Ed. Desor
ï'eprésenteiont la Suisse auprès de la Commission internatio-
nale à Biuxelles.
Il est fait rapport que* le Règlement de la Société a dû élre
revu par le Bureau; M. Em. Naville a apporté beaucoup de
soin à la rédaction d'un projet, dont la Société renvoie l'exa-
men à son Conseil (Bureau et Commissions).
M. le Président présente comme membre effectif M.Dubois,
ancien pasteur, qui est admis à l'unanimité.
La parole est ensuite donnée à M. le professeur Ghaix, qui
présente d'abord à la Société un croquis de carte dressé d'a-
près les données recueillies par Mac Gregor dans son explo-
ration du Jourdain au moyen de sa pirogue, le Rob Roy, do-
cuments qui semblent devoir faire une révolution dans la
géographie des sources du Jourdain.
Après cela, M. Chaix aborde sa communication sur les ré-
centes explorations de Stanley, Price et Youngen Afrique.
Il y a quelques années, au dire de sir Samuel Baker, la
vue d'une carte de l'Afrique méridionale réjouissait les élèves
paresseux; mais dès lors, chaque jour nous apporte la con-
naissance de nouveaux progrès, convergeant tous vers l'Afri-
que centrale. M. Chaix se propose de résumer ces découvertes
en s'attachant à trois points principaux: le Tanganyika, la
route de la côte orientale à Ujiji, et le lac Nyassa.
Le Tanganyika a été découvert en 1858 par Burton et
Speke, qui étudièrent une partie de son pourtour. Les pi'e-
mières explorations ont été faites par Livingstoneseul (1869-
71); les suivantes, par Livingstone et Stanley (1871), puis par
Stanley seul, et enfin, par Cameron (1874). Le voyage de ce
dernier a eu pour résultat une correction géographique im-
94 BULLETIN.
portante: On avait cru ce lac parallèle au méridien ; après
Caraeron, la direction en a été déterminée du N.-N.-O. au
S.-S-E., direction qui introduit plus de variété, et qui relève
la valeur de celte nappe d'eau au point de vue commercial
en rallongeant. Mais avait-il un émissaire, des affluents? rece-
vait-il des eaux? en émettait-il? — questions sans réponse.
En 1874, Cameron écrivait qu'en suivant la côte, à 24
milles au sud de Casonge, il avait découvert, le 3 mai, an
émissaire, la Loukouga, dont il avait suivi le courant sur une
longueur de 4 à 5 milles, après lesquels il avait été arrêté par
une végétation d'herbes et de roseaux. Stanley met en ques-
tion cette existence d'un émissaire. Il s'est transporté à l'em-
bouchure de la Loukouga, dont il a constaté la largeur (450
mètres) et la profondeur (9 à 10 mètres). L'eau était animée
d'un mouvement qu'il s'agissait de déterminer. Stanley a eu
la bonne fortune de retrouver Para, le chef d'un district voi-
sin, (|ui avait reçu Cameron, ce qui a facilité les rectifications
de son successeur. Ce chef accompagna Stanley jus([u'au vil-
lage de Loumba, où ceiui-ci laissa les hommes inutiles; avec
un canot, il parvint à un point où sa navigation se trouva ar-
rêtée.
Au bout de cinq ans, écoulés entre ses deux visites, Stanley
fut surpris des changements qu'il constata: les eaux s'étaient
élevées, des bancs de sat)le étaient couverts île 3 à 4 pieds
d'eau, à l'entrée de la Loukouga se trouvaient des brisants,
des péninsules étaient devenues des îles, des îles avaient dis-
paru, des côtes formaient des promontoires, etc.
Il recueillit alors les témoignages des guides, dont une par-
tie avaient accompagné Cameron.
Des Arabes qui avaient traversé la Loukouga lui dirent
qu'elle coulait dans le lac. Un indigène lui affirma qu'il y avait
deux Loukouga, l'une sortant du lac, l'autre y versant ses
eaux, et qu'elles étaient séparées par une bande de terre. Un
PROCÈS-VERBAUX. 95
de ses guides, Ruango, lui atfirma qu'une petite rivière en-
trait dans le Tanganyika ; mais, lui dit-il, vous n'en trouve-
rez point qui en sorte.— Les témoignages se contredisaient:
Para soutint que Cameron ne pouvait avoir vu une Lou-
kouga sortir du lac et couler vers la Roua. Un autre indigène
de Tembwé déclara que l'année précédente, il y avait encore
deux Loukouga, l'une coulant vers le Tanganyika, l'autre,
vers la Roua, mais que les pluies abondantes les avaient fait
disparaître, et qu'aujourd'hui il n'y en avait plus qu'une,
coulant vei's l'ouest. Un chef, Hawé Nyanzé, lui dit qu'il lui
montrerait une rivière coulant vers le Tanganyika et une
autre vers la Roua ; un de ses sous-chefs déclara qu'il y avait
précédemment deux Loukouga, l'une se déversant dans le
lac, l'autre coulant dans la direction de la Roua; mais dans
les deux dernièi-es années, ajouta-t-il, les pluies ont tellement
grossi le Tanganyika, que le lac a avalé la Loukouga qui s'y
jetait, et a rejoint l'autre Loukouga qui coulait vers la Roua ;
cependant cette réunion n'était pas constante, et ne durait
que pendant les heures de la mousson du Sud-est (manda),
chaque après midi; une fois le vent calmé, la rivière retour-
nait au lac comme d'habitude.
Tous ces rapports paraissent indiquer deux rivières sépa-
rées, mais en voie de se réunir par le fait de l'abondance
présente des eaux. Il restera à savoir si celte abondance est
accidentelle ou permanente.
Stanley, dans son essai de navigation, a été arrêté par des
papyrus; à ce point il a cherché à discerner s'il y avait un
courant; il y a passé quatre jours, faisant, pendant des heu-
res, des expériences dans ce but. Quand le vent soufflait du
S.-E. il y avait un courant vers le N.-O.; mais quand le vent
changeait le courant changeait aussi, et l'eau coulait de nou-
veau vers le Tanganyika. Les hautes herbes qu'il a examinées
étaient poussées et courbées par un courant qui les couchait
96 BULLETIN.
vers le S.-E., ce qui indiquait un tributaire et non un émis-
saire.
Il a reconnu le courant d'une rivière venant du N.-E., la
Kibamiba, qui arrive sur un point du cours de la Loukouga
où il y a une vase très-épaisse. La température de l'eau était
de 7° plus froide que celle du lac; donc la Loukouga venait
de l'extérieur. Au delà des monts Kiyandja, la Loukouga
porte le nom de Louindi, et se jette dans le Kamolondo, af-
fluent du Loualaba. Il y aurait là une confirmation du dire
des indigènes qu'il y a deux Loukouga, l'une qui se déverse
dans le lac, l'autre qui s'en éloigne. Stanley ne veut pas met-
tre en question le mérite qui revient à Cameron d'avoir dé-
couvert un émissaire, si la Loukouga en est réellement un.
M. le professeur Chaix expose comment elle peut devenir
un émissaire, d'ici à trois ou quatre ans, par suite de l'éléva-
tion des eaux. Il y a communication temporaire entre les
deux rivières. En s'élevant, le lac renversera la direction de
la Loukouga, qui deviendra son émissaire régulier. Les phé-
nomènes volcaniques jouent un grand rôle dans cette région.
Voyageant dans un bateau, Stanley n'a pas pu faire beaucoup
d'observations géologiques; mais sur deux ou trois points, il
a remarqué la présence de montagnes d'aspect tout volcani-
que. Dans un intervalle de dix-huit mois, une montagne avait
été renversée vers le N.-E. du lac, et avait englouti quelques
villages; Stanley a vu flotter de l'asphalte dans le voisinage
d'Ujiji. Le bassin du lac paraîtrait être le résultat d'un affais-
sement.
Une carte remarquablement bien faite, dressée par Al. le
professeur Chaix, permettait de suivre avec la plus grande
facilité les détails de cet exposé.
M. Cliaix passe ensuite à l'itinéraire de la cùte orientale de
rAfriijue au Tanganyika, suivi par Eurton, Speke et Cameron.
11 signale tous les ennuis que les voyageurs éprouvent pen-
PROCÈS-VERBAUX. 97
dant la marche de la part des porteurs qui ne cherchent qu'à
frauder et à voler.sont inconstants, menteurs, faihles de corps,
facilement malades, et meurent en très-grand nombre. La
mouche venimeuse, le tzétzé, interdit sur celte roule l'usage
des chariots à bœufs. Les dépenses de Stanley, de Zanzibar
à Ujiji (020 milles, et avec les détours 700 milles), se sont éle-
vées à 25,000 francs.
Les Directeurs de la Société des missions de Londres, espé-
rant qu'on pourrait trouver une loute salubre, praticable
pour des chariots comme ceux des colons du Cap, se sont
adressés au Rév. Roger Price, missionnaii-e, et l'ont prié d'en
faire la recherche.
Price s'est transporté à Zanzibar (le 2 mai 1876), et au lieu
de prendre Bagamoyo pour point de départ, il est allé au vil-
lage de Sadani où il a trouvé un chef bienveillant^ porté à
favoriser une roule aboutissant à son village. Le tzélzé ne
s'y rencontre pas. — De Sadani à l'intérieur, la distance se-
rait de 700 milles, qui peuvent se diviser en trois portions
égales, de trois degrés de longitude chacune. La seconde et
la troisième, qui font partie de l'ancien tracé, courant sur le
plateau central, il y règne une chaleur modérée; cette région
est salubre ; les montagnes, couvertes d'un beau gazon, sont
disposées par petits groupes qui n'arrêtent pas le voyageur.
Ces deux tiers de la route seraient faciles en wagon, une fois
, qu'on serait arrivé là.
Quant au tiers qui s'étend entre le plateau et la mer, il est
beaucoup plus salubre que la partie correspondante du che-
min par Bagamoyo, empoisonné par la malpropreté et la
vermine des nègres.
Price, ayant vu arriver à Sadani une caravane apportant
de l'ivoire, retourna à Zanzibar pour se procurer bœufs et
wagon. L'acquisition des bœufs ne lui fut pas d'abord facile ;
le boucher auquel il s'adressa ayant soupçonné un concur-
98 BULLETIN.
rent dans la personne de l'ecclésiastique qui lui demandait
des bœufs vivants, insistait pour lui vendre plutôt des mou-
tons; — à la fln, Priée réussit à se procurer quatre bœufs,
auxquels il fut très-difïicile d'apprendre à cheminer ensemble
sous le joug. Ses efforts furent enfin couronnés de succès; ses
bœufs domptés et attelés à une charrette, il partit du village
de Ndumi, et à 2 lieues de la mer, il se trouvait déjà dans la
montagne; de là, en 26 jours, comptant 19 stations, il fran-
chit 200 milles. Il rencontra sur toute sa route des indigènes
bons, bien disposés, d'un commerce facile. Le pays lui parut
fertile; le plateau est ondulé, bien arrosé; les rivières coulent
vers le sud. C'est à peine si, par cette voie, il y aurait 7 lieues
de chemin difficile. La description que Price fait de ce plateau
est ravissante; les champs de maïs y abondent, les villages y
sont nombreux, à une portée de fusil les uns des autres.
Le succès de Price promet une révolution complète pour
les voyages dans l'intérieur de l'Afrique. La Société des mis-
sions de Londres a mis la main à l'œuvre; cinq ou six Anglais
vont se rendre sur les lieux; ils doivent se munir de deux
wagons et de huit cliariots, avec attelages de douze bœufs
pour les wagons et de six bœufs pour les chariots, plus une
réserve, le tout pris à Natal. Pour bouviers ils prendront des
Cafres, gens très-experts en ces afi"aires; ils se pourvoiront
de provisions pour deux ans, de remèdes pour infirmei-ies,
de matériel pour écoles, de semences, etc.
Au mois de juin ils seront à Zanzibar, et en partiront en
juillet. On peut voir dans ce projet l'auroie d'une période
ncmvelle pour Texploralion du continent africain.
L'heure étant avancée, M. le professeur Chaix réserve
pour une autre séance ce qu'il se propose de dire sur le lac
Nyassa.
M. le Président présente à M. Chaix les sincères remercie-
procès-verIaux. 99
ments de la Société pour celte communication si importante
par la nouveauté du sujet et si bien travaillée et exposée.
M. le professeur de Laharpe rappelle une légende indigène
selon laquelle le Tanganvika devrait son existence au débor-
dement subit d'une ancienne source^ et qui pourrait bien
renfermer un témoignage défiguré relatif à une origine vol-
canique de ce lac.
M. de Saussure a été très-frappé de la mention de l'alter-
nance dans le mouvement des eaux. Pour que la Loukouga
fût à la fois tributaire et émissaire, il faudrait que le lac arri-
vât à franchir le point supérieur du plateau de manière à
permettre aux eaux de se déverser sur l'autre pente. Les
explorations ont-elles été poussées assez loin pour bien con-
stater le phénomène ?
M. le professeur Chaix répond que Stanley a prévu l'ob-
jection, et qu'il l'a levée. Pour le moment la seule eau qui
sorte est celle de la rivière qui vient du nord et qui va vers
l'ouest.
M. le Président et M. de Saussure soumettent encore à M.
Chaix quelques observations sur les apports de la rivière, et
sur la difficulté des vents à faire avancer les eaux et à les
élever suffisamment pour déterminer un courant.
M. de Traz demande à xM. Chaix des renseignements sur
Tétat actuel de la mission Livingstonia et sur le lac Nyassa.
A ce propos, M. Chaix fait ressortir l'importance, quant à
la suppression de la traite, du rapprochement du Tanganvika
et du Nyassa, prolongés l'un au sud, l'autre au nord, de ma-
nière que la traite se trouvera resserrée dans un passage
foi't étroit.
M. Aloïs Humbert s'informe des marchés sur lesquels sont
conduits les esclaves.
M. de Laharpe signale surtout celui de Khartoum et celui
de Kouka, chef-lieu du Bornou.
100 BULLETIN.
M. Chaix estime que le grand moyen de faire tomber ce
trafic, ce serait de trouver pour les trafiquants des matières
premières dont l'échange leur offrît des avantages supérieurs
à ceux de la traite.
M. Faure lit quelques lignes du journal V Exploration, an-
nonçant que le Comité exécutif pour l'œuvre africaine se
propose de faire partir l'année prochaine deux troupes de
1500 hommes chacune (moitié de nègres, comme porteurs),
Tune de Zanzibar, l'autre de Loanda; elles se rencontreraient
au bout de trois ou quatre mois de marche sur le plateau
central.
M. le professeur Chaix ajoute encore quelques mots sur le
capitaine Bui'ton et sur ses voyages au Maroc, à la Mecque,
à Berbéra, au Tanganyika,au lac Salé, à Fernando Po. Il re-
vient actuellement de Moïlach,sur la mer Rouge, après avoir
découvert d'anciennes exploitations de mines d'or et d'argent,
des hiéroglyphes, des ruines de villes avec murailles, etc.
M. le Président fait encore part d'un don envoyé à la So-
ciété par M. le D'" F.-A. Forel : l'ensemble de ses travaux sur
les seiches et la faune du Léman.
Séance du 11 mai 1877.
Présidence de M. H. Bouthillier de Beaumont.
Après avoi!' donné un rapide exposé des travaux du
Bureau depuis la dernière séance de la Société, M. le Pré-
sident rend l'assemblée attentive aux circulaires et aux
communications intéressantes de la Société des Voyages
d'Études autour du monde. Il se fait un plaisir de faire con-
naître les membres distingués dans la science, dans l'admi-
nistration, dans la fmance qui sont à la léte de cette belle
entreprise et de la faveur que celte précieuse direction a
bien voulu faire à la Société de géographie de Genève en la
PROCÈS-VERHaUX. 101
nommant correspondante, ce dont il se trouve particulière-
ment honoré comme président.
M. de Beaumont fait circuler parmi les membres les
livrets envoyés par la Société, qui fournissent tous les détails
et renseignements sur cette navigation autour du monde en
300 jours, donnant les conditions de temps et d'argent pour
les voyageurs, les arrêts dans les stations les plus importantes
de ce long parcours, la disposition et l'ameublement du
navire pourvu de tous les objets et instruments nécessaires
ou utiles pour toutes les observations désirées par les
voyageurs scientifiques, des professeui-s et des marins étant
là afin de donner la plus grande facilité pour la pratique de
ces observations.
M. de Beaumont invite les membres présents à emporter
les livrets mis si généreusement à leur disposition, à les
faire connaître, et à informer ceux de leurs amis qui y pren-
draient de l'intérêt qu'ils trouveront sur le bureau de la
Société de Géographie, à leur disposition, tous les docu-
ments qu'ils peuvent désirer.
M. de Traz, secrétaire, communique le résumé d'un rap-
port de M. W. Huber, membre correspondant de la Société,
et l'un des secrétaires de la Société de géographie de Paris,
présenté à son assemblée générale.
C'est dans cette séance que se distribuent chaque année,
s'il y a lieu, les prix que décerne cette Société aux hommes
qui sont jugés avoir, par les résultats importants de leurs
voyages ou par leurs travaux, le plus contribué aux progrès
des connaissances humaines en général. Une commission
composée de MM. Malte-Brun, Vivien de S*-Martin, Eugène
Cortambert, Henri Duveyrier et du Rapporteur, a été char-
gée d'examiner les titres des candidats, et sur ses propositions
la Société a décerné :
1° La grande médaille d'or à M. le commandant Verney
102 BULLETIN.
Lovett Cameron, pour son hardi voyage à travers le continent
africain et les découverles précieuses qui s'y rattachenl.
2° Une seconde médaille d'or à M. le capitaine Rondaire,
pour ses recherches dans la l'égion des Chotls algériens, en
vue de la création d'une mer intérieure, sujet sur lequel no-
ire Société a entendu, le printemps dernier^ une intéressante
communication de IM. le professeur Chaix.
3° Une médaille d'argent à MM. de Folin et Léon Périer,
poui' la publication, sous le titre Les fonds de la mer, d'une
remarquable collection de documents et d'observations con-
cernant l'étude du monde sous-marin, aux divers points de
vue topographique, géologique, botanique et géologique,
c'est-à-dire au point de vue de l'histoire naturelle générale
des régions océaniques, si peu connues jusqu'à ces dernières
années. La Société de géogr ]m de Paris, qui se dispose à
publier un programme d'instructions aux navigateurs pour
l'étude de la géographie physique de la mer, a pensé tendre
au même but en décernant cette ''écompense à ces deux mes-
sieurs, pour leurs savantes recliwthes, leurs travaux et leurs
efforts pour rassembler ces documents, et encourager ainsi
la cultui-e de cette branche nouvelle de la science : la géo-
graphie sous-marine.
4° Le prix trisannuel fondé par M. de la Roquette pour la
découverte ou l'ouvrage le plus important dans le domaine
de l'extension des connaissances géographiques relatives au
Pôle Nord, à M. Gabriel Gravier, poui- sa publication intitu-
lée : Découverte de l'Amérique par les Normands au X°"' siècle,
dans bupielle l'auteui-, à la suite de quelques autres savants,
comme Humboldt, d'Avezac, Gaiïarel, et s'appuyant de nom-
breuses preuves, entre autres des récils des anciennes sagas
norwégiennes et groënlandaises, soutient la thèse qu'avant
Christophe Colomb, l'Amérique avait reçu des Européens et
(les chrétiens.
PROCÈS-VERBAUX. 103
Après cela, M. le Président donne la parole à M. le D"" Fo-
rel, de Morges, pour l'exposition de ses recherches sur les
seiches du Léman.
Ce sujet, dit M. Forel, est essentiellement géographique et
même genevois, car c'est ici qu'on a pour la première fois
remarqué les seiches, qu'on les a étudiées et expliquées; c'est
ici encore qu'on observe les plus belles.
Qu'est-ce qu'une seiche? — C'est un mouvement d'éléva-
tion de l'eau, une dénivellation de la surface, qui s'élève, s'a-
baisse, se relève et redescend, au-dessus et au-dessous du ni-
veau normal. L'élévation peut être de 10, 15, 20, 30 centi-
mètres, pendant 20, 30, 40, 50 minutes. C'est une marée en
miniature, sans rapport avec le mouvement des astres. Vau-
clier a constaté des seiches à Genève, RoUe, Vevey, Ville-
neuve, et sur les lacs de NeucM l, de Côme, d'Annecy, etc.
On les retrouve sur tous les bassins d'eau un peu considéra-
bles; M. Forel en a reconnu sur tous les lacs suisses où il les
a cherchées.
M. Forel examine successive nent la hauteur de la dénivel-
lation, la durée du phénomène, puis l'explication dont il est
susceptible.
La hauteur ou l'amplitude des seiches est très-variable;
parfois elle est nulle ou très-faible, d'autres fois plus forte.
Le 3 août 1763, H.-B. de Saussure en a mesuré à Genève de
1"',48. Fatio deDuillier cite les seiches du 16 septembre 1600
comme ayant atteint 1°',62. Le 2 et le 3 octobre 1841, les sei-
ches observées par Yénié ont dépassé une amplitude de
2",15. Le 23 février 1549, une seiche a inondé les rues de
Constance.
L'amplitude n'est pas partout la même ; à Morges elle est
beaucoup plus faible qu'à Genève, et à Villeneuve elle est
plus forte qu'à Morges. Il y a variabilité d'une seiche à une
autre, et d'un endroit à un autre. En général les seiches qui
104 BULLETIN.
se suivent se ressemblent. Le même jour on aura une série
de seiches relativement fortes, ou une série de seiclies rela-
tivement peu fortes, remarquablement égales. Pendant des
jours, des semaines, des mois, les seiches seront énormes ou
nulles.
Quant à la durée, dans la même station les seiches ont tou-
jours la même durée, ce qui permet d'établir le rhythme des
seiches, à partir du moment d'élévation jusqu'à l'achèvement
de l'oscillation ; la durée pour Genève est de 73 minutes, à
Morges de 10 minutes. La durée en est fixe et constante. Il y
a inégalité suivant les stations. Si elle est de 73 minutes à
Genève et de 10 minutes à Morges, on la retrouve de 10 mi-
nutes à Évian et de 73 minutes à Villeneuve. Dans d'autres
lacs la durée est différente; mais elle est fixe dans la même
direction du même lac.
Le caractère rhjlhmique des seiches a permis à M. Forel
de conclure que ce phénomène est un balancement de l'eau.
L'eau s'élève à l'une des extrémités pendant qu'elle s'abaisse
à l'autre, comme elle le ferait dans un verre, dans une cu-
vette, dans une baignoire.
Pour se rendre compte de la manière dont agissent les
vagues de balancement, M. Forel a construit un petit bassin
qu'il a rempli d'eau à différentes hauteurs; il a imprimé une
secousse à l'eau, l'a mise en balancement, et a étudié la durée
de l'oscillation qui est plus ou moins grande à raison de la
longueur du bassin et à raison de la profondeur de l'eau ;
puis il en a déduit les lois générales :
i" loi. Dans les mêmes conditions de longueur et de pro-
fondeur du bassin, la durée de l'oscillation de balancement
est toujours la même, quelle que soit l'amplilutle du mouve-
ment.
2"^" loi. Dans les mêmes conditions de profondeur, la durée
de l'oscillation augmente avec la longueur du bassin.
PROCÈS-VERBAUX. lOo
^"^ loi. Dans les mêmes conditions de longueur, la durée
de l'oscillation diminue quand la profondeur du bassin aug-
mente.
Telles sont les lois du phénomène sur les lacs de Genève,
de Constance, de Neucliàtel, de Brienz, de Wallenstadt, de
Morat, de Joux, de Bret, etc.
Pour faire ses observations, M. Forel a construit un appa-
reil extrêmement sensible, un plémijramètre ; c'est un liassin
placé dans la grève, au niveau de l'eau, en communication
avec le lac au moyen d'un siphon; ([uand le niveau du lac
s'élève, il se produit un courant d'entrée dans le siphon; si
le niveau s'abaisse, l'inverse a lieu, c'est un courant de sor-
tie; un llotteurencire indique la direction du courant. L'ap-
pareil est d'une sensibilité si extiuise, qu'il permet d'apprécier
des fractions de dixièmes de millimètre de dénivellation, et
de faire les observations même par un temps de vagues.
Dans de bonnes conditions, M. Forel a pu constater, dans
différents lacs, la durée d'oscillation des seiches; il en a ob-
servé d'énormes, il' une heuie, dans le lac de Constance,
de trois quarts d'heure dans celui de Neuchàlel. Elles sont
un peu moins longues dans ceuxdeThoune et de Brienz. Les
lacs les plus profonds ont des seiches de plus courte durée.
La preuve a été fournie que ce sont des vagues de balan-
cement; ([ue pendant que l'élévation se produit à l'une des
extrémités, Taliaissemen ta lieu à l'autre. M. Forel et son ami
M. Rey ont constaté le fait à Yvei'don et à Préfargier, aux
deux extrémités du lac de Neuchàtel ; pendant une journée
entière d'ol)servations la symétrie dans le mouvement d'élé-
vation et d'abaissement a été parfaite. Entre Évian et Morges
ils ont constaté le même phénomène.
La durée des seiches peut s'exprimer par une formule ma-
tiiématique. Le D"" Fréd. Guthrie, professeur à l'École des
mines de Londres, a étudié, en 1873, le mouvement des va-
BULLETIS, T. XVI, 1877. 8
10(5 BULLETIN.
gues d'oscillation. Il a reconnu (lue dans le balancement de
reau, la longueur a une irès-grande influence sur la durée de
la vague, et dans le cas d'un bassin de profondeur indéfinie,
il en a donné l'expression dans la formule :
=v
t étant la durée d'une demi-oscillation de l'eau.
Déjà en 1828, J.-Rod. Merian, de Bâle, considérant une
molécule d'eau attirée par deux forces, était arrivé à l'équa-
tion :
-[/^
TT^e
— e
^
t étant égal à la durée de la demi-oscillation ;
h » à la profondeur moyenne du bassin;
l » » maximale >< ;
e étant la base des logarithmes népéi'iens;
g étant le rapport constant entre le temps et le chemin
parcouru pai- un solide tombant librement sous l'action
de la pesanteur;
TT étant le rapport entre la circonféience du cercle et le
diamètre.
La vélocité de l'oscillalion est ralentie par le peu de pro-
fondeur de l'eau, et d'autant plus i\iie la profondeur est
moindre. Cette foi-mule s'applique parfaitement aux seiches
de nos lacs, et exprime exactement le rapport de leur durée
avec la longueur et la profondeur du lac ipi'on étudie.
Sir William ïliomson, piofesseur à l'Université de Gla.sgow,
a simplifié la formulf de Mérian. de manièie à en riMidre
PKOCÈS-VERBAqjt. 107
rappliciilinii plus facile et plus prati(|iie: on aurait simple-
ment :
_ /
[/gh
t l'epréseiilaiil en st'tondes la dmée de la demi-seiclie,
/ la longueur du lac,
h sa profondeur.
Connaissant la dui'ée d'une seiche, on peut en déduire la
longueui- ou la profondeur des lacs. M. Forel a appliqué celte
formule aux lacs de Genève, de Neucliàtel et de Brienz; Tap-
plicalion a fourni îles résultats parfaitement concordants.
Le lac de Wallenstadt a présenté un écart considérable. En
1874, M. Forel avait observé à Wesen de belles seiches, de
871 secondes. Le lac a 15,o00 mètres de long, et les son-
dages faits en vue de relever le Delphin avaient constaté une
profondeur maximale de 114 mètres. Par la formule de Mé-
rian, le lac aurait dû avoir 128 mètres de profondeur. La
théorie était-elle fautive? — M. Forel a fait des sondages,
.|ui ont établi (jue le lac de Wallenstadt, de forme ovalaire
allongée, présente, à partir de Wesen, un talus incliné, ijui
va en s'atîaissant régulièrement; au milieu, la cuvette a 138
mètres de profondeui'. La moyenne se trouve être de l'^G
mètres; la formule a donc été complètement vérifiée.
Dans certains cas le phénomène peut avoir son importance.
Au moyen d'une seiche, un voyageur qui connaîtrait la lon-
gueur il'un lac pourrait en une heure en savoir la profon-
deia- sans avoir recours à aucun sondage.
M. Forel a construit à Moi'ges un limnimètre enregistreur;
un instrument du même genre sera prochainement installé
par M. Phil. Plantamour à Sécheron près Genève. Ces appa-
leils destinés h l'étude des seiches ont, une sensibiUté exquise
el tout à fait étonnante. M.Foiel a constaté des mouvements
108 BUI.LKTIN.
réguliers de balciiicemeiU de Teau 3 heures après le passage du
bateau à vapeur devant Morges, ou 25 minutes avant son ar-
rivée;! Morges,à l'instant même de sa soi'tie du port d'Oucliy.
11 a même constaté à Moi-ges le passage des l)aleaux à vapeur
le long de la côte de Savoie.
A Morges les seiches ont un rliylhme constant et régulier,
toujours le même, de 10 minutes, ou, plus exactement, de
017 secondes. Les tracés des seiches sont souvent Irès-élan-
cés, formant des courbes élégantes.
L'eau peut osciller longitudinalenient ou transversalement ;
de là des seiches longitudinales et des seiches transversales.
Les seiches transversales, de la côte de Suisse à la côte de
S.ivoie, ont à Morges une durée de 10 minutes, ce qui, pour
une largeur de L3,8 kilom., donne une profondeur de 205
mètres, profondeur l'econnue du grand lac. Morges présente
d'autres seiclies, moins rapides, moins évidentes, moins for-
tes, ne dépassant pas 3 centimètres et durant 73 minutes; ce
sont des seiches longitudinales. Il i)eul paraître étrange que,
dnis un lac aussi courbe, il y ait des mouvements d'oscilla-
tion longitudinale. Mais M. Forel a fait des expériences avec
un petit lac imitant la l'orme du Léman, et les résultats ont
prouvé qu'il peut y avoir un balancement longitudinal dans
un lac courbe. Les accidents dans les formes du lac de Ge-
nève soulèvent aussi la même objection. M. Forel a fait de
nouvelles expériences d'où il résulte iprily a un moiivenuMit
d3 balancement de Villeneuve à la barre de Prcnuenthoux.
Les seiches transvei'sales ne portent i]ue sur le grand lac
et non sur le petit, tandis que les buigitudinales portent sin-
lî grand et sur le petit lac. Le .3 mais 187(), .M. Ford a con-
slUé, au limnimèti'c (lu r.iand-Qiiai à Genève, le rhythmr de
i heure et 10 minutes; il a i-emarqué que. sur une grande
oscillation, il y en avait d'autres plus petites, formant comme
une broderie.Vauchci- n'avait jamais observé assez longtemps
PROCKS-VERBiOJX. 109
poui' voit- (it'ii\ st'iclies de suite; à Moi"ges,oii les seiches sont
plus rapides, on a pu plus facilement en constater le rliytlune.
A la lin de l'année 1870, M. Pli. Planlamour a fait des obser-
vations piolongées et régulières et l'a parfaitement constaté.
A Genève, il est de 73 minutes.
Mais, où est le centre du mouvement? — Morges est près
iJu nœud de l'o-scillalion ; mais ce nœud est-il du côté de Ge-
nève ou de celui de Villeneuve ? — Il est du côté de Ge-
nève, cai- les deux mouvements de balancement à Genève
et à iMoi'ges sont en opposition directe. Tandis qu'à Genève
l'eau s'élève, à Morges elle s'abaisse, et vice versa. L'opposi-
tion est constante; par conséquent Moi'ges est au delà du
centre tie mouvement, qui se trouve approximativement à
S*-Prex. A Veytaux, Cbillon, Vevey, les o.scillations sont de
:îo minutes, ditTérentes de celles de Morges el de celles de
Genève. La durée de 33 minutes, sur une longueur du lac
de 47 kilomètres, l'épond à une profondeur de ^Oo mètres,
profondeur moyenne du grand lac. Quarante-sept kilomètres
sont la moyenne de Villeneuve à Yvoire et de Villeneuve à
la barre de Promenlhoux. Les seiches de 3S minutes de l'ex-
trémité orientale du lac sont donc des seiches propres au
grand lac oscillant de Villeneuve à Promenthoux.
Quant aux o.>^cillations secondaires des .seiches de Genève^
vues par Vaucher et au.ssi par MM. Plantamour et Forel, il
faut en ajourner l'explication à une époque où les observa-
tions seront plus nombreuses.
A quelles causes peut-on attribuer ce phénomène des sei-
ches? Le mouvement de balancement de l'eau dans un vase
peut être produit par une .secousse donnée au vase, ou par
une secousse imprimée à l'eau. Le balancement des seiches
proviendrait-il d'une secousse imprimée à la terre, de trem-
blements de terre? Là où régnent les tremblements de terre
les secousses sont généralement accompagnées d'élévation
ilO BULLETIN.
des eaux, de raz de marée. Lors du tremblemenl de terre de
Lisbonne ('1755), la plujjart des lacs de la Suisse et de l'Alle-
magne furent mis en mouvement. M. Forel s'attendait à
voir fonctionner le limnimètre enregistreur lors des derniè-
res secousses de ti-emblement de terre ressenties en Suisse.
Il y en a eu six en 1876, dont quatre ont été ressenties à Neu-
chàtel et deux à Morges ; mais le limnimètre est resté tout à fait
muet. Il y a des secousses qui déterminent des seiches: mais
toutes n'en produisent pas. Cela tient-il à la direction ou au
mode de la secousse? — M. Forel l'ignore pour le présent.
La cause des seiclies est-elle une secousse imprimée à
l'eau? — De Saussure et Vaucher y voient l'effet de la pres-
sion barométrique, de l'état de l'atmosphère; la pre.ssion di-
minuant à l'une des extrémités, l'équilibre est rompu, l'eau
s'élève à l'un des bouts et s'abaisse h l'auti-e; puis le retour
à l'équilibre s'opère par des oscillations de plus en plus faibles
jusqu'à ce que l'eau ait retrouvé son niveau piiinilif. Géné-
ralement les seiches sont plus fortes quand le lemps est mau-
vais. Cependant il y a des exceptions. Les périodes de sei-
ches faibles correspondent à des périodes de beau temps, et
celles de seiches fortes à des périodes de mauvais lemps.
Quand le baromètre est haut les seiches sont nulles, qu-'.nd il
est bas elles sont fortes, mais ce n'est pas toujours le cas.
Puisque ce sont des secousses atmosphériques, les seiches
seront d'autant plus accentuées que les mouvemenis du ba-
romètre sont plus sensibles; mais encore ici, la loi n'est pas
constante; avec un baromètre (|ui semble au repos, on peut
avoir des .seiches fortes, et avec un baromètre variable des
seiches nulles. Il y a là une difficulté encore inexpliquée.
Lorsqu'il y a orage, les seiches peuvent devenir très-for-
tes. Le 22 août de l'année dernière, pai- un ttMups l'olalive-
ment calme, un oragr suliil ôdala à I iicurc (bi malin; une
.seiche transversale énorme se |)r()diiisii, fi lui suivie d'une
PROCÈS-VERBJftjX. 111
série de seiches longitudinales pendant plus de deux fois
vingt-quati-e heures, décroissant peu à peu d'amplitude. Il y
eut double série, longitudinale et ti'ansversale.
Les seiches commencent au moment de l'orage, et l'on
peut dire qu'elles sont causées par des secousses imprimées à
l'air. Mais il y a encore des points à vérifier et à constater. Le
phénomène n'en réclame pas moins la bonne volonté de tous
les naturalistes, car ces mouvements sont d'entre les plus
considérables qui se passent à la surface du globe. La vibra-
tion de la masse entière de l'eau que contient le bassin du
lac entre Genève et Villeneuve ne peut manquer de produire
sur l'esprit une impression puissante.
La Société témoigne à M. Forel, par ses applaudissements,
l'intérêt avec lequel elle a écouté cette remarquable commu-
nication.
M. le Président le remercie de ce travail considéra Ide, pro-
duit d'une pénétration, d'une justesse de vues, d'une activité
et d'une persévérance si dignes d'éloges.
M. AloïsHumbert demande à M. Forel s'il n'y a pas de baro-
mètres qui enregistrent leurs variations? Il en faudrait de
tels pour faire la comparaison avec l'enregistreur des déni-
vellations de l'eau. — Il se souvient qu'étant a Cette, un raz
de marée le fit penser aux seiches du lac; les marins l'indi-
quèrent comme précurseur d'un orage.
M. Forel répond qu'il existe à Berne un appareil baromé-
trique enregistreur, mais qu'd n'y en a point à Genève ; il
appelle de tous ses vœux la construction d'un appareil sem-
blable. Quant à celui de Berne, il présente des inconvénients ;
l'enregistrement est saccadé ; le poinçon guidé par l'appareil
enregistreur ne trace un point .que de dix en dix minutes. Il
faudrait un enregistreur à tracé continu.
M. le Président attire l'attention sur les différences de pro-
fondeur que présente le lac, et sur sa configuration en forme
112 BULLETIN.
de cuvette. Il distingue la vague générale de la seiche acci-
dentelle. La vague générale n'a-t-elle pas de rapport avec
l'entrée des eaux du fleuve? Les seiches ont-elles leur maxi-
mum au printemps et en automne, c'est-à-dire quand les eaux
arrivent abondamment?
M. Forel répond qu'au moment où les eaux sont le plus
grandes, le Rhône a une température de 6° à 8°. Les eaux
du lac, à la superficie, ont 20° à 22°. Les eaux grises du
Rhône plongent le long du talus jusqu'à 40, 50 et 00 mètres;
là le fleuve s'étend en nappe horizontale, et dépose le limon
dont il est ciiargé; ses eaux sont d'une densité égale à celles
des couciies profondes. Devant Vevey, on trouve encore
cette eau glaciaire; on ne la retrouve plus devant Morges.
En somme, la quantité d'eau qu'apporte le fleuve n'est qu'une
goutte comparée à la masse du lac. Il n'y a pas d'impulsion
donnée par l'eau du fleuve. Quant à l'amplitude considérable
des seiches à Genève, elle s'explique par la position de Ge-
nèv(^ nu fond d'un entonnoir, formé par les bords du lac qui
.•^e rapprochent.
M. Faurt' fait rnuarquer (|u'au moment où les eaux sont le
plus aliondantes dans un lac alpestre, comme celui de Genève,
l'apport des eaux dans un lac jui-assique, comme celui de
Neuchâtel, est le plus faible. Il demande à M. Forel si la com-
paraison des seiches sur ces deux lacs, à ce moment-là, ne
pourrait pas servir pour déterminer si l'apport des eaux du
Rhône est pour quelque chose dans le phénomène des sei-
ches (lu Léman?
M. Foiel pens»> que cette comparaison peut avoir son uli-
hté.
M. le pasteur l)ul»ois demande si l'Orbe et la Rroie, se je-
tant dans le lac dans deux directions opposées, ne peuvent
pas exercer une intlucnce sur les seiches du lac de Neu-
châtel?
PROCÈS-VERBAUX. lliJ
M. Doinillicé demande encore à M. Forel des explications
sur les fontaines et les taches d'huile du Léman.
M. Forel les attribue à des eaux d'égoùls, aux substances
huileuses versées dans le lac par la pompe de cale des bateaux
à vapeur, etc. Il yen a de naturelles et d'artificielles. Elles peu-
vent provenir delà décomposition d'animaux. On les retrouve
à la mer aussi bien que dans les lacs.
M. le Président remercie encore M. Forel de ce qu'il a con-
senti à venir nous entretenir des résultats de ses travaux, et
lui exprime les vœux de la Société pour ceux qu'il a en vue
cette année; en même temps, il le prie de conserver un sou-
venir à la Société de géographie, qui sera toujours heureuse
et reconnaissante des communications qu'il voudra bien lui
faire.
Séance du 25 mai 1877.
Présidence de M. H. Bouthuxieh de Beaumont.
A l'occasion du procès-veilial de la précédente séance, M.
de Labarpe mentionne qu'il a vu à l'exposition géographique
de Paris, en 1875, dans la Section belge, un baromètre enre-
gistreur, etc., construit par le professeur van Rv.sselberghe,
d'Ostende. — (Voyez le Catalogue général de cette exposition,
page 193, n"' 43-49.)
M. le D'" Lombard en signale un à Green^idi.
M. Alfred Pictel fait rapport sur plusieurs ouviages envoyés
à la Société par le Bureau météorologique de Londres.
1° Un atlas, grand format, contenant des tableaux donnant
le résultat d'observations faites pendant le cours d'une année
sur les vents, courants, mouvements barométiiques, varia-
tions de température, pesanteur spécifique de l'air, nuages,
état du ciel et direction, des vagues, observés sur neuf super-
I J 4 BULLETIN.
tîcies de 10 degrés c;iriés clKiciine, dans la région compi-ise
entre le 20° lai. nord et. le 10° lat. sud dans un sens, et le
10° et le 40° de long, ouest dans l'autre, soit vers le mi-
lieu de l'Océan Atlantique. Cela forme trois séries de douze
tableaux chacune, un tableau pour chaque mois; de plus, des
planches indiquant la marche des lignes isothermes et isoba-
rométriques de ces i-égions.
2° Un volume de texte pour accompagner cet allas.
3° Un rappoi't (en h-ançais) avec un supplément (en an-
glais) du Comité permanent du premier Congrès météorolo-
gii{ue de Vienne, piéparé pour la réunion deLontIresen 1876.
4° Entln, le rapport trimestriel du temps (Quarterly Wea-
ther Report) du Bureau, pour le trimestre de juillet à septem-
l)re 1874, indiquant les variations de température qu'a pro-
duites cet espace de temps dans le Royaume-Uni, et généi'ale-
ment, dans la portion nord-ouest de l'Europe. La moitié du
volume contient des diagrammes, soit lignes en zigzag, don-
nant les variations Journalières observées pendant ces trois
mois dans sept stations extrêmes d'Angleterre, d'Ecosse et
d'Irlande.
Puis M. le Président donne la parole à M. le prof. Chaix
pour la suite de sa communication sur l'Afrique centrale.
Le lac Nyassa fut découvert en 1859 par Livingstone qui y
letourna en 1862. Le gouvernement voulut l'appuyer du na-
vire le Pioneer dont le commamh'nu'iit était conlié à M.
Young. Quand le bruit d'un assassinat do Livingstone arriva
en Europe, ce fut Young ipii bit envoyé sur les lieux et (|ui
l'econnut la fausseté de ces rumeurs. Depuis la mort de l'il-
lustre explorateur de l'Ab'ique centrale, M. le D' Stewarl,
de Hopedale, exprima le désir (jue le souvenir d»' Livingstone
fût consacié par l'établissement duni' colonie sous le nom de
Liriiif/stonia au bord du Nyassa. Des meetings eurent lieu à
ce sujet, t'ii peu de jours 250,000 francs furnit trouvés, en
PROCES-VERBAUX. 1 lo
six semaines on construisit un baleau à vapeur en acier, île
47 pieds de long et de 12 de larue, tirant .'i V, pieds d'eau.
Vllala, très-fin marcheur.
M. le professeur Ciiaixfait ressortir,, en passant, le contraste
existant entre les races, en rappelant (pi'en 1487, Barthélenn
Diaz découvrit le Cap des Tempêtes, dont, à son retour, lo
roi Jean II changea le nom en Cap de Bonne Espérance ;
après quoi dix ans se passèrent à réfléchir, et ce ne fut ([u'en
1407 (lue Vasco de Gama doul.tla le cap.
Le bateau, sous le commandement de M. Young, quitta
l'Angleterre en mai 187o; arrivé à l' embouchure du Zambezi,
on en fit l'essai; pour remonter le Sliiré et ses rapides, on le
démonta. Young eut le boniieur de rencontrer la colonie des
Makololos de Livingstone, qui s'empressèrent de se mettre à
sa disposition; il employa pour le transport de ses fardeaux
800 hommes, auxquels il rend un excellent témoignage pour
leur énergie, leur persévérance, leui- fidélité pendant tout le
trajet, à travers des rochers, pai- des montées et des descen-
tes pénibles, avec une température de oO°, et pour le prix
minime de 4 mètres de calicot par homme; encore se noui--
rissaient-ils eux-mêmes. Le 12 octol-re IS'o, Vllala i-emonlé
se trouvait à l'extrémité sud du lac Nyassa.
Young prouva le chef Mponda toujours favorable à ses
desseins; malgré son goût prononcé pour l'ivresse et sa to-
lérance pour les marchands d'esclaves, Mponda permit aux
missionnaires de s'établir dans ses États. Seul un groupe d'A-
l'abes, sentant que l'i/fl/a serait l'instrument de la suppression
de leur trafic, n'accueillit pas cette permission avec joie. Mais
tout le reste de la population se montra bien disposé. Quinze
jours après avoir commencé la traversée des rapides, Young
eut la satisfaction de voir son bateau prêt à prendre son élan.
11 invita Mponda à s'y embarquer pour en faire l'essai, mais
il n'y eut pas moyen de l'y déterminer. Quant à la population.
1 1() BULLETIN.
elle accompagna de toute sa sympathie chaque mouvement
du hateau sur le lac. Young trouva au Cap Madear une
grande abondance de bois précieux, une population énorme,
un bon mouillage, une contrée salubre, tout autant de condi-
tions favorables poui" le commerce; il faut > ajouter encore
des matières premières rechercliées, (.les métaux, des gom-
mes, du coton, de l'ivoire, de la cire. etc.
Il fit deux excursions, en octobre et en novembre: l'une à
rembouchure du Loangwa, avec les missionnaires qui, tout
savants ecclésiastiques qu'ils sont, n'en sont pas moins des
hommes pratiques, l'un mécanicien, l'autre agriculteur, un
troisième menuisier, en un moi, des hommes foit utiles pour
l'établissement d'une station. L'un d'eux, M. Hendei"son, a
fondé une succursale de la station principale à l'embouchure
du Loangwa, où les Arabes ont leur principal marché à es-
claves. Ils lui ont paru mornes et abattus, comme des gens
qui sentent que leur sort est décidé.
Dans la seconde excursion, Young a découvert l'étendue
réelle du Nvassa. D'après Livingstone, il n'aui'ait eu que 75
lieues de longueur, d'après Young il en aurait plus do 100.
Cette prolongation vers le nord est d'une grande portée, car
elle se trouve l'approcher i)eaucoup ce lac du Tanganyika,
qui, de son cùté, doit aussi être prolongé vers le S.-E. au delà
{\e<: limites qu'on lui assignait d'abord. Le jour où, par des
vapeurs anglais, on dominera le Nyassa et le Tanganyika, on
étranglera le commerce des esclaves dans celte partie res-
serrée du continent africain.
Le Nyassa, à son extrémité septentrionale, recoit-il des tri-
butaires? Il ne le semblerait pas, d'après les observations de
Young, qui y a remarqué, il est vrai, des forêts de ri>seaux et
de papyrus, mais en même temps des eaux parfailemenl lini-
jiides.
Livingslone avait exploré la côte occidenlaU' du Nyassa;
PROCÈS-vifeBAUX. 1 1 7
Young (léciit la côte oiientale, dont il fait de splendides ta-
bleaux. Sur une longueur de 50 lieues s'étend une chaîne de
montagnes, dont les sommets ont une hauteur de 10,000 à
12,000 pieds au-dessus du lac, à ipioi il faut ajcuiter réléva-
tion du plateau au-dessus du niveau de la mer. Pendant la
saison df^^^ pluies, la heauté des montagnes est em-ore plus
grande; elles plongent dans le lac à pic, de sorte (pi'une ligne
de .sonde de 140 toises ne peut toucher le fond, et on les voit
alors ornées d'une multitude de cascades qui lomitent comme
une broderie de dentelle sur des parois de rochers surplom-
bant les Ilots du lac.
Dans quelques parties seulement Young n'a constaté que
10, 12 ou lo pitMls d'eau, et là il a trouvé tctute une série de
villages lacustres; dans l'un d'entre eux, il a compté une cen-
taine de cases. L'insécurité de ces lieux expliijue ces établis-
sements; dans une gorge de montagne, au nord des îles de
Likomo et de Chusamvolé, il a vu le sol complètement cou-
vert des ossements desséchés d'une peuplade détruite par les
Masiti, p.ourvoyeurs des traficfuants arajjes.
Le lac Nyassa est un lac de tempêtes; il y règne un vent
du nord furieux, souillant dans toute la longueur du lac, et
des torrents de pluie y tombent jour et nuit. En un seul jour
Young .s'est vu entouré d'une douzaine de trombes.
La colonie du Cap Maclear s'est développée : des maisons
nombreuses s'y sont élevées^ des chantiers pour la répara-
tion des barques y ont été établis, ainsi (pi'une canalisation
bien ordonnée pour mettre la colonie à l'abri des inondations
et en assurer la salubrité. Elle a reçu du renfort dans la per-
sonne de M. Stewarl, de Hopedale, qui en est aujourd'hui le
gouverneur.
A la séance de la Société de Londres dans laquelle M.
Young a communiqué les détails de l'installation, assistait l'è-
véque d'Edimbourg, dont le fils, M. Cotlerill, est en Afrique
118 BULLETIN.
pour pressentir la nature du commerce à établir pour faire
tomber la traite. Quoiqu'il fût appuyé par le gouvernement
(le Lisbonne, il a trouvé les fonctionnaires portugais mal dis-
posés à son égard; ils l'ont exploité de toutes manièi'es, l'ont
retenu li'ois semaines à Quilimané, puis quinze jours au
bord du Zambézi, lui ont fait payer un prix de location exor-
bitant pour un l)ateau, et 20 Vo *le droits d'entrée pour ses
marcliandises.
Le collège de Harrow, eu Angleterre, a donné à la mission
un bateau en acier qui a été récenimenl lancé sur le lac
Nyassa.
M. le professeur Cbaix passe aux explorations de M. Ers-
kine, de la baie de Delagoa à Sofala.
M. Erskine est le fils d'un fonctionnaire attaché à la colonie
de Natal. Il a visité les États d'Umzila, prince cafre, chef
d'une tribu très-puissante des Zoulous, tyran abominable,
dont la capitale est Gaza et dont le territoire s'étend de la
baie de Delagoa au Zambézi, embi'assant un total de lo,000
lieues carrées, la moitié de l'étejidue de la France. En août
1870, il envoya à la colonie de Natal un message pour enga-
ger le lieutenant-gouverneur Keate à lui dépêcher des An-
glais; son but était simplement de se procurer des cadeaux
sans les payer. Le gouverneui- jeta les yeux sur Ei'skine,
voyageur déjà éprouvé, mais il l'équipa pour son voyage
d'une manière mesquine, peu en rapport avec l'entreprise; il
lui donna deux Cafres Zoulous parlant anglais, un Hollentot
et un Français, M. Duljois, établi là-bas dans le commcrct'.
qui mil ses talents au service d'Erskine.
Les Portugais onl dans la baie de Delagoa un établissement
en décadence, à la tête duquel est un gouverneur avec une
garnison nègi'e; le gouverneur laissa débarquer Dubois avec
les marchandises, mais lefusa de recevoir Erskine. Il fallut
que ce dernier se conceitàl avec Dubois pour pénétrer i>ar
PROCÈS-VEIiPAUX. I lu
un autre point et essayer de se i-enconlrer sur les denu'it's
de l'élalilissement portugais. Erskine trouva de l'appui à in-
hamliané. Le commerce y a piis pied et y prospère; les mai-
sons s'y élèvent; les habitants, Cliobis ou Basica, sont indus-
trieux et ont du lioùt pour la musi(|ue. M. Erskine ([uitta
Inhanibaiié le 31 juillel 1871 et se dirigea vers le Limpopo.
où il trouva Dubois. Dans un trajel de 180 milles, il dit avoir
traversé trente rivières, sans compter les ruisseaux et tor-
rents. Le Limpopo avait été précédemment exploré à fond
par Erskine. Ce fleuve, de 400 lieues de longueur, pi-end sa
source sur des plateaux de 4000 à oOOO pieds d'élévation. La
vallée qu'il ai'rose est très-feitile ; la rivière, on partie navi-
gable, est interrompue par des rapides. Il ne faut lui deman-
der qu'un bon port à son embouchure; mais ici Erskine a
constaté quatre barres disposées parallèlement et qui pro-
duisent des brisants; il est vrai que chacune des barres a un
chenal navigable; malgré cela la navigation y est un peu dan-
gereuse, le passage étant difficile à trouver.
En janvier 1872, Erskine se mit en roule vers le territoire
d'Umzila, au nord, en traversant une région complètement
inconnue. L'itinéraire pour l'aller et le retour compte 1200
milles ou 400 lieues. Pendant la marche, il n'était pas possi-
ble aux voyageurs de voir à droite et à gauche de la route
l'espace d'une lieue; ils étaient toujours dans les broussailles.
Les résultats s'en ressentent nécessairement, mais pourtant
dans de certaines limites : Erskine pouvait être assuré, après
avoir traversé un district, qu'une grande montagne n'aurait
pu échapper à son observation.
La domination portugaise est bien peu de chose sur les
lieux ; elle ne s'étend que sur quelques maigres lisières des
côtes et au delà sont les abominables Zoulous, les vrais maî-
tres du pays. On y rencontre une race indigène de type bas-
souto. trè<-belle. d'un teint plus clair que les Zoulous, adon-
J20 BULLETIN.
liée à l'induslrie des loiles de coton, taisâiit de la musique
instrumentale, donnant même des concerts qui ne sont pas
dépourvus d'Iiarmonie.
Après quelques semaines de marche, Erskine traversa la
rivière Sabi et put, du liant d'une colline, examiner la vallée
qui était verdoyante. Ce cours d'eau n'est pas navigable; l'eau
n'a que deux pieds de profondeur. Son lit est bien de 1000
mètres, mais la rivière n'en occupait aloi's (jue 100 mètres;
le reste était à sec et il y avait beaucoup de sable.
Presque toute cette région est plate et dépourvue d'arbres;
les arbustes qui la couvrent gênent la marche. La tempéra-
ture était très-élevée; la dilatation de l'air produisait un cou-
rant ascensionnel, et un air plus frais arrivait de l'Océan. A
partir de JO h. du matin le ciel se couvrait de cumuli, qui,
sans laisser tomber sur la basse région une seule goutte de
pluie, allaient arroser la cliaîiie de montagnes situées à cin-
quante lieues de la côte.
L'insécurité de la contrée est telle que l'on ne rencontre
pas les villages là où se trouve de l'eau; on ne les trouve que
là où il n'y en a point. Les populations redoutent tellement
les tyrans zoulous qu'elles s'établissent loin des sources et
des rivières, et n'ont guère d'eau que celle de la pluie qui
tombe dans les creux des baobabs; ceux-ci fournissent d'as-
sez bons réservoirs, car on en voit qui oui (50 pieds de cir-
conférence.
De loin, Erskine put contempler les monlagnes où se
trouve la résidence d'Umzila; la coupe en est adniir.d)le; elles
forment un ainpliilhéâtre concentrique de chaînes, où circu-
lent mille cours d'eau limpide. C'est dans ce paradis ipiTm-
zila a établi sa demeure, dont Erskine ne put pas approcher.
Il lui fut permis de se construire une maison, mais à la con-
dition que ce serait sur un terrain plus bas (|ue le village
ro\al. Les voyageurs passèiciit trois ukms et demi à la belle
PROCÈS-VERBAUX. 12!
étoile. Eiskiiie profila de ce temps poui' exploiei- les monta-
gnes, dans lesquelles il trouva (\e& traces volcaniques, des
porphyres, des basaltes, etc.
Pour le retour, il se dirigea vers le Limpopo, (pi'il suivit
jusqu'à la rencontre de la rivière Oliphant, qm vient de la
Répuijlique du Transvaal. En arrivant à Natal, le wagon qui
portait ses notes et ses cartes eut à travei'ser une rivièi'e dé-
bordée, où il perdit une bonne partie des indications re-
cueillies dans le cours de son voyage.
En somme, le résultat n'est pas encourageant. Sans doute
le sol produit des bois précieux, beaucoup de gommes, des
lianes à caoutchouc, des arbres fournissant des boissons pé-
tillantes analogues au Champagne, des graines, des farine*
succulentes ; mais le progrès des missions auprès des Bas-
soutos a rencontré des obstacles sérieux dans les procédés
barbares des Boei-s hollandais du Transvaal à l'égard des
Cafres indigènes, et spécialement vis-à-vis de ceux qui avaient
embrassé le christianisme. Souvent les missionnaires ont fait
appel à l'Angleterre, qui a fini par s'en mêler, parce que sous
le règne des Boers, les trois quarts des nouveaux colons
étaient des Anglais. Le 12 avrd 1877, sir Theophilus Sheps-
tone, le commissaire de Port-Natal, a apporté une menace
d'intervention si les habitants ne s'annexaient pas volontaire-
ment à la domination britannique.
La baie Delagoa est une admirable position navale; il y a,
comme on l'a vu, une station portugaise; le mouillage est
très-bon. La baie est grande et les Anglais en avaient occupé
un point; mais les Portugais ont protesté, et ont réclamé
l'arbitrage du maréchal de Mac-Mahon, qui a décidé la ques-
tion en leur faveur, en sorte qu'aujourd'hui toute la baie leur
appartient. Erskine espère qu'elle passera entre les mains
de la race anglo-saxonne.
M. Ghaix pense qu'il est heureux que l'Angleterre, qui s'est
BCLLETIX, T. XYI, 1877. 9
122 BULLETIN.
si longtemps interdit les annexions lorsqu'elles auraient eu
pour conséquence la protection des races inoffensives de l'A-
frique, finisse par s'en accorder une à elle-même, quelque
étrange que cela puisse paraître, au moment où elle semble
s'apprêter à s'opposer par les armes aux annexions que la
Russie pourrait se permettre, dans l'intention analogue de
sauver de la destruction les races slaves et chrétiennes de la
Turquie.
La Société témoigne à M. Cliaix, par ses applaudissements,
l'intérêt avec lequel elle a suivi ses deux communications, et
M. le Président lui adresse les remercîments les plus sincè-
res au nom de tous les membres présents.
SÉANCES EXTRAORDINAIRES
Fondation du Comité national suisse de
l'Association internationale africaine
Séance du 23 avril 1877, à 7 heures du soir.
Présidence de M. H. Bouthillier de Beaumont.
M. le Président, donne la parole à M. le professeur de La-
harpe qui remercie clialeureusement les adhérents venus de
loin et de près, dont la présence réjouit les memhres de la
Société de Géographie. L'œuvre à latpjelle nous voulons
concourir l'épond aux goûts philanthropiques en même
temps qu'aux goûts scientifiques. Les vues de tous pourront
être présentées demain. M. de Laharpe exposera ce soir le
sujet dont il s'agit, mais auparavant il rend hommage à S. M.
le roi des Belges qui a discerné une œuvre à accomplir dans
un vaste champ, et y apporte toutes les vertus d'un cœur
généreux. Les paroles de M. de Laharpe sont accueillies
par de chaleureux applaudissements.
Il passe ensuite à la lecture de son Mémoire sur l'Afrique
centrale, où il a très-hien groupé l'histoire des explorations
aux diflérents siècles^ les problèmes qui sont à l'étude, et en
particulier celui de la traite et des moyens à employer pour
atteindre le but que se propose la Commission internationale
issue de la conférence de Bruxelles (Voir aux Mémoires).
L'assemblée témoigne par ses applaudissements la recon-
naissance qu'elle éprouve pour M. de Laharpe, que M. le
Président remercie d'une manière très-sentie.
Après quoi, l'assemblée se transporte chez M. le Président
pour y passer la soirée.
124 BULLETIN.
Séance du 24 avril 1877, à 9 heures du matin.
Présidence de M. H. Bouthillier de Beaumont.
M. le Président de la Société de Géographie ouvre la
séance en souliaitanl la bienvenue à MM. les adhérents à
l'oeuvre scientifique et pliilaiithtopique que poursuit l'Asso-
ciation internationale, et qui ont accepté de faire partie du
Comité national pour la représentation de la Suisse.
Il les l'emercie de ce qu'ils ont bien voulu répondre à
l'appel que la Société de Géographie de Genève a adi'essé en
Suisse à tous ceux qui s'intéressent non-seulement au dé-
veloppement des connaissances géographiques relatives à
l'Afrique centrale, mais aussi et surtout aux progrès de la
civilisation dans ces régions inexplorées.
Après avoir retracé en (juelques mots les tj-avaux et le
résultat des Conférences de Bi'uxelles, présidées par S. M. le
Roi des Belges, et expliqué la formation de l'Association
internationale pour l'exploration et la civilisation de l'Afrique
centrale, M. le Président demande à l'assemblée de bien
vouloir procédei' à la constitution du Comité national suisse.
Mais auparavant il annonce que le nombre des adhérents,
d'après les listes déposées sur le bureau, s'élève déjà à plus
de MO, et fait part des regrets de plusieurs d'entre eux de
ne pouvoir assister à la séance de ce jour. Gilons MM. Aveu,
de Neuchàtel; Edmond Boissier, de Genève; F. Forel,
professeur à rAcadémie de Lausanne; Jules Grandjean,
colonel; Aimé Hu.mbert; Mousson, professeur à Zurich;
Eugène Renevier, professeur à l'Académie de Lausanne.
Le iu)mbre des adhérents présents est de i.'J; ce sont :
M. 11. B. de Beaumont, président de la Société de
Géographie;
PROCÈS-VERBAUX. 12^
MM. Eug. DE BuDÉ, anc. président de la Société genevoise
d'Utilité publique :
Clément ;
Alexandre de Dardel ;
Eug. Delessert, professeur, à Lausanne ;
L. Dubois, ancien pasteur ;
Ch. Fauke, ministre, secrétaire de la Société de
Géogi-apliie de (îenève ;
A. Freundler, pasteur, président central du Glul)
alpin suisse;
L.-Th. Ghyka;
H. DE Laharpe, professeui- de théologie, vice-prési-
dent de la Société de Géographie;
Ale\. Lombard, président de la Société pour la sanc-
litication du dimanche, vice-président de la Société
de Géographie;
P.-A. Mevlan;
MuLLHAUPT DE Steiger, géographe ;
Phil. Privât, professeur;
de Riedmatten. pi'ofesseur, à Sion ;
L. Rivier, ingénieur et ancien professeur à l'École
spéciale de Lausanne ;
Ch. Rivier, pasteur, à Genève;
G. ROUGHTON ;
L. RuFFET, pasteur, à Genève ;
G. Sarasi.n ;
L. Séné, professeur au Gymnase de Genève;
ïh. Studer, prof, de zoologie à l'Université de Berne ;
Ernest de Traz, secrétaire de la Société de Géographie
de Genève.
Après délibération, il est arrêté ce qui suit :
Art. 1". — Les adhérents suisses aux résolutions . de
Bruxelles se réunissent en Société générale pour constituer
126 BULLETIN.
le Comité national, qui doit repi'ésenter la Suisse pai- ses
délégués à la Commission internationale de Bruxelles.
Art. 2. — Les membres présents à cette séance constituent
et fondent le Comité, chargé de poursuivre, en ce qui le con-
cerne et dans les limites de la Suisse, l'exécution du pro-
gramme de la Conférence internationale, en vue de l'explo-
ration et de la civilisation de l'Afrique centrale.
Soit : A. Vulgariseï- en Suisse, par la parole et la presse,
les connaissances de toute nature se rapportant au but que
l'Association internationale a en vue ^
B. Organiser une souscription nationale et centraliser les
ressources de toute espèce, qui seront mises à sa disposition
pour l'exécution du programme international.
Art. 3. — Le Comité nomme, dans ce but, parmi tous les
adhérents, son Bureau, composé d'un [)résident, de vice-
présidents, en nombre qu'il jugera convenable, d'un secré-
taire général et d'un Irésoriei-.
il choisit dans son sein ou en dehors deux délégués, pour
le représenter à la Commission internationale.
Les fonctions des membres du Comité et celles des
délégués sont honorifiques et annuelles.
Ces articles, votés chacun en particulier, sont adoptés dans
leur ensemJjle ; et, sur rol)servatioii (jue ces statuts étaient
peu développés, il a été entendu qu'ils seraient revisés et
développés à la prochaine réunion du Comité.
Le Comité passe ensuite à la nomination des nieuiltres de
son Bureau . — Sont élus :
('omme Président :
M. H. B. DE Beaumont , président de la Société de
Géogi'apbie.
Comme Vice-Présidents :
M. Ad. CuRisT, ancien conseiller d'Étal, à B;Ue;
' Voir le Globe, I" livraison, 1877, Bulletin, p. :î8 sv.
PROCÈS-VERBAUX. 127
MM. Alexandre uk Dardel, à Vigier, près St-Blaise,
Neucliâtel;
Alb. Mousson^ professeur de pliysique, à Zurich,
(Hottingen) ;
Th. Studer, doct. et professeur de zoologie, à Berne.
Comme Secrétaii-e généi-al et Trésorier :
M. Eug. Delessert, professeur, à Lausanne.
Enfin, comme Délégués du Comité National Suisse :
MM. Ed. Desor, professeur de géologie, à Neuchàtel ;
(iustave MoYMER, président du Comité international
de la Croix-Rouge.
L'assistance vote ensuite des remercîments hien mérités à
la Société de Géographie de Genève, qui a pris en Suisse
l'initiative de cette œuvre humanitaire, ainsi qu'à M. H. de
Beaumont, son président, pour toute la peine qu'il s'est
donnée à cette occasion.
Enfin, M. L. Dubois, ancien pasteur, attire l'attention sur
un nouvel ouvrage (The lost continent, « Le continent perdu,
etc. »), aussi exact qu'intéressant, dû à la plume de
M. J.CooPER, et accompagné d'une préface par M. Laboulaye.
Il en recommande la lecture à Messieurs les membres de
l'Association internationale, ainsi qu'à toutes les personnes
qui tiennent à être renseignées sur ces vastes contrées encore
si peu connues du continent africain, en particulier sur ce
qui concerne le trafic des esclaves.
Après ces votations et ces nominations, Monsieur le Pré-
sident exprime aussi ses vifs remercîments à l'assemblée
pour la constitution de cet important Comité et pour sa no-
mination comme Président ; puis il lève la séance.
Genève, le 24 avril 1877.
Le Président,
H. BOUTHU.LIER DE BeAUMOxNT.
Le Secrétaire général,
Eug. Delessert, prof, à Lausanne.
COMESPOIfDANCE
Lettre de M. Largeau, adressée d'Afrique
à M. le Président de la Société.
Touggourt, le 17 avril 1877.
J'ai l'honneur de vous informer que j'ai quitté
BIskra le samedi 24 mars pour me rendre à Touggourt, où
je suis arrivé le mardi 3 avril, à 8 heures du matin.
C'est au caravansérail d'Ourghlana que j'ai reçu, le IM
mars, grâce à la sollicitude de l'agha Ben Driss, de Toug-
gourt, la dépêche de M. Mannoir, m'annonçant que M. le
ministre de l'Instruction publique venait d'accorder à la So-
ciété de Géographie un subside de fr. 10,000, dest-né à con-
tribuer aux frais de mon voyage. Cette nouvelle est venue
couper court à mes inquiétudes. .le puis marcher maintenant
sans crainte ; l'exécution de la première partie de mon
voyage est assurée, et j'ai le meilleur espoir pour l'autre.
Je remercie particulièrement M. Waddington pour sa gé-
néreuse résolution; mais MM. Ménier, le baron Reille,
Mannoir et Duveyrier, qui ont bien voulu se chargei' de faire
les démarches auprès de M. le ministre, ont aussi droit à des
remerciements et à ma reconnaissance. Je ferai en sorte que
ces Messieurs puissent se féliciter un jour de la confiance
dont ils m'ont honoré.
Vous savez sans doute déjà (pie, peu de jours avant mon
<léparl de IJiskra, j'ai reçu une somme de fr. 2,500 de
CORRESPONDA.NCK. 12Î)
M, Gustave Revilliod, de Genève, dont la l)ienveillanie amitié
m'a été si précieuse dans ces dernières années.
D'autre part, M. le gouverneur général, répondant à quel-
ques plaintes que j'ai peut-être formulées d'une façon un peu
vive, m'a envoyé par l'inlermédiaire de M. le Commandant su-
périeur du cercle de Biskra une dépêclie datée d'Alger, i'\
avril, que j'ai leçue hier soir par courrier spécial, et dont
voici quelques extraits :
« La lettre (Vuman poui' Bou-Kliaclieba était déjà expédiée
à l'agha Ben Diiss par la Division de Constantine. Qui aviez-
vous prévenu des engagements que vous aviez pris avec
Kaddour-l)en Mouïssa, et qui s'oppose à ce qu'il vous accom-
pagne au Touàt ? Je ne puis admettre qu'on cherche à faire
échouer votre exploration, alors qu'ici on vous aide et on
vous fait bon accueil.,.. Du côté de l'administration, rien ne
peut motiver un retard pour ce (jue vous voulez entre-
prendre. Des ordres ont été donnés à Ouargla pour que
Moussa vous suive et pour qu'on facilite votre exploration
jusqu'aux limites de notre action effective. Je mets oOO francs,
qui me restent, à votre disposition. L'agha Ben Driss pourra
vous les avancer. » — (J'ai déjà reçu fi". 1000 de M. le gou-
verneur général.)
En arrivant à Touggourt, j'ai reçu comme de coutume
l'hospitalité orientale, dans la plus large acception du mot,
chez mon ami l'agha Si Mohammed-ben Driss ; j'attends chez
lui l'envoi des fonds ministériels pour continuer mon voyage.
11 fait encore très-bon dans le Sahara; la températui'e
atteint à peine 30° C. à l'ombre; le 4 avril seulement elle a
atteint 33" C. ; mais c'était unjour desimoum. En somme, on
peut encore faire de très-bonnes étapes sans trop de fatigue.
En traversant l'Oued Rirh, j'ai pu me rendre compte des
immenses progrès réalisés dans cette contrée, à la suite des
sondages exécutés dans ces dernières années par MM. les
130 BULLETIN.
lieutenants de Lillo et Boiirot. Je prendrai comme type de
comparaison l'oasis d'Ourghlana, dont la ruine, pour cause
de manque d'eau, était imminente. Or, depuis trois années à
peine, mais surtout depuis le dernier sondage exécuté par
M. de Lillo au-dessous du caravansérail, plus de dix hectares
de désert ont été mis en culture. Lk où le sol ne nourrissait
autrefois que quelques mauvais arlnistes, l'œil embrasse au-
jourd'hui une immense étendue de luxuriants jardins, com-
ptantes de palmiers, de figuiers et d'autres ai-bres fruitiers ;
des champs d'orge al»ondamment irrigués, s'étendant au-
dessous du vieux bordj démantelé qui couronne le sommet
de la colline, en un large tapis de verdure d'un aspect si
agréable à la vue, que du point élevé où je me trouvais il
me semblait contempler l'une de ces riches prairies fertilisées
par les limons de nos grands lleuves. — Encore un petit
effort ; encore deux ou trois puits, et les oasis de Zaouia,
d'Ourghlana et de Djamà, n'en formeront qu'une seule,
s'étendant du nord au sud sur une longueui- de huit i^ilo-
mèh'es.
Je vous envoie deux vues de puits artésiens. La première
est celle d'un des puits d'El Mi'aver^ oasis située à trois jour-
nées de marcbe au sud de Eiskra; ce puits, exécuté jtar
M. le lieutenant Bourot, a nécessité huit jours de travail ; sa
profondeur est de 47 mètres, et son débit, de 1500 litres à la
minute.
La seconde vue est celle du puits creusé en 1874 par M. le
lieutenant de Lillo au-dessous du bordj d'Oui'gblana, à cinq
journées de marche au sud de Biskra et à deux journées de
inarclic au nord do Touggourt. Son délùt est de 4000 litres à
la minute.
On pourrait ainsi, en établissant dans l'Oued Hirli deux ou
ti'ois ateliers de sondage, transformer en peu de temps d'im-
menses étendues de d«'serl eu coiilrées riantes et feitiles.Le^
CORRESPONDANCE. 131
Rourlia ', mul;U^e^^ laborieux et durs à la fatigue, ne deman-
dent que de Teau pour étendre le champ de leurs cultures,
et pour transformer leur pays, autrefois si pauvre, si troublé,
en une des plus fertiles et des plus riches contrées de
l'Afrique. L'énorme quantité d'eau qui descend des plateaux
du Sahara central circule en une large nappe souterraine, et
si Ton juge delà quantité du débit qu'elle pourrait donner à
la largeur de son ancien lit, dont Tœil peut suivre la ligne
blanche au delà et à l'est de l'oasis d'Ourghlana. il est certain
(pie Ton peut pratiquer des sondages à l'infini.
Malheureusement, l'unique atelier destiné à fonctionner
cette année dans ces contrées vient seulement d'arriver à
Sidi-Sliman, non loin de Touggourt, où M. Bourot, qui le
dirige avec une intelligence et un dévouement dignes des
plus grands éloges, aura à peine le temps de creuser un
puils avant la saison des fortes chaleurs et des fièvres, qui va
commencer dès le moisprocliain.
Dès mon arrivée dans ce pays j'ai recommencé mes obser-
vations sur la marche envahissante des sables, du sud-est vers
le nord-ouest, et comment se forment les dunes autour de
cei'tains obstacles, dont les plus puissants sont, sans nul
doute, les végétaux et l'humidité. A l'appui du système de
formation des dunes que j'ai développé dans mon ouvrage
Le Sahara, et auquel système je ne vois, jusqu'à présent, au-
cune rectification à faire, je vous envoie une épreuve photo-
graphique faite avec l'appareil Dubroni, et représentant une
montagne de sable envoie de formation autour d'un bosquet
de palmiers, tout près de l'oasis de Touggourt, dont retendue
était autrefois bien plus considérable qu'aujourd'hui.
Il est bien certain, n'est-ce pas, qu'à l'époque où ces pal-
miei's ont été plantés, il n'existait point de dune à cet endroit ?
— Il est tout aussi cei-fain que ces palmiers n'ont pas été
* Nom (pluriel) des habitants de l'Oued Rirh. — {Eéd.)
132 BULLETIN.
plantés siii- une colline de pierres, mais Ijien au milieu d'une
surface plane, afin que l' irrigation fût possible, et dans une
couche d'argile d'une certaine épaisseur. Il faut donc que les
sables qui se sont accumulés autour d'eux au point de former
une dune qui a déjà 8 mètres d'altitude aient été apportés ?
Or, ils l'ont été en efïet, par les vents du sud-est; FetTet se
continue, et la dune continue de grossir jusqu'à ce que les
vents ne charrient plus de sables, c'est-à-dire jusqu'à ce que
le foyer d'alimentation soit éteint.
Ce qui se passe ici s'est passé de même dans le Zemoul-
Akbar, où l'altitude des dunes varie entre 100 et oOO mètres.
C'est ce sable charrié par les vents qui a contribué au dessé-
che'tnent superficiel des grands fieuves en comblant partielle-
ment ou complètement leurs lits.
Quant aux preuves d'existence, dans di'^^ temps reculés,
d'une population assez dense dans les contrées (pii loi-menl
aujourd'hui le Grand-Désert, il n'est pas impossible de les
fournir. Les instruments en silex que j'ai trouvés dans une
ile de Tlgliarghar et dont je n'ai pas fait mention dans mon
ouvrage, l'existence d'instruments de ce geni-e non loin
d'Ouargla et l'existence d'autres dépôts qui viennent de m'être
signalés dans le bassin de l'Oued Miâ, me confirment dans
cette idée. Du reste, croyez que je dirigerai mes recherches
de façon à jeter, autant f|ue possible, quelque lumière sur
cette importante (piestion.
M. Say et ses conqjagnons sont arrivés hier soir d'Ouargla;
lout le monde était en parfaite santé.
Il paraît que le premier essai commercial n'a pas été très-
brillant. Il est vrai ipie la saison avait été assez mal choisie.
Cependant je suis convaincu ijuc si ces Messieurs avaient pris
Touggoui't comnK^ centre d'aclion, ils seraient ari'ivés tout
d'abord à de meilleurs résultats.
Oiiaritla est en elTet un icntre ruiné. aband(uiné des cara-
CORRESPONDANCE. 133
vaneSj qui n'offre pas les ressources de Touggourt, centre
encore très-commerçant, puisiju'il est le rendez-vous des
négociants tunisiens, mzajjites, etc., et que l'on \ trouverait
de suite, comme premier aliment, le commerce des grains,
des dattes, des laines, des tissus, des liqueurs, etc. Peu à peu,
lorsque les grandes caravanes du Soudan commenceraient
d'arriver, il sei-ait facile de s'étendre et d'établir à Ouargla
une succursale qui ne pourrait manquer de prospérer. A
mon avis, on met la cliarrue devant les bœufs. Cependant il
peut se faire qu'on réussisse là-bas, mais à la condition de
sacrifier beaucoup de capitaux, 'et c'est cette alternative que
j'ai toujours redoutée.
Quant à ces Messieurs, ils sont très-décidés à renouveler
leuj" tentative en automne et à la continuer en hiver, saisons
autrement favorables que celles qu'ils ont choisie pour dé-
buter.
.le ne dois pas oublier que le init de MM. Say, Crespel,
Caillot et Fourreau est, en somme, le même que je poursuis
depuis plusieurs années, et que c'est à la suite du voyage
(ju'il a fait avec moi que M. Say s'est mis à l'œuvre.
Nous voici maintenant tous réunis à Touggourt, ferme-
ment l'ésolus à nous prêter un mutuel appui pour arriver au
JHit, (pii est: bien faire connaître aux Français de la métropole
notre belle et chère Algérie, et pousser à son développement
commercial en lui traçant des routes à travers le Sahara
jusqu'au pays des nègres, — Que Dieu nous soit en aide!
19 avril. — Je suis allé hiei-, avec l'agha, M. Say et plu-
sieurs cavaliers, accompagner MM. Caillot, Crespel et Foui-
reau jusqu'à l'oasis de Sidi-Sliman où nous avons donné le
premier coup de sonde au puits artésien d'Aïn-Tharfa, que
M. Bourot allait justement commencer.
Conduits par le cheikh, nous nous sommes ensuite pro-
menés dans l'oasis où nous avons constaté les heureux résul-
134 BULLETIN.
tats produits par le sondage exécuté il y trois ans par M. de
Lillo, et dont le débit est de 3000 litres à la minute. Dans de
vastes jardins al>ondamment arrosés, nous avons admiré de
belles plantations de jeunes palmiers de l'espèce appelée
Deglel-Nour, dont les régimes dorés se montrent déjà entre
leurs palmes flexibles ; entre les palmiers, des figuiers chargés
de fiuit, et des ceps déjà couverts de raisins en Heurs, se
soutenant aux troncs des liguiei's et des grenadiers, dont les
fleurs rouges ont peine à percer ce flot de verdure; puis,
partout, aux alentours, des champs d'orge en épis, qui font
l'orgueil et la joie des propriétaires ; car ce n'est que
depuis quelques années que l'abondance de l'eau leur permet
de cultiver cette céréale, qui auparavant leur arrivait du Tell
à grands frais.
Après cette promenade, un repas champêtre, dont les
honneurs ont été faits par M. Bourot, a été d'autant mieux
goûté que la chevauchée du matin et la promenade sous les
palmiers avaient singulièrement développé l'appétit de cha-
cun.
y\M. Caillol, Crespel et Fourreau ont ensuite pris la route
de Biskra, tandis que M. Say reprenait avec nous la route de
Touggourt;, d'où il compte retourner bientôt à Ouargla.
Quant à moi, je quitterai également Touggourt dès que
j'aurai reçu les fonds du ministère. Je me rendrai ensuite à
Ouargla, d'où. ... ? — Dieu sait le reste !
V. Largeau.
BIBLIOGRAPHIE
Notices bibliographiques.
(Par ]M. Alf. Piotet.)
Rapport sur les Résultats d'observations météorologi-
ques faites par le Col. Ward à Rossinières (Vaud), de-
puis le mois de novembre 1873 jusqu'à la lin de 1875.
— Extrait du Journal de la Société météorologique de Lon-
dres, n" de janvier 1877.
L'altitude de la station de Rossinières est de 2980 pieds au-
dessus du niveau de la mer, soit de 1750 pieds au-dessus du
lac de Genève, et les instruipents, baromètres, thermomètres,
pluviomètres, étaient placés dans un jardin à 200 pieds envi-
ron au-dessus du bassin de la Sarine.
La moyenne de température pour les deux années 1874 et
1875 a été (nous réduisons Fahrenheit en centigrades) de
()°,33 pour la première année, et de 6°,39 pour la seconde.
La plus haute température a été de 31°,66 le 3 juillet 1874,
et de 29°,44 le 18 août; la plus basse a été de — 20° le
24 décembre 1874, et de — 2r,65 le 1^' janvier 1875.
Les seuls mois entièrement exempts de blanche gelée ont été
ceux de juin,juillet et août, et pour 1875, celui de septembre.
Outre d'autres détails plus circonstanciés sur ditïérenles
moyennes de température considérées d'un mois à l'autre,
l'observateur donne des tableaux explicatifs contenant les
indications du baromètre, et les moyennes de l'humidité, de
la fréquence des nuages, des vents régnants, et de la pluie
reçue pendant les deux années en question.
Les vents prévalant à Rossinières sont ceux du N.-E. et
I3() BULLETIN.
(lu S.-O., .soiifflaiil alternativement pendant un très-long
temps de suite. L'absence de vent en hiver y rend le froid
moins sensible qu'on ne s'y attendrait d'après l'altitude de
cette station.
La liauteur totale de l'eau tombée a été poui- 1874, de
l^^^TSV, et pour 1875, de l'",4190. Les mois de la plus abon-
dante pluie sont ceux de juillet et novembre, et ceux de la
plus faible, févi-ier et mars.
Le nombie d'orages accompagnés de tonnerre a été de 45
en 1874, de 43 en 1875, le mois de juillet étant celui qui en
a le plus, et répotjue de décembre à mars en étant complète-
ment exempte.
M. Pictet ajoute quelques mots sur le ti'oisième volume du
Releié géographiqne et géologique des États et territoires des
États-Unis, situés à l'ouest du 100""^ méridien, par le lieute-
nant du génie G. -M. Wiieeler. Ce volume, envoyé en don
par l'auteur, s'occupe spécialement de la géologie et de la
minéralogie ; il rend compte des explorations exécutées de
1871 à 1873 dans les États ou territoires de Nevada, Utali,
Californie, Arizona, New-Mexico et Colorado. L'auteur expose
les ressources agricoles et minérales de ces contrées, la com-
position géologique du sol, la distribution des eaux, la struc-
ture des chaînes de montagnes, etc.
Ce beau volume est accompagné d'un certain nombre de
planches héliogi-aphiques représentant les points les plus re-
marquables par leur aspect ou leui- caractère géologique.
(Par M. Metchnikotf.)
Bulletin de la Société géographique russe (publié sous
la (Hrection de M. V.-.I. Srezniewskv). — Vol. XII, n" 0,
7 février 1877.
Le général v. Kaufniann, gouverneur du Tinkcslan, télé-
graphie en date du ^1 déicuilMT ;2 janvier, (juc M. N.-M.
BIBLIOGRAPHIE. 137
Przévalsky, aiiivé à Korlé, y a élé très-bien accueilli par les
Kachgariens. Il se dirige vers le Lob-Nor.
M. G.-N. Potanin, écrit au vice-président de la Société :
« Le 20 août, nous (piittàmes la ville chinoise de Bulun-
Tohoï et, en suivant la rive droite du lac Ulun-gur, nous ar-
rivâmes, après 9 jours de marche, au rocher de Touet sur le
fleuve Kran, à 12 kilomètres du Couvent de Chara Sumé, ré-
sidence de Tsagan Guygen. Nous traversâmes l'Irlycii-Noir à
Durbeldjin La vallée du Kran est toute cultivée par les
Olutes et les Kirghizes; elle est le grenier de ces pays et les
habitants des provinces orientales de l'Altaï méridional vien-
nent faire ici leur provision de céréales...
La montée de l'Altaï, en suivant le sentier de Kandagataï,
est très-difficile, et nous lui avons préféré le chemin de Ur-
mogaïta (9000 pieds au-dessus de la mer) qui est libre de
neige dans cette saison. En hiver cependant cette route n'est
guère praticable et les communications entre Bulun-ïohoï et
Kobdo ne sont possibles alors que par la route militaire de
la vallée de Bungun. . .
... La pente sud du mont Altaï est généralement riche en
terrains sédimentaires et elle est aussi la plus boisée. Au pied
du col Urmogaïta, à l'E., nous trouvâmes le lac alpestre Dann-
Kul. Ici nous vîmes les^ùeïquiémigrèrent de l'O. il y a sept
ans. A Tal-Nor, à trois jours de marche de Kobdo, nous vî-
mes les derniers Kirghizes. — Le pays à l'E. du col Urmo-
gaïta est un plateau élevé et onduleux, qui s'abaisse vers l'E.
en formant deux tranchées, séparées par des rangées de mon-
tagnes dont le Diéliun (10,000 pieds) est la plus élevée. Nous
atteignîmes Kobdo le 4/1(5 octobre. »
Les explorateurs firent une riche collection ornithologique ;
ils déterminèrent la latitude de trois points entre le fort Zaï-
san et Kobdo, et exécutèrent la mensuration de plusieurs hau-
BDLLETIN, T. XVI, 1877. 10
138 BULLETIN.
leurs. — Ils se dirigent, vers Cliami, où ils comptent passer
l'hiver.
Voici (juelques extraits de notes adressées des régions
équatoriales par M. Mikluho-Maklay :
7 et 8 mars. — Ile Guebi, située presque sous la ligne. Ri-
che végétation; — collines L'intérieur en est désert. Les
habitants des côtes principalement Papouas ; aussi quelques
émigrés de Tidor et Halmagera. Comme aux îles Seram-Laut,
j'ai vu ici des enfants de mères papoua et de pères malais :
ils ont les cheveux plats et le crâne très-brachycéphale...
13 mars. — Iles Freval ou S*-David (gi-oupe Pegan) : six
attoles couronnées de quelques cocotiers. Une de ces îles est
habitée par un trader qui fait la provision de kobra * pour le
compte de Godefroi et C'% de Hambourg. — Gerland (dans
Waitz-Gerlandsche Anthropologie) considère ces îles comme
faisant partie de la Micronésie... Les enfants du trader an-
glais ont tous le type de leurs mères micronésiennes ; leur
peau est cependant un peu moins foncée et leurs cheveux
ont des nuances ijlondes.
25 mars, — Groupe Auropic : Trois îlots bas. Les habitants
ne sont pas très-foncés (n" 37 des tables Brocca); cheveux
crépus formant comme un bonnet. Leurs oreilles ornées
d'une profusion de garnitures en écaille de tortue el de co-
quilles de diverses couleurs. Les bras, au-dessus et au-dessous
du coude, tatoués en forme de bracelet; une feuille ou une
fleur dans le nez, une crête dans les cheveux et un pagne au-
tour des reins complètent leur toilette. — Caractères non
équivoques de sang papoua. La plupart de ces habitants vien-
nent ici des îles Wuap ou Yap pour se procurei" les gan, c'esl-
à-dire les coquillages qui y sont fort estimés et servent ^W
monnaie pour les tnmsactions entre les chefs {\q^ tribus, qui
ont le monopole de ces bijoux naturels.
^ Noix de coco desséchée.
BIBLIOGRAPHIE. 139
27 mars. — Groupe Ulili, Maguemot ou Mackenzie : vingt
attoles dont les habitants sont identiques à ceux de l'île Wuap.
28 mars. — Ile Wuap ou Yap (appelée aussi Pelu ' Lekop
par les indigènes): Deux petits îlots, Uromon et Moli, se trou-
vent près de l'extrémité N. de l'île principale. Deux baies as-
sez profondes, l'une au N. et l'autre au S., n'étant séparées
que par une petite isthme, donnent à cette île la forme d'un
X iirégulier. Quelques collines, généralement dénudées, foi-
ment un paysage assez varié...
De l'île de Wuap l'explorateur russe se dirigea vers l'ai-
chipel Pelau, où il fit une collection anthropologique et re-
cueillit quelques spécimens de l'écriture idéographique indi-
gène.
M. Mikluho-Maklay est indigné des injustices que les trafi-
quants blancs commettent dans ces parages, et il promet à ce
sujet un rapport très-détaillé.
Aux îles de l'Amirauté, il signale une particularité anato-
mique des habitants (mélanésiens) : elle consiste dans la lon-
gueui- démesurée des dents des deux mandibules, qui aug-
mente le prognathisme du crâne.
A l'archipel Ninigo, ou de l'Échiquier, le voyageur a été
étonné de trouver une population entièrement micronésienne
entourée de toutes parts par les mélanésiens.
Le 17 juin il quitta Ninigo pour revenir, après 3 années et
demie d'absence, à la côte qui porte son nom. Les indigènes
lui firent un accueil « plus qu'amical ...» Y ayant construit
une maison assez confortable, connaissant la langue du pays
et ayant su s'attirer la confiance des habitants, M. Mikluho-
Maklay espère avant peu arriver à quelques résultats impor-
tants dans la direction qu'il s'est déjà tracée lors de son pre-
mier séjour sur cette côte. — Il se plaint de nombreuses dif-
ficultés qu'il a subies dans son voyage depuis Java...
» Pelu = ?fe.
140 BULLETIN.
M. Voïeykolï communique, par une lettre adressée au ba-
jon T. -P. Osten-Saken, quelques détails sur son voyage au-
tour du monde. Il a fait une excursion pleine d'intérêt dans
le nord du Japon et a parcouru la partie méridionale de l'ile
de Yéso, jus{|u'au grand village de Youran. 11 promet des
communications intéressantes sur les Aïnos.
Ce numéro contient aussi :
Une communication de M. Helmerssen sur la « Découverte
de la terre de Wrangel. »
« Les résultats d'un nivellement géographique fait sur la
glace entre Kronstadt et la côte d'Oranienbaum, » par M.
A. -A. Tillo.
Enfin, une lelation de iM. Starilzky de la « Croisière du
VsadiUk,» dans laquelle on remarque surtout les travaux géo-
désiques du lieutenant Onacevicz dans plusieurs localités du
Nord-Pacifique.
MELANGES ET NOUVELLES
Lithologie du fond des mers
Par M. Delesse, professeur en chef des mines, etc.
Ouvrage publié sous les auspices de M. le ministre de la marine et
de M. le ministre des travaux publics.
Dans la préface de cet important ouvrage, M, Delesse, l'é-
minent professeur de géologie à l'École normale, retrace les
nombreuses sources auxquelles, depuis de longues années, il
est venu puiser des données certaines sur le grand sujet
qu'il traite. Il pas.se en revue les nombreux travaux auxquels
il .s'est livié lui-même, et fait connaître les noms des savants,
géologues, marins, ingénieurs, cbefs des travaux publics,
auxquels il doit une aide efficace dans la réalisation de son
œuvre.
Plus loin, dans son introduction, il passe en revue les preu-
ves d'analyses qu'il a employées et les différentes manières
dont ses observations ont été faites.
Il explicpie la division de son ouvrage, formant deux volu-
mes j le premier, de plus de 500 pages, contenant le travail
de synthèse, d'analyse ou de déduction, de toutes les don-
nées recueillies par lui sur chaque chef, et le résultat de .ses
études et de ses recherches : le second, comme appendice,
donnant, dans près de 150 pages, sous forme de tableaux,
toutes les observations recueillies et chiffres sur : la fré-
quence des vents, la distribution des pluies, les dépôts des
dunes, ceux des rivières, des lacs et étangs, dépôts marins
littoraux, dépôts .sous-marins.
Fondé sur de pareilles bases et sur une si grande richesse
de matériaux, il ne nous est pas ditïicile de faire comprendre
142 BULLETIN.
à nos lecteurs tout l'attrait et toute la valeur de cet ouvrage;
mais d'un autre côté il ne nous est pas plus facile pour cela
d'en donner une analyse qui sera toujours trop distante de
ce qu'elle mériterait d'être.
Nous ne pouvons naturellement nous étendre ici dans le
détail de ces nombreuses analyses, de ces études des sonda-
ges; dans les considérations sur l'action des vents, des cou-
rants, des pluies, de la forme des côtes, de leur nature géo-
logique, etc., sur lesquelles l'auteur enti'e dans des dévelop-
pements très-intéressants. Nous ne pouvons que le suivre
dans les résultats généraux scientifiques et dans l'application
des forces naturelles qui régissent l'apport des matériaux bri-
sés par les eaux, et leur dissémination.
Si une loi se présente avec évidence dès l'abord dans la
répartition de ces dépôts marins, iiue la nature géologique
d'un grand bassin continental doit ilonner sa composition
aux côtes qui ravoisinent,il ne faut pas lui attribuer une trop
grande valeur; car, comme le prouve M. Delesse, la nature
chimique du terrain géologique et de la roche dominante de
la contrée, sa friai)ilité, les courants auxquels elle sera sou-
mise, l'amplitude de l'agitation de la mer, sont autant de
puissants facteurs, qui en changent complètement les résul-
tats. Ainsi généralement, comme l'observe l'auteur, les calcai-
res disparaissent sous l'action des grandes eaux de l'océan,
ou bien ils restent en forts galets apportés et laissés sur la-
côte par les fortes marées, ou bien ils se retrouvent dans
l'état le plus ténu comme vase dans les profondeurs de la
mer, ou bien encore, entièrement dissous dans les eaux^ ils
servent de matières premières à la formation des grands
amas de polypiers, de uiolluscpies, etc., etc., dont les bancs
s'étendent dans certains points sous-marins à de grandes dis-
tances et à de grandes profondeurs.
Le feldspath disparaît moins généralemoni et moins rapi-
MÉLANGES ET NOUVELLES. 143
dément. Le silex, plus dur encore, se retrouve davantage dans
les débris. Mais celle de toutes les substances minérales qui
lutte le plus fortement contre la destruction est le quartz,
dans toutes ses variétés; subissant et supportant en se rédui-
sant de volume les plus fortes actions des eaux, la puissance
de l'agitation de la mer, il se retrouve partout, ou presque
partout, comme base principale des dépôts côtiers, soit en
galets, soit en graviers, soit en sables, suivant la trituration
qu'il a subie et la distance d'où il provient. Les côtes seraient
donc presque entièrement siliceuses, mais M. Delesse trouve
cependant bien des exceptions à ce résultat pris stricte-
ment.
Ainsi en étudiant les bords de l'océan Atlantique, il en
trouve dont le rivage contient jusqu'à 70 pour cent de car-
bonate de cbaux, tandis que d'autres n'en donnent que 9 à
10 pour cent, (luelquefois même des traces seulement. Gela
est dû, comme il l'observe, à l'apport par certains courants des
détritus de polypiers ou de mollusques.
Ainsi il relate, sur la côte de la Manche, des sables vaseux
tellement calcaires, par ces détritus accumulés, qu'ils sont
employés en grand pour Tamendement des terres, dans Ta-
griculture de ces contrées.
Dans des régions sous-marines, l'auteur retrouve, par l'é-
tude de nombreux sondages, la présence d'une vase calcaire
produit des débris des polypiers et des mollusques (croissant
en bancs pi"ès des côtes), qui retrace tout à fait la formation
de la craie, du calcaire compacte ou.oolitique.
n signale surtout sur les côtes d'Amérique l'extension des
polypiers sur de très-grandes étendues.
Dans d'auti'es régions de l'Atlantique il retrouve aussi, dans
des couches sous-marines de nature ditïérente, les débris des
mêmes organismes, ce qui vient confirmer encore que la ca-
ractéristique des âge?' géologiques est essentiellement dans
les fossiles.
144 BULLETIN.
M. Delesse signale aussi dans la Baltique, par le fait de
l'extension des eaux douces dans la mer, la vie simultanée
des mollusques marins et d'eau douce ou lacustres, fait im-
portant par ses résultats paléonlolopiques et géoloniques.
Il est intéressant de suivre les i-eclierches et les études de
l'auteur le long des côtes des continents ou dans les profon-
deurs des océans, sur les belles cartes dont se compose Tatlas
qui accompagne son ouvrage :
Une grande carie lithologique des mers de la France, carte
cliromolitliographique avec la division des lerr-ains émergés
et immergés, avec courbes d'altitude et courbes de profon-
deur.
Une grande carte lithologique des mers de l'Europe, aussi
chromolithographique, donnant la valeur des bassins flu-
viaux, des coupes de niveau du fond des mers, et la nature
géologique générale de celui-ci.
Une grande carte lithologi(pie des mers de l'Amérique du
Nord, donnant aussi les mêmes indications poui" ce conti-
nent.
Puis six plus petites caries sur lesquelles, retraçant ternies
les données de la dispei'sion des terrains géologiques par les
eaux, l'auteur termine son ouvrage en donnant pour la
France l'expression géographique des époques géologiques
antérieures, silurienne, triasique, liasique,éocéne, pliocène et
actuelle.
Nous n'avons fait, comme on le voit, et nous n'avons pu
faire à notre grand regret qu'esquisseï" à grands traits les
données principales de ce bel ouvrage de M. Delesse. Mais
nous avons été heureux de pouvoir témoigner ainsi notre
considération pour un sérieux li'avail, qui reslera un des do-
cuments précieux de la science de nos jours.
B^ de B'.
DEMIERES NOUVELLES
Association internationale africaine.
CONTÉRENCES DE BRUXELLES
Monsieur le Rédacteur,
Je me hâte de vous donner quelques détails sur les réu-
nions de Bruxelles, qui viennent de se terminer, afin (jue les
lecteurs du Globe puissent en avoir la primeur, dans cette
livraison de notre journal géofii-aphique. Il est inutile de
rappeler ici comment les premièi-es conférences poui" la fon-
dation de l'Association internationale africaine eurent lieu,
sur l'initiative du roi des Belges, en septembre 187H. Celles
des 20 et 21 juin de cette année sont les premières assises
de la grande et généreuse entreprise de Sa Majesté, sanc-
tionnée par l'adhésion de tous les États chrétiens; c'est la
mise en exécution des principes adoptés il y a neuf mois ;
c'est l'entrée en activité de l'œuvre elle-même. Aussi sont-
elles d'une grande importance par leur l'ésultat.
Je dois et désire me hornei- dans ces quelques mots à la
partie essentiellement géographique des résolutions de ces
conférences pour ne point empiéter sur le rapport plus spé-
cial qui sera présenté par les délégués du comité national
suisse.
Quel est le point de cette grande surface de l'Afrique cen-
trale vers lequel doivent porter les premiers efforts de l'asso-
ciation ? C'est la question géographique qui se place en pre-
mière ligne et sur laquelle s'est concentrée l'attention des
géographes et des délégués réunis. L'exploration et les re-
connaissances sur terrain nouveau devant être le début des
146 BULLETIN.
travaux de la staliou s('ientifique et hospitalière, il est évi-
dent que sa position doit être près de la limite des dernières
conquêtes des explorateurs, afin de porter ses oljservations
géographiques et scientifiques vers des pays neufs ou encore
peu connus, se plaçant par cela même dans une position fa-
vorable pour l'étude des races indigènes, en contact avec elles,
afin de pouvoir après un certain laps de temps et sur des
données bien acquises suivre à la grande pensée de leur dé-
veloppement moral, et de la lutte contre la traite.
La voie des grands fleuves, qui avait été assez préconisée
dans les conférences de l'année dernière, a trouvé encore de
grands partisans et a été reprise par les délégués hollandais
surtout pour le Congo, dont le vaste cours allant de l'Est
à l'Ouest, permettrait à une expédition remontant en ba-
teaux à vapeur, de l'apide en l'apide, d'explorer les régions
de ses sources et les pays à l'occient du Tanganyika. Les
communications semblent plus facilement établies et assurées
par la navigation; mais malheuieusement les grands fleuves
de la côte ouest de l'Afrique centrale sont d'un abord diffi-
cile, et le climat de leur région maritime généralement très-
mauvais et pernicieux pour les Européens. Cependant le Co-
mité exécutif étudiera un plan d'expédition dans ce sens,
partant de la côte occidentale, et subsidiairement à celui qu'il
présente aujourd'hui.
La voie de terre i)ar le Nord-Est, par Ankober et Ischoa,
que l'expédition italienne, sous la conduite du célèln'e explo-
l'ateur mar(|uis Antinori a ouverte l'an dernier et par la-
quelle elle doit marcher vers le Sud, vers les rives du lac
Victoria ', a excité l'intérêt de la commission interna-
tionale et acquis à l'unanimité son témoignage- tle consi-
dération, son patronage moral et même son concours elîectif
s'il devenait nécessaire.
' Voir le Globe, 1875; UiiHctin, p. 81, sv.
DERNIÈRES NOUVELLES. 147
Le comilé exécutif, après avoir examiné et étudié, à l'aide
des connaissances personnelles de ses membres, voyageurs
et savants, et de toutes les investigations qu'elle pouvait
mettre à son service, prend la côte orientale comme point
de départ, Zanzibar, ou mieux la côte de Zanguebar. De là
elle suit la route déjà connue des voyageurs, celle des cara-
vanes, essayée dernièrement par les transports des missions
anglaises, pour se rendre à Ujiji ; puis se porter en avant,
au delà du lac Tanganyika, dans des contrées encore incon-
nues, poui' y fonder la première station, se tenant en rapport
constant avec la live ouest du lac. L'emploi de routes déjà
connues pour pénétrei" ainsi, par la plus petite distance, pai-
terre, à parcourir juscju'au centre du continent africain, dans
un des endroits le moins connu et le plus intéressant sous
tous les rapports, donne à cette voie une supériorité mar-
quée sur les autres, au moins pour le moment. La considé-
ration d'avoir à traverser des pays riches, fertiles, avant tout
sains et favorables à la santé des Eur-opéens, est aussi d'un
grand poids. La rapidité de la marche de la mission et sa
réussite en sont d'autant plus assurées. Des circonstances
toutes particulières viennent encore joindre leur appui à la
prééminence que le caractère physique de la contrée et son
climat donne déjà à cette voie. Des stations gratuites ou tout
au moins peu coliteuses par l'utilisation d'éléments euro-
péens existant déjà sui- plusieurs points de ce parcours,
pourront être établies à Zanzibar même, sur la côte d'Afri-
que, et plus loin, dans l'Uniamuési, par la gracieuse propo-
sition d'un Suisse, M. Broyon, établi déjà dans la contrée.
Ainsi l'expédition pourra se diriger avec plus de facilité
que partout ailleurs vers le lac Tanganyika, et de là pourra
former son premier établissement, sa station principale aux
bords du lac, ou à Nyangwé, ou à tout autre endi-oit que le
chef trouvera favorable dans le Manvéma, car une grande
148 BULLETIN.
Icititude lui a été laissée pour déleiminer l'emplacement de
cette première station scientifique définitive, doublée d'une
exploitation agricole, lui permettant au t)Out d'un certain
temps de se suffire à elle-même. Après avoir fondé cette
dernière station, s'être reposé et ravitaillé (je cite textuelle-
ment ici la résolution de la commission executive), le chef de
l'expédition y laissera ses compagnons européens, à moins
qu'il ne désire en prendre un avec lui, et s'avancera vers les
pays inconnus. C'est au chef de l'exploration à choisir sa di-
i-ection vers la côte occidentale, en évitant avec soin les routes
déjà parcourues par les Européens et en suivant, si c'est pos-
sible, le 4*' parallèle nord.
Si l'on établit à l'ouest du Tanganyika les stations nou-
velles, les pays du Loualalia et du Sud se tiouveront peu à
peu reliés avec le Darfour, le l)assin du Tscliad et celui du
Nil. C'est à cette grande conquête de connaissances et de ci-
vilisation que la marche est ouverte.
Le comité exécutif a p?-is ses dernières dispositions pour le
transport des hommes, du matériel, des instruments nécessai-
i"es, etc., et api-ès le choix de l'homme capable auquel il don-
nera cette première mission, mission de haute confiance d'où
dépend, en si grande part, le succès final de l'entreprise, il
pourra, grâce à l'apport financier de la Belgique, livrer à
elle-même cette première expédition, en l'accompagnant des
vœux de toutes les puissances chrétiennes du monde et la
recommandant à la protection soutenue de Celui qui a créé
leur bon vouloir.
Agréez, Monsieur le Rédacteur, etc.
H. R. DE Reaumont.
OUVRAGES EEÇUS
Périodiques et i'Ublications ue Sociétés.
Petei-maiin, D^ Mitllieiluniren, 1877, n°" 4, o, G.
Erganziing'shefte, ii° ol.
Société (le géographie de Vienne. Mittheilungen, 1877, t.
X, n"' 2, 3, 4.
Société (Je géographie de Berlin. Zeitschi'ifl, 1876, n° 0,
1877, II" 1. Verhaiidlungen, I87<), ii°^^ 9, 10; 1877, n° 1.
Société de Géographie de Paris.Bulietin ; i877,février, mars.
Société géographique de St-Pétersbourg. Mémoires, 1876,
1877.
Société de Géographie de Marseille. Bulletin, n""* 1, 4.
Société géographique roumaine. Bulletin, 187(5, n°" 11 et 12.
Société de géographie de Madrid. Bulletin, 1876, n" 6.
Société de géographie italienne. Bulletin, 1877, n"-' 1 et 2.
Club alpin de Genève. Écho des Alpes, 1877, n" 1.
Société de géographie d'Amsterdam. Tijdschrift, 1876, n» 4.
Revue savoisienne, 1877, février, mars, avril.
Cosmos de Guido Cora, t. IV, n°^ 2, 3.
Revue maritime et coloniale, 1877, avril.
L'Exploration, 1877, n"^ 17 à 2o.
Meteorological Society. Quarterly journal, 1877, avril.
Meteorological office. Quarterly Weather report, n° M.
Charls of meteorological data for nine ten-degree squares
lat. 20° N. to 10° S., long. 10° lo 40° W.
Remarks to accompany Ihe monthly chart of meteorologi-
cal data for the nine 10°-squares of the Atlantic which lie
between 20° N. and 10° S. lat., and extend from 10° to 40°
W. long, ending with tlie best routes across the equator. 1
vol. in-4°, London, 1876.
150 BULLETIN.
Société d'anthropologie de Paris. Bulletin, 1876, juillet à
décembre ; 1877, janvier et février.
Société vaudoise des Sciences naturelles. Bulletin, n° 77.
ACQUIS POUR LA BIBLIOTHÈQUE.
Livingslone. L'Afrique australe, trad. par M""" H. Loi-eau, 1
vol., Paris, 1873.
Dernier journal duO^Livingstone relatant ses explorations
et ses découvertes de 18(56 à 1873, suivi du récit de ses der-
niers momenls,par Horace Waller. Traduit par M™" H. Loreau,
2 vol., Paris, 1876.
H.-M. Stanley. Comment j'ai retrouvé Livingstone. Traduit
par M""^ H. Loreau, 2""^ édition, 1 vol., Paris, 1876.
Nares. Expédition anglaise au Pôle Nord, 1873-1876. Rela-
tion du voyage etïectué par les l)àtiments de S. M. Britanni-
que Alertel Discovery sous le commandement du Capitaine
Nares. Traduction de F.-L. LeClerc. 1 vol., Paris, 1877.
Don de M. Elisée Reclus.
Géographie universelle. Livr. 116 à 127.
Don de M. J.-A. Forel.
F.-A. Forel D% Professeur. Comparaison du débit moyen
annuel du Rhône à Genève, avec la hauteur moyenne an-
nuelle de l'eau météorique. 1 Itroch. Lausanne, 1870.
Ch. Dufour et F.-A. Foi-el. Recherches sur la condensation
de la vapeur aqueuse de l'air au contact de la glace, et sur
l'évaporation, suivie de .^i appendices.
1. Tableau des dimensions en surface des glaciersdu bassin
du Rhône, par Ch. Dufour.
2. Notice sur les brises du lac Léman, par F.-A. Forel.
3. Note sur la température de la source du Rhône, par Ch.
Dufour.
4. Notice sur les pierres enchâssées dans la glace du gla-
cier du Rhône, par Ch. Dufour.
5. Plan du front du glacier du Rhône et de .ses moraines
OUVRAGES HEÇUS. 151
frontales, levé en juillet 1870 par Cli. Dufour et F.-A. Forel.
1 broclî. Lausanne, 1871.
F.-A. Forel. Les taches criiuile connues sous le nom de
fontaines et chemins du lac Léman. 1 hroch. Lausanne, 187:{.
F.-A. Forel. Première et .seconde étude sur les seiches du
lac Léman, avec planches lithographiées. 2 hroch ui-es. Lau-
sanne, 1873 et 187o.
F.-.\. Forel. Faune protonde du Léman, deuxième discours
prononcé devant la Société helvétique des sciences naturelles
à Coire, le 12 septembre 1874.
F.-A. Forel. Matériaux pour .servir à l'étude de la faune
profonde du lac Léman, l", 2°'* et S""" série. Lausanne, 1874
et 1876.
F.-A. Forel. Une vaiiété nouvelle ou peu connue de Gloire,
étudiée sur le lac Léman. 1 hroch. Lausanne, 1874.
F.-A, Forel. Carte hydrographique du lac Léman. 1 bro-
chure, Lausanne, 1875.
F.-A. Forel. Le limnimèlre enregistreur de Morges. 1 bro-
chure. Lausanne, 187(5.
F.-A. Forel. La formule des seiches. 1 brochure. Lau-
sanne, 1876.
F.-A. Forel. Les seiches, vagues d'oscillation fixe sur les
lacs. Extrait des Annales de chimie et de physique. 5°"* série,
t. LX, Paris, 1870.
Don de M. H. Bouthillier de Beaumont.
Ern. Mouchez. Recherches sur la longitude de la côte
orientale de l'Amérique du sud. 1 vol. Paris, 1866.
F. Chabas. Études égyptiennes. Une inscription historique
du règne de Seti I". 1 hroch. Chàlon s/Saône, 1856.
F. Chabas. Les inscriptions des mines d'or. Dissertation sur
les textes égyptiens relatifs à l'exploitation des terrains auri-
fères du désert dj Nubie. 1 brochure. Chàlon s/Saône, 1862.
J.-G. v.Hahn. Reise von Belgrad nach Salonik. 1 volume.
Vienne. 1861.
152 BULLETIN.
Don (le M. Luciano Cordeiro.
Luciano Cordeiro. De la part pi'ise par les Portugais dans
la découvei'te de l'Amérique. 1 brocli. Lisbonne, 1876.
Luciano Cordeiro. Da Arte nacional. 1 brochure. Lisbonne,
1876.
Luciano Cordeiro. Idéas et Concui'sos, palestras criticas. 1
broch. Lisbonne, 1876.
Luciano Cordeiro. Os bancos et os sens directores. 1 bro-
chure. Lisbonne, 1877.
Luciano Cordeiro. Portugal e o movimento geographico
moderno. — Relatorio lido na 1""* sessâo solemne annual da
Sociedadede geographia de Lisboa. 1 brochure,Lisbonne,1877.
Rodrigo Alfonso Pequito. A Sociedade de geographia de
Lisboa e o Marquez de Sa daBandeira, 1 brochure. Lisbonne,
J877.
Baron de Watteville. Rapport à M. Waddington, ministre
de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, sur le service
des missions et voyages scientifiques en 1866. I broch. Paris,
1877.
Roudaire, capitaine. Rapport à M. le ministre de l'Instruc-
tion publique sur la mission des Chotts. Études relatives au
projet de mer intérieure. I vol. Paris, 1877.
Le tour du monde en 320 jours. Broch. Paris, 1877.
ERRATA
Année 1876. — Livraisons 1-3. — Bulletin.
Page 9, ligne 23 : Pultava, lisez : Pulkova.
Page IH, ligue 12 : 1,000 pieds cubes, lisez: ne dépasse pas
10,000 mètres cubes par seconde.
Page 16, ligne 15 : 28,000 pieds cubes, lisez : de 28,000 mètres
cubes par seconde.
Page 16, ligne 29 : Sommerset, lisez : Somerset.
Page 32, ligne 4 : l'Hedjas, li^ez : le Ledja.
Page 35, ligne 9 : le Siz-I)aria, lisez : le Sir-Daria.
Page 37, ligne 16 : du roi Tmésa, lisez : Mtésa.
Page 39, ligne 16 : M. Trjéwalsky, li^ez : Prjéwalsky.
BULLETIN
EULLETIÎI. T. XVI, 1877. H
MÉLANGES ET NOUVELLES
Les Volcans des Iles Sandwich.
Assurément, peu de phénomènes sont aussi aptes à ex-
citer la curiosité scientifique, aussi propres à suggérer des
méditations profondes et variées sur les forces latentes et in-
calculables de la nature, que la formation des îles volcani-
ques semées çà et là sur la surface des mers, et principale-
ment dans l'océan Pacifique.
Quel esprit, accessible à l'attrait des questions géographi-
ques, ne s'est porté avec intérêt sur ces productions récen-
tes, parfois contemporaines, de la puissance volcanique? Par
cette puissance elles ont surgi du sein des mers, et par leur
apparition continue elles nous enseignent analogiquement
quels ont été la formation, le développement et l'histoire de
maintes portions de notre ancien monde, qui aussi fut jeune,
jadis. — Entre les diverses particularités qui les signalent à
notre étude, elles doivent à leur origine exclusivement plu-
tonique ce trait particulier, que quelques-uns des plus petits
pays du globe contiennent les plus gigantesques volcans de
l'univers.
Cette observation convient spécialement au groupe d'îles
de l'océan Pacifique connues sous le nom d'îles Sandwich,
nom auquel les habitants préfèrent le nom indigène de Ha-
waii. Les renseignements suivants, en partie extraits et en
partie condensés de l'ouvrage anglais de Miss Bird', Six mois
^ Six months among tlie palm graves, cor al reefs and volcanoes of
ihe Sandwich Jslands, par Isab. L. Bird. (Londres, 1875). — Uu
1?)6 BULLETIN.
parmi les bosquets de palmiers^ les récifs de corail et les vol-
cans des îles Sandwich, ne paraîtront pas indignes de quel-
ques moments d'attention.
I. Le groupe Hawaiien eu général.
Avant d'ahoi'der les volcans eux-mêmes, donnons une
idée du cadre au milieu duquel nous devons nous les repré-
senter.
Les îles Sandwicii n'ont avec les îles des divers groupes
du Sud d'autre affinité que certains rapports de l'ace et de
langage. Parmi une inflnité de petites îles, semées comme de
la poussière sur les eaux de l'immense océan, elles consti-
tuent le seul groupe imporlant de la portion nord du Pacifi-
que, où elles tiennent une position à peu près également dis-
tante de la Californie, du Mexique, de la Chine et du Japon.
Ces îles, découvertes par le capitaine Cook en 1778, sont si-
tuées dans la zone inlertropicale, s'étendant de 18°50' à
22°20' de latitude N.; leur longitude est de lo3°o3' à
160°15'O.(Gr.)
Elles sont au nombre de douze, dont huit seulement sont
habitées; celles-ci sont d'étendue très-diverse: Hawaii, la
plus grande, celle à laquelle le groupe entier doit sa désigna-
tion, a une superficie de 4,000 milles carrés, étant longue de
88 milles et large de 73 (environ 140 kilomèh'cs sur 110);
tandis que la plus petite, Kahoulawé, n'a que 11 milles de
long avec une largeur de 8 milles (17 kilomètres sur 1:2).
La surface totale des îles est d'environ G, 100 milles carrés.
Elles sont partiellemeni entourées d'une barrière de récifs
jeune Sanclwichien, M. Damou, uatif d'IIonolulu et dernièrement
en passage à Genève, a donné son témoignage à cet intéressant vo-
lume au point de vue de la couleur locale et des descriptions. —
Voir les Notes du D"" Ilillebraud, précédemment publiées dans le
Globe, 18G8, Bulletin, p. 199 et suiv.
MÉLANGES ET NOUVELLES. 157
<.1e corail et n'offrent que peu de havres sûrs. Non-seulement
•elles sont Je formation entièrement volcanicfue, mais elles
possèdent à la fois le plus grand volcan en activité perpé-
tuelle et le plus vaste cratèi-e éteint qu'on connaisse dans le
monde entier. Elles sont, cela va sans dire, très-montagneu-
ses; deux des sommets de Hawaii atteignent une altitude de
près de 14,000 pieds anglais (4268 mètres). Leur climat est
le plus beau qui se puisse voir, soit pour son égalité extraor-
dinaire, soit pour sa salubrité; il est presque absolument in-
variat)le, et chacun peut choisir selon son goût, de griller
loute l'année en résidant sur la côte au niveau de la mer,
avec une température de 26° C, ou de jouir dans la monta-
gne des charmes du coin du feu, à une élévation où il gèle
chaque nuit, pendant les douze mois des quatre saisons. Il
n'y a pas de saison malsaine. Les vents alises soufflent pen-
dant neuf mois, et les côtes qui y sont exposées ont abon-
dance de pluie avec une végétation luxuriante et perpétuelle.
Les îles Sandwich, ou groupe Hawaiien, sont éloignées de
Tahiti et des îles Fidji d'environ 6,400 kilomètres. Leurs ha-
bitants ne sont pas de la même race, et il est douteux qu'ils
aient jamais pratiqué le cannibalisme.
Les îles forment aujourd'hui un royaume constitutionnel,
avec un parlement composé de deux Chambres, haute et
basse ; le gouvernement est régulièrement organisé; et s'il
en fallait davantage pour prouver que les Hawaiiens ont
réellement pris place au nombre des peuples civilisés, il suf-
firait de dire qu'ils ont des impôts, des douanes, une liste ci-
vile et une dette nationale.
La population, que Cook évaluait à 400,000 âmes en 1778,
est aujourd'hui réduite à 49,000, d'après le recensement de
1872. Il y a environ 5,000 étrangers résidant dans les îles, et
les relations de ces hôtes avec les indigènes et avec le gou-
vernement sont des plus amicales.
1S8 BULLETIN.
Il n'y a point d'Église nationale. L'indépendance récipro-
que des sphères civile et religieuse est complète. Le peuple
professe le christianisme et se rattache en général au sys-
tème des églises protestantes dites congrégalionnelles.
A la lecture des récits de Miss Bird, le caractère moral du
peuple hawaiien se dessine sous un jour mixte, avec des cô-
tés aimables et des traits déplaisants. En somme, c'est un
peuple enfant. 11 est facile, peu porté aux tiuerelles, rieur,
passablement goguenard. Oisif plutôt que paresseux, mais
bien oisif, il ne fait pas grand'chose ; l'intlustrie n'existe pas
chez lui. Cependant, c'est le travail qu'il craint plutôt que le
mouvement, car il s'adonne volontiers à certains exercices
violents; il est grand amateur de natation et ne craint pas
d'affronter les vagues d'une mer agitée. Il aime la prome-
nade, sous la forme de cavalcades, toujours au galop, aux-
quelles les deux sexes se livrent avec passion, y ajoutant à
profusion la parure des tleurs indigènes, la plupart de cou-
leurs vives et llamboyantes. — La moralité a fait de sensi-
bles progrès, sous l'influence des missionnaires ; mais un trait
vraiment fâcheux, c'est un singulier effacement de l'amour
maternel. Nous ne connaissons pas d'autre peuple chez qui
les mères soient aussi péniblement inditïérentes à l'égard de
leurs enfants. Peut-être est-ce l'héritage d'un état social qui
a précédé l'introduction du christianisme. Quoi (|u'il en soit,
c'est sans doute à cette étrange absence de ce qu'on pourrait
appeler à tout le moins un instinct naturel, (lue revient en
grande mesure la responsabilité de la dépopulation alar-
mante du pays. Car on ne peut le dissimulei-, les familles
s'éteignent l'une apiés l'autre, et s'il n'y est obvié d'une ma-
nière quelconijue, ces îles risquent de devenir liienlôt dé-
sertes.
Passons maintenant à nos volcans. L'unité du sujet for-
mera un lien suffisant entre ces fragments.
MÉLANGES ET NOUVELLES. 159
II. Ascension du volcan de Kilauéa *.
« Comment pourrais-je vous communiquer ce qui est in-
communicable? — Je ne puis cependant résister au désir de
vous écrire pendant que les impressions que j'ai recueillies
au Kilauéa conservent encore toute leur vivacité.
ï Hier, à 8 heures du matin, nos préparatifs étant terminés,
nous montâmes à cheval, Miss Karpe et moi. Le seul bagage
que portait sa monture (Miss Karpe a une expérience améri-
caine des voyages que je lui envie) était un parapluie, avec
un paquet de manteaux et de châles, attachés à sa selle. Upa,
notre guide, s'était attifé de la manière la plus remarquable, à
la mode du pays, avec des guirlandes de fleurs des couleurs
les plus éclatantes enroulées à son chapeau et autour de son
cou. Il portait à la corne de sa selle nos sacoches, un sac con-
tenant la provision de pain, des bananes et une bouteille de
thé; plus, de l'eau dans un bidon suspendu à sa ceinture. La
selle qu'on m'avait prêtée avait une grande corne sur le de-
vant, de vastes étriers en bois et de larges quartiers en cuir
pour garantii- les vêtements du contact des flancs de la bê te
L'étrier lui-même est grotesquemenl muni d'une forte garde
en gros cuir^, destinée à protéger la botte et le pied contre les
redoutables épines des fourrés qu'on traverse souvent. Cha-
que cheval porte en collier un licou de vingt-cinq pieds de
longueur. Tout cela est de rigueur dès qu'il est question
d'une expédition cà l'intérieur de l'île. Upa était vraiment pit-
toresque; le grotesque était à notre crédit.
« n pleuvait, La plus grande partie de notre route de 30
^ Le Kilauéa n'est pas un sommet. C'est un vaste cratère qui
s'ouvre sur le flanc oriental du Mauna (mont) Loa, l'une des deux
principales montagnes de l'île d'Hawaii, laquelle en occupe la partie
sud; la seconde, nommée Mauna Kéa, forme le point culminant de
la région du nord.
160 BULLETIN.
milles dans la montagne devant forcément se faire au pas,
notre guide profita de l'étroite plaine qu'offre la prairie au
sortir de Hilo pour lancer sa petite caravane au grand galop,
allure ordinaire du pays. Heureusement celle course effré-
née, très-incommode pour moi, perchée que j'étais pour la
première fois sur ma selle à corne à laquelle il fallut bien
me cramponner, ne dura pas longtemps. Je fus hientôl mise
au courant de la ridicule figure que je faisais ainsi par les
éclats de rire d'une troupe de jeunes filles qui nageaient dans
un petit lac, au bord duquel nous fîmes halte.
« Au bout de quatre milles, le sentier, formé de rudes blocs
de lave, et qui n'a plus que deux pieds de largeur, entre en
foret et pénètre dans un fourré aussi dense qu'aucun sous les
tropiques. Je n'aurais pu m'imaginer rien d'aussi parfaite-
ment lieau : sous cette température de serre chaude, la na-
ture semblait se livrer avec un fol emportement à la produc-
tion illimitée de formes étonnantes. Leur variété était infinie,
la vigueur de leur verduie inexprimalile. Des milliers de
fleurs de toutes grandeurs, formes et nuances, émaillaient ce
fond sombre, comme pour en tempérer la sévérité. Ici les
arbres croissent, vieillissent el tombent sans avoir jamais élé
touchés par la main de l'homme, et une bienveillante nature
les enveloppe aussitôt d'un linceul de végétation nouvelle
sous lequel elle dissimule leur prompte décomposition.
« Cette zone traversée, nous nous retrouvâmes, à mon re-
gret, en pleine clarté du jour. Deux misérables bulles, con-
struites des herbes de la forêt, flanquées d'une pauvre petite
pièce de cannes à sucre, nous servirent de prétexte pour une
demi-heure de repos, accompagné d'une lasse de thé. Repar-
tant de là, nous continuâmes à cbevaucher à la file, traver-
sant une immense éteutlue de pafioelioe* nom par lequel on
distingue la roche lisse de celle qui est raboteuse, nommée
a-a. Celle roche lisse est de provenance toute volcanique:
MÉLANGES ET NOUVELLES. 161
c'est le résultat des éruptions des siècles passés, dont les la-
ves ont coulé du Kilauéa dans la direction de Hilo. Elles se
sont congelées en monticules, en remous, en vagues, en tor-
rents, en circonvolutions immenses, parmi lesquels il y a des
espaces unis comme un étang, et de grandes cavernes qui
ne sont autre chose que les bulles d'air de ce gigantesque
l»ouillonnement. Des centaines de mjlles carrés,sur l'île d'Ha-
waïi, ne sont composés que de cela. Cette lave est uniformé-
ment gi'ise, et presque partout la surface en est légèrement
granulée. Là où il en est autrement, les chevaux glissent
comme sur la glace.
« Ici j'ai commencé à me rendre compte de l'origine univer-
sellement volcanique de Hawaii. Depuis les roches dures et
noires qui bordent la mer, jusqu'au sommet le plus escarpé
des montagnes, chaque pied de terre fertile ou aride, chaque
pierre, chaque grain de poussière porte l'empreinte plutoni-
que. L'île entière a été soulevée, masse sur masse, arête sur
arête, montagne sur montagne, du niveau des eaux jusqu'à
une hauteur qui rivalise presque avec celle du Mont-Blanc,
par (les forces souterraines qui sont encore en pleine activité
et peuvent encore d'un instant à l'autre superposer de nou-
velles altitudes à celles du Mauna Loa^, dont par moments
nous entrevoyons le sommet bleuissant au-dessus des nua-
ges. Hawaii reçoit encore chaque jour des additions tirées
du fond de l'océan, et la formation de cette grande mer du
palioehoe, loin d'être déplorée comme une dévastation, comme
un aveugle exploit d'une puissance en furie, doit bien plutôt
être saluée comme une opération architecturale, une œuvre
de création.
«On ne trouve de l'eau que dans quelques trous où la pluie
s'amasse en dépôts ; mais l'humidité de l'air et les ondées,
fréquentes en tout temps, ont concouru pour revêtir ces so-
litudes d'une certaine végétation, où dominent des fougères
162 BULLETIN.
d'une verdure exquise, mêlées à d'autres espèces aux belles
fleurs du plus suave parfum. Le cocotier et d'autres arbres
non moins utiles au développement de la vie humaine
apparaissent déjà çà et là.
« La montée est tellement graduelle que ce n'est qu'au re-
froidissement de l'air qu'on s'aperçoit de l'élévation atteinte,
bien qu'on ne gagne pas moins de 4,000 pieds dans ce par-
cours de 30 milles. Le sentier est partout facile à suivre,
parce que la végétation ne s'établit pas aisément sur ce sol
de laves; mais quant aux roches qui le composent, elles sont
d'une telle dureté, que malgré une circulation constante,
elles ne montrent presque aucune trace d'usure. »
Après une autre halte d'une demi-heure auprès d'une au-
tre hutte, qu'on décore du litre de «maison de mi-chemin,»
et qui se trouvait alors abandonnée et fermée, on se remit
en marche avec un redoublement de courage, iMiss Kai-pe,
la voyageuse américaine-type, qu'on retrouve partout, des
îles Sandwicii aux cataractes du Nil, toujours tenant la téie,
toujours droite en selle, toujours avançant, toujours parlant.
— Peu à peu la végétation devient plus pauvre et finit par
se réduire au seul Okia, au sombre feuillage (Metvosideros
polymorpha). On ne voit plus ni oiseaux ni insectes. Toute-
fois on rencontre paifois quelque grand ti'oupeau de bœufs
au regard farouche, à moitié sauvages, race dégénérée de
ceux que Vancouver laissa dans l'île au siècle dernier. On les
tue ordinairement à coups de fusil; on ne leur fait la chasse
que pour leur peau et leurs cornes, la viande étant de peu
de valeur.
La nuit, qui tombe presque subitement dans ces latitudes,
surprend rexpédition eiuoie en l'oute, el la voilà marcliant
péniblement dans une profonde obscurité, au milieu des
mystères du désert et de l'inconnu.
Tout à coup notre voyageuse aperçoit sur son sentier une
MÉLANGES ET NOUVELLES. 16^^
mare de couleur rouge sombre. « Est-ce du sang? «• s'écrie-
t-elle. — Mais non! C'est tout simplement une flaque d'eau
pluviale que le volcan, qui s'éveille à cet instant, colore de
sa menaçante clarté. Une colonne de llammes s'élance vers
le ciel, et à partir de ce moment les ténèbres font place à
d'étranges splendeurs. Chaque objet revêt une fantastique
réalité sous l'efTet de la rouge lumière; l'air s'imprègne de
vapeurs poignantes et sulfureuses, et le grondement du vol-
can, maintenant peu éloigné, reproduit le l)ruit des vagues
déferlant sur un rivage d'écueils. Quand, à huit heures du
soir, la petite caravane parvint à la « maison du cratère, » les
volumes de vapeurs entremêlés de llammes s'exhalaient sans
interruption du vaste et invisible abîme, et le Kilauéa était
dans la gloire de ses feux.
La voyageuse passa la plus grande partie de la nuit à ol)-
server l'ascension continue des vapeurs incandescentes et
leurs effets de lumièie toujours changeants. Le ciel était cou-
vert de nuages ensanglantés par les retlets du volcan, dont
les jets de feu s'élançaient de moment en moment avec le&
colorations les plus inattendues.
La matinée s'annonçait mal : pluie et brouillard ; pas de
vue! — Cependant, vers 10 heures, le brouillard se leva, dé-
couvrant les mystères de la nuit, le puissant cratère dont la
paroi verticale s'enfonce à quelques mètres de l'auberge. Cet
abîme, ouvert à 4,000 pieds de hauteur sur le tlanc du Mauna
Loa, présente l'aspecl d'un immense puits. — Mais quel
puits! Il a 9 milles de circonférence, et son fond qui, il n'y a
pas longtemps, s'est abaissé de 300 pieds, comme la glace
baisse quand se retire l'eau qui la soutient, occupe un espace
de six milles carrés. Son niveau varie entre 800 et 1,100 pieds
de profondeur, selon que les matières en fusion montent ou
baissent. Il est constamment agité et déchiré par des trem-
blements du sol, et l'activité volcanique se manifeste de tous
104 BULLETIN.
côtés par des tissures d'où jaillissent d'acres vapeurs, des gaz
sulfureux, du soufre qui se dépose en cristaux, etc. Sur plu-
sieurs de ces fissures, ces dépôts constituent de petits cônes
d'éruption. Les grandes commotions n'ont lieu qu'à de cei-
lains intervalles, mais l'activité du Kilauéa se développe sans
repos. Il a de tout temps déployé ses étonnants phénomènes
dans le lac ou les lacs que contient son immense cratère dans
sa portion sud, à trois milles du « refuge. »
Ce lac de (e\x,\e Halémaumau(\eh mythologie hawaiienne,
la «maison du feu éternel» et l'hahitation de la déesse Pélè,
est d'un accès facile, sauf les moments d'éruption. Mais les
aspects varient sans cesse, et quelquefois la suiface de cet
< abime dans un autre aliîme » s'enfonce tellement et les ex-
halaisons deviennent tellement épaisses et suffocantes, que le
voyageur ne peut ni voir ni approcher.
C'était le 31 janvier 1874. — «Mon attente la plus fantas-
tique est infiniment dépassée, et je peux à peine me contenir
pour décrii'e sohi'ement ce spectacle, surtout pendant que je
contemple, par ma porte ouvei'te, les vapeurs rutilantes s'é-
levant de l'abîme vers le ciel, qui en est éclairé comme si ses
nuages eux-mêmes étaient en feu
« La premièi'e descente dans le cratère est très-raide ; elle
est néanmoins couverte d'une végétation serrée d'ohias et
autres plantes analogues, de même que la pente qui se pro-
longe jusqu'à la seconde descente. On remaitpie, en particu-
lier, une variété de plantes bulbeuses, portant des giappes
de graines d'un brillant bleu de turquoise. — Au delà, le
spectacle était terrible. — La seconde descente .s'accomplit au
milieu des blocs éclatés et des crêtes brisées dos laves. La
face le long de kujuelle elle serpente paraît faire partie d'une
fracture générale qui règne irrégulièrement tout autoui- du
cratère, et qui ])rolt,iblement est due à quelque effroyable ef-
fondrement de son aire. Là disparaît la végétation, en même
MÉLANGES ET NOUVELLES. 1(53
temps que la terre. C'est une ré^^ion plutonujue, calcinée et
désolée, lugubre et pleine de terreurs. Il y a absence totale
des aspects et de^ bruits du monde auquel nous sommes ac-
coutumés. Nous nous voyons entourés de terrasses, de pen-
tes montueuses et abi-uptes, de précipices, de crêtes, de tor-
rents, de crevasses dans les laves, le tout rigide, noir, brillant,
comme vitrilié, ou bien d'un gris de cendre, taché par places
du jaune du soufre ou du blanc de l'alun. De toutes parts la
lave est soulevée et fracturée par les convulsions du sol, et
embrasée jusque sous nos pieds, elle émet une baleine ai-
dente.
«Au bout d'une heure d'une gymnastique des plus fatigan-
tes, nous atteignîmes le plus profond niveau du cratère, qui
a bien un mille (anglais) de diamètre, et vu (Ven liaut pré-
sente l'aspect d'une mer au repos. Mais dès qu'il fut question
de la traversei'j nous trouvâmes cette mer détaillée en va-
gues et en circonvolutions de laves de couleur cendrée, avec
de larges fentes remplies de masses de laves iridescentes,
comme tordues et roulées, qui ne dataient que de quelques
semaines. Ici les laves sont disposées en crêtes hérissées, là
ce sont comme des champs de glaces pressées ensemble, là
encore on dirait de vastes dépôts de câbles de la plus forte
dimension, enroulés sur eux-mêmes; la nature pâteuse des
laves se prête singulièrement à ce genre de formation, et
avec l'aide de la couleur bitumineuse, au point de faire illu-
sion. — Chose étrange! dans une des crevasses, tout au fond
de celte région noire et redoutable, trois mignonnes fougères,
de formes admiral)lement délicates, s'élèvent comme les frê-
les avant-coureurs de la riche beauté dont de puissantes fo-
rêts recouvriront, dans le cours d'années qui viennent infailli-
blement, les parois et le sol de cet abîme d'indescriptible dé-
vastation. — Sur notre droite se voyait un précipice en cor-
niche par-dessus lequel une lave ardente avait débordé, et en
166 BULLETIN.
se refroidissant, elle s'était formée en colonnes basaltiques
aussi régulières que celles qu'on trouve à Staflfa.
« Il nous fallut une heure entière pour traverser cette pro-
fonde dépression, et autant pour gravir ensuite une pente
brûlante et raide, d'environ 400 pieds, nouvellement formée
par une éruption de lave du Halémaùmaû. Cette lave est
d'un aspect remarquable : un (leuve de pierre liquide s'est
durci à mesure qu'il descendait la pente, produisant des va-
gues soudainement arrêtées, des courants, des remous, des
formes de serpents, de troncs d'arbres, de racines noueuses,
de conduits à eau coudés en cent façons, le tout enchevêtré
€t entortillé sur une échelle colossale et en une formidable
confusion. Dans un endroit plus escarpé que le reste, la lave
avait coulé en nappe continue de 100 pieds de largeur; une
partie était arrivée au fond, l'autre s'était figée en route,
mais la masse entière avait pris la ressemblance de troncs
d'arbres. Dans quelques-unes des crevasses je recueillis une
certaine quantité d'une lave fibreuse remarquable (dans le
pays on la nomme « cheveux de Pelé »). Elle ressemble gros-
sièrement à du verre filé, et sa couleur est verdâtre ou jaune-
brun. En beaucoup d'endroits la surface des laves est entiè-
rement couverte de cette formation, qu'on voit à travers une
croûte vitrifiée. Dans les grandes éruptions, quand les jets
de feu s'élancent à une grande hauteur, envoyant des gouttes
de lave dans toutes les directions, le vent les file en minces
fibres vertes ou jaunes, llexibles, longues de deux ou trois
pieds, qui s'accrochent à toutes les saillies des rochers.
« A mesure que nous montions, le sol, sous nos pieds, deve-
nait plus brûlant et en même temps plus poreux et plus vi-
treux. Il était chaud à ce point, (ju'à son contact les gouttes
<le pluie se vaporisaient en sifflant. La croûte, de plus en plus
fragile, nous obligeait à suivre à la file notre guide, qui en
éprouvait la solidité avec son bâton. J'y enfonçai plusieurs
MÉLANGES ET NOUVELLES. 167
fois, et toujours dans des cavités ou bulles pleines d'une va-
peui- sulfureuse tellement mordante, que mes gros gants de
peau de chien en furent complètement brûlés, pendant que
je m'aidais de mes mains pour me relever.
« Nous avions remonté les courants de laves anciennes pen-
dant trente milles, jusqu'au bord du cratère, et nous avions
en dernier lieu marché pendant trois heures sur les laves ré-
centes, en sorte que nous devions raisonnablement être tout
à fait à proximité de l'attîme, et cependant il ne paraissait
pas la moindre trace de fumée ni tle feu. Je commençais
donc à me persuader que, pour une fois du moins, le volcan
s'était malicieusement assoupi, en vue de notj-e désappointe-
ment spécial. Tout à coup, précisément au-dessus et vis-à-vis
de nous, des gouttes comme de sang nous apparurent, lan-
cées dans les airs. Nous précipitant en avant d'un élan una-
nime, nous nous trouvâmes sur le bord du Halémaûmaù, du
lac de feu, dont le niveau était à environ 35 pieds au-dessous
de nous. Nous demeurâmes pétrifiés de surprise et de saisis-
sement. C'était le plus étonnant des spectacles, . . . spectacle
indescriptible, inimaginable, d'un souvenir que rien ne peut
effacer, par lequel on se trouvait dès l'abord absorbé, et
comme transporté dans une sphère étrangement différente
de celle des réalités de notre vie terrestre! C'étaient des dé-
tonations, des grondements, des roulements, des sifflements,
des bruissements de toutes sortes ; c'étaient les efforts perpé-
tuels des vagues contre les brisants d'un rivage, mais c'é-
taient des vagues de (lammes assaillant sans relâche un ri-
vage de feu. Comment décrire cela ? Tous les mots dont je
ferais usage supposeraient quelque idée d'ordre ou de régu-
larité : ici, rien de semblable! — Le lac intérieur, pendant que
nous nous tenions sur ses bords, éleva son niveau de trois
pieds au moins. Il forma comme un nouveau cratère au de-
dans de lui-même; un cône d'éruption se souleva à la hau-
168 BULLETIN.
leur d'environ liuit pieds; il changeciit de forme à chaque in-
stant. — Le spectacle que nous avions en ce moment sous
les yeux n'existait pas il y a un mois et, sans doute, un mois
plus tard son apparence devait être complètement changée.
Quel(juefois on a vu le lac baisser de 400 pieds, pour rega-
gner bientôt son niveau précédent. Le mois dernier il dé-
bordait par-dessus ses limites.
« Au moment où nous le contemplions, le lac pouvait avoir
500 pieds de largeur à l'endroit le plus étroit et un demi-
mille au plus large. Il était presque coupé en deux par une
sorte de chaussée, une langue de lave qui se consolidait et se
soulevait peu à peu pendant que nous regardions. Le bord
du lac, là où nous étions, absolument vertical, ne dépassait
pas 40 pieds de hauteur; mais vis-à-vis, à la partie la plus
lai"ge, il pouvait atteindre 150 pieds. Vers l'une des extrémi-
tés il y avait un grand espace absolument rempli par des
cônes d'éruption, entremêlés de jets de vapeur et de gaz.
« Le trait le plus caractéristique de tout cela, c'était du feu
en agitation perpétuelle; mais à tout moment la ^rface de ce
feu se couvrait d'une croûte de reh'oidissement, semliHible
en lustre à de l'argent mat, mais qui se brisait bientôt, en
formant des crevasses d'un rose vif. Le mouvement général
paraissait se porter des bords vers le centre; mais l'action du
centre même paraissait indépendante du reste, et semblait
former un courant qui se dirigeait du noi'd au sud sans va-
rier. Avant chaiiue déploiement de commotion universelle, il
y avait de grands sifflements et des battements comme d'un
pouls souterrain, elîel sans doute de la lutte des gaz empii-
sonnés. Tantôt toute cette puissance se montrait violente,
furieuse, comme si aucune i-ésistance ne pouvait lui opposer
d'obstacle, et tantôt elle paraissait faible, modérée et comme
se jouant, se calmant même tout à fait penilant quelipies se-
condes, mais seulement pour rassembler de nouvelles forces
et se livrer à de nouveaux éclats.
MÉLANGES ET NOUVELLES. 169
« A notre arrivée, onze jets de feu se jouaient joyeuse-
ment autour des lacs et, par moments, les six du lac le plus
rapproché de nous se réunissant vers le milieu, se précipi-
taient ensemble dans un gouffre commun, d'où ils ressor-
taient bientôt, soulevant la surface, soufflant, crachant du
feu, montant jusqu'à 30 pieds de hauteur, puis s'abimant de
nouveau dans un chaos immense pour reparaître, toujours
sous forme de jets de feu, exactement en même nombre, pa-
raissant se promener sur le niveau du lac et vouloir s'élan-
cer dans les airs pour y prendre leur vol. Parfois aussi le lac
entier, délaissant son impulsion vers le centre et se portant
en masse du côté du sud, se transformait en puissantes va-
gues de feu qui venaient se briser lourdement contre la bar-
rière transversale, avec un grondement pareil à celui des
grandes vagues du Pacifique, et la couvraient des embruns
de leur feu vivant. Tout était confusion, commotion, force,
gloire, grandem-, mystère, terreur et même beauté! — Mais
les couleurs! Le métal en fusion n'a pas ce profond
cramoisi, le sang n'a pas cet éclair de lumière. Si je ne l'a-
vais pas contemplée, je n'aurais jamais su qu'une telle cou-
leur fût possible.
« La croûte dont j'ai parlé, se ridant de plus en plus fort,
se soulevait en plis, qui se rabattaient et se brisaient, et de
grands lambeaux en étaient engloutis et rejetés plus loin sur
la crête des vagues. Les onze jets de feu sanglant persistè-
rent pendant la plus grande partie du temps, jouant avec une
vigueur de joyeuseté absolument magnifique. Après que la
première demi-lieure de surprise et de terreur fut passée,
ces jets de feu firent sur mon esprit une impression pro-
fonde, dont la mémoire restera toujours, parmi les souvenirs
de mes voyages, fun des plus grandioses comme des plus
ineffaçables.
<' Dans l'espace de trois heures, le banc de lave qui sépa-
BDLLETIN, T. XVI, 1877. 12
170 BULLETIN.
rait presque les deux lacs s'accrut énormément par suite de
la consolidation continue des substances lancées à sa surface,
et une caverne considérable se forma, comme une boursou-
llure dans son intérieur. Pendant ce temps, la masse entière
du lac le plus éloigné, obéissant à l'impulsion qui la portait
vers le sud, brisait avec un retentissement efTroyaijle contre
la muraille de rochers qui la bornait de ce côté, lançant son
écume de sang et de feu à une hauteur de 40 pieds. De temps
à autre, une masse de rocher, arrachée de la paroi et tom-
bant dans ces flots de pierre fondue, redoublait leur fureur
en soulevant un immense rejaillissement de feu.
« Presque à nos pieds se trouvait un jet intermittent d'é-
ruption dont les laves, se solidifiant à l'entour, s'élevaient
peu à peu et donnaient naissance à un nouveau cône. Quand
nous arrivâmes, il avait peut-être six pieds de hauteur et en-
viron autant de diamètre. Nous pouvions regarder dans l'in-
térieur comme dans un puits. Ce soupirail incandescent, et le
grondement avec lequel la lave était vomie, étaient ef-
frayants. Le jet se répétait au moins toutes les deux secondes.
« La chaleur était excessive. Les semelles de nos chaussu-
res furent brûlées. J'eus un côté du visage grillé. Il n'y avait
point de fumée sur le lac, mais seulement une vapeur faible-
ment bleuâtre, que le vent emportait loin de nous. Mais plus
loin, à l'ouest, il y avait toute une région de mystère, de
bruits et de fureurs, avec des nuages de fumée, de gaz et de
vapeurs en masses roulantes, dont il eût été dangereux de
vouloir sonder les profondeurs; là se trouvent les cônes d'é-
ruption dont la lumière, la veille au soir, paraissait slation-
naire.
« Quant au lac lui-mùnie, nous pouvions, nous tenant sur
le bord, le voir comme on voit la mer quaml on est à bord
d'un navire. Le seul risque, et il n'était pas tout à fait imagi-
naire, était celui de l'écroulement du rocher qui nous portait.
MÉLANGES ET NOUVELLES. 171
t Avant noire départ, une nouvelle convulsion se déclara
dans ces laves. Le feu s'élança à de grandes hauteurs. Les
fontaines et les jets s'enchevêtrèrent tous ensemjjle; il en
apparut d'autres qui dansèrent gaîment le long des bords,
puis, à leur tour, se jetèrent dans le goulfre central, formant
une immense fournaise qui se souleva en forme de pyra-
mide, puis éclata et disparut en s'efïondrant dans l'abîme.
Alors irinnombrables vagues de feu s'enlevèrent dans les
airs, bruyant et se tordant comme des lanières de fouet. Le
lac, se partageant en deux niasses, se retii-a des deux côtés ;
puis, rassemblant ses feux et se gonflant comme poussé par
la puissance souterraine, il se précipita par-dessus la barrière
temporaire qu'il avait construite, roulant en avant avec une
force majestueuse et lente, et laissant la surface centrale agi-
tée et palpitante dans une stérile agonie, comme si elle eût
la conscience qu'encore une fois elle avait failli à l'accom-
plissement de la tâche finale qui lui est assignée. »
Voilà, ou en conviendra, une puissante desci'iption de l'un
des plus grands phénomènes de la nature; mais il est sans
doute des réalités que la plume la mieux exercée doit renon-
cer à décrire. Ce qu'on vient de hre se passait en janvier :
le o juin suivant, dans une nouvelle visite au Kilauéa, l'au-
teur jugeait que tout ce qu'elle avait vu auparavant n'était
qu'un jeu en comparaison de la commotion qui se déployait
alors. « Ce jour-là, tout était terreur, horreur et sublimité,
noirceur, gaz étouffants, chaleur dévorante, fracas, soulève-
ments, détonations, etc. » — A cette époque, la portion infé-
rieure du cratère, qui auparavant présentait un niveau de
laves crevassées, paraissait avoir été partiellement inondé de
laves nouvelles par un débordement du lac Halémaùmaù.
« Ces nouvelles laves se sont déposées d'un mouvement telle-
ment régulier qu'elles représentent exactement de vastes
enroulements de câbles de fil de fer. Il s'est aussi formé
i 72 BULLETIN.
tlans les crevasses de fréquents dépôls de soufre impur et
d'alun. »
III. Un cône souffleur du Kilauéa.
Avant de quitter Kilauéa, encore une citation, pour finir,
et non des moins remarquables : C'est la description de Tun
des cônes souffleurs, ou d'émission dô gaz et de laves, que
présente cette région extraordinaire, et dont une heureuse
chance permit d'observer les phénomènes intérieurs. — La
date est celle de la dernière visite.
« Au delà du lac existe une horrible région, où d'immen-
ses volumes de fumée s'élancent de la surface, accompagnés
de hruiis étranges, et c'est de ce côté (jue nous dirigeâmes
nos pas, non sans quelque danger, car la croûte de lave cé-
dait fréquemment sous le pied.
« Nous atteignîmes d'abord un « cône souffleur » isolé,
après lequel il y en avait trois ou quatre autres formant un
groupe. Mais je m'arrêtai au premier, le danger dans le voi-
sinage des autres pM'aissant trop grand pour me permetti"e
raisonnablement d'aller plus loin.
« Ce cône avait la forme d'une ruche d'abeilles, environ
douze pieds de hauteur, et ses parois entr'ouvcrtes présen-
taient une épaisseur de deux pieds. Une portion de son flanc
ainsi que son sommet tout entier avaient été enlevés par
quelque explosion, ce qui permettait de l'examiner tout à
l'aise du lieu où nous étions. C'était effroyable, et il y avait
bien quelque risque de recevoir des éclaboussures de lave à
une chaleur blanche. — On suppose que ces cônes se for-
ment graduellement par le refroidissement des matières en
fusion qui sortent des évents, chassées par les explosions et
les courants de gaz. — Tout l'intérieur du cône était embrasé,
à l'état de fusion pâteuse, plein de nœuds et de stalactites de
ftMi. Des jets de lave, hi'illant d'une lumière blanche et par
MÉLANGES ET NOUVELLES. 173
moments éblouissante, étaient continuellement lancés en
haut, et fréquemment l'ouverture latéi'ale vomissait des gru-
meaux qui se refroidissaient promptement, produisant une
substance semblable à du verre veit à bouteilles. — Les mu-
gissements du gouffre étaient plus qu'assourdissants; ils
étaient stupéfiants. — La contemplation de l'intérieur n'était
possible (jue par instants, et toujours difficile. Autant que
j'en pus juger, cette « cheminée » allait en s'élargissant par
le bas ; elle nous paraissait avoir environ 40 pieds de pro-
fondeur. Quant à ce qui se passait là au fond, il faut renon-
cer à décrire cette furie des éléments. Il semblait à tous mo-
ments que toute cette structure volcanique allait être proje-
tée au milieu des airs. Le grondement souterrain et la vibra-
tion du sol étaient continuels. — M. Green, qui nous accom-
pagnait, essaya vainement d'approcher des autres cônes. Les
émanations acides, principalement sulfureuses, menaçant de
le suffoquer par leur densité et leur abondance, il lui fallut
abandonner l'entreprise.
IV. Un volcan en travail.
Les îles Sandwich n'échappent point à la loi qui fait du
voisinage immédiat d'un volcan un immense danger en
même temps qu'un spectacle d'une sublimité pleine d'effroi.
La violence d'une éruption s'apprécie d'avance assez exacte-
ment par l'énergie des signes précurseurs bien connus, des
tremblements de terre dans toutes leui's variétés. La cause
du phénomène est probablement une obstruction plus ou
moins complète des évents nécessaires au jeu régulier du
volcan. La force intérieure .s'accumulant alors, lutte contre
l'obstacle jusqu'à ce qu'elle le surmonte, ou qu'elle se fraie
un passage dans une nouvelle direction, comme une chau-
dière à vapeur éclate à côté de sa soupape de sùrelé quand
celle-ci cesse de fonctionner.
174 BULLETIN.
L'île d'Hawaii a souvent été ravagée et bouleversée par
cette cause. L'indifférence caractéristique des indigènes ayant
à peu près laissé périr leurs souvenirs, ils ont perdu la mé-
moire des plus anciens désastres ; mais les traces en sont
faciles à reconnaître. Les Européens, du moins, ont enregis-
tré les grandes commotions qui ont eu lieu depuis qu'ils se
sont établis dans le pays. — Nous allons donner quelques
notes sur l'une des plus terribles.
« J'ai entendu les détails les plus saisissants des tremble-
ments de la terre et des soulèvements de la mer. Mais il est
difficile de transmettre Timpression que font de tels récits
recueillis sur les lieux mêmes, et de la bouche de ceux qui
ont vu les faits qu'ils racontent. Leuis yeux ont contemplé
le flot irrésistible apportant sur eux la dévastation. Ils ont
éprouvé les vibrations prolongées et sans cesse renaissantes
(lu sol qui les porte. Ils ont frissonné k l'aspect des sinistres
lueurs des laves roulantes et des cataractes de feu tombant
dans des étangs de flammes Je pourrais remplir pages
après pages en répétant ce qu'on m'a raconté; mais il faut
m'en tenir au plus important.
« En 'I8So eut lieu la quatrième éruption du Mauna Loa
dont on a conservé le souvenir. La lave se dirigea droit sur
Hilo, et pendant plusieurs mois, cherchant lentement son
chemin au travers des forêts qui enceignent la montagne,
elle s'avança vers la côte, menaçant toute cette belle région
d'Hawaii du sort des villes de la Plaine, ou plus exactement
encore, de celui des villes de Pompéi et d'Herculanum. —
M. Coan, missionnaire, fit plusieurs reconnaissances pour
constater la marche de l'éruption, et au retour de chacune
d'elles les braves gens lui demandaient pour combien de
temps ils en avaient encoiet Pendant cinq mois ils obser-
vèrent renvahissemenl des laves se rapprochant d'eux un
peu chaque jour. — Le moment de fuir était-il arrivé? —
MÉLANGES ET NOUVELLES. 175
Leurs habitations allaient-elles devenir un désert, encombré
de laves et de sables noirs, comme le district voisin, celui de
Puna, jadis aussi beau que le territoire de Hilo ? — Ces
questions se représentaient sans cesse à eux pendant que,
chaque nuit, ils guettaient la lueur qui avançait toujours,
jusqu'à ce qu'enfin et par honheur les vagues incandescen-
tes rencontrèrent des obstacles qui, en les arrêtant, les for-
cèrent à s'amonceler en muraille, les unes sur les autres, à
huit milles de Hilo, et pour le présent du moins les craintes
prirent fm. L'éruption avait parcouru quarante milles de
pays en ligne droite, et soixante en comptant ses sinuosités,
La masse des laves avait d'un à trois milles de largeur, et de
deux cents à cinq cents pieds d'épaisseur, selon la configura-
tion des localités envahies. L'éruption avait duré treize mois,
et avait recouvert près de trois cents milles carrés de ter-
rain, le volume des laves étant estimé à 38,000 millions de
pieds cubes.
« En 1859, des jets de feu de quatre cents pieds d'éléva-
tion et d'un diamètre presque égal jouèrent sur le sommet
du Mauna Loa. Cette éruption-là atteignit en huit jours la
mer, à la distance de 50 milles ; mais elle dura bien au delà
de celte première période, et ajouta un nouveau promontoire
à l'île d'Hawaii.
« Ces colossales invasions, quoique très-menaçantes, n'ont
en somme infligé que peu de dommages aux régions culti-
vées, et n'avaient causé aucune mort d'hommes. On com-
mençait à croire qu'on en avait fini avec le volcan et ses
fureurs. Mais en 1868, son action se réveilla avec une vio-
lence sans exemple dans toute l'histoire de l'île. Le 27 mars
commença une série de tremblements de terre qui devin-
rent plus etïrayants de jour en jour. Les secousses se rap-
prochèrent de plus en plus, au point qu'à la fin, l'île entière
en était, entre les commotions plus sérieuses, dans un fré-
176 BULLETIN.
missement continu, semblable à celui du couvercle d'une
bouilloire que la vapeur soulève sur le feu. Alors l'éruption
permanente du Kilauéa s'arrêta tout d'un coup, et le cratère
terminal du Mauna Loa, le Mokiiaiceoiceo, lança des colonnes
de fumée, de vapeurs, et pendant deux jours des colonnes de
feu. Cette montagne ayant 13,750 pieds d'élévation, ses feux
se virent à plus de 50 lieues en mer. Bientôt on vit la paroi
de son dôme déchirée du côté du sud, et donnant issue à
quatre courants distincts de matières en fusion, jaillissant
par autant de fissures et se précipitant du haut de la mon-
tagne dans plusieurs directions. Tout à coup, les courants de
lave parurent s'arrêter, et le sommet de la bleue montagne
se profda de niveau sur le pur azur du ciel, sans la moindre
apparence de feu ou même de fumée. Cet apaisement sou-
dain devint pour Hilo la cause d'une grande anxiété, tout le
monde étant certain que les feux ainsi subitement suppri-
més, loin d'être domptés, ne manqueraient pas de se cher-
cher une nouvelle issue. En effet, les secousses reprirent et
redevinrent continuelles, ou plutôt la terre se mit en mou-
vement comme une mer houleuse. Les chocs les plus variés
se distinguaient à peine l'un de l'autre. Les secousses étaient
aussi diverses que violentes, tantôt horizontales, tantôt verti-
cales, ou ondulatoires, circulaires, etc. Elles produisaient sur
l'homme tous les effets du mal de mer, comme si l'on eut
été à bord d'un navire ballotté par les vagues.
« Ce fut le 2 avril, sur le déclin d'une belle après-midi,
que survint la catastrophe finale. La surface du sol se soule-
vait et s'affaissait comme la mer dans la tempête. Les i-ochers
se fendaient jusque dans leurs profondeurs, des montagnes
s'écroulèrent, les habitations furent détruites, les arbi-es
ployaient comme des roseaux et les animaux couraient çà et
là éperdus de terreui'. Les hommes pensaient voii- la tin du
inonde et se croyaient parvenus au jour du grand jugement.
MÉLANGES ET NOUVELLES. 177
Les terres se crevassant rendaient les routes impraticables;
cavaliers et piétons étaient rudement jetés à terre. On eût
dit que la puissante ossature des montagnes craquait de
toutes parts, avec les colonnes et les piliers qui portent la
terre. A Kilauéa, les secousses étaient aussi fréquentes que
les battements du balancier d'une borloge. A Kaù, district le
plus méridional de l'île, on compta jusqu'à 300 secousses
pendant celte terrible soirée. La nature entière était comme
dans une convulsion désespérée et mortelle. On était obligé
de s'asseoir sur le sol en s'étayant des pieds et des mains
pour éviter d'être roulé comme une balle. De ce côté, on vit
une avalancbe de terres rouges, qu'on suppose avoir été de
la lave, se précipitant du flanc de la montagne, lançant des
rocbers en l'air, engloutissant arbres, maisons, hommes et
animaux. Franchissant trois milles en autant de minutes,
l'avalanche vint couvrir un village où se trouvaient trente-
un habitants et cinq cents bêtes. Les gens des vallées se ré-
fugièrent sur les montagnes, bien qu'elles se fendissent égale-
ment en tous sens, et là réunis sur les pointes les plus éle-
vées, ils passèrent la nuit à prier et à chanter des cantiques.
Regardant vers le rivage, ils le virent s'enfoncer, et au même
instant un flot de mer, dont on estima la liauleur de 40 à (50
pieds, s'élança sur la terre contre laquelle il vint battre à cinq
reprises, enlevant d'un coup des villages entiers, même des
constructions de pierre, et entraînant dans l'abîme quarante-
six personnes qui s'étaient attardées trop près du rivage.
« Malgré tous ces désastres, les tremblements de terre al-
laient s'aggravant^ et le volcan ne donnait aucun signe d'ac-
tivité. La terreur était à son comble parmi les habitants ; plu-
sieurs tentèrent d'émigrer à Honolulu; d'autres tenaient leurs
chevaux sellés nuit et jour, pour fuir, sans savoir où! De
toutes parts on s'aboi'dait en se demandant avec une fiévreuse
anxiété : « Et le volcan? »
178 BULLETIN.
« Au bout de cinq jours d'angoisses, le sol éclata au sud de
Hilo avec une furie et un fracas qui donnèrent la réponse à
toutes ces questions. Le torrent des laves en fusion, après
avoir fait sous terre un trajet de vingt milles, commença à
jaillir par une crevasse de deux milles de longueur avec une
force et une abondance effroyables. C'était à la partie supé-
rieure d'une délicieuse région pastorale qu'on supposait par-
faitement hors de tout danger dii-ect : un plateau couvert de
pâturages, riche en bétail et animé de nombreuses demeures
d'indigènes et d'étrangers. Quatre gueules béantes commen-
cèrent à vomir la lave avec une énergie épouvantable, lan-
çant des rochers du poids de plusieurs tonnes à une hauteur
de SOO et de 1000 pieds. — M. Whitney, qui avait été témoin
de tout cela, s'exprime ainsi : « De ces puissantes fontaines
s'élança vers la mer un courant rapide de lave ardente, se
pressant en flots et en cascades comme une rivière gonflée
par les torrents, emportant d'énormes blocs de rochers sur
ses ondes écumantes de feu, se hâtant du précipice dans la
vallée et de la vallée dans la mer avec une rage indicible.
C'était simplement une rivière de feu, de 20 pieds de pro-
fondeur et de 200 à 800 pieds de large, avec une vélocité de
10 à 25 milles à l'heure. » — Ici encore, le même observa-
teur remai-que que, soit les laves^ soit les roches, étaient
toujours animées d'un mouvement de rotation les portant
vers le sud.
« La lave, s'épanchant dans la mer, porta le rivage de l'île
d'un demi-mille en avant; mais cet inutile accroissement de
superficie fut chèrement payé par la perte de 4000 acres de
pâturages de première qualité, et d'une bien plus grande
étendue de magnifiques forêts. Le rivage sud-ouest d'Hawaii,
dans sa totalité, s'abaissa d'un niveau de quatre à six pieds,
ce qui entraîna la destruction de plusieurs hameaux, et sur-
tout celle de la charmante et précieuse bordure de cocotiers
MÉLANGES ET NOUVELLES. 179
qui régnait tout le long de la mer. Quoique celte région ne
fût que faililement peuplée, deux cents maisons et cent vies
humaines disparurent pendant cette semaine d'horreurs, et
de chaque district les habitants se réfugièrent à Hilo, appor-
tant avec eux les désolants récits de montagnes éboulées,
d'océans soulevés et de régions désolées par les fureurs du
volcan. Le nombre des secousses comptées à Hilo s'éleva
jusqu'à deux mille en quinze jours, ou cent-quarante par
jour, en moyenne; mais de l'autre côté de l'île, leur nombie
fut incalculable. »
V. Le volcan éteint d'Haléakala.
Après les fureurs dont nous venons de nous rassasier, on
éprouvera quelque soulagement à entendre parler d'un vol-
can éteint. — Ils s'éteignent donc, quelquefois, ces centres
indomptés d'une puissance sauvage, dont rien ne saurait me-
surer ni l'énergie, ni l'effet? — Oui, ils s'éteignent; comme
toute autre agitation excessive, ils s'épuisent, ils se calment;
au cours des âges, leur sang de feu se refroidit dans leurs
veines de pierre, et le silence de leur solitude vient faire un
étrange contraste avec la solitude de leur fracas. Qu'on en
juge par la description suivante, qui sera le dernier de ces
extraits :
« Le grand objet de curiosité dans l'île de Maui est l'im-
mense cratère du volcan éteint ù'Haléakala (la maison du
Soleil). Je l'ai visité dans les circonstances les plus favo-
rables.
« Ordinairement on fait l'ascension dans l'après-midi, on
campe près du sommet, on allume un feu auprès duquel on
est dévoré par les puces, on grille et on gèle alternativement
jusqu'au matin, et on se trouve sur pied pour voir le splen-
dide spectacle du lever du soleil. Mais je crois que nous agî-
•180 BULLETIN.
mes plus sagement en parlant à deux lieures du matin. La
lune était couchée, et l'obscufité était intense.
« La végétation devient plus rare à mesure qu'on monte,
mais ne cesse jamais complètement. Au sommet de la mon-
tagne, à 10,200 pieds au-dessus de la mer, il y a encore des
toufïes d'herbes, et quelques Asplenium dans des crevasses.
Le froid, à cette hauteur, est très-vif, et je le sentais cruelle-
ment; cependant c'était surtout l'etTet du contraste, car le
thermomètre ne marquait qu'un degré au-dessous du point
de congélation.
« A 7 heures, après une dernière montée assez rude sur
un pavé roulant de scories et de ponces, nous atteignîmes ce
qu'on disait être le sommet, où une muraille de roches dé-
chirées et calcinées cachait toute vue ultérieure. Descendant
de cheval sur un sol de cendres, nous pénétrâmes par une
crevasse de cette paroi, au bout de laquelle, d'un seul coup
d'œil, notre regard embrassa le plus vaste cratère qui soit au
monde.
« Je dois reconnaître qu'avec le souvenir encore récent
(les feux vivants du Kilauéa, ma première impression fut celle
du désappointement; car le volcan est bien éteint, si bien
qu'il n'a pas même laissé une tradition touchant l'époque de
son activité. Et, liien que, pentlant les heures suivantes, sa
majesté et sa sublimité se soient graduellement révélées à
moi, je tiens à dire que l'étude de radmirai)le carte qu'en a
dressée M. Alexander (voyageur américain)^. la comparaison
des distances, celle des hauteurs des cônes nombreux et con-
.sidérables et des cratèi'es pai'tiels qui y sont épars et comme
perdus, et l'effort nécessaire pour en saisir l'étendue, la cir-
conférence et la profondeur, tout cela en donne une appré-
ciation bien plus exacte que ne saurait le faii'e une simple
description ou la vue elle-même au premier moment.
« Le volcan éteint, haut de 10,000 pieds, avec une base
MÉLANGES ET NOUVELLES. 181
d'un périmètre énorme, constitue à lui seul toute la partie de
rîle de Maui à l'est de l'isthme de Waïluku, qui en occupe le
milieu. Ses pentes sont très-régulières, variant de 8 à 10 de-
grés. Comparées à celles de Kauaï et d'Oahu, ses laves sont
de couleur moins foncée, plus compactes, moins poreuses et
moins perméables à l'eau. Le côté de l'île exposé au vent, et
par conséquent aux pluies, est raviné de torrents qui ont
creusé çà et là des cavités où l'eau s'amasse. Sur ce côté, la
végétation des forêts est surabondante jusqu'à 2000 pieds
d'altitude. Du côté opposé, dilTérents bancs de laves, noires
et d'apparence moderne, s'étendent jusque dans la mer. Tout
ce rivage, à une certaine hauteur, porte profondément les
traces d'une action volcanique des plus violentes. Par places,
la roche est rouge et brisée, et les cônes latéraux abondent à
la base de la montagne.
« La végétation qui vous accompagne jusqu'au sommet,
vous fait une sorte d'illusion; il semble qu'on doive, naturel-
lement, gravir des pentes encore plus nues, plus noires, plus
abruptes : pour moi la surprise du Haléakala consista en ceci,
que là où la probabilité faisait attendre le développement d'un
vaste dôme, je trouvai tout à coup un immense abîme s'ou-
vrant à mes pieds. La masse du sommet de la montagne a été
complètement anéantie^ et l'on ne peut que se perdre en
étonnement sur la puissance dont l'action a dû être néces-
saire pour produire un tel résultat.
« Le cratère étant libre de nuages et éclairé du soleil dans
ses différentesrégions, il était facile d'en saisir les dimensions.
d'un seul regard, quoique les précipices qui le bornent de
toutes parts offrent un développement qui n'est pas moindre
de 19 milles. Son sol, vaste et irrégulier, s'étale à une pro-
fondeur d'environ 2000 pieds : la ville de New-York pourrait
s'y établir, et à l'aise. Plusieurs des anciens cônes d'éruption
isolés ou groupés dans diverses parties de cet espace, atlei-
182 BULLETIN.
gnent une hauteur de 800 pieds et davantage. Ces cônes sont
d'une forme très-caractéristique, et le plus grand nombre,
avec leurs flancs d'un rouge ardent et leur gueule tapissée
de couches régulières d'une scorie noire, semblent n'être
éteints que d'hier. Ils sont tous composés de substances po-
r^ses, comparativement peu pesantes, et leurs cendres sont
fortement teintées d'oxyde de fer. D'ailleurs on ne rencontre
que de faibles traces des produits ordinaires des volcans : on
trouve çà et là un peu de soufre mêlé à d'autres matières,
mais on ne voit nulle part ni évents gazeux, ni sources
chaudes.
« Le cratère paraît composé d'une sorte de basalte dur,
gris et profondément crevassé; mais plus bas, les roches de
la montagne sont plus tendres et d'un ton bleuâtre. Avec ses
scories refroidies et sa force épuisée, ce cratère n'en est pas
moins le plus saisissant témoignage de la puissance du feu.
On voit au nord et à l'est deux brèches dans l'enceinte, nom-
mées Koulau et Kaupo,de niveau avec le sol général du fond
du cratère, et par lesquelles les océans de lave, à des époques
inconnues, ont forcé le passage pour aller se jeter dans la mer.
Quant à ce qui se voit à présent, on dirait que les forces vol-
caniques, satisfaites d'avoir fendu en deux le sommet de la
montagne, se sont replongées dans un repos sans fin. »
L.-H. deL.
RAPPORT
AU
COMITÉ NATIONAL SUISSE
pniR
L'EXPLORATION ET Lfl CIVILISATION DE L'AFRIQUE
Messieurs,
Lorsque le Comité national suisse pour l'explora-
tion et la civilisation de l'Afrique centrale s'est con-
stitué à Genève, le 24 avril dernier, un de ses pre-
miers soins a été de choisir les deux délégués qui
devaient le représenter à Bruxelles, au sein de la
Commission internationale. Malheureusement un seul
de ceux qui ont été honorés de vos suffrages, l'au-
teur de ces ligues, a pu se rendre en Belgique, M. le
professeur Desor, auquel vous l'aviez adjoint pour
cette mission, ayant été retenu à Berne par la session
des Chambres fédérales. J'ai vivement regretté la
privation d'un tel collègue, qui eût pu apporter dans
la discussion des lumières que, i)our ma part, j'allais
seulement y chercher. Toutefois j'ai trouvé une pré-
cieuse compensation à ce mécompte dans la compagnie
de notre j)résident, M. de Beaumont, siégeant à mes
côtés en sa qualité de Président de la Société de géo-
graphie de Genève.
184 RAPPORT AU COMITÉ NATIONAL SUISSE
Je vais essayer, Messieurs, de vous retracer aussi
fidèlement que possible, la physionomie et les travaux
de la Commission internationale, qui a tenu ses séan-
ces les 20 et 21 juin dernier, au Palais de Bruxelles.
Vous n'ignorez pas que cette session avait été pré-
cédée l'an dernier, d'une autre réunion internatio-
nale, laquelle avait jeté les bases de l'œuvre afri-
caine; mais, comme vous le savez aussi, ces deux
assemblées ont eu un caractère assez différent : tan-
dis que celle de 1876 émanait directement de l'ini-
tiative du roi des Belges, qui avait choisi, pour les
consulter, les experts les plus versés dans la connais-
sance de l'Afrique, — en 1877 les assistants avaient
été élus par leurs compatriotes respectifs, et ne sié-
geaient qu'en vertu de délégations positives ou comme
présidents des principales sociétés de géographie. En
fait, des vingt-cinq membres de la Commission inter-
nationale de 1877, quatre seulement avaient parti-
cipé aux travaux de la Conférence préparatoire de
1876, sans parler du souverain qui, non content d'a-
voir été le zélé promoteur et la providence de l'entre-
prise^ l'a servie encore comme président effectif et
infatigable, offrant en outre aux membres étrangers
une cordiale hospitalité, dont ils conserveront tou-
jours le souvenir le plus reconnaissant.
Dix pays différents ont été représentés au sein de
la Commission, savoir : l' Allemagne, l'Autriche, la
Belgique, l'Espagne, les États-Unis, la France, la
Hongrie, l'Italie, les Pays-Bas et la Suisse. Parmi ceux
(\m n'y figuraient pas, il en est trois surtout que l'on
a peut-être été surpris de ne pas y rencontrer; ce sont :
le Portugal, en raison de ses possessions sur le sol
POUR l'exploration et la civilisation de l'afrioue. 18o
africain; la Russie, qui tient une place si honorable
dans la science géographique ; l'Angleterre enfin, qui
a tant d'intérêts engagés en Afrique et qui a fourni
à ce continent ses plus célèbres explorateurs. —
L'abstention du Portugal et de la Russie n'a cepen-
dant point de signification fâcheuse ; à Lisbonne
comme à St-Pétersbourg l'association africaine a
trouvé des adhérents sympathiques, que des circons-
tances de force majeure ont seules retenus loin de
Bruxelles cette année. — Il n'en est malheureuse-
ment pas de même des Anglais, qui ne comptaient
pas moins de dix des leurs à la Conférence de 1876,
et qui, après réflexion, ont préféré se tenir à l'écart ;
non pas, on le comprend, qu'ils veuillent se désinté-
resser des questions africaines, mais dans la crainte,
apparemment, de perdre quelque peu de leur indé-
pendance d'allures sur un terrain où, il faut le recon-
naître , ils ont prouvé qu'ils savaient faire leur che-
min tout seuls. La Commission internationale n'a pu
que regretter cette détermination qui la prive du
concours de précieux conseillers, et qui a entraîné le
remplacement de Sir Bartle Frère, démissionnaire
comme membre du Comité exécutif. On lui a donné
pour successeur un américain, M. Sanford.
Ce que je viens de dire de la représentation des
divers pays vous prouve. Messieurs, que de nom-
breux comités nationaux se sont formés, comme le
nôtre, à Tappel de la Conférence de Bruxelles. Je
désire vous les faire connaître, pour vous montrer à
quel point la solution des problèmes de l'Afrique cen-
trale préoccupe ou intéresse l'ensemble du monde ci-
vilisé.
Eu Allemagne, malgré l'existence, depuis 1872,
BULLETIN, T. XVI, 1877. 13
186 RAPPORT AU COMITÉ NATIONAL SUISSE
d'une « Société pour l'exploration de l'Afrique équa-
toriale, » un Comité de l'Association internationale a
été fondé sans peine, sous la présidence du prince de
Reuss; mais on travaille maintenant à la fusion de ces
deux sociétés qui poursuivent le même but. On songe
à créer des comités provinciaux ou locaux, et l'empe-
reur a fait un don de 25,000 marks (31,250 fr.) en
attendant le vote d'une allocation par le Keiclistag.
Une «Société africaine» s'est constituée à Vienne,
le 29 décembre 1876, sous le protectorat de S. A. I.
l'archiduc Rodolphe, prince héritier. Au 15 juin 1877
elle comptait déjà 250 membres.
La Hongrie a, depuis le 23 mai dernier, son co-
mité spécial, qui était représenté à la Commission
internationale par son président, S. G. l'archevêque
de Kalocsa.
Les Belges ont été les premiers à se constituer en
Comité national, sous la présidence de S. A. R. le
comte de Flandre; leurs efforts pour populariser
l'œuvre chez eux ont été couronnés de succès, puisque,
au 15 juin 1877, ils avaient réuni 298,000 francs de
souscriptions simples à capitaHser,et 112,000 francs
de souscriptions renouvelables annuellement, soit un
total de 410,000 francs. Le Comité belge a décidé,
entre autres choses, de publier et de distribuer gra-
tis une brochure populaire sur l'Afrique, en français
et en flamand.
A INIadrid, une première réunion a eu lieu au mois
de février dernier, et le 30 mai « l'Association espa-
gnole pour l'exploration de l'Afrique» était définitive-
ment constituée sous la présidence du roi. Cette as-
sociation, tout en se joignant aux travaux internatio-
naux, doit donner son appui aux entreprises natio-
POLK l'exploration ET LA CIVILISATION DE L'aFRIQUE. 187
iiales (le l'Espagne, et déjà elle a voté une exploration
de la côte occidentale d'Afrique^ dans le voisinage
des Canaries.
C'est à New- York que le Comité américain a pris
naissance au mois de mai. Il a pour président l'hono-
rable John-B.Latrobe de Baltimore (qui est en même
temps président de la « Société de colonisation afri-
caine »), et j'ai déjà dit que l'un de ses délégués à
Bruxelles, ]M. Sanford. avait été élu membre du Co-
mité exécutif.
Eu France, c'est à l'initiative de la Société de géo-
graphie qu'est due la fondation du Comité national
africain, composé primitivement de cinquante-six
membres. Dans son règlement, le Comité français s'est
attaché à se rapprocher autant que possible des dis-
positions adoptées par le Comité belge.
Le Comité national italien est présidé par S. A. R.
le prince Humbert. Dans ses séances des 21 mai et
15 juin il s'est constitué, et a chargé ses délégués à
Bruxelles de recommander à l'assemblée l'expédition
italienne qui explore actuellement le royaume de Choa.
Dans les Pays-Bas, S. A. R. le prince Henri a ac-
cepté la présidence du Comité africain, composé de
trente-cinq membres au maximum. Ce Comité se pro-
pose d'intéresser à l'œuvre internationale, non-seu-
lement toutes les provinces de la Néerlande par la
formation de comités locaux, mais encore ses riclies
colonies.
J'ai emprunté, Messieurs, les renseignements qui
précèdent aux notices qu'ont déposées, sur le bureau
de la Conférence, les diverses députations nationales
dont elle se composait. Je n'ai pas parlé de la Suisse,
parce que je n'ai rien à vous apprendre à son sujet.
188 RAPPORT AU COMITÉ NATIONAL SlISSE
— Le Portugal et la Russie ont aussi des Comités
spéciaux ; mais ces deux Etats ayant fait défaut à
Bruxelles, je ne suis pas en mesure de vous fournir
sur leur compte des données officielles.
En résumé ce sont douze nations qui, en moins
d'un an, ont suivi l'impulsion donnée par S. ]\r, Léo-
pold IL Celle-ci était donc opportune puisque les
esprits étaient si bien préparés à la recevoir, et l'em-
pressement général que l'on a mis à se rallier à l'œu-
vre africaine est de bon augure pour son avenir.
Mais il est temps. Messieurs, que je vous parle des
décisions prises par la Commission internationale.
Je serai bref en ce qui concerne l'administration
intérieure de la Société.
Dans cet ordre de faits, la votation la plus impor-
tante a eu pour but la confirmation de S. M. le roi
des Belges comme président. Ses fonctions devant ex-
pirer le 14 septembre 1877, la Commission a été
unanime pour prier S. M. de rester à sa tête et de
continuer à assurer sa marche encore chancelante.
Le roi a daigné accéder à ce vœu, mais pour un temps
limité, convaincu, a-t-il dit, que, dans l'intérêt de
l'œuvre africaine, il n'est pas bon que la direction
reste toujours dans les mêmes mains.
Par suite de cette réélection et du remplacement
de Sir Bartle Frère, dont j'ai déjà parlé, le Comité
exécutif se trouve composé connue suit :
S. M. le roi des Belges, président.
M. le D-" Nachtigal (Allemagne),
de Quatrefages (France).
Sanford (États-Unis),
le baron (rreindl (15elgique), secrétaire général.
POUR l'exploration et la civilisation de l' AFRIQUE, 189
Les finances ont fait l'objet d'un exposé qui n'a été
suivi d'aucune discussion, attendu qu'il se bornait à
constater un apport considérable de fonds par la Bel-
gique dans la caisse commune.
D'après les calculs du trésorier, l'Association peut
compter dès à présent sur un revenu annuel d'au
moins 75,000 francs.
A côté du Comité belge, le Comité autrichien est
le seul qui ait fourni des ressources financières à l'as-
sociation ; il lui a versé une somme de 5000 francs.
Le secrétaire général, en donnant lecture de la si-
tuation financière, a bien voulu justifier l'abstention
des autres comités étrangers, en faisant remarquer
que leur formation était trop récente pour qu'ils eus-
sent eu le temps de recueillir des souscriptions d'une
certaine importance. ]\Lais il est évident que le géné-
reux exemple donné par la Belgique doit être suivi
par les autres Etats, et j'ose espérer que la Suisse en-
tre autres le comprendra.
Un dernier objet que je puis faire rentrer dans le
cadre des questions administratives est le choix d'un
drapeau. Mise en demeure de se prononcer à ce sujet,
l'assemblée fut conduite à reconnaître que, si un dra-
peau n'était pas indispensable, il pouvait avoir son
utilité, mais elle écarta systématiquement ceux qui
appartenaient déjà à un Etat ou à une association. Elle
ne s'accommoda par conséquent ni de la Croix rouge
de la Convention de Genève, ni du Lion belge qu'on
lui proposa ; elle ne voulut pas non plus de l'emblème
du Sphinx, indiqué comme pouvant convenir à une
société qui se donne pour mission de résoudre l'é-
nigme africaine. Le drapeau adopté sera bleu avec
uue étoile d'or.
190 RAPPORT AU COMITÉ NATKlNAf. SUISSK
La Conférence de 1876, vous vous en souvenez,
Messieurs, avait posé en principe que, pour faciliter
les explorations de l'Afrique centrale, la chose essen-
tielle était « d'établir, commme base de ces explo-
rations, un certain nombre de stations scientificpies
et hospitalières, tant sur les cotes que dans l'intérieur
du continent africain. »
La Commission de 1877, avant de mettre la main
à l'œuvre pour créer ces stations, éprouva le besoin
de se rendre compte plus exactement de ce qu'elles
doivent être, tant au point de vue de leur personnel
qu'à celui de leurs travaux.
Des stations scientitiques et hospitalières, perdues
en quelque sorte au cœur de l'Afrique, étant une in-
stitution sans précédents, on pouvait craindre que
bien des opinions divergentes se tissent jour lorsqu'on
entreprendrait d'en tracer le programme. Cependant
il n'en fut pas ainsi, et cela pour deux motifs : le pre-
mier c'est que le terrain avait été parfaitement pré-
paré, par l'élaboration d'un projet complet qui servit
de base commode à la discussion ; le second c'est que
la Commission jugea bon de ne pas réglementer l'en-
treprise trop minutieusement, et laissa une très-grande
liberté au Comité pour l'exécution des dispositions
générales arrêtées par elle. On put ainsi s'accorder
sans peine sur les résolutions suivantes :
Il fut décidé, en premier lieu, (jue « le personnel
d'une station se composerait d'un chef et d'un certain
nombre d'employés, choisis ou agréés par le Comité
exécutif. » Lunité de commandement se trouva par
là consacrée connne indispensable ; mais il ressort
aussi de cette rédaction (jue les emi)lovés placés sous
f
POUR l'exploration et la civilisation de l' AFRIQUE. 191
l'autorité du chef ne seront pas nécessairement des
Européens. Le projet a été moditié dans ce sens, non-
seulement pour ne pas exclure les blancs non euro-
péens, ce qui allait de soi, mais aussi pour complaire
à ceux qui pensaient que des hommes de couleur
pourraient parfois convenir mieux que d'autres pour
certains emplois. On n'alla pas toutefois jusqu'à spé-
cifier que le chef de station n'aurait auprès de lui au-
cun blanc, comme cela fut proposé. L'auteur de cette
motion, fort de sa longue pratique des voyages afri-
cains, assurait que lorsque plusieurs étrangers se
trouvent ensemble dans un pays peu connu, ou bien
le charme de leur société mutuelle leur fait négli-
ger leurs devoirs d'observateurs, ou bien ils se
querellent, se brouillent et perdent par cela même
leur ascendant sur les indigènes. La Commission
trouva que si ces appréhensions étaient justifiées pour
des voyages d'exploration, elles Tétaient beaucoup
moins pour un établissement fixe, lequel d'ailleurs ne
pourrait se passer de plusieurs spécialistes, que les
nations civilisées sont seules capables de lui fournir.
Indépendamment des instructions de détail, qui se-
ront données d'une manière spéciale pour chaque ex-
pédition, les chefs de station devront se conformer à
deux règles que la Commission a cru devoir établir
pour toutes les installations.
« Le premier soin du chef de station, » a-t-elle
dit, « sera de se procurer une maison d'habitation,
et de tirer parti des ressources du pays, afin que la
station se suffise par elle-même. »
Et plus loin :
« Il sera dans l'intérêt de la station d'assurer, de
192 RAPPORT AU COMITÉ NATIONAL SUISSE
dépôt en dépôt, des communications aussi régulières
que possible entre la côte et l'intérieur. »
Peut-être la Commission a-t-elle pris un soin su-
perflu en recommandant aux chefs de stations de se
pourvoir d'un logement ; mais l'idée que le personnel
envoyé par la Société internationale devra chercher
à se suffire à lui-même en exploitant les ressources
du paj^s, a une grande importance. — Ce sera un ex-
cellent moyen de justifier aux yeux des noirs, qui ne
comprendraient pas qu'on allât s'établir chez eux uni-
quement par amour de la science et par dévouement
à la cause du progrès, de justifier, dis-je, la présence
des blancs dans leur pays. — De plus, il est évident
que l'exemple de nos agents sera bien plus contagieux
dans ces conditions que s'ils tiraient du dehors leurs
moyens d'existence; la vue d'hommes pourvoyant
par leur industrie à la satisfaction de leurs nombreux
besoins, sera pour les indigènes une démonstration,
plus éloquente que bien d'autres, des avantages de la
civilisation. — Enfin il en résultera une très-notable
économie, qui permettra à la Société de multiplier
d'autant le nombre de ses stations, et de compléter
plus rapidement le réseau de points de repère dont
elle aspire à couvrir l'Afrique centrale.
J'ai rappelé plus haut que les stations devaient
être à la fois scientifiques et hospitalières. Or voici
textuellement ce que la Commission a pensé qu'elles
auraient à faire pour revêtir ce double caractère :
« La mission scientifique dime station consistera,
autant que possible :
« Dans les observations astronomiques ;
« Dans les observations météorologiques ;
POUR l'exploration et la civilisation de L' AFRIQUE. 193
« Dans la formation de collections de géologie, de
zoologie et de botanique ;
« Dans la confection de la carte des environs de
la station;
« Dans la rédaction du vocabulaire et de la gram-
maire du pays ;
« Dans les observations ethnologiques ;
« Dans la rédaction des récits des voyageurs indi-
gènes, qu'on interrogera sur les pays qu'ils ont par-
courus ;
« Dans la rédaction d'un journal relatant tous les
événements et toutes les observations dignes d'être
rapportés.
« La mission hospitalière d'une station sera, autant
que possible, de recevoir tous les voyageurs que le
chef en jugera dignes; de les pourvoir, au prix de re-
vient sur place, d'instruments, de marchandises et
de provisions, ainsi que de guides et d'interprètes ;
de les renseigner sur les meilleures routes à suivre
et de transmettre leur correspondance. »
Ces résolutions peuvent se passer de commentaire.
Il convient seulement de noter que le mot voyageurs
y a été employé dans son sens le plus large et com-
prend non-seulement les passants, mais aussi les
étrangers qui se fixeraient dans la localité, que le
but de leur expatriation fût scientifique, religieux,
commercial ou industriel. Il a été entendu que si
d'une part la rédaction adoptée ne crée de droit pour
personne, d'autre part elle n'exclut personne.
Des stations remplissant de point en point le pro-
gramme ci-dessus seront d'excellents instruments
d'exploration ; mais notre société, son nom le dit, as-
pire aussi à civiliser l'Afrique, et rien, dans les déci-
19i RAPPORT AU COMITÉ NATIONAL SUISSE
siens que j'ai rapportées, ne vise directement ce but
final et supérieur de nos efforts. — Une lacune aussi
grave ne saurait provenir d'un oubli ; si donc la Com-
mission l'a laissée subsister, c'est qu'elle a eu de bon-
nes raisons pour cela. D'abord il est certain que logi-
quement l'exploration doit précéder l'action civilisa-
trice; on ne pourra changer l'état social des Africains
que lorsqu'on aura pris pied chez eux, et nous n'en
sommes pas encore là ; il serait donc prématuré de
s'en occuper dès à présent. Puis on peut espérer que
nos stations seront comme autant de sources d'où,
par une pente naturelle, la vie civilisée s'écoulera
peu à peu en rayonnant à l'entour; que de là, par
l'exemple ou par la persuasion, nos idées et nos usa-
ges pénétreront graduellement parmi les indigènes,
et se feront d'autant mieux accepter qu'on cherchera
moins à les imposer.
La Commission internationale cependant ne pou-
vait pas passer complètement sous silence un sujet
aussi important, dans la liste des attributions essen-
tielles de ses stations. Elle devait au moins dire com-
ment elle entendait aborder la question de l'esclavage
qui, aux yeux des juges les plus compétents, est la
principale pierre d'achoppement de tout progrès sé-
rieux en Afrique, et qui avait été l'un des principaux
objectifs de la Conférence de 187G.
La Commission en a donc parlé dans ses résolu-
tions, en déclarant qu'à ses yeux la suppression de la
traite doit découler « de l'intiuence civilisatrice des
stations, » mais qu'elle ne constitue « qu'un de leurs
buts ultérieurs. » Cela revient à dire que la Commis-
sion ne perd pas de vue le devoir qui s'impose à elle,
mais qu'elle en remet l'accomplissement au jour oiî,
POUR l'exploration et la civilisation de l'afrique. lOo
des stations ayant été établies, l'on sera mieux à
même de ju,ii:er quels services elles pourront rendre
sous ce rapport.
De ce que l'on compte sur l'action indirecte et par
conséquent lente des stations pour combattre la traite,
il ne s'ensuit pas, je suppose, que notre Société doive
ou veuille s'interdire l'emploi d'autres moyens pour
atteindre ce but. Il est vrai qu'il n'en a pas été dit un
mot, mais il me semble que, si l'influence des stations
peut servir à ébranler la coutume de la traite, elle ne
suffira pas pour la déraciner, et que, si l'on veut avoir
raison de ce fléau, il faudra laborder de front, quoi-
que toujours par des voies pacifiques.
En tous cas, je le répète, la Commission estime
qu'il serait inopportun de commencer l'attaque dès
maintenant, avant d'avoir de solides bases d'opéra-
tion ; elle pense aussi qu'il est de bonne politique de
ne pas inscrire en grosses lettres sur notre drapeau
la réforme à laquelle nous aspirons, afin de ne pas
alarmer les intérêts qui lui sont contraires. Mais l'As-
sociation internationale africaine ne fait pas mystère
de ses tendances abolitionnistes, et les philanthropes
peuvent avoir confiance en elle.
Je placerai ici ce que j'ai à dire de deux recom-
mandations adressées au Comité exécutif par la Com-
mission internationale, car elles se rattachent inti-
mement à l'établissement des stations.
La première est relative à la possibilité de réaliser
de notables économies sur les frais de transport du
personnel et du matériel expédié par nous. Ces frais
sont parfois très-considérables et les facilités qu'offri-
raient probablement les armateurs, les sociétés de
196 RAPPORT AU COMITÉ xNATIO.NAL SUISSE
commerce, peut-être même les gouvernements, si l'on
faisait appel à leur générosité, ne seraient pas à dé-
daigner. Aussi fut-il décidé que le Comité ferait des
démarches dans ce sens, quand il le jugerait utile.
Au cours de la discussion, l'un des délégués italiens
exposa que son gouvernement avait déjà fait prendre,
à une compagnie italienne de transports maritimes,
l'engagement de recevoir à moitié prix sur ses navi-
res les membres des expéditions scientifiques. L'As-
sociation internationale pourra donc en bénéficier, le
cas échéant.
D'autre part les délégués hollandais firent savoir
que la « Compagnie africaine de commerce, » de
Rotterdam, laquelle possède plus de cinquante facto-
reries dans la région du Congo, offrait spontanément
à la Commission :
1" Le transport gratuit des bagages destinés à
nos expéditions, pour autant que les cargaisons de ses
navires le permettront;
2'' L'hospitalité pour nos voyageurs dans ses fac-
toreries ;
3" Le libre usage de ses magasins en Afrique ;
4^ La transmission gratuite de nos fonds;
5" L'appui et l'expérience de ses agents pour l'œu-
vre en général.
Ces ouvertures furent accueillies, on le comprend,
avec une vive gratitude.
Une seconde motion, qui fut également appuyée,
tendait à réunir les éléments d'une sorte de manuel
hygiénique à l'usage du personnel des stations et des
explorateurs de l'Afrique. Le climat de ce i)ays a fait
trop de victimes parmi les voyageurs éti"angers,pour
qu'on ne se précautionne pas soigneusement contre
POUR l'exploration et la civilisation de l'afrique. 197
ses atteintes. Ceux qui eu sont revenus peuvent four-
nir à leurs successeurs de très-utiles directions en
leur signalant les mo3ens préservatifs et curatifs qu'ils
ont employés. Toutes leurs expériences, à la vérité,
ne sont pas concordantes, soit par suite de la diver-
sité des régions où ils ont vécu, soit que, plus robus-
tes les uns que les autres, ils aient été inégalement
atîectés par les influences morbides d'une même con-
trée ; mais toujours est-il que, si l'on groupait leurs
indications, on en pourrait tirer des renseignements
aussi neufs qu'importants. Une enquête a donc été ré-
solue auprès de ceux qui peuvent fournir des lumiè-
res sur ce point. Elle se fera par l'intermédiaire des
Comités nationaux, à l'aide, probablement, d'un ques-
tionnaire soigneusement élaboré par le Comité exécu-
tif, et son résultat, s'il est livré à la publicité, sera
avidement consulté par tous ceux qui s'aventureront
à l'intérieur de l'Afrique.
Après avoir pris toutes les mesures préparatoires
dont je vous ai entretenus jusqu'ici, la Commission
crut pouvoir, dès cette année, faire un pas de plus,
en décidant qu'une expédition serait acheminée par
ses soins vers le cœur de l'Afrique. C'était répondre
à l'attente des membres de l'association, auxquels il
tardait de voir mettre à exécution le projet qui avait
éveillé leur sympathie.
Ce point, quelque capital qu'il fût, n'arrêta pour-
tant pas longtemps la Conférence. Il n'y eut guère de
discussion que pour savoir si l'on déterminerait d'ores
et déjà l'itinéraire que devraient suivre les voyageurs
et l'emplacement des stations, ou si l'on s'en remet-
trait pour cela aux lumières du Comité exécutif. Les
198 RAPPORT AU COMITÉ NATIONAL SUISSE
partisans de cette dernière opinion prétendaient qu'il
serait téméraire de désigner à l'avance une route que
des guerres locales, de nouvelles découvertes ou telle
autre circonstance fortuite pourraient contraindre,
au dernier moment, de modifier ou même d'abandon-
ner. Cet argument fut pris en sérieuse considération,
et la Commission y eut égard en se refusant à voter
un plan très-complet qui lui était proposé. Elle ne
renonça pas cependant à donner des indications au
Comité exécutif et fixa^ tout en faisant une très-large
part à l'imprévu, la direction générale suivant la-
quelle elle estimait convenable de débuter.
Elle eut à choisir entre plusieurs tracés qui lui fu-
rent soumis :
L'un (espagnol) avait pour objectif principal le lac
Xyassa, et, en allant du sud au nord, l'exploration
des régions comprises entre ce lac et le Tanganyika,
puis entre ce dernier et le Victoria ;
Un autre (américain) consistait à pénétrer en Afri-
que par la mer Rouge et l'Abyssinie ;
Un troisième (autrichien) tendait à opérer une re-
connaissance précise de la ligne de démarcation entre
le bassin du Nil et celui des fleuves qui se jettent dans
l'océan Atlantique;
Un quatrième (hollandais) préconisait les avanta-
ges que présenterait, comme point de départ, la côte
occidentale vers l'embouchure du Congo, d'où l"on
pourrait remonter le cours de ce fleuve ;
Un cinquième enfin (italien) éuumérait les contrées
les plus favorables aux stations, qu'il plaçait à l'em-
l)()uchure des grands fleuves, sur les deux côtes, puis
sur le haut Nil et dans le voisinage des lacs équato-
riaux.
0
POUR l'exploration et la CIVILISATIOX DE l'aFRIQUE. 199
La Commission ne s'arrêta à aucune de ces propo-
sitions, mais elle prêta l'oreille plus attentivement à
ce qui lui fat 'dit d'une autre route, que fraie en ce
moment même une expédition envoyée par la Société
italienne de géographie. Cette expédition, qui a pour
chef le marquis Antinori, est depuis plus d'une année
déjà dans le pays de Choa, au sud-est de FAbyssinie.
Elle s'y trouve dans des conditions très-favorables;
mais cette installation n'est qu'une première étape
pour acclimater les voyageurs, les exercer et les lan-
cer ensuite vers les régions peu connues qui l'avoisi-
nent. Les membres italiens de la Commission de Bru-
xelles, en exposant ces faits intéressants, ont formulé
le désir que la station de Choa fût placée sous la pro-
tection de l'Association internationale, tout en expli-
quant que l'Italie continuerait à en faire seule les frais.
La Commission entra pleinement dans ces vues, et
ajouta même que, dès que ses ressources le lui per-
mettront, elle sera heureuse d'envoyer à la station de
Choa une assistance pécuniaire.
Mais elle voulut faire plus que cela et prendre elle-
même l'initiative d'un nouveau voyage dont elle assu-
merait seule la responsabilité.
Le Comité exécutif avait, dans cette prévision,
élaboré un programme dont les traits généraux ne
soulevèrent aucune objection, et ce fut à Tunanimité
que l'on en approuva l'idée, qui consistait « à diriger
une expédition par la voie de Zanzibar vers le lac
Tanganyika, avec le but d'établir des stations, ou à
ce lac même ou à quelques points au delà, ainsi qu'à
envoyer des voyageurs explorateurs en prenant ces
stations pour base. »
La Commission a laissé au Comité le soin de traii-
200 RAPPORT AU COMITÉ NATIONAL SUISSE
cher ultérieurement toutes les questions de détail que
doit soulever une résolution aussi laconique et aussi
vague. Nous ne pouvons donc pas savoir exactement
où les stations seront établies et quel chemin pren-
dront les explorateurs. Cependant il est présumable
que le Comité ne s'écartera pas beaucoup, dans ses
décisions complémentaires, des vues quïl a exposées
devant la Commission, bien qu'il ait toute liberté de
les modifier à son gré. Je puis donc, en les reprodui-
sant ici, vous faire entrer plus avant dans la pensée
de ceux qui sont maintenant chargés de diriger l'en-
treprise.
Selon eux, « l'expédition devait se composer d'un
chef éprouvé, de deux ou trois personnes destinées à
diriger les travaux scientifiques d'une station, d'un
agriculteur et, au besoin, d'un ou de deux maîtres
ouvriers européens.
« Cette expédition partirait de Marseille ou d'An-
vers pour Zanzibar où elle établirait une première
station gratuite , laquelle ne serait autre que l'Agence
de MM. Roux de Fraissinet et C'', gracieusement mise
par eux à la disposition de l'Association internatio-
nale.
« L'expédition partirait d'Europe munie de ses in-
struments scientifiques, de ses armes et des objets
qu'on ne trouve pas à Zanzibar. Elle achèterait dans
cette ville les provisions nécessaires à un voyage dans
rintérieur; elle y enrôlerait un armurier, un cuisinier,
un cordonnier, un charpentier indigènes outre ses as-
karis, ses interprètes et ses porteurs.
« L'expédition séjournerait à Zanzibar le temps qu'il
faudrait pour se renseigner sur les moyens de gagner
l'intérieur. Elle s'informerait du succès de la tentative
POUR l'exploration et la civilisation de L' AFRIQUE. 201
de l'expédition anglaise, qui doit partir de Zanzibar
au mois de juillet et essayer de gagner le Tanganyika
au moyen de charrettes à bœufs. Si cette tentative
avait réussi, on la renouvellerait, et l'expédition
prendrait le même chemin que la mission envoyée par
la « London missionary Society. » Si, au contraire,
le résultat avait été défavorable, l'expédition aurait
recours au mode ordinaire de transport.
« Après avoir terminé ses préparatifs, l'expédition
se rendrait à la côte du continent et s'adresserait à
un des établissements existants pour fonder une se-
conde station gratuite. Des renseignements dignes de
foi permettent de croire qu'on n'aurait pas de diffi-
culté à le faire.
« L'expédition se dirigerait ensuite vers l'Uniam-
wesi et se mettrait en relation avec M. Philippe
Broyon, suisse de nationalité, qui s^y est établi et a
épousé la fille d'un des principaux rois du pays. M.
Broyon propose de se charger d'une troisième station.
Celle-ci serait encore gratuite ou n'entraînerait du
moins qu'à des dépenses fort minimes. Ces trois pre-
mières stations ne seraient que des dépôts de vivres,
de marchandises, etc. , et des étapes pour la transmis-
sion des ravitaillements et de la correspondance. Le
chef de l'exploration s'efforcerait de multiplier les dé-
pôts établis dans ces conditions suivant les facilités
qu'il trouverait à le faire.
« Le chef d'exploration chercherait aussi sur la
route à enrôler des indigènes, que l'on encouragerait
par un petit traitement mensuel à prendre soin des
voyageurs et à surveiller la transmission de la cor-
respondance et des ravitaillements.
« L'expédition se dirigerait ensuite vers le Tanga-
BDLLETIX, T. XVI, 1877. 14:
121)3 RAPPORT AU COMITE NATIONAL SUISSE
n3'ika. Arrivé là, le chef s'enqiierrait de ce qu'a fait
M. Stanley et, suivant les progrès réalisés par lui et
l'état politique du pays, il déciderait s'il faut établir
la station principale aux bords du Tanganyika, ou y
faire un simple dépôt comme les précédents et fixer la
base des opérations futures à Nyangwe ou à tout au-
tre endroit à désigner dans le Manyema.
« Une grande latitude serait laissée au chef de l'ex-
pédition pour déterminer l'emplacement de la station
principale.
* Cette dernière station du Tanganyika ou du Ma-
nyema ou de l'Uniamwesi serait la station scientifique
définitive, doublée d'une exploitation agricole lui per-
mettant, au bout d'un certain temps, de se suffire à
elle-même.
« Après avoir fondé cette dernière station, s'être
reposé et ravitaillé, le chef de l'expédition y lais-
serait ses compagnons européens, à moins qu'il ne
désire en prendre un avec lui, et s'avancerait vers les
pays inconnus. Ce serait au chef de l'exploration à
choisir sa direction vers la côte occidentale, en évi-
tant avec soin les routes déjà parcourues par les Eu-
ropéens et en suivant, si c'est possible, le quatrième
parallèle nord. »
Ainsi le projet qui va s'exécuter et dont vous avez
maintenant une idée approximative, est conforme au
vœu de la Conférence de 1876, qui avait signalé,
comme désirable au premier chef, une ligne continue
de communications allant de l'un à l'autre Océan, en
suivant à peu près l'itinéraire du commandant Came-
ron. C'est cette trouée, perçant de part en i)art le
continent africain et déjà ébauchée par de iiardis
pionniers, qu'il s'agit avant tout d'élargir et de ren-
pouii 1/exploratio.n f:T la civilisation l)k l'afuiquk. 20-5
dre de plus en plus praticable. Mais c'est sans préju-
dice de rétablissement d'autres stations, si le Comité
juge opportun d'en créer de son propre chef. C'est
aussi indépendaiijment de l'aide qui pourra être don-
née à des voyages nationaux, à l'instar de ce qui a
été décidé déjà pour le Choa, car notre Association
internationale a des visées assez hautes et un esprit
assez large pour applaudir à toute initiative, d'où
qu'elle parte, qui contribuera à faire progresser la con-
naissance et la civilisation de FAfrique.
Je ne puis terminer ce rapport. Messieurs, sans
exprimer le vœu que la Suisse s'associe largement et
généreusement à l'œuvre africaine. J'ai du reste bon
espoir qu'elle n'y faillira pas, puisque déjà, devançant
tout appel, elle a sollicité spontanément l'honneur de
se ranger sous sa bannière. Le moment est venu pour
nous de témoigner, autrement que par une approba-
tion platonique, notre sympathie pour l'entreprise
grandiose et féconde à laquelle nous avons promis
notre concours. Nous devons travailler à la vulgariser
dans notre pays et à lui procurer par ce moyen des
adhérents nombreux, qui la soutiennent de leur inté-
rêt et de leurs dons. Nous y réussirons sans peine, je
m'assure, car notre peuple n'est indifférent ni aux
découvertes scientifiques, ni au développement du
commerce, ni au relèvement de l'espèce humaine, ni,
en un mot, à aucun des buts que poursuit l'Association
internationale africaine, à aucune des perspectives.
201 RAPPORT AU COMITÉ NATIONAL SUISSE.
si dignes de son royal promoteur, qu'elle ouvre devant
nous.
Genève, le 31 juillet 1877.
G. MOYNIER.
P. -S. D'après des nouvelles postérieures à la ré-
daction de ce rapport, le personnel de la première
station est déjà choisi. Le Comité ayant reconnu la
convenance que les individus attachés à une station
appartiennent autant que possible à la même nationa-
lité, a désigné pour chef M. Crespel et pour adjoint
]M. Cambier, tous deux officiers d'état-major de l'ar-
mée belge. Un troisième Belge, M. Macs, docteur es
sciences naturelles, partira comme médecin-natura-
liste. Enfin un Autrichien, M. Marno, qui a déjà fait
trois voyages dans les régions intertropicales de l'Afri-
que, accompagnera l'expédition, mais, arrivé au terme
de celle-ci, il la quittera pour aller plus loin explorer
des contrées encore inconnues.
Les personnes qui s'intéressent à l'Association
africctine peuvent consulter, comme complément de
ce rapport, une publication récente, qui résume par-
faitement l'état de nos connaissances actuelles sur
l'Afrique et les travaux de la Conférence internatio-
nale de 1876. Elle est intitulée « l'Afrique et la Con-
férence géographique de Bruxelles, par Emile Ban-
ning, membre de la Conférence, avec une carte. » —
Bruxelles, librairie Muquardt, 1877, in-8% 150 p.
COMESPONDAIfCE
Ouargla, le 20 mai 1877.
A Monsieur BouthiUer de Beaumont, président de la Société
de géograpJiie de Genève.
Monsieur le Président,
Contrairement à ce que j'ai annoncé, il est maintenant dé-
cidé que je passerai l'été à Ouargla. Mon départ pour le Ti-
dikelt avait été fixé au 21, et tout était prêt, lorsque l'un de
mes guides, le nommé Mohammed ben el Haoutli, frère de
Eou Khacheba, le Ghàambi insurgé auquel je porte l'aman
de M. le Gouverneur, arriva au dernier moment en appor-
tant de mauvaises nouvelles.
Un rliezi d'Oulad Sidi Cheikh, composé de 70 maliara,
était parti de l'ouest et l'on ignorait la direction qu'il avait
prise; peut-être se trouvait-il sur l'oued Mià, qui est le ren-
dez-vous habituel de tous les pillards sahariens qui viennent
tenter les coups de main aux environs d'Ouargla, et notam-
ment des Cbebeub, ainsi (juc des Châamba révoltés, qui tous
campent au sud-est du Tidikelt, dans la direction du Hoggar.
C'est surtout au printemps que ces pillards se dirigent
vers le nord, parce qu'alors les Châamba et les Mokhadma
sont dispersés dans le Sahara avec leurs troupeaux.
Ces bandits suivent de préférence l'oued Miâ, m'a-t-il été
expliqué, parce que le fleuve mort serpente à travers des
206 BULLETIN.
plaines de pierres, plates et nues, sur lesquelles il est impos-
sible (le découvrir aucune piste ; en outre le lit de l'oued,
qui est rempli de végétation et dans lequel croissent, m'as-
sure-t-on, des arhi'es hauts comme des palmiers, leur olïri-
iviit des lieux de refuge difficiles à découvrir dans le cas où
néanmoins ils seraient serrés de près par des cavaliers lancés
à leur poursuite.
Finalement mes guides m'ont mis dans l'alternative ou
d'ajourner mon départ jusqu'à l'automne, ou bien de partir
de suite, puisque tel était mon désir, mais en prenant une
l'oute plus à l'est, et en passant pai- Ain Téiba et El Bcyed,
où nous rencontrerions Bon Kliacheba qui, avec les siens,
nous ferait escorte jusqu'à Aïn Çalah.
Mais, outre que cette route, qui est difficile, même pour
les caravanes, a déjà été vue, partie par M. Bou-Derba, par-
lie par le voyageur Rohlfs, elle m' éloignerait tellement de
mon but, qui consiste surtout à reconnaître et à relever les
voies d'eau qui conduisent de la côte algérienne au Soudan,
(jae j'ai préféré ajourner mon départ à l'automne, époque à
laquelle mes guides Châamba ne craindront plus de me faire
lemonter l'oued Mià. En conséquence, j'ai donné rendez-
vous à tout mon monde pour le ^3'"^ jour du mois de Rama-
dan (!*'■ octobre prochain).
Depuis que je suis à Oiiargla (12 mai), j'ai fait plusieurs
excursions dans les environs, et j'ai la sali'^faclion de vous
annoncer que mes recherches n'ont pas été inh'uclueuses,
cal- j'ai trouvé des silex travaillés non-seulement près de Ba-
Mendil où, je crois, les recherches ont été jus(prà présent
limitées, mais encoie tout le long du plateau du Cliàb, (pu
borde à l'ouest la selikba d'Ouargla, ainsi (pie sur la route
de Ngoussa, à deux heures et demie de marche d'Ouargla.
Outre des pointes de (lèches très-bien conservées parce
que, vu leui- légèreté, elles ont pu être impunément Irans-
CORRESPONDANCE. 207
portées par les venis ou roulées par les eaux, j'ai encore
trouvé des poinçons, des grattoirs en bon élat, ainsi qu'un
percuteur encore intact ; mais les haches sont toutes hrisées,
et le plus bel échantillon de ce genre (jue j'aie pu recueillir
jusqu'à ce jour, consiste en un tranchant ayant appartenu à
une hache de moyenne grandeur.
Il est certain que les villages de Tàge de pieri-e étaient sur-
tout situés sur les bords supérieurs du plateau du Chah
dont les pentes ont été depuis profondément ravinées. Or ce
plateau, qui est aujourd'hui un liamada dénudé et couvert de
cailloux siliceux ou de grès noir, devait être couvert de
végétation à l'époque où la grande dépression qui est aujour-
d'hui la sebkha d'Ouargla était remplie par les eaux de
l'oued Mià; car, dans les éijoulements ({ue les pluies ont pro-
duits sur ses boi-ds, on voit que, sous la couche toute super-
ficielle de pierres, il existe une couche de marne rouge pro-
fonde d'au moins dix mètres, laquelle est ti-a versée par une
quantité de racines de toutes grosseurs, si serrées en certains
points, qu'elles forment des blocs de la grosseur d'un hom-
me. Ces racines sont aujourd'hui incrustées de silice ou de
gypse et sont, par conséquent, pétrifiées.
Ce plateau du Chah contient en outre une grande quanlilé
d'eaux d'infiltration, car une foggara de deux mètres seule-
ment de profondeur, qui part non loin de Ba-Mendil pour al-
ler arroser une partie de l'oasis, donne encore, dans la se-
conde année de sécheresse, une quantité d'eau que j'estime
à loOO litres par minute. Or, cette eau est fraîche et déli-
cieuse à bpii'e.
J'irai visiter prochainement des grottes taillées, ainsi que
des l'uines, au lieu appelé Kef-es-Soulthan. Je ferai égale-
ment une excursion à la gara de Qrima, qui s'élève abrupte
et isolée du côté du sud, au milieu de la grande dépression
par laquelle la vallée de l'oued Mià débouche dans la sebkha
208 BULLETIN.
d'Ouargla. On dit cette gara très-curieuse à visiter et, sur la
description que l'on m'en a faite, je suppose qu'elle a été ha-
bitée par des individus de même race que ceux qui ont
édifié le village de Tekout, sur la gara du même nom, non
loin de Rhadamès; en etïet, la gara de Qrima est aussi tra-
versée par un puits autour duquel sont les ruines d'un vil-
lage en pierres. Il existe encore, dans les envii-ons, les ruines
(le plusieurs villages de l'époque de la domination berbère.
Car il est ici de notoriété publique (tous les vieillards vous
le racontent) que le pays d'Ouargla, qui comprenait autre-
fois plus de 300 villes ou villages, était habité pai- des Barn-
bers dont ceux appelés aujourd'hui Beni-Mzab sont la per-
sonnification ; ces Berabers avaient eux-mêmes assujetti les
mulâtres appelés depuis Rouarha (anciens Mélano-Gétules)
(ju'ils vendaient comme esclaves. La belle vallée d'El Hadjii'a
était alors toute couverte de cultures et de villages, dont
quelques palmiers isolés et les ruines de Baghdad sont, avec
les villages de Ngoussa et d'El Hadjii'a, les derniers vestiges.
Tout cela fut détruit à l'époque de la conquête arabe ; les
Berabers et les mulâtres furent en grande partie extermi-
nés; les débris des premiers se réfugièrent, dit-on, sur
l'oued Mzab dont ils ont pris le nom. Ce qui restait des se-
conds fut rappelé dans le pays dévasté par les nomades
Châamba, Makhadma et autres, (|ui arrivèrent ensuite, et la
ville actuelle d'Ouargla fut édifiée par eux sur un tertre peu
élevé, au milieu de la sebkba; mais remplacement a été mal
choisi, car, dans les rares années pluvieuses,roued Miâ amène
encore ici une telle quantité d'eau que la ville est alors à
moitié submergée. Il existe même une prophétie annonçant
que Ouargla sera emportée par les eaux. Dieu est le plus
grand !
Du 20 mai à ce jour, le thermomètre maxiraa a donné une
moyenne de 3()°,5 (centigrade) et le thermomètre minima
CORRESPONDANCE. 209
23°,2, Cette semaine a été moins chaude (|iie la précédente.
Je vous ferai observer que je suis logé, avec l'agha, dans un
boi'dj appelé Ba-Mendil, situé sur une gara de 20 mètres d'al-
titude environ, à 3 kilomètres N.-O. de la ville. Nous pas-
sons ici la saison du tehem (fièvres paludéennes) (jui duce
jusqu'à lin de juin. A Ouargla, il fait certainement plus
cliaud.
Je ne manquerai pas de vous envoyer une nouvelle lellie
dès que j'aurai du nouveau à vous raconter.
Veuillez agréer, etc.
V. Largeau.
Ouargla, le 18 juin 1877.
A Monsieur BouthiUer de Beaumont, président de la Société
de géographie de Genève.
Monsieur le Président,
J'ai l'honneur de soumettre à la Société de géographie les
résultats d'une tournée que j'ai faite dans les environs
d'Ouargla, dans les journées des 7, 8 et 9 du courant.
A 12 kilomètres environ de Ba-Mendil^ qui a été mon
point de départ, les bords supérieurs du plateau du Chàb,
qui domine à l'orient la sebkha d'Ouargla, forment des gor-
ges profondes, aux parois verticales.
C'est dans une de ces gorges et dans un bloc de mollasse
jaune de 40 mètres d'altitude dont la partie moyenne est
taillée en gradins, que sont creusées, h 30 mètres environ
au-dessus du fond de la gorge, les grottes appelées Kelief
Soulthan, ou Grottes du Sultan. Elle sont au nombre de liuil,
disposées en trois rangées superposées : trois forment le
premier étage, quatre le second; une seule se trouve à l'é-
tage supérieur.
210 BL'LLETIN.
On parvenait aux deux étages inférieurs par le haut du ro-
cher que l'on contournait pour descendre sur les gradins à
hauteur desquels sont creusées les grottes, et l'on arrivait à
l'étage supérieur par une communication ascendante creusée
au fond d'une des grottes du second étage. Un monticule,
formé des débris que les siècles ont détachés du rocher, per-
met aujourd'hui d'arriver facilement aux grottes inférieures,
et l'on gagne celles du moyen étage par des trous superpo-
sés en forme d'escalier et creusés dans la mollasse.
Les grottes inférieures sont peu profondes : celle de droite
mesure 1 mèlre 70 de plafond, 3 mètres 90 de profondeur,
et 2 mètres 7o de largeur. Elle se compose d'une seule cham-
l)ie dont le fond est divisé en deux compartiments par une
sorte de pilier grossièrement taillé. Sur le côté droit sont
^i-avés quelques caractères arabes parmi lesquels j'ai pu seu-
lement décliitïrer le mot .^U! (Allah).
Les deux grottes de droite du moyen étage sont divisées
chacune en trois compartiments communiquant entre eux
par d'étroits couloirs et se dirigeant vei"s l'intéi'ieur du ro-
cher. Celle de droite mesure 9 mètres 55 de profondeur, et
les chambres 1 mètre 50 de largeur en moyenne, celle de
gauche est profonde de 7 mètres 60, et ses chambres ont
une largeur de 3 mètres; c'est au fond de celle-ci que se
trouve le couloir ascendant par lequel on communique à la
grotte supérieui-e, laquelle n'olïre. du reste, aucune particu-
larité remaniuable.
La légende dit (|ue « dans les premiers temps de l'Islam,
« les sultans de Tunis et de Fez entreprirent, ccmtre le Be-
« raber d'Oiiargia, une guerre d'extermination ; ils envoyè-
« i-ent à tour de rôle i\r<. troupes nondiicuscs dont le cam|»
« était établi sur le plateau, en face de l'ancienne ville de
« Ceddrata dont les ruines sont peu éloignées, et c'est pour
« abriter le sultan des ardeurs du soleil, lorsqu'il venait lui-
CORRESPONDANCE. 211
« même diriger la guerre, gue les soldais creusèrent ces
« grottes. C'est de là que vient leur nom de Kehef Soul-
« thaa. ->
Je ne contredirai point la légende, attendu qu'en effet rien
ne se trouve pour prouver qu'elles ont été creu.sées par d'au-
tres mains que par celles des Musulmans.
Si, en quittant Kehef Soulthaii, on se dirige vers le sud-est
pour aller visiter les ruines de Ceddrata, on rencontre, à loO
mètres environ du rocher et sur la pente qui conduit au fond
de la sebklia, les restes tiès-appai-ents d'un village de l'âge
de pierre, parmi lesquels on se trouve en présence d'un vé-
ritable atelier de silex taillés. Ce sont, sur plus de 50 mètres
d'étendue, des monticules de calcaire dans lesquels on trouve
des cailloux de silex de toutes grosseurs, et par ci par là des
pierres taillées dont l'état de conservation ne laisse rien à
désirer.
Ce sont surtout des couteaux droits, des lames courbes et
tranchantes, à pointes arrondies, dont quelques-unes n'ont
pas moins de 8 centimètres (l'une d'elles a même 12 centi-
mètres de long sur 7 de large), des pointes de flèches et de
javelots dont la forme diffère de celles que j'ai ramassées le
long du Châb et dont j'ai photographié des échantillons, des
sortes de petites haches, d'autres instruments taillés en
pointe, avec une entaille sur le côté, par où on les saisissait,
sans doute avec le pouce, des percuteurs, enfin deux scies
dont l'une a les dents artistement travaillées.
J'ai fait ample moisson de ces différentes sortes d'instru-
ments dont je ferai un envoi au mois de septembre, lorsque
j'irai à El Aghouat pour me ravitailler.
A 4 kilomètres plus loin et toujours vers le sud-est, se
trouvent les ruines de Ceddrata, ville berbère qui fut dé-
truite, dit-on, à l'époque de la conquête de l'Islam.
Après une marche passablement fatigante à travers des
212 BULLETIN.
dunes qui recouvrent l'emplacement de jardins autrefois sans
doute soigneusement cultivés, on arrive à un monticule de
forme ronde, de (50 mètres de diamètre environ, sur lequel
on trouve les ruines d'un village que l'on peut considérer
comme ayant été le faubourg de la ville de Ceddrata.
A 50 mètres au delà, sur un autre monticule de 300 mè-
tres de diamètre, se trouvent les ruines de la ville ; les deux
monticules sont séparés par un ravin peu profond, au fond
duquel coulait autrefois un ruisseau d'eau douce, à en juger
par la grande quantité de coquillages que l'on trouve à cet
endroit, comme du reste sur beaucoup d'autres points aux
alentours.
Les plus grandes maisons de Ceddrala étaient des carrés
plus ou moins parfaits, comprenant généralement deux corps
de bâtiments se faisant face et séparés par une cour inté-
rieure. L'un de ces corps de bâtiments était une soi'te de vé-
i-anda dont les arcades en pleins cintres reposaient sur des
piliers carrés. J'en ai remai-qué une en Iton état de conser-
valioUj grâce au sable qui l'a ensevelie jusqu'à bauleur des
arcades; les portes d'entrée, assez étroites, étaient également
cintrées. La maison que j'ai pu le mieux observer mesure
0 pas en tous sens. D'autres maisons, de 9 pas de longueur
également en moyenne, ne sont composées (jue d'une cour
et d'un corps de bâtiment d'une seule pièce ; enfin, les mai-
sons du commun ne se composent que d'une chambre de (>
à 7 pas de long sui- 4 ou 5 de lai-ge.
La plupart de ces maisons paraissent avoir été enduites
avec soin, à l'intérieur, d'une coucbe de plâtre qui a ac-
quis, avec le temps, une grande dureté; dans quelques-unes,
j'ai remanjué des restes de corniches assez soigneusement
travaillées.
J'ai trouvé, dans un tas île décombres qui avaient été re-
CORRESPONDANCE. 213
couverls par les sables, un morceau de sculpture assez gros-
sier qui paraît avoir été le fronton d'une porte.
Les matériaux employés sont des blocs informes composés
d'un mélange d'argile et de gypse qui, avec le temps, ont ac-
quis la dureté de la pierre.
Au sud de la ville rainée, sont les restes d'un temple de
forme rectangulaire, mesurant 23 pas de long sur 18 de large ;
ce temple était divisé en deux parties dans le sens de sa lar-
geur, l'une de 10 et l'auti'e de 13 pas ; la dernière, un peu
plus élevée que l'autre, porte les traces d'un pavage^ on y
voit les restes de petites piscines creusées dans le sol et en-
duites de ciment; l'eau s'échappait par un conduit encore in-
tact percé près de l'un des angles de la muraille.
En fouillant dans un las de décombres provenant des rui-
nes de ce temple, j'ai trouvé un joli fragment de sculpture
en plâtre (jue j'ai reproduit en phologi-aphie. C'est une
preuve que les arts n'étaient pas inconnus (\eA anciens habi-
tants de Ceddrata.
Partout aux alentours delà ville, on distingue parfaitement,
dans les endroits qui ne sont pas encore recouverts par les
dunes, les traces des murs entourant jadis les jardins, et des
canaux d'irrigation amenant là, paraît-il, les eaux des sour-
ces abondantes qui se trouvaient à l'ouest, au fond du pro-
longement que forme la vallée de ce côté.
Deux de ces canaux, celui qui séparait le faubourg de la
ville et un autre dont on voit les traces plus au sud, parais-
sent avoir été très-larges et profonds ; ils se réunissaient à
l'est pour n'en former qu'un qui, longeant la partie orientale
de l'oasis actuelle, se dirigeait vers le nord et allait ai'roser
des jardins jusque près de Ngoussa, à ce que dit la légende.
Ce qui est certain, c'est qu'au retour de mon excursion, j'ai
suivi les traces de ce canal jusqu'à l'entrée de l'oasis de
214 BULLETIN.
Rouissat. où je les ai quittées pour me diriger vers le N.-E.,
(lu C(Mé (lu village.
Il est à remarquer que, partout dans le Sahara, les dunes
se forment de préférence, non-seulement sur les hauteurs
hroisées, mais encore là où des travaux ayant été exécutés,
ces travaux ont ensuite été abandonnés ou mal entretenus.
Je n'ai jamais vu une oasis suffisamment arrosée et bien cul-
tivée envahie par les dunes; mais dès qu'an jardin est
négligé, les dunes s'y forment avec une rapidité prodi-
gieuse^.
Ainsi, pour ne parler que de celte contrée, on ne voit
presque pas de traces de sable dans les oasis d'Ouargla et de
Ngoussa, où les palmiers sont très-serrés, les jardins suffi-
samment arrosés et bien entretenus par les Mélano-Gétules,
tandis que du côté de Rouissat, ainsi qu'à El-Hadjlra, où le
sol appartient aux Arabes nomades, ces superbes dépenaillés
qui se prétendent nobles, où les palmiers sont plantés à de
grandes distances les uns des antres, et où la paresse des
propriétaires les empêche de fouiller le sol pour y chercher
l'eau qui ne se trouve pourtant qu'à 2 ou 3 mètres, on voit
partout des dunes se former au milieu de l'oasis.
D'autre part^les apports de sable, dans les villes habitées,
ne produisent qu'un exhaussement du sol régulier et relati-
vement très-lent, tandis qu'une ville abandonnée, des ruines,
ne tardent pas à être envahies et ensevelies par les dunes.
Ainsi, les ruines de Geddrata disparaîtront, dans un temps
peu éloigné, sous les Ilots de sable (jui les ont déjà aux trois
quarts ensevelies.
A 0 kilom. environ<iu suil de Geddrata s'élève, abrupte et
isolée au milieu de la déjiressiun par laquelle l'oued lAlià dé-
bouche dans la sebkha d'Ouai'gla, la gara de Qrima, masse
de mollasse jaune formée d'une agglomération de sable très-
fin, de gypse, de silice et d'argile, dont j'évalue la hauteur à
CORRESPOND.NNCE. 213
80 m. ; elle est de forme à peu près ronde ; le diamètre de
sa partie supérieure est de 221 mètres.
On arrive au sommet par un étroit et rude sentier en coli-
maçon ; on passe sous une porte cintrée dont l'approche est
défendue, du côté de la gara, par un mur percé de petits
créneaux. Mais celte porte, dont l'étal de conservation frappe
au premier abord , a été construite, ainsi (ju'une grande
maison en mines (jui se trouve vers le centre de la gara, il
y a soixante-dix ans environ, par le cheikh Cliâamhi, Si
Mohammed hen Sassi qui, s'étant pris de querelle avec ceux
de sa tribu, se retira à Qrima, d'où il dirigea conli-e les siens
une série de rhazias (jui leur firent demander grâce au bout
de quelques années.
Les seuls j-estes bien conservés que l'on puisse considérer
comme véi'itablement contemporains des anciens habitants
de la gara, sont un puits et un grand bassin carré.
Le puits se trouve au centre, non loin de la maison
édifiée autrefois par le cheikh Sassi; creusé dans le bloc de
mollasse, il n'a point reçu de cofirage ; le diamètre de son
ouverture est de 3 m. 20; sa profondeur actuelle estdeSO m.,
ce qui est, à peu de chose près, celle de la gara, attendu que
l'eau se trouvant partout en ces lieux à 2 ou 3 m. sous le sol,
il n'est pas à présumer que l'on ait dépassé la nappe ascen-
dante que l'on utilise aujourd'hui; or je suppose que le com-
blement soit de 2 à 3 mètres.
De chaque côté du puits sont deux piliers en maçonnerie
qui supportaient une poutre sur laquelle on faisait glisser
la corde pour tirer de l'eau ; ces piliers ont été élevés, en
1870, par le faux chérif Bou-Ghoucha ; mais il est à supposer
que les anciens habitants employaient le même système pour
tirer de l'eau, car un sentier étroit et encaissé qui part du
puits pour se diriger en droite ligne vers l'est indique que
les hommes employés au puisage ayant passé la corde sur une
216 BUF.LETIiN.
traverse, liraient ensuite par un ellort continu, en s'éloignant
(lu puits, jusqu'à ce que le vase servant au puisage étant
arrivé à liauleur du seuil, d'autres hommes le saisissaient
pour verser Teau soit dans un bassin soit dans un canal qui
la conduisait à un bassin éloigné ; or ce sentier encaissé
mesure une longueur de 83 m. qui devait être égale à la
profondeur du puits.
Le bassin se trouve sur le côté Est où aboutit |le sentier,
mais en dehors de la dii'eclion de celui-ci ; il mesure 2 m.
50 de côté sur une profondeur à peu près égale ; il a été en-
(hiit avec soin d'un ciment de gypse auquel ont été mêlés
de petits cailloux roulés qui forment comme une sorte de
mosaïque; un gros filet en relief entoure le bassin un peu
au-dessus du fond dont les angles ont été arrondis ; la partie
supérieure est dégradée.
Les traces d'un mur d'enceinte sont encore très-visibles
presque partout autour de la gara.
Les anciennes habitations, construites en petites pierres
brutes provenant de la calotte, ne sont plus que des ruines
informes ; cependant il est facile de distinguer qu'elles
étaient très-petites, peu élevées, construites très-irrégulière-
ment et creusées à l'intérieur comme celles de Tekout près
de Rhadamès. On trouve épars, à travers les ruines, quelques
petits fragments de poterie grossière.
La légende dit que « les Berabers, chassés de Ceddrata et
« de leurs autres villes du pays d'Ouargla, se réfugièrent sur
« la gara de Qrima où leur résistance lassa enlin Topiniâ-
« treté de leurs ennemis, qui levèrent leur camp de Kehef
« Soulthan pour s'en retourner vers le nord. Peu de jours
« après, les défenseurs de la gara, voyant eux-mêmes qu'ils
« ne pouvaient plus vivre dans leur pays ruiné, et craignant
« du reste le retour des Musulmans, abandonnèrent Qrima
« et se dirigèrent du côté de l'oued Mzab ; c'est de là que
CORRESPONDANCR. 217
« leur vient leur nom de Béni Mznh qu'ils portent aujour-
« d'Iiui. »
Il est probable cependant que d'autres populations, sœurs
sans doute de celles qui habitaient le pays d'Ouargla, étaient
déjà fixées sur l'oued Mzab, et que c'est près d'elles que se
réfugièrent les défenseurs de Qrima lorsqu'ils se virent con-
traints d'al)andonner leur pays.
Plus tard, pourchassés dans leui- nouvelle patrie, ils se dé-
cidèrent à embrasser l'islam pour vivre en paix avec leurs
persécuteurs ; mais ils le firent avec beaucoup de restrictions
et en conservant certaines pratiques de leur ancienne reli-
gion, qui était dit-on une sorte de judaïsme ; c'est ce qui
leur valut la dénomination de ^^o^^^ (khamoi), c'est-à-dire
de cinquième secte musulmane.
N'ayant en ce moment sous les yeux aucun document
pour m'éclairer, je ne puis donner ce que j'avance comme
des affirmations, mais seulement comme de simples suppo-
sitions que je me réserve de vérifier plus tard aussi rigou-
reusement que possible. Un manuscrit arabe très-ancien, que
j'ai entre les mains, ne jette pas un bien grand jour sur
l'histoire de cette contrée; il contient cependant quelques
traits originaux qui ne sont pas à dédaigner.
Quoi qu'il en soit, si je mets en parallèle, d'une part, les
grandes ressemblances morale et physique qui existent entre
les Rhadamésiens et les Béni Mzab, et si je compare entre
elles la gara de Tekout, près de Rhadamès, et celle de Qrima,
ainsi que les ruines qui les recouvrent ; si, d'autre part, je
relie ces deux points extrêmes par les ruines des deux viHes
de Menza et de Sohoûd qui, au dire des anciens, sont situées
au sud-est de Hassi Botthin^ tout près du grand fleuve
Igharghar, je suis obligé d'en déduire dès à présent que les
contrées aujourd'hui les plus désolées du Sahara ont été au-
trefois habitées et cultivées par une population blanclie assez
BULLETIN, T. XVI, 1877. 15
218 BULLETIN.
clènse, conquérante d'une population aborigène mulâtre dont
les derniers représentants sont, de ce côté, les Mélano-Gé-
tules ou Rouarha.
Ces garas fortifiées n'élaienl-elles pas des lieux de refuge,
des citadelles, dans lesquelles les anciennes populations de
ces contrées déposaient leurs richesses ; et où elles se ré-
fugiaient elles-mêmes lorsqu'elles étaient attaquées par des
ennemis en forces supérieures, comme le cas se présenta,
par exemple, lors de l'arrivée des Musulmans ? Il est permis
de le supposer.
Pour finir, je ferai remarquer encore que les silex d'Ouar-
gla, ceux que j'ai trouvés sur l'Igharghar et le grattoir que
j'ai ramassé près de Rhadamès, lors de mon premier voyage,
indiquent également l'existence, dans ces contrées, d'une
certaine population dans les temps préhistoriques; et comme
ces silex ne se rencontrent jamais dans les bas-fonds où sont
aujourd'hui les oasis, mais seulement dans les îles des an-
ciens fleuves, sur les hauteurs ou sur les pentes qui bordent
les dépressions, il faut bien en conclure que ces grandes
dépressions que l'on désigne aujourd'hui sous les noms de
chotts ou de sebkims étaient autrefois remplies par les eaux
des rivières plus ou moins importantes qui les traversaient,
comme cela se voit dans l'Afrique centrale, où l'œuvre de
destruction qui a transformé le Sahara se continue malheu-
reusement encore sur une trop grande échelle.
Mais là-bas cette œuvre infernale des uUramontains de
l'Islam pourra être enrayée à temps, grâce aux hardis pion-
niers qui ont signalé au monde civilisé l'existence de ces
riches contrées, dont quelques-unes ont été déjà transformées
en déserts par les chasseurs d'esclaves, et grâce surtout à
l'œuvre due à l'initiative de S. M. le roi des Belges, qui a
pour but de faire dispai-aîiro rollo plaio hideuse de l'escla-
vage qui déshonore riiumaiiilr. V, L.muik.mi.
CORRKSPONDANGK, 219
P.-S. — Du !*•■ au 22 juin (veille du dépari du courrier),
le thermomètre à maxima (centigrade) a donné une moyenne
de •\- 40°,5 et le thermomètre à minima -|-26°,5. Les plus
chaudes journées ont été ; le lo, -f- 44°,5, le IG, + 47°,8, le
17, + 44°,8, et le 22 + 46°. Allah ! Allah ! je comprends
que la récompense la plus agréable que tu puisses odrir à tes
fidèles consiste en des jardins ombreux sillonnés de cours
d'eau.
L'état sanitaire est bon ; les fièvres n'ont pas sévi très-
fortement ; je n'ai vu qu'un cas pernicieux, sur une femme,
que j'ai pu facilement guérir.
Il a plu beaucoup vers le sud-est ; les Châamba creusent
un puits au lieu dit Zerâat es Çbéit, à 2 journées de marche
au delà de Hassi Botthin.
220 BULLETIN.
OUVRAGES REÇUS
PERIODIQUES ET PUBLICATIONS DE SOCIETES.
Pelermann, D'-. Miltheilungen, 1877, n"^ 7, 8, 9.
Société de Géographie de Vienne. Miltheilungen, 1877, 1. X,
n" 5, 6, 7.
Société de Géographie de Berlin. Zeitschrift, 1877, n° 2.
Verhandlungen 1877, n"^ 2, 3 et 4.
Société de Géographie de Paris. Bulletin, 1877, avril, mai,
juin, juillet.
Société géographique de Saint-Pétersbourg. Mémoires,
t. XIIÏ, 1877, 2""' livraison.
Société de Géographie de Marseille. Bulletin, ir* o et 6, 7
et 8.
Société de Géographie commerciale de Bordeaux. Bulletin,
no 2, 1875-76.
Société de Géographie de Madrid, t. II, n™ 1,2; t. III,
n» 1.
Société de Géographie italienne. Bulletin, 1877, n"" 3-5, 6, 7.
Société de Géographie de Londres. Mémoires, vol. 4(5
(1870).
Club alpin de Genève. Écho des Alpes, 1877, n" 2.
Revue savoisienne, 1877, mai, juin, juillet, août.
Cosmos de Guido Cora, t. IV, n<" 4, 5.
Revue maritime et coloniale, 1877, août.
L'Exploration, 1877, n»'2();i 37.
Société de Géographie de Lyon, Bulk'Iiii. n" 7.
OUVRAGES REÇUS. 221
Société belge de Géographie. Bulleliii, 1" année, 1877,
n»^ 2, 3.
Société de Géographie d'Anvers. Bulletin, t. I, n°' I, 2.
Journal asiatique, 1877, t. IX, février, mars.
Bulletin of the United States geological and geographical
Survey of the territories, vol. II, n° 4.
Société de Géographie d'Amsterdam. Bij Blad. N» 1. Su-
matra Expeditie.
Société de Géographie de Munich. Jahresbericht, n°' 6 et 7.
Société Khédiviale de Géographie du Caire. Bulletin, n° 4,
décembre 1870 — avril 1877.
Société d'anthropologie de Paris, 1877, avril.
Société d'anthropologie de Vienne, t. VII, n"" 1, 2, 3, 4,
5,6.
Baltische Studien. Herausgegeben von derGesellschaft fur
Pommersche Geschichte und Alterthumskunde, 27°" année,
Stettin, 1877.
Proceedings of the philosophical Society of Glasgow. Vol.
X, n» 2. Glasgow, 1877.
Société d'ethnographie. Actes de la Société, 1870.
Don de M. Elisée Reclus.
Géographie universelle. Liv. 128-140.
Peiffer, chef d'escadron au 32* régiment d'artillerie. Lé-
gende territoriale de la France, pour servir à la lecture des
cartes topographiques, t édit. 1 vol. Paris, 1877 (don de
l'auteur).
G, Guillemine. Notice nécrologique sur le marquis de
Compiègne. Broch. Le Caire, 1877 (don de l'auteur).
Henry Gannet. Lists of Elévations principally in that portion
of the United states west of the Mississipi River ; fourth édi-
tion, Itroch. Washington 1877 (don du Geological Survey).
222 BULLETIN.
Don de J.-V. Havdeii.
J.-V. Hayden. Sixlh annual Report oï tlie United States
geological Survey of the Tenilories emlji-acing portions of
Montana, Idaho, Wyoraing and Utaii, being a report of pro-
gress of the explorations of tiie year 1872. 1 vol. Washing-
ton, 1873.
F.-V. Hayden. Annual Report of the United Stater. geo-
logical and geographical Survey of the Territories embracing
Colorado ; being a report of progress of Ihe exploration for
the year 1873. 1 vol. Washington, 1874.
F.-V. Hayden. The Grotto Geyser of the Yellowstone Na-
tional Park with a descriptive note and map, and an illus-
tration by Ihe Albert-Type process.
Don du Smithsonian Institution.
Annual Report of the Board of régents of the Smithso-
nian Institution, showing the opérations, expenditures, and
conditions of the Institution foi- the year 1875. 1 vol. Wa-
shington, 1876.
Sir Rulherford Alcock. Address to the Royal geographical
Society of London delivered at the anniversary meeting on
the 28"' may 1877, broch, London, 1877.
African exploration fund. Royal geographical Society.
The Woodruff scientific Expédition around the World,
1877-79, broch. Indianopolis, 1877.
(Don de l'Université royale norwégienne de Christiania).
O.-.I. Broch, D^ Le royaume de Norwége et le peuple
norwégien.Ses rapports sociaux, hygiène, moyens d'existence,
sauvetage, moyens de communication et économie. 1 vol.
Christiania, 1876.
Reisekai't over Norges 5 sydlige Stifter in 2 Blade.
(Don de M. Veniukoff).
Pierre Kropotkine. Étude sur la période dos glaciers de
OUVRAGES REÇUS. 223
In Finlande. 2. Hypothèses concernanl la période .irlaciaire.
1 vol. St-Pétersbourg, 1876.
Slaves el Turcs. Trad. de l'Anglais par Mme de St-Hubert.
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rale de la République. Broch. Paris, 1877.
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R.-J. Bernardin. L'Afrique centrale. Études sur ses pro-
duits commerciaux. Broch. Gand, 1877.
R.-J. Bernardin. Visite à l'exposition de Vienne. Broch.
Gand, 1874.
R.-J. Bernardin. Classification de 2o0 matières tannantes.
Broch. Gand, 1872.
R.-J. Bernardin. Classification de 100 caoutchoucs et gulta-
perchas, suivie de notes sur les .sucs de Balata et de Massa-
randuba. Broch. Gand, 1872.
R.-J. Bernardin. Classification de 160 huiles et graisses
végétales, 2"^ édition, suivie de la classification de 9o huiles
et graisses animales. Broch. Gand, 1874.
R.-J. Bernardin. Classification de 250 fécules. Broch. Gand,
1876.
R.-J. Bernardin. Classification de 40 savonfe végétaux. Br.
Gand, 1873.
R.-J. Bernardin. Nomenclature usuelle de SSO fibres tex-
tiles avec indication de leur provenance, leurs usages, etc.
Broch. Gand, 1872.
R.-J. Bernardin. Notice sur les collections scientifiques et
224 BULLETIN.
sur le musée commercuil industriel, de Melle-lez-nand. Bel-
gique. Broch. Gand.
G. Moynier. Commission internationale africaine. Rap-
port sur la session de .Juin 1877 à Bruxelles. Brocli. Genève.
1877.
A. Boue, D'". Ueber die tiirkischen Eisenbahnen und ilire
grosse volkswirthscliaflliclie Wirlitigkeit, besonders Einiges
fur Oesterreicb und Ungarn. Brocb. Vienne, 1877.
BULLETIN
BULLETIN, T. XVI,
1877. 16
MELAIGES ET NOUVELLES
Le théâtre de la dernière expédition anglaise
vers le pôle.
Lettre du D'^ Petermanii au Préaideiit de la Société roijale
de Géographie de Londres.
Monsieur,
Dans les trois commiinicalions que j'ai déjà pris la libeiié
de vous adresser, j'ai rais de l'insistance à déconseiller le
passage du Smitli-Soiind et à plaider en faveur de la mer du
Spitzberg^ entre le Groenland oriental et la Nouvelle-Zemble.
Néanmoins je saluais avec joie le départ d'une nouvelle ex-
pédition anglaise au pôle, quelle que fût la route qu'elle
choisit. Celte expédition est heureusement de retour, et je
demande la permission de vous exprimer mes sincères féli-
citations pour tout ce qu'elle a réalisé. J'ai toujours tenu la
route du Srailh-Sound pour la plus difficile, mais une fois
qu'on était décidé à une nouvelle tentative dans celte direc-
tion, j'avais la persuasion qu'une expédition anglaise ne pou-
vait en tout cas revenir sans d'importants résultats pour la
géographie et pour toutes les autres branches de la science.
Jamais expédition scientifique n'a plus accompli que
celle du Challenger: elle ouvre une nouvelle ère dans l'é-
tude de notre globe et des lois qui le régissent, et lorsque le
même chef fut appelé à conduire vers le Nord les navires
228 BULLETIN.
ïAlert et la Discovenj, on savait que le dépôt des intérêts
scienlitltjues se trouvait entre les meilleures mains. On ne
peut assez mettre en saillie ce caractère purement scientifi-
(jue, quand on se rappelle comment autrefois les expéditions
arcli(|ues avaient pour but le gain matériel, qu'il s'agissait de
trouver au Nord-Ouest ou au Nord un passage vers de nou-
veaux gisements d'or, vers des régions à épices ou vers
d'autres richesses. Puisse l'Angleterre demeui-er toujours fi-
dèle à ce noble début, car si nous regardons autour de nous,
nous voyons que ce peuple et son gouvernement sont les
seuls qui aient entrepris quelque chose de semblable à l'ex-
pédition de ïAlert et de la Discovery.
J'ai essayé de me mettre au courant de tous les voyages
arctiques et antarctiques depuis les temps les plus reculés, et
ma conviction, c'est que jamais il n'y eut d'exploration plus
habilement et plus héroïquement conduite que celle de Sir
G. Nares. D'autres ont été peut-être plus téméraires et ont
abandonné un ou deux braves navires dans les glaces, mais
jus(iu"ici personne n'avait réussi à pousser deux vaisseaux
dans ces défilés éminemment dangereux et à les ramener
sains et saufs. Des circonstances exceptionnelles permirent
au Polaris de pénétrer jusqu'au 82° H', mais le navire n'a
point revu la rive natale. Kane et Hayes n'ont atteint (lue le
78"4o'.
Le chef de l'expédition du Challenger doit avoir rapporté
d'une région telle que la mer Paléocrysti(|ue un trésor de
travaux, d'observations et de faits qui seront une gloire pour
l'Angleterre. Mais qu'il me soit permis de signaler la valeur
particulière de l'un de ces résultats. Il est fort rare qu'une
expédition quehjue fructueuse qu'elle puisse être, et aussi
glorieuse que celle-ci l'a été réellement, aboutisse pourtant
à une solution définitive; car il va de soi que les faits obte-
nus éveillent de nouveaux problèmes, de nouveaux deside-
rata, et réclament de nouvelles expériences. L'expédilion de
0
MÉLANGES ET NOUVELLES. 229
Sir G. Nares peut prétendre à riionneur d'avoir l'ail la pleine
lumière sur un immense lerriloire ét|iiivalent au tiers des
régions arctiques, et qui avait été depuis longtemps le théâtre
des pi'incipales explorations anglaises. Tout ce (pie nous con-
naissons, (lu Smitli-Sound au détroit de Behring, dans le do-
maine de la mer Paléocrystique, c'est à l'esprit entreprenant
et tenace de la Grande-Bretagne que nous le devons.
Sur les traces de Bylot, Balïin, John Ross et Inglelleld, les
Américains ont fait aussi, du Smith-Sound au RobesonChan-
nel, des pointes très-profitables et très-hardies, et les noms
de Kane, de Hayes et de Hall prendront rang parmi les héros
de la science; mais il restait encore des doutes à lever, des
illusions cà déti'uire, avant que l'on pût dire que l'exploration
de la contrée du Smith-Sound eût dit son dernier mot. Quand
Georges Nares n'aurait obtenu d'autre résultat que de dissi-
per ces nuages funestes, il aurait droit à une vraie recon-
naissance. On avait donné cà la voie du Smiih-Sound une im-
portance artificielle ; il était à la mode de recommander ce
passage, et cette mode exerçait une pression fâcheuse sur
toute l'exploration arctique. Pour un homme qui avait mis-
sion d'atteindre le pôle arctique sur des traîneaux tirés par
des marins d"élile, le long d'une terre prétendue, il y avait
un courage moral peu commun à s'en retourner plus t(jt
qu'on ne s'y attendait, et avec des résultais diamétralement
opposés aux hypothèses fallacieuses sur lesquelles tout le
plan reposait. Si Sir G. Nares, au lieu de i-evenir celte année,
avait doublé le cap Farewell et attaqué l'autre côté de ce dit
Groenland, s'il avait poussé dans cette direci ion orientale sur
les traces de Parry dans son excursion glorieuse et encore
sans rivale de 1827, ou sur celles de D*vid Gray dans ses pê-
ches à la baleine d'il y a 30 ans, il aurait, telle est ma con-
viction, résolu dans le sens positif le problème du pôle Nord
aussi complètement que l'épouvantable mer Paléociysiiijue
l'a fait dans le sens négatif. Il aurait fait comme Denys Diaz,
230 BULF.ETIN.
qui forçu, il y a 430 ans, la Ijarrière si redoutée de l' Equa-
teur, Qu'on relise seulement avec attention le rai)i)ort de Sir
Edward Parry, qu'on le cou)i)ai'e avec les expériences de la
dernière expédition, et l'on sera convaincu que dans cette
voie le succès attendait Sir G. Nares. Ce que Pari-y au milieu
de la banquise demandait pour ses bateaux-traîneaux, c'était
la glace la plus solide et la plus compacte, tandis qu'un va-
peur aurait cberché l'eau ouverte et les passes navigables.
Si l'expédition, cet été ou cet automne encore^ eût pris
cette route et atteint le pôle Nord, elle aurait sans doute été
plus cordialement accueillie par la nation britannique; mais
il s'agissait naturellement de faire son devoir et de suivre les
instructions reçues. Le mieux était encore de ramener les
navires en bon état. Ils sont actuellement à l'ancre dans les
[)or[s de la patrie, prêts pour de nouveaux services, et si vo-
tre grand et noble gouvernement demeure fidèle à la ma-
nière anglaise de faire les cboses à fond et non par demi-
mesures, nous espérons bien que ces navires seront appelés
à une nouvelle et plus fructueuse activité.
H y a six loules pour se rendre au pôle Nord. Le Smith-
Sound, — le détroit de Belning, — la côte Est de la Terre
François-Josepb, — la C(Me Ouest de la même Terre, — le
Nord du Spilzberg dans la direction de l'expédition Parry,—
la côte Est du (îroënland.
La route du Smitb-Sound a dit son derniei- mot, celle de
Behring aussi, et cette année même la destruclion île la Hotte
lialeinière améi'icaine au nord du détroit, laquelle n'est
tpi'une édition renouvelée des cataslroplies précédentes, té-
moigne des terribles dangers (pii attcmlent les voyageurs
dans cette mer Paléocrysli(|ue.
Un long et consciencieux examen de tous les faits et de
toutes les observation^ dont nous pouvons a\oir connais-
sance, ne fait donc que me conlirnicr dans ma vieille convie-
lion que les (|;iatr.' routes mai'ilimes à l'ouest et à l'esl du
MÉLANGES ET NOUVELLES. ^31
Spitzberg méritent absolument la préférence sur les deux
autres. La mer à l'est du Spitzberg est sans doute parcourue
par le Gulfstreara, ou quel que soit le nom que l'on veuille
donner à ce courant, qui empêchela glace polaire de descen-
dre au sud plus loin que le 7o'\ Tandis que sur la cùle occi-
dentale de rAtlanti(|ue la glace flottante se montre encore
au .3()°, c'est-à-dire à la latitude de Malte, on n'a jamais vu
une parcelle de glace atteindre le cap Nord au 71°.
C'est encore aujourd'hui mon opinion que la grande mer
ouverte de Middendorf, Wrangell, Anjou et autres, la Poly-
nia des Russes, qui s'étend du lleuve Taimyr à l'ouest jusqu'au
cap Iakan à l'est sur un espace d'environ l'iOG milles marins
en droite ligne, se trouve en communication avec les der-
nières ramifications du Gulfstream; mais je ne crois pas que
le Gulfstream lui-même, qui, daprès les données expérimen-
tales, occupe toute la largeur de l'Océan entre l'ile de l'Ours
et la Nouvelle-Zemble, oiïre aucune facilité particulière pour
une navigalion dirigée vers le Nord. Toute la glace, soit arc-
tique soit antarctique, clieiche à se porter vers l'Equateur.
Dans l'Océan antarctique tout ce mouvement se fait librement
autour du pôle, et sur toute l'étendue de la mer jusqu'au
()2% 50°, 40° et même 35", et nulle part on n'a pu constater
l'existence d'un courant d'eau chaude aussi bien cai-actérisé
que le Gulfstream de l'hémisphère nord. Le courant polaire
et celui du Golfe se meuvent côte à côte, et tandis que le pre-
mier amène la glace jusqu'au 3G", l'autre protège TEui'ope
contre la glace qu'il retient jus(iu'au 75° ; la différence est
donc de 40°. Mais entre l'île de l'Ours et la Nouvelle-Zemble,
vers le 75", le Gulfstream est certainement masijué par la
glace flottante qui ai rive de la mer de Sibérie. Il est clair
qu'à ce point de rencontre de deux courants opposés dont
l'un est un charriage de glace, il y aura accumulation sur
l'auti'e; et c'est ainsi que le Tegethof de l'expédition autri-
chienne, qui voulait forcer le passage, tomba dans Télreinte
232 BULLETIN.
de celte glace et ne put s'en dégager. Le Gulfstream établit
donc dans cette partie des régions arctiques une sorte de
jjarrière de glaces.
Le ï'e^eï/ïo/' était un petit vapeur de 220 tonnes seulement,
et fut pris par la violence du courant près du cap Nassau.
L'année était exceplionnellemenl défavorable, toute la glace
portait contre les côtes ; tandis qu'auparavant pendant plu-
sieurs années de suite de faibles embai'cations de pêche nor-
wégiennes avaient visité régulièrement ces parages avec la
plus gi'ande facilité. Un navii'e tel que YAlert ou la Discovery
trouverait entre la Nouvelle-Zemble et le Spitzberg, partout
et en tout temps, le moyen de pénétrer fort loin vers le Nord.
De nombreuses expéditions norvégiennes et celle de l'An-
glais Leigb Smith ont donné des preuves récentes que toutes
les côtes orientales du Spitzberg n'étaient nulle part d'un ac-
cès difficile.
Le lieutenant Weyprecht qui commandait l'expédition au-
trichienne (Payer n'était préposé qu'aux traîneaux), déclare,
contrairement aux vues de son collègue, qu'il continue à con-
sidérer la route par la mer de Sibérie comme praticable jus-
qu'au détroit de Behring, et qu'il serait prêt h prendre la
conduite d'une entreprise de ce côté. Et le célèltre profes-
seur suédois Nordenskiold^ l'homme qui connaît le mieux les
mers du Spitzberg et de la Nouvelle-Zemble, m'écrit de
Stockbohn à la date du 29 novembre, qu'il compte diriger
en 1878 une nouvelle tentative des Suédois dans la mer de
Sibérie, encouragé qu'il est par le fait que deux ans de suite
il a ti'aversé jusqu'à l'embouchure des deux lleuves Ob et
Ienisseï, trajet réputé autrefois impossible.
I3ieii loin au delà vers le Nord est la Terre de François-
.losopb, qui oflVe deux routes : l'une à di'oite, l'autre à gau-
cbc. La piemière est sans doulc encondu-ée des glaces Ilot-
tantes de la mer de Sibérie, les(|uelles s'y accumulent faute
d'un espace suffisant pour s'érbapperau sud. Cette côte n'of-
MÉI.ANGKS ET NOUVKLLKS. 233
frirait donc qu'une base d'opération relativement défavoi-a-
l)le; mais la côte Ouest n'en est que pins à recommandei'.
La cinquième voie, celle qu'a suivi PaiTven 1827 en allant
directement au nord du Spitzber.a-, n'a jamais été séi'ieuse-
ment explorée ni même altordée pai- un vapeur, et il me
semble qu'on pourrait s'en tii-er aussi liicn (]u'au Iravei's des
mers antarcti(|ues et de leurs masses gigantesques de glace :
témoin le voyage si fructueux de Sir James Claik Ross dans
les années 1810-43. Le secours de la vapeur faisait pourtant
défaut, et l'on devait se contenter d'un miséralile navire à
voiles.
Il est vi'ai (|u'il manque là de côte que rr)n puisse longer
et qui oITre des points de relàcbe. Entre les six i-oules, celle
du Gi'oënland oi-iental me semble donc oITrir le plus d'avan-
tages. Pendant (oui l'été, la glace arctiipic trouve un liiire
dégagement; il en est de même tout l'biver, comme l'équi-
page de la Hansa en a fait l'expérience. Il l'ésulte de là qu'en
cet endroit la région polaire centrale se trouve plus ou moins
dégai-nie de glaces, et je maintiens encore qu'il serait possi-
ble à une expédition telle que celle de Sir G. Nares de tra-
verser cette mer, d'atteindi'e le pôle et d'explorer toute la
i-égion jusqu'au détroit de Bebring. La longue expéi'ience et
les observations positives du capitaine David Gray de Peter-
head, lequel connaît les côtes Est du Groenland mieux que
tout autre contemporain, sont en parfaite concordance avec
cette assertion.
Du Smith-Sound jusiju'à Terre-Neuve, au 36°, le long de
la baie de Bafïîn et du détroit de Davis sur une longueur de
2600 milles marins, il s'opère un cbarriage continuel de glace
polaire, mais on ne voit pas que la masse aille en croissant à
mesure qu'on remonte vei's le Nord. Au conli-aii-e, à Texlré-
mité la plus septentrionale de cette longue ligne, on rencon-
tre régulièrement le North-Water, bien connu des baleiniers;
le port de Foulke et son voisinage jouissent ainsi pendant
234 BULI.ETIX.
toute raiinée d'un climat doux et d'une mer ouverte. De la
même manière on peut trouver et l'on trouvera sans doute
au pôle Nord une mer ouverte, après qu'on aura fait, en re-
montant le courant de clact's du (Ti'ot'nla.nd orierital, ce ([ue
font l'égulièrement les baleiniers et les explorateurs en re-
montant la haie de Ealïin. Et plus il descend de glace, plus il
reste d'espace libre en été et en automne, quand le gel n'est
[lins là pou!' forinor la glace à nouveau. La baie de Bafïin ne
peut lecueillir qu'une partie relativement petite de la glace
paléocrystique pa;- les éti'oits défilés du Lancaster-Sound, du
.lones-Sound et du Smilb-Soiind. Le courant polaire duOi-oën-
land oriental reste seul en état de lil)érer les régictns arcti-
ques centrales de leurs masses glacées, et d'ouvi'ir la route
par laquelle les navigateurs parviendront pour la premièi-e
fois à l'autre exti'émité de la mer polaire libre.
Ce sont ces avantages du (iroënland oriental qui m'avaient
fait (lii-iger de ce c(Mé nos deux expéditions allemandes. Bien
que la pi'emière ne se composât ([iie d'une petite embarca-
tion noi-wégienne à voiles de (30 tonnes, et la seconde d'un
lourd vapeur de 143 avec un malheureux voilier de 242 ton-
nes, les i-ésullals en l'uivnt aussi favorables {pi'oii jutuvait
l'attendre d'entreprises complètement nouvelles pour nous
autres Allemands. Koldewey ne lit aucune tentative énergi-
t|ue pour pousser au nord : sa petite machine à vapeur était
dérangée el il n'en lit usage qu'en un seul endi'oit. sur une
longueur de 20 milles marins. Sir G. Nares, avec les moyens
mis à sa disposiiion, aurait peut-être atteint par cette voie le
pôle en une seule saison, puisque clia(iue année des bateaux
pêcheurs iu)u iiontés parvicniifMl facilcuMMil au Spitzhei'g
vers le 80". Il n'est pas impossible (pie les côtes du Groenland
oriental et de la Terre François-Joseph se ra[iproclienl vers
le pôle, en formant un détroit semlilable à celui de Hallui, de
IcUc sdctr (|u"iiiii' cxiiédilioii qui pénétrerait par là au pôle.
MÉLANGKS ET NOUVELLES. 235
ti'ouverait peut-être deux rivages (|ui, de cette manière, se-
raient longés et visités pour la première fois.
Quant au prolongement du Groenland vers le pôle et jus-
qu'au cap Iakan, au nord du déti'oit de Behring sur un long
développement d'îles et de terres, voici ma théorie, étroite-
ment liée av<'C tout ce cpie j'ai avancé depuis W ans sur les
régions arctiques centrales. Je me représente ces contrées
comme formées de deux parties cà peu près égales : l'une s'é-
tend des côtes (hi Groenland oi-iental, sous le 20° Ouest long.
Gr., versTûiiest sur la haie de Baffîn, les îles Parry, la pointe
BaiTow, le détroit de Behring et le cap Iakan sous le 176°
environ de longitude Est; l'autre moitié s'étend de là sur
toute la côte sibérienne, la Terre de François-Joseph, le
Spitzherg, jus([u"au Groenland oriental. Ces deux régions sont
nu point de vue topique, physique, thermométritjne, hydi'o-
graphique, alisolument difrérentes l'une de l'autre. A l'occi-
dent domine la tei-re ferme, à l'orient la mer. Ici les terres
enveloppent les eaux an point (jue celles-ci ne peuvent se
déhairasser de leurs glaces, là au contraire se trouve une
lai"ge issue océanique par où, hiver comme été, passent les
masses congelées. A cet égard la merPaléocrystique présente
le type d'une harrière solide et complète, d'une énorme ac-
cumulation glaciaire, avec la production de froid qui en ré-
sulte. Les masses ne peuvent s'écouler complètement ni par
le détroit de Behring ni par les sounds beaucoup trop resser-
rés de Lancaster, de Jones ou de Smith. Mais si la glace pa-
léocrystique ne rencontrait pas la barrière de l'Asie et du
Spilzbei'g, elle s'échapperait le long du Groenland oiiental.
Des observations précises et répétées attribuent à la Poly-
nia des Russes une longueur d'environ 80" long, ou pour le
moins de 1400 milles marins du Oeuve Taimyr au cap Iakan.
Ce n'est nullement un trou dans la glace^ une Wake comme
on se plaît à la désigner : c'est une large mer ouverte dont
nous ne savons pas grand'chose, sinon, mais cela d'une ma-
236 BULLETIN.
nière absoliiraenl certaine, qu'on l'a toujours retrouvée clia-
que année, liiver comme été, à la même place. Dans toute
l'étendue de la mer Paléocrystique, il ne se pi-ésenle rien de
semblable. Le seul fait analogue qu'on puisse signaler, mais
sur une échelle l>ien réduite, c'est la bande très-mince d'eau
chaude qui, de l'Océan Atlantique, se prolonge vers la côte
occidentale du Groenland parla baie de Melville jusqu'au port
de Fouîke. Malgré le voisinage de l'épouvantable mer Paléo-
crystique, ce port se maintient libre pendant tout l'hiver ; la
vie végétale et animale y est proporlionnellement abondante
et donne lieu à une chasse fructueuse de phoques et de ba-
leines ; la Polynia paraît présenter ces caractères dans de
tout autres dimensions.
Le bassin polaire (tel est le nom que je donnerais à la moi-
tié oi-ientale de la région arctique), possède une large ouver-
tui-e sur i'Allantique: il est parcouru, hiver comme été, par
le puissant courant polaire qui y verse ses masses glacées.
En conséquence, la glace paléocrystique telle que l'a rencon-
trée Sir G. Nares doit y être complètement inconnue; en
même temps c'est le déversoir de ces énormes quantités
d'eau chaude que les puissants fleuves sibériens envoient
des plaines Ouest de l'Asie centrale.
Quant aux températures de ce bassin polaire, il sullil de
mentioimer les observations scientitiipies recueillies par Tex-
pédilion suédoise de 1872-73 sur les côtes nord du Spitzberg,
vers le 80°. La température moyenne de janvier était de
4-14°,2 Fahr. ; celle des trois mois d'iiiver: décembre, jan-
vier, février, 4-3", 7; le plus gi-and froid oiiservé de— 3()°,S.
L'ensemble de la région entre le Groenland oriental et la
Nouvelle-Zemble est la pai'tie de beaucoup la plus chaude
qu'il y ait dans les deux zones polaires du nord et du sud.
C'est ce que prouvent de la manière la plus évidente les
nouvrllrs isothermes (pie j'ai élablies d'a|Mè> joutes les ob-
serv;ili(Uis l'ècentes.
MÉLANGES ET NOUVELLES. 237
Ces énormes contrastes entre deux régions polaires pla-
cées côte à côte, ne peuvent s'expliquer que par la présence
(l'une forte barrière formée de terres ou d'îles s'étendaiit du
Groenland à travers toute la zone polaire centrale jusqu'à la
Terre de Kellett et la côte de Wrangell. Les courants marins
ne peuvent à eux seuls fournir une explication suffisante,
comme c'est le cas pour l'Océan Atlantique-nord, car les der-
nières ramifications du Gulfstream sur la côle Ouest du Spitz-
berg et de la Nouvelle-Zemble sont depuis le 80°, et même le
75°, déjà couvertes de glaces flottantes. Que le Groenland s'é-
tende jusqu'au détroit de Belu-ing, ce n'est là qu'une liypo-
thèse attendant confirmation ou réfutation de la part des
faits; mais ce qui est certain, c'est que plus les expéditions
envoyées jusqu'ici ont pénétré loin dans le nord, plus elles
se montrent favorables à notre tliéoiie.
Au retour de l'amiral Inglefield, en 18o2, il prélendit que
le Groenland avalisa limite au 79°, et exprimait sa conviction
qu'il aurait pu sur son petit navire Y Isabelle passer du Smith-
Sound au détroit de Behring. Cet explorateur, de même que
d'autres membres encore vivants de la Société de Géogra-
phie, doit se souvenii'de la discussion du 22 novembre 18o2
où je combattisses vues avec énergie, me fondant sur l'état
de la température et sur l'absence presque absolue de bois
flotté, tandis qu'on le trouve en quantités énormes sur les
côtes longées par le courant polaire de Sibérie et du Groen-
land oi-iental. L'expédition de Kane, I8.o3-I8oo, fut forcée de
pousser le Groenland jusqu'au cap Indépendance, 80°2o',mais
l'on retomba dans la même erreur en ne se représentant
plus au delà qu'une mer libre qui se serait étendue directe-
ment jusqu'au Spitzberg et à la Sibérie. Hayes en 1861
trouva cette mer libre encombrée de glaces, et Hall en 1871
se vil forcé de la convertir en terre ferme se prolongeant du
cap Indépendance jusqu'au cap Bryant de Beaumont, proba-
blement le Sherman des Américains, au 82°24' environ, ce
238 BULLETIN.
qui ajoutail encore deux degrés à mon conlinenl. Le capi-
taine Beaumonl vit le Groenland plus au nord encore jus-
qu'au 82°54', et le simple fait que par un temps brumeux le
champ d'observation trouva là sa limite ne peut en aucune
façon servir de preuve que le Groenland ne va pas plus loin
dans cette direction et se courbe vers le sud du côté du cap
Bismarck. Sile Groenland se terminait vers le 82°o4', la mer
Paléocrystique trouverait sous l'action des vents dominants
de l'ouest une libre issue vers l'Est.
La très-petite quantité de bois flotté que Ton rencontre
sur tout l'espace du Smith-Sound à la mer Paléocrystique
paraît être d'origine américaine et non sibérienne.
Des traces d'Esquimaux n'ont été remarquées dans le ca-
nal Robeson que jusqu'au 81 °o2' ; en conséquence les Esqui-
maux du Groenland oriental ne peuvent pas avoir émigré en
faisant le tour du cap Britannia, mais doivent être venus d'A-
sie le long des cùles de ce Groenland prolongé que j'ai tou-
jours eu en vue. Dans les établissements du Gi'oënland-sud,
il est bien connu qu'au loin, sur la côte orientale, se trouve une
tribu d'Esquimaux païens, et que des individus isolés se ren-
dent de temps à autre à la mission allemande de Frédérics-
hall; mais ils retournent toujours dans leur patiie, parce qu'ils
semblent préférer le climat et le genre de vie des régions
orientales. Il n'est nullement impossible qu'au pùle même on
ne trouve des Esquimaux.
11 est réjouissant d'avoir à constater que l'exploration arc-
tique, si vigoureusement poussée dans ces dix dernières an-
nées, va présentement et dans un avenii- très-prochain pren-
dre une énergie nouvelle. Une expédition suédoise, une hol-
landaise, sont déjà décitiées comme on me l'a fait savoii- di-
rectement. Le plan du lieutenant Wevprechi, d'établir huit
oliservatoires dans les régions arcti(iues, est pris en considé-
ration; mais je crains que les chances de le réaliser ne soient
pas très-fortes, parce que jusqu'à présent rinlérèt n'est pas
MÉLANGES ET NOUVELLES, 239
assez éveillé là-dessus pour se traduire en entreprise inter-
nationale, comme cela a été le cas pour le passage de Vénus.
Pour exécuter ce projet avec quelque ampleur et lui faire
donner tous ses résultats, il faudrait au moins dix expéditions.
Autant que j'en puis juger, la sympathie exprimée jusqu'ici
pour cette entreprise se pi-ésente sous deux foi-mes. Ceux
qui sont-prêts à faire quelque chose ne songent pas à se bor-
ner purement et simplement à l'établissement de stations
destinées à des études magnétiques, météorologiques et autres,
mais ils veulent pousser plus avant l'exploi-ation géographi-
que et physico-géographique. Et ceux qui prétendent s'inté-
resser au projet tel quel de Weyprecht, ne font rien et se
bornent à des phrases.
La commission impériale appelée à statuer sur la motion
de Brème et de Hambourg pour une expédition polaire, a
adressé sur ce sujet un rappoi't au gouvernement pi'ussien,
lequel a été mis ad acta, sans qu'il y ait plus maintenant au-
cune espérance du côté de l'Empire. Toutes mes informa-
tions de Berlin m'apprennent qu'il n'y a personne au gou-
vernement qui prenne quelque intérêt à cette affaire scienti-
fique; car c'est là toute la question; n'y eùt-il dans un gou-
vernement qu'un seul membre sympathique, l'argent se
trouve et la chose se fait, témoin l'expédition berlinoise du
Loango qui a tiré beaucoup de numéraire de la caisse publi-
que. Le fait est que tout ce que l'Allemagne et l'Autriche ont
exécuté dans le champ de l'exploration arctique durant ces
dix dernières années, doit être mis sur le compte des particu-
liers, non de l'État.
Il me semble; en outre, qu'il existe une masse énorme de
bonnes observations et de matériaux de toute espèce, qui
n'ont point encore été sérieusement élaborés, surtout dans
leur ensemble ; il me semble aussi que les millions de don-
nées météorologiques et autres qui ont été recueillies dans
les différentes parties du domaine arctique, bien qu'elles ne
240 BULLETIN.
.soient pas al)solument de la même date, comme le voudrait
Weyprecht, ne sont pas néanmoins sans valeur; la faute se-
rait plutôt qu'on ne les a pas encore envisagées dans leurs
rapports mutuels. Il n'y a que peu de gens qui se consaci-ent
à travailler sur une masse d'observations isolées au profit
d'une brandie particulière de la science, et ceux qui n'en
craignent pas la peine doivent y mettre beaucoup de temps.
Ainsi Middendorf n'a pas eu Ijesoin de moins de 33 années
pour épuiser les observations qu'il avait faites dans son
voyage relativement assez court au fleuve Taimyr en l'an 43,
parce ([u'il ne les étudiait qu'au point de vue de la biologie
comparée de la région polaire.
Une des questions capitales que toute future exploration
doit mettre au clair est celle-ci : Le bassin polaire est-il pra-
ticable? et le p(Me Nord peut-il êlre atteint? — Les seules ten-
tatives dignes d'être mentionnées se bornent à la petite ex-
cursion de Sir Edouard Parry, à partir de l'île de Ross jus-
qu'au 82° 45' et retour, du 23 juin au 12 août 1827 ; puis à
celle de Payer dans la Terre de François-Joseph jusqu'au
82°5', du 26 mars au 23 avril 1874. La pointe des Suédois
jusqu'au 81?42', atteint le 19 septembre 1808, fut le fait d'un
vapeur de poste tout à fait insuffisant: elle ne peut absolu-
ment compter; on ne trouva qu'une glace très-mince d'un an
de date, précisément l'opposé du Paléocrystique, comme cela
ressort clairement de la description que donne l'ouvrage
suédois du lieu le plus septentrional où soit parvenue l'expé-
dition. On l'a dit avec raison : La chose est possible, et c'est
l'Angleterre qui la fera.
P.-S. — Un bill a été présenté par M. Hunier au Congrès
des États-Unis. Il propose que le Président soit autorisé à
organiser une ou plusieurs expéditions pour le pôle Nord, et
dans ce but à établir une colonie temporaire au nord du 81°,
dans le voisinage de la baie de Lady Franklin, à mettre au
MÉLANGES ET NOUVELLES. 241
service de cette entreprise le bâtiment de l'Étal qui semblera
remplir le mieux les conditions voulues, ainsi que les officiers
et le personnel les plus capables, à préparer les opérations
scientifiques sous le contrôle de l'Académie nationale, à ré-
server sur le trésor public une somme de 50,000 dollars pour
le surplus des dépenses, etc.
On n'en sait pas jusqu'ici davantage. Si l'expédition a lieu
d'après le plan projeté, ce serait donc encore la route du
Smith-Sound qui serait choisie pour pénétrer plus avant dans
la région polaii'e centrale. Mais l'important c'est qu'il se fasse
quelque chose. Même sur cette voie chaque expédition a jus-
qu'ici plus ou moins enrichi la science humaine. Il n'est pas
douteux qu'on ira plus loin encore que Sir G. Nares, et cela,
non pas seulement par l'analogie de ce qui s'est passé jus-
qu'ici, mais parce qu'une modification dans le plan pourrait
avoir de grands résultats. L'expédition anglaise avait dissé-
miné ses forces en envoyant son monde et ses traîneaux dans
les quatre directions du nord, du sud, de l'est et de l'ouest.
Si tous les efî'orts avaient été concentrés avec un seul objec-
tif, la poursuite des découvertes de Beaumont et la recon-
naissance des côtes du Groenland, on aurait fait probablement
de nouvelles et plus amples conquêtes.
Au reste, on voit une fois de plus combien les grands traits
physico-géographiques de notre terre sont encore peu con-
nus et mis en ligne de compte : ainsi, par exemple, l'énorme
contraste entre les régions situées à l'est et à l'ouest de l'O-
céan Atlantique du Nord. La différence entre l'Allemagne,
les îles Britanniques d'un côté et le Labrador de l'autre, en-
tre la Scandinavie et la Russie àl'est et le Groenland à l'ouest,
toutes contrées placées sous le même degré de latitude, cette
différence se poursuit jusque dans la région arctique cen-
trale. Les expéditions autrichiennes et anglaises nous en
fournissent la preuve éclatante, car elles nous font retrouver
BULLETIX, T. XYI, 1877. 17
242 BULLETIN.
entre la Terre de François-Joseph et la région Paléocrysli-
que de Nares, des diversités de température, de constitution
des glaces, tout à fait tranchées. Rien dans les récils de l'ex-
pédition autrichienne n'a fait plus d'impression en Angle-
terre que le grand nombre d'oiseaux que Payer a trouvés
aux mois de mars et d'avril à l'extrême nord de son excur-
sion en traîneau, vers le 82°5'. Ce fait remarquable qui n'a-
vait point encore été observé par aucune expédition cà pa-
reille latitude, veut dire qu'il y a là une action de la mer ou-
verte, et que les côtes ouest de la Terre de François-Joseph
se prolongent et sont baignées par le courant du Golfe jus-
qu'au 82°.
Quand ces parages seront visités, on trouvera comme sur
les côtes occidentales des îles Britanniques, de la Scandina-
vie, du Spitzberg et de la Nouvelle-Zemble, la trace marquée
du plus grand axe de chaleur sur la terre. L.
NOUVELLES GÉOGMPïïiaïïES
Société nationale suisse africaine.
Compte rendu de la deuxième séance, tenue à Berne le lô no-
vembre 1877 sous la présidence de M. H. Bouthillier de
Beaumont.
M. le Président ouvre la deuxième séance du Comité na-
tional suisse, et souhaite la bienvenue aux membres et amis
de l'association venus de divers cantons pour prendre part
à ses travaux et délibérations, par les paroles suivantes :
« Messieurs.
« En ouvrant la séance duGomité national siégeant à Berne,
je désire vous mettre au fait, en quelques mots, de la créa-
tion de TAssociation internationale africaine, de son origine,
de ses travaux, de sa marche jusqu'à ce jour. Je serai bref
autant que possible pour ne pas prendre du temps précieux
d'un jour si occupé.
« Vous tous qui êtes ici. Messieurs, vous avez été attirés par
Tintérèt que vous présente celte grande entreprise de con-
quête scientifique et civilisatrice, due à l'initiative de S. M. le
Roi des Belges. Vous savez que la fondation de cette œuvre
a été posée par les conférences internationales de Bruxelles
de septembre 1876, et que, dans les résolutions prises alors,
dont vous avez le compte rendu sous les yeux, les Sociétés
de géographie, représentant les grands Éîais de TEurope,
en acqdesçanl, pour elles-mêmes et pour leurs États res-
244 BULLETIN.
pectifs, à donner leur approbation el à joindre leurs apports
financiers pour sa réalisation la plus rapide, ont voulu lais-
ser à son auguste Président, le Roi des Belges, la faculté
d'augmenter leur nombre, en l'autorisant à recevoir dans le
sein de TAssociation d'autres Sociétés de géographie repré-
sentant d'autres États dans le concours commun des nations
civilisées. La Société de Genève s'est empressée d'exprimer
ses vœux d'adhésion; sa participation à l'Association, soit
pour elle-même, soit pour la Suisse, a été gracieusement ac-
cueillie par Sa Majesté.
« Sur un appel de la Société de géographie de Genève, in-
séré dans les journaux et adressé directement par des cir-
culaires individuelles, cent douze adhérents se sont de suite
fait connaître, et trenle-deux d'entre eux, représentant les
cantons de Berne, Bàle, Zurich, Fribourg, Valais, Neuchàtel,
Vaud el Genève, réunis à Genève le 24 avril de cette année,
ont constitué le Comité national suisse, et nommé les délé-
gués pour représenter la Suisse à la réunion de la Commis-
sion internationale ayant lieu h Bruxelles le 19 juin suivant.
« Nous avons à vous exprimer ici nos regrets de ce qu'un
de nos délégués, M. Desor, retenu par la session des Cham-
bres fédérales, n'a pu se rendre à Bruxelles, regrets qui nous
ont été exprimés ofllciellement par M. le baron Greindl, se-
crétaire général de l'Association. M. Moynier a bien voulu se
charger seul, comm.e délégué, du rapport à vous piésenter.
Publié peu de temps après son retour, cet intéi-essant do-
cument a été envoyé en Suisse à tous les adhérents et pu-
blié par le Globe, journal de la Société de géographie de Ge-
nève. Mais vu .son importance il vous sera communi(|ué do
nouveau aujourd'hui, et sera l'objet de vos observations,
comme il servira de guide à vos délibérations.
« Vous porterez ainsi vos regardsel votre attention sur les
moyens généraux employés dans l'exécution de l'œuvre afri-
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES. 243
caine, el sur les dilïérents côtés intéressants qui sont les
principes divers de son activité et de sa réussite.
« A côté de l'élément géographique et scientifique qui se
trouve le plus en vue el qui constitue pour les premiers pas
la base du travail de l'explorateur, chef de la mission, vous
appréciei-ez la portée des autres mobiles d'action civilisatrice :
la mission, la science, le commerce, la colonisation, dont plu-
sieurs orateurs veulent bien vous entretenir aujourd'hui, el
vous reconnaîtrez à quel point ces ouvertures nouvelles pré-
sentées à nos savants, à nos sociétés scientifiques, philan-
thropiques, missionnaires, commerciales, doivent être pré-
cieuses pour Texlension de tant d'institutions renommées
et utiles, répandues dans noire pays.
«Aussi sommes-nous persuadés qu'à la suite de la connais-
sance plus complète de cette grande entreprise, le nombre
des membres de notre Société prouvera bien vile de Tinlérêt
que lui portent tous les hommes généreux et sérieux, el que
leurs souscriptions répondront aussi cliez nous à noire at-
tente.
« Dans tous les États adhérents à l'Association, les Comités
travaillent à la faire connaître et à lui attirer des dons ou des
cotisations. La Belgique seule a trouvé déjà 78,000 francs
par an à oITrir à la grande cause dont son Roi a arboré le
drapeau. Notre Société ne sera pas la dernière, j"en suis sûr.
à exprimer sa sympathie en apportant aussi sa quote-part à
la fortune commune. Il est vrai que, dans ce moment, de
grands embarras industriels et commerciaux, de grands be-
soins à satisfaire par la charilé individuelle, rendront nos
premiers pas moins rapides. Mais si le présent n'est pas pro-
pice, ayons confiance dans l'avenir.
« Depuis les dernières conférences du mois de juin dernier,
la Commission executive, mettant en aciion les résolutions
de l'Association internationale, grâce aux ressources fournies
246 BULLETIN.
par la Belgique, a formé une première expéililion avec M.
Crespel comme chef, MM. Cambier et Mars, docteur en
sciences naturelles, et M. Marno, voyageur déjà connu, revêtu
de la mission plus spéciale de visiter les pays à l'ouest du
Tanganyika et d'y recherclier les emplacements les plus fa-
vorables à rétablissement de futures stations.
« D'après les instructions données, celte expédition, partie
le 18 octobre de Southamplon pour Natal, après y avoir sé-
journé huit jours, doit se rendre directement à Zanzibar et
commencer ensuite son voyage par terre aussitôt que ses
préparatifs à Zanzibar seront terminés, et aller se fixer sur le
côté ouest du Tanganyika. Un denos compatriotes, M. Broyon,
établi depuis quelques années dans ce pays, s'est proposé,
comme vous le savez, pour donner à l'expédition une aide
qui lui sera certainement bien précieuse.
« Pour répondre au vœu général exprimé dans la réunion
de fondation de Genève, que les séances du Comité aient lien,
le plus possil)le, successivement ilans les chefs-lieux des can-
tons, nous avons désiré venir dès l'abord à Berne auprès de
nos frères de la Suisse allemande^ y chercher Tappui et la
force en les associant, comme vous le voyez, aux premiers pas
de la Société. L'accueil (pfelle reçoit aujourd'hui dans vos
Hiurs, la sympathie que vous lui témoignez par votre nom-
breuse présence, nous sont un sûr garant du bien fondé de
notre confiance dans votre actif et précieux concours. Per-
mettez-moi de vous en remercier ici officiellement. »
j^I. Delessert, secrétaire généi'al, s'étant fait excuser par
M. le Président de ne pouvoir assister à la séance, M. de Traz,
prié de vouloir bien le remplacer, accepte les fondions de
secrétaire pour ce jour.
l/ordre du jour de la séance, proposé par le bureau, es-
adopté, après la demande de M. Moynier, acceptée par Ta?-
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES. 247
semblée, de faire passer le troisième objet : « Rapports des
vice-présidents et des délégués à Bruxelles; discussion géné-
rale, » avant le deuxième : « Discussion des statuts de la
Société. »
Il est donné lecture du procès-verbal de la séance de
fondation de la Société, tenue à Genève le 24 avril dernier.
M. le Président exprime les regrets du Comité, de la
perte sensible qu'il a faite récemment dans la personne
de M. Ghrist-Sarasin, de Bàle, un de ses vice-présidents , si
sympathique à son œuvre, si aimable dans ses relations, et
dont l'intérêt et le concours actif lui auraient été précieux.
Il exprime l'espoir que cette place si importante sera favo-
rablement remplie.
M. le Président donne la parole à Messieurs les vice-pré-
sidents et aux délégués à la Commission internationale de
Bruxelles.
M. G. iMoynier. l'un des délégués, reproduit les faits princi-
paux énoncés dans le rapport présenté par lui au Comité sur
ces conférences, et ajoute quelques détails complémentaires
sur ce qui a été fait depuis, et sur les perspectives ouvertes
pour l'avenir. Il signale, entre autres faits, le départ récent de
la première expédition envoyée par le Comité exécutif, et
composée de trois officiers du corps d'Éîat-major belge, et de
M. Marno, voyageur autrichien, déjà familiarisé avec les ré-
gions de l'Afrique centrale par de précédentes explorations.
M. le professeur Desor n'a rien à ajouter aux renseigne-
ments donnés par son collègue, ayant été empêché, à son
grand regret, de se rendre à Bruxelles.
M. le Président rappelle le rôle et la part que les Sociétés
de géographie ont dans la fondation et la poursuite de
l'œuvre internationale, et la place qu'elles ont eue, en par-
ticulier, aux deux conférences de Bruxelles.
M. le vice-président, professeur Mousson, rend compte des
248 BULLETIN.
résultais réalisés par Wii, au point de vue de la souscription
dans son canton (Zurich); il a obtenu une quarantaine d'adhé-
rents nouveaux à la Société, et réuni une somme d'environ
1000 francs, qu'il remet entre les mains du Comité.
M. Mousson avait espéré amener à la séance M. Widmer,
négociant suisse établi à Zanzibar, bien placé, par conséquent,
pour donner des renseignements intéressants et utiles sur
celte localité et sur la partie avoisinante du continent afri-
cain; mais M. Widmer n^iyant pu venir assister à la séance,
M. le Président fait part à rassemblée des renseignements
communiqués par lui verbalement au Comité, et qui traitent
principalement la question des rapports de commerce déjà
établis entre Zanzibar et les tribus indigènes de l'inlérieur,
et du développement qu'on peut espérer leur voir prendre
sous l'intluence des projets de l'Association internationale.
Donnant des détails sur les roules nouvelles, en voie d'établis-
sement glace à l'inilialive et aux soins de deux Sociétés an-
glaises de missions: l'une parlant de Sadani, au nord de Zan-
zibar, et s'avançant dans l'intérieur, à travers un pays plus
salubre que ne l'est celui traversé par la roule parlant de
Bagamoyo, suivie ordinairement jusqu'ici; une seconde
ayant son point de départ à Mombas, plus au Nord encore,
et aboutissant au même point, sur les bords du lac Tanga-
nyika; une troisième enfin, conduisant de la côte au sud de
Zanzibar au lac Nyassa, à la mission écossaise récemment
fondée de Livingstonia; il ajoute quelques renseignements
sur la gracieuse proposition faite par un de nos compa-
triotes, M. Broyon, dont le séjour dans le pays depuis quel-
ques années et la position en faveur auprès d^un chefin-
lluent de l'intérieur, dont il a épousé la lille, seront d'un
précieux concours aux expéditions ultérieures dans ces
glons.
M. le vice-président de Dardel (Neuchàtel) exprime l'es-
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES. 249
poir que Tœuvre poursuivie par la Société nalionale suisse
africaine, maintenant qu'elle est mieux définie, gagnera de
nombreux adhérents et souscripteurs dans son canton ainsi
que dans les autres cantons de la Suisse.
Conforraénienl au vœu exprimé et à la décision prise dans
la réunion de Genève pour une révision des statuts votés
alors, M. le vice-président Mousson soumet à l'assemblée un
pj'o.jet de statuts revisés et complétés, lequel est discuté et
volé par elle, article par article.
Statuts (le la Société suisse africaine.
Article 1". Il est fondé en Suisse une Société dite Société
nationale suisse africaine, en rapport avec l'Association inter-
nationale pour l'exploration et la civilisation de l'Afrique
centrale.
Art. 2. La Société se compose de toutes les personnes ou
associations qui adhèrent à son œuvre et s'engagent a payer
une contribution annuelle, dont elles fixent elles-mêmes la
valeur, en souscrivant, ou qui paient une fois pour toutes la
somme de cent francs au moins.
Art. 3. Chaque souscripteur reçoit un titre qui atteste sa
qualité de membre de la Société et indique le montant de sa
souscription.
Art. 4. Les membres de la Société sont convoqués en as-
semblée générale où ils prennent part aux délibérations et aux
votations. Ils reçoivent gratuitement les rapports sur la mar-
che de la Société et sur celle de l'Association internationale.
Art. o. La Société nomme son président et son comité, aux-
quels elle confie Tadministration et la gestion de son œuvre.
Art. 6. Le Comité, sous le nom de Comité national suisse,
se compose des membres présents à la séance de fonda-
tion de la Société du 24 avril 1877, des membres de son
bureau, des membres représentants que celui-ci pourra
choisir, et des délégués à la Commission internationale.
230 BULLETIN.
Art. 7. Le Comilé se recrute par volation de la Sociélé
réunie en assemblée générale, sur des présentations faites
par lui.
Art. 8. Le Comité est chargé :
a) De vulgariser en Suisse, par la presse, par la parole ou
par tout autre moyen qu'il trouvera convenable, les connais-
sances de toute nature se rapportant au but que l'Association
internationale a en vue.
b) D'organiser les souscriptions et de centraliser les res-
sources diverses qui seront mises à sa disposition pour
Texéculion du programme international.
Art. 9. Le Comité nomme des vice-présidents, en nombre
qu'il jugera convenable, lesrpiels assistent le président dans
toute son activité et le remplacent temporairement sur sa de-
mande.
l\ nomme un secrétaire général et un trésorier, ces deux
fonctions pouvant être cumulées. Il nomme aussi les délégués
de la Société à la Commission internationale.
Art. 10. Le président, les vice-présidents, le secrétaire
général et le trésorier, ainsi f|ue les délégués, constituent le
Bureau de la Sociélé. Leurs fonctions sont honorifiques et
giatuites; celle de secrétaire général seule, ou celle de tré-
sorier, peut être rétribuée.
Art. 11. Le Bureau convoque l'assemblée générale,
quand et où il le croit utile. Il s'occupe de tout ce qui re-
garde l'administration de la Sociélé, surveille ses dépenses
pour frais de bureau, de secrétariat, de publication, etc., et
suit sa correspondance, en entretenant des rapports aussi
fréquents que possible avec la Commission executive de l'As-
sociation internationale.
Art. 12. Le bureau apure les comptes du trésorier et fait
transmettre intégralement la somme de toutes les souscrip-
tions, sous déduction des frais précités, à l'Association inter-
nationale, par son secrétaire général.
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES. 2^)1
Art. 13. Le bureau peut choisir, pour l'aider et le secon-
der dans son activité, des représentants, autant que possible
un dans chacun des principaux cantons, et dans ceux où il n'y
a pas déjà de vice-président pour représenter le Comité.
Art. 14. Les représentants soutiennent de leur mieux
dans leur cercle respectif tous les intérêts de la Société, pro-
voquent la rentrée des souscriptions, et se chargent de ren-
voi des sommes au secrétariat. Ils se tiennent en rapport di-
rect et régulier avec ce dernier, et sont de droit membres du
Comité.
Art. 15. Les présents statuts, discutés et votés par l'as-
semblée générale, réunie à Berne le lo novembre 1877,
abrogent et remplacent les statuts précédents.
Le Secrétaire géncntl. Le Président,
Eug. Delessert. h. P/ de Beaumont.
Les articles o, 0 et 12 ont seuls donné lieu à quelques
observations. A propos de ce dernier (art. 12), M. Mulhaupt-
de Steiger (Berne) formule la proposition, qu'au lieu de ver-
.ser intégralement la somme provenant des souscriptions
recueillies en Suisse, entre les mains du Comité exécutif de
l'Association internationale à Bruxelles, il en soit prélevé
une partie, un cinquième ou un dixième, pourcréer un fonds
spécial suisse, destiné à être appliqué ou cà contribuer à
quelque œuvre qui pourrait être entreprise par la suite dans
le même but, avec des éléments suisses, par des voyageurs
suisses par exemple, et pour les intérêts plus spéciaux de la
Suisse, pour son commerce. En faisant cette proposition, M.
Midhaupt a surtout en vue cette considération, que cela favo-
riserait l'accueil à espérer pour la souscription dans notre
252 BULLETIN.
pays, laquelle, dans le moment de crise actuel surtout, court
risque de ne pas donner ce que l'on pourrait espérer. Il s'ap-
puie sur ce qui a été résolu et fait à cet égard par plusieurs
des comités nationaux d'autres pays.
M. le vice-président, professeur Mousson , ne partage pas
la manière de voir du préopinant, et combat sa proposition
pour plusieurs motifs :
1° La Société africaine a été fondée et présentée en Suisse
comme en connexion directe avec l'œuvre de l'Association
internationale créée à la première conférence de Bruxelles ;
elle ne doit rien faire qui soit, ou pourrait même paraître,
en opposition avec celle-ci ;
2» Si la souscription doit être peu importante, comme on
en a exprimé la crainte, il serait fâcheux qu'elle fût encore
diminuée ;
3° Une entreprise particulière de la Suisse, et par des
Suisses, n'aurait pas grande chance de réussite, ne pouvant
se faire dans les condiiions favorables que présente l'Asso-
ciation internationale, et avoir les résultats que celle-ci ob-
tiendra avec les moyens et ressources dont elle disposera
et dispose même déjà actuellement. Au contraire, la Suisse,
et la Société suisse africaine en particulier, trouvera, au point
de vue du commerce national avec les contrées qui vont
être explorées, des avantages réels à se joindre compléie-
ment à une entreprise internationale, et aura sa part d'action
dans celle-ci.
L'importance de l'entreprise internationale consiste sur-
tout à frayer des voies de communication et à fonder des
stations qui serviront de points d'appui, dont le commerce
et les missions proliteront largemenl.
En résumé, M. .Mousson voit plus (rini'oinénient-^ ([ue d'a-
vantages à l'idée émise par M. Mulhaupt.
Soutenue seulement par M. Meltler-Tobler, négociant à
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES. 253
St-Gall, et combattue d'autre part par MM. deBeaumont, pré-
sident, de Dardel (Neuchàtel), professeur Studer et de Graf-
fenried (Berne), dont les arguments appuient et complètent
les considérations présentées par M. Mousson, la proposition
n'est pas adoptée, et l'article 12 des statuts, tel qu'il est pré-
senté par le Comité, est voté à la presque unanimité par
l'assemblée.
Le Président lève la séance, après avoir rappelé aux assis-
tants la visite à l'exposition cartographique, ouverte pour
les membres de l'Association par le Bureau topographique
fédéral.
La séance est reprise l'après-midi pour entendre diverses
communications relatives à l'Afrique centrale.
M. le professeur Egli, de Znricli, développe un ensemble
de considérations orographiques et hydrographiques sur
cette partie du continent africain, dont il présente ainsi
comme le relief, en accompagnant son exposition d'un des-
sin sur la planche noire. Il montre comment cette région
est formée d'un vaste plateau, séparé de la région des côtes,
soit de l'Allanlique, soit de l'océan Indien, par des chaînes
de montagnes à travers lesquelles les fleuves se fraient leur
passage en formant presque toujours des cataractes plus ou
moins nouibreuses et plus ou moins importantes. Le centre
de ce plateau est occupé par une région montagneuse, d'une
altitude moyenne de 2 à 3000 mètres, mais présentant aussi
des sommets de plus de 6000 mètres, comme le Kiliman-
djaro et le Kénia, région où se trouvent les grands lacs et
où prennent naissance ces fleuves puissants explorés, dans
leur cours supérieur, dans ces dernières années seulement :
le Nil, le Zambèze, objet des voyages de Livingslone, et le
Congo, dont Cameron et Stanley viennent tout récemment
de reconnaître l'origine et le cours.
2o4 BULLETIN.
M. Egli dislingue d'une manière Irès-caraclérisée Irois
bassins, séparés par une barrière de montagnes en forme un
peu circulaire, ou plutôt de croissant (montagnes de la Lune
de Ptolémée) : celui du Nil, avec le Victoria et TAlbert-
Nyanza comme grands réservoirs, celui du Zambèze, auquel
se raltaclie le lac Nyassa par son émissaire le Cliiré, et celui
du Congo, avec le Tanganyika et le Bangweolo pour réservoirs
d'origine. Ces fleuves, le dernier surtout, sont appelés à de-
venir les grandes voies de communication et de commerce
dans Tintérieur du pays; c'est la route que devront suivre,
autant que possible, les futures explorations; c'est sur leurs
bords qu'il faudra créer les stations projetées, ainsi que sur
les bords des grands lacs, el sous ce rapport le Tanganyika,
sur lequel s'est portée spécialement et avec raison l'attention
de la Commission internationale, est bien celui qui paraît offrir
la situation la plus avantageuse, par sa position, par la nature
de la contrée qui l'avoisine, la ricliesse de son sol qui se
prête admirablement à la culture de la plupart des plantes
des tropiques, son climat modéré el moins dangereux pour
les voyageurs européens el ceux qui s'y établiront que celui
des déserts voisins et des côtes, les dispositions des indigènes
plus pacifiques et moins hostiles aux blancs que celles des
liabilants des contrées environnantes. Un autre avantage est
dans la communication facile et déjà connue avec Zanzibar
el cette partie de la côte, à laquelle la relieront bientôt en-
core de nouvelles routes en voie de création ; et les récentes
découvertes de Slanley viennent d'ouvrir de profondes per-
spectives sur une autre grande voie de communication avec
la cote opposée, celle de rAllanlique. M. le professeur Egli
cioit pouvoir, en vertu de toutes ces considérations, assigner
à celte région un rôle important dans l'avenir.
M. le parieur Jaccard (Zurich) présenie un travail sur la
sialion missionnaire, fondée il y a peu d'années par l'Église
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES. 255
libre du canton de Yaud dans le nord de l'ex-république du
Transvaal, au milieu de populations ou caffres ou betciioua-
nes, dans une contrée fertile et d'un climat doux et salubre,
formant un plateau en partie montagneux désigné sous le
nom de Speliinken, et coupé dans le sud de vallées où se
sont établis des colons européens, non-seulement boërs, les
premiers occupants du pays, mais anglais, portugais et autres;
la découverte des Diamondfields, qui se trouvent à 50 lieues
au sud-est, en a attiré un grand nombre dans ces dernières
années. M. Jaccard donne quelques détails sur les diverses
tribus indigènes qui occupent cette région et sont en majeure
partie betcbouanes,peuple généralement pasteur, de mœurs et
de dispositions plutôt douces et bienveillantes, sans beaucoup
d'activité ni d'énergie, si ce n'est pour la guerre qui est fré-
quente entre tribus voisines. Quelques-unes se distin-
guent par leur adresse et leurs inclinations mercantiles. Le
contact avec les Européens , vis-à-vis desquels ils ne sont
généralement pas bostiles malgré les actes fréquents d'agres-
sion, les cruautés et le mépris des colons, des boërs surtout,
qui" sont venus s'établir au milieu d'eux ou dans leur voisi-
nage, a encore peu changé les usages des indigènes. Toute-
fois ils se montrent accessibles à la civilisation et amateurs
d'améliorations pour ce qui concerne, entre autres, la con-
struction et Tarrangement de leurs demeures. Ils sont intel-
ligents, mais leur culture intellectuelle n'est pas très-déve-
loppée; leur langue a des ressources; bon nombre d'entre-
eux présentent des dispositions à l'instruction que leur appor-
tent les missionnaires, vis-à-vis desquels ils se montrent
ordinairement bienveillants; et la preuve qu'ils sont capables
d'un développement intellectuel et moral est fournie par
l'activité, la fermeté de caractère et les connaissances des
aides indigènes employés par la mission, et l'existence d'une
petite congrégation chrétienne formée il y a quelques années
2o6 BULLETIN,
chez les Bapédis, par la seule action de ces catéchistes indi-
gènes, sans le concours des blancs. Le sentiment religieux,
qui ne se manifeste jusqu'ici chez ces populations que
par des superstitions assez grossières, paraît susceptible
aussi de développement et d'épuration; certains usages
chrétiens, comme, pai- exemple, l'observation du dimanche,
se répandent et s'établissent spontanément, même dans des
villages encore tout à fait païens. L'influence de la civilisa-
tion se fait sentir aussi dans les rapports des diverses tribus
entre elles et crée des liens qui se ramifient et s'alTermissenl
d'une manière inconsciente, remplaçant peu à peu les dis-
positions particularistes et les luttes qui les armaient con-
stamment les unes contre les autres. C'est au point de vue
de cette influence que pourront exercer ces peuplades
plus ou moins transformées par la religion et la civilisation
chrétiennes sur leurs voisines encore païennes et refardées,
habitant plus au nord (vers les contrées qu'a en vue plus spé-
cialement l'Associalion internationale africaine), que l'étude
de ces peuplades et de leurs progrès en tous genres, comme
aussi des progrès des Européens et des missionnaires en
particulier au milieu d'elles, offre un grand intérêt et se lie
avec la question actuelle de l'exploration de ces régions de
l'Afrique centrale.
Du reste, cette station missionnaire, que ses fondateurs
vaudois ont nommée Valdesia et que W. Jaccard présente
dans son mémoire comme un des postes avancés de la civi-
lisation cliréfienne de ce côté, n'est déjà plus, à l'heure
actuelle, qu'une station intermédiaire. La mission française,
établie depuis nombre d'annéesausud de rAfriijue. vient d»'
réaliser cette année même le projet conçu dès longtemps, de
fonder une station chez les Banyaï, parents des liassoulos et
des Bapédis, et habilant au nord du Liuqiopo, dans une con-
trée où aucun Européen ne s'est encore établi jusqu'ici. Kn
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES. 257
passant à Préloria, capitale de l'ex-Élat libre du Transvaal,
M. Coillard, le missionnaire qui est chargé de cette nouvelle
mission, a reçu les encouragements et les félicitations des
notables, et entre autres du consul belge, M. de Salis, qui
s'est empressé de reconnaître le lien de parenté entre l'expé-
dition de la mission de Paris et l'œuvre que poursuit l'Asso-
ciation internationale.
M. le professeur Mousson, vice-président, donne lecture
d'un résumé de questions et de demandes d'informations à
adresser au Comité exécutif de l'Association internationale,
pour être remises par celui-ci aux membres de la première
expédition d'exploration et appeler leur attention sur cer-
tains points dans les diverses branches des sciences physiques
et naturelles. (Voir ci-après le mémoire de M. le professeur
Mousson.)
M. Lauterburg (Berne) et M. le professeur Desor (Neu-
châtel) ajoutent quelques considérations et desiderata, le
premier au sujet des observations hydrographiques qu'il
convient d'encourager, dans le même sens où elles ont été
poursuivies activement en divers États européens dans ces
dernières années; le second, en vue de la recherche des
blocs erratiques d'une part, et d'autre part des monuments
funéraires, ces derniers étant un élément d'indications pré-
cieuses sur l'origine, l'époque d'établissement dans le pays,
les idées religieuses des populations, soit actuelles, soit dilTé-
rentes de celles d^aujourd'hui.
M. Desor insiste encore sur Timportance de former les
indigènes à recueillir et emballer convenablement les objets
d'histoire naturelle, qui ne manqueront pas d'être collection-
nés nombreux dans ces contrées et envoyés aux divers mu-
sées d'Europe. Il recommande aux explorateurs d'employer
ou de faire employer pour cela surtout la mousse.
L'ordre du jour étant épuisé et aucune autre communica-
BULLETO, T. XTI, 1877. 18
258 BULLETIN.
tion ou proposition ne se produisant dans rAssemblée.
après les remerciements exprimés par M. Mulliaupt pour
riionneur fait à la Société de géographie de Berne par la
Société nationale suisse africaine, en tenant sa 2""= session
dans cette ville, M. le Président termine la séance en ex-
primant toute sa satisfaction de la réussite de cette réunion,
et Tespoir qu'elle sera le point de départ d'un intérêt soutenu
pour l'œuvre de l'Association internationale en Suisse.
Le Secrétaire, E. de Traz.
REMARQUES SUR LE PROGRAMME SCIENTIFIQUE DE L EXPEDI-
TION AFRICAINE, RECOMMANDÉES A l'aTTENTION DU CO-
MITÉ EXÉCUTIF PAR LE COMITÉ NATIONAL SUISSE.
I. Observations météorologiques.
1. Il importe, en première ligne, d'établir des observations
météorologiques re^«^//ère5, à deux ou trois heures fixes du jour,
et continuées pendant toute Tannée. Elles embrasseraient:
a) La pression de l'air, à l'aide du baromètre à mercure
ou d'anéroïdes, pourvus des deux tables de correction pour
la pression et pour la température;
b) Là température, à l'aide du thermomètre à mercure;
pour les extrêmes on se servira de thermomètres métalli-
ques ou du thermomètre de Sixt, avec table de correction ;
c) L'humidité, h l'aide du psychromètre et de l'hygromètre
à cheveu, muni d'échelle proportionnelle;
d) Les condensations aqueuses, à l'aide du pluviomètre;
e) Le vent, au moyen d'une girouette, qui en donne aussi
l'intensité;
f) Vaspect du ciel el des nuages ;
g) Les phénomènes remarquables de la vie organique.
C'est le programme de toute station méléoroloui [ue ordi-
nrtire. Il ne réclame point un savant expert; toute persoiine
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES. 2o9
intelligente, exacte et soigneuse pourra s'en acquitter, étant
pourvue de bons instruments et étant bien dressée à leur em-
ploi.
2. Mais, pour que ces observations remplissent leur vrai
but, savoir de caractériser le climat des contrées intérieures
de TAfrique, elles doivent être comparées à une station litto-
rale, située autant que possible sous la même latitude. Ainsi il
serait convenable qu'une station analogue fût établie, par
exemple, à Zanzibar, travaillant sur le même plan et avec des
instruments comparés.
3. Le système d'observations le plus commode est celui
des appareils enregistreurs autonomes, tels qu'ils se répan-
dent toujours plus dans les observatoires de TEui'ope. Mal-
heureusement la plupart de ces appareils sont compliqués,
exigeant de grands soins et se dérangeant facilement, de fa-
çon à donner alors des indications fautives. On en possède
cependant d'assez simples et solides, qui méritent toute at-
tention. Peut-être faudra-t-il, au début, renoncer à leur em-
ploi, à moins qu'un expert ne soit adjoint à la station.
4. Pour aller plus loin, pour faire des recherches sur la
pureté et la transparence de l'air, sur la quantité d'ozone, sur
le scintillement des étoiles, les réfractions et les mirages, le
rayonnement, l'évaporalion, l'électricité atmosphérique, le
magnélisme terrestre, etc., il est absolument besoin d'un
physicien de profession et d'un ensemble considérable d'ap-
pareils différents.
11. Collections d'histoire naturelle.
1. L'essentiel est de ne rien négliger, quelque vulgaires
ou peu apparents que paraissent les objets, et de les rendre
utiles à la science, en les soustrayant à rinfluence destructive
des climats chauds, pour les envoyer en Europe. Il s'agira
alors de trouver pour chaque sorte d'objets un savant expert
260 BULLETIN.
qui se charge de leur examen, de leur détermination et sur-
tout de leur publication, — ce qui de nos jours n'est point
difficile, les savanls étant avides de nouveautés.
2. Les produits utiles à Thomme, soit pour la culture, soit
comme objets commerciaux, méritent une étude sur place des
plus complètes, par rapport à leur origine, leur développe-
ment, leurs localités, leurs habitudes, leurs conditions de
prospérité, etc. Nos connaissances à cet égard ne sont jamais
trop complètes, puisque de nombreuses applications, non en-
core prévues, peuvent en surgir.
3. Une branche de Thistoire naturelle ordinairement né-
gligée par les voyageurs, et qui cependant acquiert une im-
portance toujours plus grande pour la connaissance de l'état
de la surface de notre globe, est Télude des coquilles terres-
tres etfluviatiles. La lenteur de locomotion chez ces animaux
les attache au sol de leur patrie ; de sorte que leur réparti-
lion actuelle répond, plus que dans d'autres ordres d'ani-
maux, à ce qu'elle était à l'origine de l'époque géologique
actuelle. On connaît maintenant en Afrique quatre faunes ma-
lacologiques essentiellement différentes, mais on est encore
dans une ignorance complète à l'égard des parties centrales
de ce continent si compacte. (Le soussigné s'olire pour Tétude
et la publication des coquilles terrestres et fluviatiles que
fournira l'expédition.)
4. Nous recommandons également la pêche des poissons
qui habitent les divers grands lacs de l'intérieur, lesquels
appartiennent à des bassins hydrographiques dilTérents.
L'envoi d'objets de ce genre n'est pas difficile, en les séchant
et les enveloppant de mousses du pays, (|ui elles-mêmes se-
raient intéressantes.
IIL Phiisique dn ijlohe.
I. En premier lieu, il me paraît fort intéressant de fixer le
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES. 261
régime et les conditions d'existence des yrands lacs de l'A-
frique centrale, dont le nombre augmente avec le progrès
de nos connaissances. Les lacs de l'Asie occidentale, sans
écoulements superticiels, existent en vertu de la faiblesse de
leurs afiluents et de Tintensité de leur évaporation; les lacs
de côtes maritimes se maintiennent par les transfdtrations de
la mer, ce qui les rend souvent saumàtres; ceux de la Suisse,
où l'évaporation est moindre, sont placés sur le pourtour des
hautes chaînes, et doivent leur équilibre moyen surtout à
Tégalilé approximative des eaux qui affluent et de celles qui
s'écoulent. Où doit-on classer les grands bassins africains ?
Sont-ils, en dimensions colossales, la répétition des lacs
suisses? Sont-ils tous l'origine de quelque grand lleuve?
Mais dans ce cas, d'où proviennent les immenses masses
d'eau qui les nourrissent ?
2. Parmi les questions géologiques, il convient de recom-
mander surtout la recherche et l'exploitation des plautea fos--
siles, s'il en existe. Les travaux de M. Heer ont, en elTet.
prouvé que nulle autre classe de débris fossiles ne répandait
plus de lumière sur Thistoire de notre globe que les restes
de végétaux enfouis à diverses époques. Citons à l'appui quel-
ques résultats : 1° Tout autour du pôle on renconire la méihe
faune tertiaire, — ce qui prouve, conîraii'emenl à ce qu'ad-
mettent beaucoup de géologues, que depuis cette époque
l'axe terrestre n'a pas changé d'une manière sensible; 2° la
flore tertiaire, dans les régions arctiques et les moyennes,
différait beaucoup moins que de nos jours, de sorte que le
froid du pôle a été beaucoup moindre que maintenant; 3° en-
fin sous les tropiques il y a presque identité d'espèces entre la
flore tertiaire et la végétation actuelle, ce qui démontre que
le climat des régions équatoriales n'a que peu changé. C'est"
ce dernier point, fondé sur l'exploitation de deux gisements
seulement, qu'il importerait de vérifier sur d'autres local. .es
262 BULLETIN.
3. Une autre question, pleine tractualilé, serait la décou-
verte de traces d'imcims glaciers, comme on croit en avoir
reconnu jusque dans les Cordillières de l'Amérique cen-
trale. Les caractères les plus saillants de ce vaste phénomène
de refroidissement sont : le burinage des roches solides mi-
ses h\iichement à nu ; la présence de galets ou de blocs plus
ou moins anguleux, étrangers à la contrée où on les trouve ;
enfin le manque de stratification dans certaines collines al-
longées, qu'on doit considérer comme les restes d'anciennes
moraines.
4. Si des traces de ce genre font défaut, même dans les
contrées montagneuses, il conviendrait de porter ses recher-
ches sur les nappes d'anciennes alluvions, leur hauteur au-
dessus du sol des vallées, la nature de leurs débris, leur
extension par rapport à la configuration du ter.fain, enfin
leurs points de départ.
IV. Etnde de Phomme.
Les sujets d'étude les plus instructifs nous paraissent être
les suivants :
\. Les caractères extérieurs des différents types, qu'on re-
produit le mieux au moyen de la photographie. Les données
qu'on possède à cet égard, même pour l'Afrique, sont déjà
nombreuses, car la plupart des voyageurs se sont appliqués
à recueillir des portraits d'individus caractéristiques. Par ce
motif la moisson à attendre sur ce terrain ne sera guère
riche en résul!a's nouveaux.
2. Il n'en est plus de même (juant à la coniiaissaïue un
peu complète des langues et des idiomes, parce f[u'elle échappe
au voyageur de passage et suppose un séjoui' prolongé dans
le pays. Néanmoins, la nature des mois et des formes gram-
malicales qui servent à l'expression de la pensée constitue
un des arguments les plus puissants pour juger, d'une part,
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES. 263
de rinlelligence d'un peuple, de l'autre de ses affinités avec
d'autres peuplades. Les éléments essentiels de la langue ne
s'effacent, en effet, que très-difficilement, tout en se modi-
fiant de diverses manières,
3. Il n'est guère probable qu'on découvre dans l'intérieur
de l'Afrique d'antiques constructions comme celles de l'A-
mérique centrale, qui témoignent d'une ancienne civilisation
entièrement disparue; mais il serait très-possible de ren-
contrer, comme dans bien d'autres contrées, de simples
monuments funéraires, datant d'une époque inconnue, et
jouissant, de nos jours encore, d'une certaine vénération tra-
ditionnelle de la part des peuples qui les connaissent.
4. Un intérêt du même genre se lie, du reste, à tout ce qui
se rattaciie aux traditions des diverses peuplades. L'état pré-
sent d'une nation peut être considéré comme riiérilage d'un
long passé. Ses mœurs, ses cérémonies, ses idées religieuses,
ses légendes, ses clianls, etc., sont le produit d'un caractère tra-
ditionnel et inné sur lequel ont agi mille influences diverses,
et permettent à un esprit judicieux de remonter, du moins
de quelques degrés, l'échelle de l'iiistoire d'un peuple dont
aucun document écrit ne parle.
Nous nous bornons à ces quelques remarques, en priant
le Comité exécutif d'en tenir compte, si bon lui semble, dans
les instructions qu'il donnera aux savants adjoints à l'expédi-
tion.
Zurich, 15 novembre 1877.
Alb. Mousson, prof.
CoNsmÉRATiONS de M. l'ingénieur Lauterblrg
sur les observations h'jJrométriqnes que l'auteur voudrait voir réunir
aux observations météorologiqiœs-
Les observations hydrométriques proposées ne pourront
naturellement consister d'abord que dans l'établissement,
264 BULLETIN.
aux endroits où les circonstances le pei-mellront, de quel-
ques stations où l'on notera journellement, ou au début seu-
lement, une fois par semaine, Je niveau des cours d'eau prin-
cipaux, pour constater en traits généraux l'influence des
chutes superficielles (Niederschlage) sur l'époque et le vo-
lume des crues de ces rivières.
Par contre, il faudra, cela va de soi, réserver pour la pé-
riode du développement plus complet de l'ensemble des
observations les recherches plus approfondies destinées à
établir, par exemple, la corrélation entre les chutes superfi-
cielles d'une part, et d^autre part l'évaporation et le degré de
saturation ou puissance d'absorption du sol et de la végéta-
tion, ainsi qu'à calculer la diminution qu'amènent ces deux
derniers facteurs dans le débit total des cours d'eau.
Le but principal de la présente proposition est avant tout
d'attirer l'attention sur les observations hydrométriques, afin
que Ton puisse s'en occuper à temps. L'auteur, en effet, a pu
se convaincre combien est regrettable, en Suisse, le manque
de connexion entre les observations météorologiques pures
et les observations hydrométriques, entreprisespalheureuse-
ment trop longtemps après les premières.
Lautkbbuug, ingénieur à Berne.
[La note suivante a été coiiuuuniquée au Comité national
suisse africain, pour être transmise à la Commission execu-
tive de l'Association internationale africaine, à litre de de-
mande de renseignements à soumettre à l'attention des
membres des prochaines expéditions projetées dans l'Afrique
centrale, au sujet de certaines plantes médicinales importan-
tes, qu'ils pourront recueillir dans les contrées explorées
par eux.]
I. Quelle est la provenance de VAloës. dont l'exportation
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES. 205
se fait dans les porls de Zanzibar, surtout dans la direction
de Bombay, et qui, pour celle raison, se nomme » Aloës de
Zanzibar » dans le commerce. Ce produit vient-il exclusive-
ment de l'île de Soccolora (par l'entremise de négociants
arabes), ou bien serait-il obtenu également dans des con-
trées continentales voisines de la côte deZanguebar ? Dans ce
dernier cas, il serait désirable d'avoir des échantillons au-
thentiques de ce produit, et en même temps de connaître les
espèces du genre « Aloë » qui le fournissent.
II. Une espèce encore inconnue du genre Amoinum ou
d'un autre genre voisin (famille des Scitaminées) fournit un
fruit analogue aux cardamomes des Indes orientales, usités
en pharmacie. Le dit fruit est connu sous les noms de « Ko-
rarima » et « Guragi » dans les contrées des Gallas , des
Wagonda, et d'autres peuplades indigènes de l'Afrique
orientale, qui en font grand cas pour divers usages. On dé-
sirerait connaître la plante qui produit ces fruits, c'est-à-dire
en recevoir quehiues exemplaires bien conservés, et surtout
contenant feuilles, (leurs et fruits, de manière à pouvoir
être déterminés par les botanistes. De plus, il serait désirable
de savoir si la plante en question, ainsi que son fruit (qui
est d'un intérêt historique en pharmacologie), est localisée
dans quelques districts de l'est de l'Afrique ou répandue plu-
tôt dans des régions plus étendues, surtout dans le pays enli-e
les grands lacs de l'intérieur et la côte de Zanguebar ?
III. On désirerait d'être fixé sur la question, si la racine de
Colombo, employée dans la médecine européenne et très-
eslimée aussi par les peuples de Test de l'Afrique, qui l'ap-
pellent « Kalumb, » est seulement produite, comme on le
croit, par les contrées littorales de l'Afrique situées vis-à-vis
de Tîle de Madagascar, c'est-à-dire par les pays de Mozam-
bique et des embouchures du Zambèze ; ou bien si, par
contre, la plante Menispermum palmutuin, Lamarck {Cocculus
266 BULLETIN.
palmat. De Gand.), croît pareillement dans les districts de
Tintérieur, situés h l'Ouest des côtes de Zanguebar et de Mo-
zambique? c'est-à-dire, si la racine y est récoltée et entre
dans le commerce? En cas alfirmatif, des racines soigneuse-
ment sécliées, ainsi que les feuilles, fleurs et fiuits de la
plante, séchés avec précaution, seraient de grand intérêt.
IV. Il est à désirer que les membres de l'expédition afri-
caine prennent note de produits végétaux (parties de plantes
ou extraits, sucs, gommes, résines, etc.) qui jouent un rôle
important dans la médecine indigène des peuples afri-
cains, et qui pourraient être plus ou moins facilement ex-
portés en Europe pour y faire des essais thérapeutiques et
physiologiques. Des échantillons des produits mêmes, ainsi
que de bons exemplaires séchés des plantes qui les four-
nissent, ou mieux encore des plantes fraîches conservées
dans un liquide quelconque, devraient être envoyés en Eu-
rope pour une étude approfondie.
Des échantillons authentiques des poisons violents que les
Africains employent, soit pour les flèclies empoisonnées, soit
dans Texamen et le jugement des criminels (analogues à
VUpds tienté des Indes ou aux fruits du Pliijsostiyma, fèves
de Calabar de TAfi-ique occidenlale, etc.), seraient d'une va-
leur scienlillque particulière, et devraient être tout spéciale-
lement recommandés à Pattenlion de l'expédition.
V. Le soussigné sera heureux de recevoir des envois ou
des correspondances en rapport avec les vœux émis ci-dessus,
et ne manquera pas de les communiiiuer en même temps à
des autorités en médecine et pharmacologie, alîn d'en faire
le meilleur usage possible pour la science et la pratique.
Edouaud Scu.er, pluinnack'H,
Prof, de pharmacognosie au Polytecbnicum de Zurich.
NOUVELLKS GÉOGRAPHIQUES. 267
Nous ne voulons pas terminer ce compte rendu de la S"*
session de la Société nationale suisse africaine sans faire
mention de deux oijjets se rapportant plus particulièrement à
la cartographie et à la géographie : L'exposition du Bureau
fédéral topographique, et la séance de la Société de géogra-
phie de Berne, nouvellement reconstituée.
Cette dernière séance, offerte aux membres du Comité na-
tional et de la Société de géographie de Genève, la veille au
soir du jour ofllciel de la réunion du Comité, a été remplie
d'une manière très-intéressante, par une esquisse de M. le
professeur Leuzinger sur les résultats acquis par les récentes
découvertes des derniers voyageurs dans l\\frique centrale,
surtout sur la position des grands lacs et le régime de leurs
affluents qui représentent le plus grand et peut-être le plus
beau réseau de navigation intérieure; et par une communi-
cation de M. le professeur Studer, un des vice-présidents du
Comité national suisse africain, souvenir de ses éludes de
zoologie sur les rives de l'embouchure du Congo, et détails
géographiques pleins de vie donnés par la bouche raéme de
ce savant observateur, sur cette station importante dans ses
rapports avec l'Afrique centrale.
L'exposition cartographique du Bureau d'État-major fédé-
ral, sous la direction de M. le colonel Siegfried, présentait
aux regards et à l'étude, non-seulement les cartes couron-
nées dans bien des expositions et connues des amateurs, mais
aussi, et particulièrement aux visiteurs auxquels elle s'adres-
sait alors à Berne, une quantité d'éléments peu connus qui
les ont beaucoup intéressés. Ils pouvaient suivre tous les dé-
tails inconnus de la carte, depuis la feuille minute, produit
268 BULLETLN.
du relevé des opérations de géodésie et d'arpentage, jusqu'à
la feuille modèle, c'est-à-dire jusqu'au complet achèvement
du dessin qui, après approbation, est donné comme modèle
aux graveurs. On ne sait vraiment ce que Ton doit admirer
le plus, de ce dessin au crayon ou à la plume d'une si admi-
rable précision et d'un tel fini, ou de la patience et de Tbabilelé
de celui qui aura à le reporter sans le moindre changement
sur la plaque de cuivre.
Des cartes de sondages de divers lacs de la Suisse, don-
nant le reUef de leurs fonds, servaient de témoignage de
l'intérêt scientifique que présentent ces nouvelles éludes,
mais aussi de l'extrême difficulté et de la longueur du travail
qu'elles exigent.
Des reliefs de différentes localités, et entre autres du
St-Gothard, représentaient de beaux spécimens de la perfec-
tion apportée et du progrès acquis depuis quelques années,
depuis M. Bardin surtout, dans ce mode de représentation,
auquel une grande importance doit être accordée aujour-
d'hui, grâce à la reproduction photographique.
Sous ces divers points de vue, sans parler même de la
collection des cartes anciennes de la Suisse ainsi (jue de di-
verses plaiiclie.s de travaux spéciaux et de détail, cette expo-
sition a excité un grand intérêt chez les visilanls, et leur a
laissé un souvenir de sincère reconnaissance pour le chef
distingué du Bureau topographique, qui a bien voulu en
prendre l'inilialive.
OUVRAGES REÇUS
PÉRIODIQUES ET PUBLICATIONS DE SOCIÉTÉS.
Petermann, D"-. iMittheilungen. 1877, n'^^ 10, 11, 12.
Société de Géographie de Vienne. Mittheiliingen, 1877, t. X,
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Société de Géograpliie de Berlin. Zeitsclirift, 1877, n" 5.
Verhandliingen, 1877, n"' 5, 0 et 7.
Société de Géographie de Paris. Bulletin, 1877, août,
septemi3re et octobre..
Société géograpliiqiie de S*-Pétersbourg. Mémoires, t. XIII.
1877.
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Société de Géographie italienne. Bulletin, 1877, n"' 8, 9,
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Club Alpin de Genève. Echo des Alpes, 1877, n» 3.
Institut Vénitien. Actes. T. III, n°' 4, 5, 6, 7.
Cosmos de Guido Cora. T, IV, n" 6.
Société de Géographie d'Amsterdam. Tijdschrift, 1877.
T. III, no 1.
BijBlad,n''2. Sumatra Expeditie,n»4. DeReis derPandora.
Geological and Geographical Survey of the Territories.
Bulletin, 1877, n" 1, 2, 3.
L'Exploration, 1877. Livraisons 37-52.
270 BULLt:TIN.
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Société Vaudoise des Sciences naturelles, n° 78.
Revue maritime et coloniale, 1877, juillet, septembre,
octobre, novembre.
Société Belge de Géograpbie. Bulletin, 1877, n"' 4, 5.
Journal Asiatique, 1877, t. IX^ avili, mai, juin, juillet.
Société de Géograpbie d'Anvers. Bulletin. ï. 1, n" 3.
Société de Géograpbie de Halle a/S. Miltbeilungen, 1877.
L'Extrême Orient, 1877. l''^ livraison.
Meteorological Society. Quartei"ly Journal. Juillet.
Société d'etbnograpbie. Session 1877.
Don de M. Elisée Reclus.
Géograpbie Universelle. Livraisons 141-150.
J.-C. Ducomraun. Une excursion au Mont-Blanc. Avec
3 planches. Brocb. Genève, 1839 (Don de M. Kûndig).
L.-N.-B. Wyse. Rapport sur les Etudes de la Commission
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Paris, 1877 (Don du Comité de Direction).
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mountain iocust, and on tbe babits of tbe young or unlled-
ged insects as tbey occur in tbe more feitile counlry in
which tbey will batcli Ibo présent yeai-. Brorb. Wasbingion^
1877.
0
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F.-V. Hayden. Preliminary Report of tlie U. S. Geological
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1 vol. Wasliington, 1871.
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Transactions of the American Geographical Society of New-
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Journal of the American Geographical Society of New-
York, 1874, vol. 6. 1 vol. New-York, 1876.
Don de M. le D'" H. Lombard.
D'' H. Lombard. Traité de Climatologie médicale, compre-
nant la météorologie médicale et l'élude des influences phy-
siologiques, pathologiques, prophylactiques et thérapeutiques
du climat sur la santé. T. I et II. Genève, 1877.
Don de M. W. Huljer.
Statistique de la France. Nouvelle série. — Statistique an-
nuelle. T. II. 1872. 1 vol. 4°. Paris 1875. — T. III. 1873. i
vol. 8». Paris 1876.
Statistique internationale de l'agriculture, |î'édigée et pu-
bliée par le service de la statistique générale de France.
1 vol. Nancv 1876.
272 bulletin.
Cartes.
Don de M. G.-E. Emery.
Georges-E. Emery. Map of the North Sea and Lands as
known in popular Geography, 1877, with an original identi-
fication of the Frisland, Islandia, Crolandia, S*-Tliomas, Po-
danda and Duilo of the Zeni map and Voyages, 1380.
Map of the Nortli Sea and Lands delineated upon a Chart
in the 14th century hy Antonio Zeni and as printed at Venice
in 1558 toaccompany the narratives of the norlliern Voyages
of tlie brothei's Nicolo and Antonio Zeno to Iceland, Green-
land, Spitzhergen, Franz-Joseph Land, etc. 1380 and afler.
Body of the Zeni map of the North Sea and Lands, 1380,
exhihiting an original identification of Frisland, Islandia,
Crolandia, Podanda, Monaco, Icaria, Neome, Grislada, and
the seven Islands (Mimant, etc.); also the Islands of the Zeni
nari'ative and the Lost Colonv of East Greenland.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE GLOBE, TOME XVI, 1877.
MEmOIRES
Pages
L'OCÉAN ATLANTIQUE, par M. W. Rosier, prof, {suite
et fin) 5, 79
L'EXPLORATION ET LA CIVILISATION DE L'AFRI-
QUE CENTRALE, par M. L.-H. de Laharpe 35
LE PAYS D'UZ ET LE COUVENT DE JOB, par
M. Alex. Lombard 61
PLAINES ET DÉSERTS DES DEUX CONTINENTS, par
M. Frank de Morsier 143
BUIiliETI^f
Extrait des Procès-Verbaux des Séances de la Société. . . . 3, 75
Mélanges et Nouvelles.
Conférence de Bruxelles, septembre 1876, en vue de l'explo-
ration et de la civilisation de l'Afrique centrale (M. Faure) 38
Lithologie du fond des mers, par M. le prof. Delesse (M. de
Beaumont) 141
Les volcans des îles Sandwich (M. de Laharpe) 155
Le théâtre des dernières explorations anglaises vers le pôle ;
lettre du D' Petermann (M. Lecoultre) 227
BULLETIN, T. XVI, 1877. 19
274 TABLE DES MATIÈRES.
Correspondance.
Pages
Lettres de M. V. Largeau à M. le Président de la Société. —
17 avril 1877 128
26 mai 1877 205
Bibliographie.
Notices bibliographiques (Divers) 135
Notice sur l'exposition cartographique à Berne (M. de Beau-
mont) 267
Ouvrages reçus 67, 149, 220, 269
Association internationale africaine.
Fondation du Comité national 'suisse de l'Association interna-
tionale africaine, Genève, avril 1877 123
Conférence de Bruxelles, juin 1877 145
Rapport sur la session de la Commission internationale de juin
1877, à Bruxelles, par M. G. Moynier, délégué 183
Seconde séance du Comité suisse, Berne, novembre 1877 . . 243
Note remise par M- le professeur Mousson 258
Note remise par M. l'ingénieur Lauterburg 263
Note remise par M. le professeur Schser 264
LE GLOBE
JOURNAL GÉOGRAPHKJUE
ORGANE
DE LA
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE OE GENÈVE
POUR SES
MÉMOIRES & BULLETIN
TOME DIX-SEPTIEME
Troisième Série. — Tome I,
1878
GENEVE
LIBRAIRIE DESROGIS
J. SANDO/, SUCCKSSEUR
PARIS
LIBRAIRIE SANDOZ ET FISCHBACHER
33, rue de Seiue, 33
NEUCHATEL. — IMPRIMERIE DE JAMES ATTINGER.
MÉMOIRES
PLAINES «& DESERTS
DES
DEUX CONTINGENTS
PREMIÈRE PARTIE
(ARABIE. — Suite.)
Quel rapport peut avoir ce fruit délicieux du désert
avec le caractère de ses habitants? On connaît la fru-
galité des Arabes, leur indifférence dédaigneuse pour
les conforts de la vie et pour la richesse; le caractère
arabe est resté primitif. Ce peuple est le peuple libre
et énergique par excellence; la vie contemplative au
désert lui a imprimé des traits où se lisent l'enthou-
siasme et la poésie; «celte vie, dit M. Aug. Glardon,
l'a endurci aux fatigues et trempé pour la lutte et les
combats. Les Arabes sont passionnés d'indépendance,
et pour la conquérir et la conserver, leur esprit cheva-
leresque affronte et méprise la mort.» Ce peuple vrai-
ment noble semble fait pour dominer, et son fidèle
ami, le cheval, semble fait pour s'associer à son hé-
roïsme. — Le cheval arabe, dit la Sainte Ecriture (JubJ,
a un hennissement éclatant comme le tonnerre, il bon-
dit comme la sauterelle, il creuse la terre de son pied,
s'égaie en sa force et affronte l'homme armé; il ne
i PLAINES ET DÉSERTS
s'épouvante de rien, ne se détourne point devant la
hune effîlée, devant le sifflement des flèches, ni devant
le fer élincelant de la lance; il s'enivre du son de la
trompette. — On comprend le prix que met l'Arabe à la
possession d'un tel cheval. Si cet animal ne connaît
pas la crainte, l'Arabe, pour l'amour de lui, saura
prendre la fuite devant une attaque régulière. Il vou-
dra sauver son coursier à tout prix.
Une jument de noble race est souvent la propriété
commune de deux ou trois familles. « Malheur, chez
nous, dit M. de Moltke, au cheval qui aurait quatre
maîtres; chez l'Arabe, au contraire, il n'en est que
mieux traité et choyé.»
« Chez les peuples nomades et pasteurs, dit le géné-
ral Oaumas, peuples qui rayonnent sur de vastes pâtu-
rages et dont la population n'est pas en rapport avec
l'étendue de leur territoire, le cheval est un trésor et
une nécessité.» Avec son cheval, l'Arabe, le Turcoman,
le Kirghise ou le Mongol commerce, voyage, surveille
ses nombreux troupeaux, fait la guerre et s'adonne au
pillage et à la chasse. L'espace n'est plus rien pour lui ;
de là l'élève du cheval et le perfectionnement de sa
race.
Pour obtenir des renseignements authentiques sur
l'élève du cheval arabe pur sang, dont la généalogie
est soigneusement conservée, le sang entretenu sans
mélange, et qui forme un objet important d'exporta-
tion, nous passerons en Mésopotamie, où nous retrou-
verons, avec l'Arabe, le chameau et le noble cheval.
Nous pourrons nous associer pour la route avec une
caravane de Bagdad de retour d'Alop, où elle a conduit
(les indigo, café, épiées, tapis, perles, dattes, gomme,
chevaux, chameaux, etc.; nous |)()urrions aussi l'aire
DES DEUX CONTINENTS 5
roule avec une de ces innombrables hordes de pèle-
rins revenant de la Mecque où nous avons conduit le
lecteur. On pourrait représenter l'Arabie comme le
trait d'union géographique qui relie le Sahara, y com-
pris les déserts lybique et nubien, avec ceux de la Syrie
et de la Mésopotamie; transition parfois insensible de
l'un à l'autre, y reproduisant les alternatives, ici de
sables mous et de sables durcis, là de grès rouges en
décomposition avec scories noires par places et par
suroxydation du l'er, ailleurs de granit égyptien, enfin
plus rarement de calcaire (Aug. Wallin); soulevés à
des hauteurs variables au-dessus de la mer, ne dépas-
sant pas, à ce qu'il semble, mille mètres en maximum,
et recelant aussi des fleuves morts (Palgrave); théâtre,
comme le Sahara, d'expéditions de pillage entre tribus
parfois de même race ou de race très rapprochée, tel-
les que celles des Arabes et des Bédouins; enfin centre
d'où et vers lequel rayonnent les étapes des caravanes,
centre qui fait de l'Arabie un lieu permanent de con-
cours pour tout ce qui relève de la religion de Maho-
met; ensorte que si, comme le dit M. Onésime Reclus
(Terre à vol d'oiseau, I, p. 479), « l'Arabie est isolée du
reste du monde par ses plateaux rocheux et sa ceinture
de déserts, si elle reproduit une Afrique en Asie, » le
mouvement religieux occasionné par ses pèlerins la
tire de cet isolement, et elle se rattache par le com-
merce au reste de l'immanité civilisée.
En effet, placée entre l'Asie à laquelle elle appartient
géographiquement, et l'Afrique septentrionale dont elle
offre les principaux caractères, l'Arabie forme la tran-
sition entre ces deux portions de l'ancien continent;
sans rivières dignes de ce nom, elle doit à cette confi-
guration exceptionnelle la vie nomade et aventureuse
6 PLAINES ET DÉSERTS
de sus habilanls, leur besoin d'échange et de com-
merce. Aussi on relrouve aujourd'hui l'Arabe partout,
depuis le Maroc el l'Atlas jusqu'au mur de la Chine, de-
puis les bords du Nil et du Niger jusqu'à Zanzibar au
sud, jus(iu'à l'Indus et l'Oxus au nord. L'Arabie, sillon-
née de massifs, divers de hauteur el d'exposition, ollre
avec de grandes difficultés pour son étude, une cer-
taine variété dans ses produits et les articles de son
commerce, tels que l'encens, le baume de la Mecque
et ses dalles, le café exquis de Moka, la pêche des per-
les sur les côtes du golfe Persique, enfin, dans le Ned-
jed, l'élève du chameau eldu cheval le plus renoumié.
L'arabe est la langue sacrée des Musulmans; Maho-
met écrivit le Coran en arabe. Grâce à ce livre, la lan-
gue du prophète est très répandue en Turquie, en
Asie, dans la Perse, l'Inde et la Tartarie, en Afrique
dans la Barbarie, le Maroc, l'Abjssinie, la Cafrerie, etc.
Cent à cent cinquante mille pèlerins traversent an-
nuellement l'Arabie pour se rendre à la Mecque el à
Médine; tous les ans ses villes se peuplent subilemenl
de ces nombreux étrangers. Le mélange des races n'en
sera-l-il pas le résultat ?
Nous voudrions voir plus clair dans la destinée des
peuples que représentent les dénominations de Sarra-
sins, Maures, Berbères, Bédouins el Arabes propre-
ment dits *. « Ces peuples, dit M. de Moltke, comman-
' 1» J'emploie le terme Bédouin pour exprimer le earaclère va^^aboml
des tribus vouées à la vie nomade et pastorale, réservant plus spécialement
et par opposition le nom général A' Arabe pour celles ijui mènent une vie
agricole et sédentaire.
2" Semblablemcnt, d'après le D"^ Barth, chez les Touaregs la particule
Aei, i)récédant le nom de la tribu berbère, désigne celles qui sont séden-
taires par opposition à celles qui sont errantes : Kel-oti'i. Krl-ijf'rcss.
3° M. le professeur Langlés, dans une note de sa traduction du voyage de
G. Forster (du Bengale à travers la Russie), discute et repousse l'explication
de cet auteur relative au nom S(irrasi)i. Forster le dérive de Ssakhnrah
(Sahara) dans le sens général d'li(thila)ils des plaines arides. M. I.auglës
DES DEUX CONTINENTS 7
daienl une fois tlcpuis l'Himalaya jusqu'aux Pyrénées
el depuis l'Indus jusqu'à la nier Allanlique, et leur lan-
gage commun encore aujourd'hui en fail foi. Aucun
peuple peut-être autant que l'Arabe n'a conservé aussi
intacts ses mœurs, ses coutumes et sa langue au milieu
des péripéties les plus diverses; comme pasteurs et
comme chasseurs, ces nomades continuent toujours à
parcourir leurs solitudes ignorées. Le Bédouin y mène
encore aujourd'hui, comme ses pères, la vie de priva-
tions, de misère et d'indépendance: il erre encore au-
jourd'hui sur sa steppe el il abreuve ses troupeaux aux
mêmes puits qu'au temps de Moïse el de Mahomet.»
(Moltke, p. 241 de l'édition allemande.)
rs'ous l'avons dit : Parler de l'Arabie, c'est continuer
le Sahara et l'étendre en imagination jusqu'à la Syrie,
où nous entrerons bientôt.
« Les conditions du sol, dit Jomard (Etudes sur r Ara-
bie, p. 166), celles de température et de constitution
physique du pays, ont dû avoir une grande influence
sur les indigènes de l'Afrique égyptienne et sur leurs
habitudes. Si on considère l'ensemble de la région tro-
picale à l'ouest du golfe Persique, on sera frappé de
l'analogie existant entre les contrées qui forment ce
grand espace; cette zone, à prendre du 10'^ au 30^ pa-
rallèle nord, est presque homogène et n'est interrom-
pue que par la mer Rouge et par la vallée du Nil; ce
sont, à deux exceptions près, ou des montagnes plus
ou moins stériles, ou de purs déserts qui en occupent
la surface. En Asie, ce sont les rochers sablonneux
d'Ahqâf. En Afrique ce sont, d'un côté les rochers ari-
le tire de Charâr/yn (pluriel de CItarrjij) qui signifie Oriental, nom par
lequel les Musulmans barbaresques, arabes et syriens se distinguent de
leurs frères d'Espagne, du Midi de la France et du Maroc, qu'ils appellent
Moghréby ou Mar/hrébij, et qui signifie Occidental.
8 PLAINES ET DÉSEriTS
des qui séparent le Nil de la mer Rouge, de l'autre les
sables du Sahara La fertilité du Nil a dû y attirer de
tout temps le commerce et des établissements séden-
taires Le chameau d'Asie trouve à l'occident de la
mer Rouge le même terrain qu'il est habitué à fouler à
l'orient. »
Celte analogie de climats, qui, jusqu'à un certain
point peut-être, suppose une homogénéité de races,
nous suggère une distinction nécessaire quand il s'agit
d'un pays tel que l'Arabie; à plusieurs égards, en effet,
et surtout pour ce qui concerne ses habitants noma-
des, ce sont bien plutôt, semble-t-il, les rapports gé-
néalogiques de familles et de tribus que les dénomina-
tions des districts qu'elles occupent, qui importent à la
division géographique du pays et qui doivent en ré-
gler l'étude.
Cependant cette étude, dès que l'on veut définir la
constitution géographique du pays, est difficile, et
nous n'en présentons ici une ébauche qu'avec une ex-
trême défiance.
Burckhardt (trad. d'Eyriès, II, p. ii-), retrace le relief
de l'Arabie en tirant une ligne qu'il prolonge du mont
Liban, du N. au S., ou plutôt, dit Palgrave, du IN.-N.-O.
au S.-S.-E., et du 29" au 2/i-o lat. N. Le prolongement
du Liban, forme, dit le premier, une chaîne qui tra-
verse l'Arabie à peu près dans la même direction,
laissant à l'orient la mer Morte, passant par Akaba au
nord jusqu'au Yémen au sud, tantôt longeant la mer
Rouge ou golfe Arabique, tantôt laissant entre la mon-
tagne et cette mer une plaine que Burckhardt nomme
Te/iama, terme général qu'il ne faut pas confondre
avec un district particulier du même nom, qu'on trouve
plus au sud. La |)enle orientale de cette chaîne, tout le
DES DEUX CONTINENTS 9
long du Jourdain, de la mer Morte el de la vallée d'A-
raba jusqu'à Akaba.eslbeaucoup moins prononcée que
sa pente ouest; par conséquent la plaine d'Arabie, qui
commence à l'est de ces montagnes, est très élevée au-
dessus de la mer. Quand on y monte de l'ouest, on a
en vue de très hautes crêtes, en particulier lorsqu'un
débouche sur la plaine à l'est de Médine. Ces crêtes,
laissées à gauche, ne paraissent plus que des collines
et leur altitude au-dessus de la plaine de l'est n'atteint
qu'au tiers de celle qu'elles ont de l'autre coté. —
Quand on creuse, dit Palgrave, un nouveau puits dans
le Nedjed, l'eau des puits situés à l'ouest diminue
d'autant; c'est l'indice d'une nappe d'eau souterraine
el la preuve que la péninsule arabique s'abaisse vers
la mer Rouge. — Les habitants du Tehama sont, pa-
raît-il, pauvres comme leur territoire; il n'y pleut par-
fois que trois ou quatre jours dans toute l'année.
Le Hedjaz, la terre sacrée par excellence de l'Islam,
est à cheval sur la chaîne dont nous parlons, et en oc-
cupe, dans le milieu de son prolongement, les deux
versants.
A l'est de cette chaîne régnent les grands déserts,
entourant comme d'une ceinture un plateau central
plus élevé qu'eux et désigné sous le nom de Nedjed. Le
mot /Ver// signifie terrain élevé, par opposition à Tehama,
qui signifie terrain bas.
Le désert qui l'entoure s'étend à l'est jusqu'à l'O-
man; au nord, il touche à la Syrie par l'Arabie péfrée
et le Djouf (Arabie déserte), où nous arriverons bien-
tôt. X l'est et au sud, ce désert central, nommé par les
bédouins Robael kliali (demeure vide ou abandonnée),
se prolonge sur une vaste étendue; il ne s'y trouve pas
un seul puits et il est inhabitable en été. Mais en hiver,
10 PLAINES ET DÉSERTS
yprès les pluies, les sables s'y couvrenl d'une lierbe
que les tribus du Nedjed, du Hedjaz et de l'Yémen font
brouler par leurs troupeaux. Ces sables sont fréquen-
tés par l'autruche : plusieurs parties en sont, croyons-
nous avec de Wrede et Maitzahn, encore inexplorées-
Les pâturages du Nedjed proprement dit nourris-
sent, on le sait, une race excellente de chameaux et
surtout des chevaux célèbres dans tout le monde.
Du INedjed dépendent entre autres, comme annexes,
au nord le DjébelShomer et au centre le Cassim.
Enfin, tout-à-fait au midi, s'étend au-delà du désert la
vaste territoire de l'Hadramaut, à peine connu, visité
par les voyageurs Seetzen, Arnaud et de Wrede, assez
rempli par places d'une population sédentaire, mais
très peu civilisée et toujours guerroyante, hostile entre
tous les Arabes au nom de chrétien ou plutôt d'Euro-
péen; territoire excessivement montueux, assez arrosé,
balayé par de fréquents orages, et présentant des mas-
sifs qui ont jusqu'à 8000 pieds de hauteur. L'Hadra-
maut est séparé de la mer par une région un peu plus
accessible au commerce, dont le rivage est très pois-
sonneux; ensorte , dit de Wrede, qu'on y nourrit les
chameaux en partie de poissons séchés et salés. —
Mais le plan de cette étude nous prescrit de porter ail-
leurs nos pas.
En abordant l'Arabie par le nord avec M. Palgrave
(Trad. d'E. Jou veaux, I, p. 17), nous retrouvons le dé-
sert dans toute sa physionomie saharienne. Il s'étend
au sud de la Syrie depuis le bord de la mer Morte jus-
qu'à l'Euphrale. « Devant nous, dit Palgrave, sur la
route de Mann à Djouf, s'étendait la plaine sombre, im-
mense, dénuée de végétation et de vie ; de tous côtés
des lacs fantastiques étalaient leurs catix trompeuses,
DES DEUX CONTINENTS I I
qui faisaient paraître la chaleur et les privations plus
pénibles encore; çà et là de sombres rocs basaltiques,
grandis par la réfraction de l'alniosplière embrasée,
prenaient la forme d'une bizarre et gigantesque mon-
tagne ; spectacle terrible et désolé, auquel la solitude
ajoutait une telle terreur, que la vue même d'un en-
nemi aurait semblé un soulagement. Pendant cinq jours,
le lézard du désert, à la peau si sèche qu'il semble ne
pas avoir une parcelle d'humidité dans son corps dis-
gracieux, et la gerboise d'Arabie, furent les seules
créatures sur lesquelles notre œil pût se reposer
Je n'oublierai jamais ces journées longues et monoto-
nes durant lesquelles nous pressions avec une ardeur
fiévreuse le pas de nos chameaux, marchant quinze ou
seize heures sur vingt-quatre, exposés aux rayons d'un
soleil vertical, et ne trouvant rien, ni dans l'aspect du
paysage, ni dans la société de nos guides, qui pût
nous distraire de nos tristes pensées Après un repos
insuffisant de deux ou trois heures, le guide nous ré-
veillait avec ces sinistres paroles : Si nous tardons,
710US mourrons tous de soif! — Poussant alors de nou-
veau nos montures fatiguées au milieu de la nuit obs-
cure, nous nous attendions sans cesse à être attaqués
ou pillés Partagé entre le rêve et le délire causé
par une fièvre violente qui était venue se joindre à ma
lassitude et à mon abattement, je n'avais plus con-
science ni du sol que nous foulions sous nos pieds, ni
du but de notre voyage. Une seule plante répandait
sur notre route monotone un peu de vie et de variété;
c'était la coloquinte amère et empoisonnée du désert.»
— Telle est, au nord, la grande ceinture du désert
qui entoure l'Arabie centrale, l'isole de la Syrie et de
Bagdad, et rend ses communications avec l'Hedjaz,
l'Yémen et l'Oman incertaines et périlleuses.
12 PLAINES ET DESEUTS
« Il était midi, raconte Palgrave un peu plus tard; le
soleil brillant au milieu d'un ciel sans nuages versait
à flots ses rayons embrasés sur le désert aride : tout à
coup, le vent du sud, lourd et chaud, se mita souffler
par violentes rafales et l'air devint si accablant qu'il
paraissait manquer à nos poitrines. Nous nous regar-
dions avec inquiétude, nous demandant ce qui se pas-
sait. Sélim, notre guide bédouin, courbé sur son cha-
meau, la tête dans son burnous, ne paraissait pas dis-
posé à nous répondre; ses deux compagnons étaient
également silencieux. Enfin, pressé par nous, Sélim,
nous désignant une petite tente noire qui, par un
bonheur providentiel, se voyait à peu de distance, nous
répondit brièvement: Si nous y parvenons, îious sommes
sauvés. Prenez garde à vos chameaux, ajouta-t-il, ne les
laissez ni s'arrêter ni se coucher. Puis il pressa vigou-
reusement sa monture, sans ajouter une parole. —
Deux cents mètres au moins nous séparaient de la
tente... ]\os bêtes refusaient de faire un pas de plus.
L'horizon s'obscurcissait rapidement et prenait une
teinte violette; un vent de feu, pareil à celui qui sorti-
rait de la bouche d'un four, soufflait au milieu des té-
nèbres croissantes; nos chameaux, en dépit de nos ef-
forts, tournaient sur eux-mêmes et pliaient les genoux
pour se coucher... .4 l'exemple de nos guides arabes,
nous nous étions couvert le visage et nous fraj)pions
nos montures avec une énergie désespérée, les pous-
sant vers l'asile unique désigné. Heureusement nous y
arrivâmes avant que la tempête déchaînât toute sa fu-
reur. Nous étions sauvés... Nos malheureux chameaux,
étendus à terre et sans vie en apparence, avaient en-
foui leur long cou dans le sabh;, laissant passer l'ou-
ragan sur eux... Dix minutes se passèrent; une chaleur
DES DEUX CONTINENTS iS
semblable à celle d'un fer rouge nous enveloppait de
ses brûlantes étreintes, puis les parois de la tente ro-
comniencèrent à s'agiter sous le souffle d'un vent fu-
rieux. Le Simoun s'éloignait... Bientôt le jour reprit
son éclat accoutumé. — Chose singulière ! Pendant
toute la durée de la tempête, aucun tourbillon de pous-
sière ou de sable ne s'était élevé, aucun nuage ne voi-
lait le ciel, et je ne sais comment expliquer les ténè-
bres qui, tout à coup, avaient envahi l'atmosphère.»
Entre le Djouf et le Djébel-Slioruer s'étend une plaine
immense d'un sable rouge amoncelé en dunes et mon-
ticules, hauts de deux à trois cents pieds, courant pa-
rallèlement du >\ au S. C'est tour à tour un abîme et
une prison de sable, une vaste mer de feu labourée et
soulevée en vagues rougeatres quand s'y promène le
terrible vent du désert.
« En traversant le désert appelé Néfoud, nous ne pou-
vions, dit encore Palgrave (I, p. 88), donner que trois
heures à la halte pour souper et prendre un peu de
repos; nous ne pouvions consacrer plus de temps au
sommeil; car si nous ne sortions pas de ce désert
avant que notre provision d'eau fût épuisée, noire perle
était certaine. On n'apercevait nulle trace d'hommes ou
d'animaux. Le désert, pas plus que l'océan, ne garde
l'empreinte des voyageurs qui le traversent. »
Vers le soir du second jour de traversée du Néfoud,
on découvre deux pics de granit qui élèvent leurs py-
ramides solitaires au-dessus des dunes; ils se ratta-
chent, selon Palgrave, à une base rocheuse sur la-
quelle repose le sable de ce désert, de même que les
vagues recouvrent le lit immuable des mers. La couche
inférieure du sol est, dit-il, certainement granitique ;
quant à l'épaisseur du sable